Khrouchtchev s’exprime à Moscou le 14 avril 1961, sur la place Rouge, lors de la cérémonie d’accueil du premier cosmonaute, Youri Gagarine, deux jours après son vol dans l’espace (12 avril 1961).
Chers camarades !
Chers amis !
Citoyens du monde entier !
C’est avec une grande joie et une grande fierté que je m’adresse à vous : pour la première fois dans l’Histoire, un homme de la planète nommée la Terre, un homme soviétique, à bord d’un vaisseau construit par les efforts des savants, ouvriers, techniciens et ingénieurs soviétiques, s’est envolé dans l’espace cosmique et il a fait le premier voyage, sans précédent, vers les étoiles. Le vaisseau-satellite Vostok, qui s’est élevé à la hauteur de plus de 300 kilomètres, a fait un tour du globe terrestre et il a atterri avec succès en un point de l’Union soviétique, fixé d’avance.
Nous saluons chaleureusement le remarquable cosmonaute, l’héroïque Soviétique, Iouri Gagarine. Il a fait apprécier ses grandes qualités morales : courage, maîtrise de soi, audace. C’est le premier homme qui, en une heure et demie, a vu toute notre planète, la Terre, en mouvement perpétuel, qui a embrassé du regard ses immenses océans et continents. Iouri Alexéïévitch Gagarine est notre pionnier des voyages cosmiques. Il a été le premier à faire un voyage orbital autour du globe terrestre. Si le nom de Christophe Colomb vit dans les siècles, lui qui a traversé l’Atlantique et découvert l’Amérique, à quel avenir pouvons-nous nous attendre pour notre admirable héros, le camarade Gagarine, qui a pénétré dans le Cosmos, qui a fait dans l’espace le tour du globe terrestre et est rentré sain et sauf sur la Terre ? Son nom restera immortel dans l’histoire de l’humanité.
Nous comprenons tous que notre premier explorateur cosmique a rapporté avec lui sur la Terre tout un monde de pensées et de sentiments. Tous ceux qui se trouvent ici, sur cette place historique, comprennent la grande émotion, la fierté et la joie avec lesquelles nous vous saluons, cher ami et camarade.
Au nom du Comité central du Parti communiste de l’Union soviétique, du gouvernement soviétique et de la part de notre peuple tout entier, permettez-moi de vous présenter les félicitations les plus cordiales et de vous remercier chaleureusement pour cet exploit sans précédent.
Permettez-moi aussi de saluer et de féliciter chaleureusement les savants, les ouvriers, les ingénieurs et les techniciens qui ont construit le vaisseau-fusée Vostok, de féliciter tous les Soviétiques qui ont créé les conditions pour un vol aussi réussi dans l’espace du vaisseau avec un homme à bord.
Nous sommes fiers de l’exploit de Iouri Gagarine, nous admirons les savants, les ingénieurs, les techniciens, les ouvriers qui travaillaient ensemble de toute leur intelligence et de tout leur cœur pour construire ce vaisseau et pour en assurer le magnifique vol. Leurs réalisations glorieuses incarnent le travail et l’exploit des millions d’ouvriers, de kolkhoziens, d’intellectuels, de tout le peuple soviétique. Ce vol a fait voir une fois de plus au monde entier les possibilités illimitées du génie d’un peuple libre.
Aujourd’hui lorsque la science et la technique soviétiques viennent de faire voir la réalisation suprême du progrès scientifique et technique, nous ne pouvons pas ne pas évoquer l’histoire de notre Patrie. Chacun de nous jette involontairement un regard sur les années que nous avons vécues.
Ayant arraché le pouvoir au tsar, aux capitalistes et aux gros propriétaires fonciers, nous l’avons défendu dans le feu de la guerre civile, bien que très souvent nous n’eussions pas de quoi nous vêtir et de quoi nous chausser. Que de stratèges militaires prophétisaient à l’époque une défaite imminente des « armées de va-nu-pieds », comme ils disaient. Où sont-ils maintenant, ces stratèges malencontreux !
Quand nous travaillions aux premiers samedis communistes, quand nous construisions les fondements de nouveaux hauts fourneaux et creusions des houillères, quand nous lancions dans le monde entier nos paroles ailées : quinquennat, industrialisation, électrification, collectivisation, instruction générale, ils étaient légions, ces « théoriciens » présomptueux qui prophétisaient que la Russie indigente ne pourrait jamais devenir la plus grande puissance industrielle. Où sont-ils maintenant, ces prophètes malchanceux ?
Nous ne sommes pas pareils à Ivan-sans-Famille. Nous mettions au service du peuple tout ce qu’il y avait de meilleur dans l’œuvre des hommes d’avant-garde de notre pays. L’État socialiste a offert le vaste terrain de l’édification soviétique industrielle et kolkhozienne pour l’application pratique des rêves et des projets de nombreux savants, ingénieurs et techniciens qui, dans les conditions de la Russie tsariste, ne pouvaient même pas songer à appliquer leurs connaissances et leur maîtrise.
Maintenant, quand nous voyons tout près de nous l’homme qui a fait le premier voyage cosmique, nous ne pouvons manquer de nous rappeler le savant révolutionnaire russe Kibaltchich qui songea aux vols cosmiques et fut exécuté par le gouvernement tsariste. Nous ne pouvons non plus manquer de rendre hommage à la mémoire de Mendeleïev et de Joukovski, de Timiriazev et de Pavlov, ainsi que de nombreux autres grands savants dont les noms demeurent étroitement liés aux grands exploits du peuple soviétique.
C’est avec une vénération particulière que nous évoquons aujourd’hui Constantin Edouardovitch Tsiolkovski, ce savant et rêveur, auquel nous devons la théorie des vols cosmiques.
Le rêve de conquérir le Cosmos est, en effet, le plus grand de tous les grands rêves de l’homme. Et nous sommes fiers que ce soient les Soviétiques qui font une réalité de ce rêve, de cette utopie.
Citoyen de l’Union soviétique, cela sonne fier. Il était un temps où certains à l’étranger et même à l’intérieur du pays nous méprisaient. Mais Vladimir Maïakovski disait alors fièrement :
« Lisez, enviez, je suis un citoyen de l’Union Soviétique. »
Avec quelle vigueur ces paroles résonnent aujourd’hui ! Quel sens profond elles ont reçu ! Mais cette fierté n’est pas due au fait que nous refusons aux autres peuples et pays de suivre notre exemple. Nous sommes internationalistes. Chaque Soviétique est éduqué dans l’esprit du patriotisme socialiste et il est prêt à partager généreusement sa richesse scientifique, ses connaissances techniques et culturelles avec tous ceux qui sont disposés à vivre avec nous dans la paix et l’amitié.
Les ouvriers, les kolkhoziens, les intellectuels travailleurs soviétiques sont fiers que nous, travailleurs de l’ancienne Russie tsariste, ayons eu le grand bonheur d’accomplir la révolution socialiste d’Octobre sous la direction du guide immortel de la classe ouvrière Vladimir Ilitch Lénine, du Parti Communiste.
C’est un exploit sans égal dans l’Histoire. La classe ouvrière, le peuple ont dû faire preuve d’un très grand courage, de hardiesse, d’une compréhension profonde de leurs objectifs et de leurs tâches pour réaliser cet exploit. La classe ouvrière n’a craint aucune difficulté. Elle a fait une très grande révolution, elle a pris le pouvoir dans un pays qui était sous-développé, presque entièrement analphabète et dont le peuple était opprimé par le tsarisme et le capitalisme.
Dans ces conditions, quand il fallait, semble-t-il, non pas rêver aux grandes choses du présent et de l’avenir, mais penser à terminer la guerre, à panser les blessures qui saignaient dans tout l’organisme de l’ancienne Russie, le génial Lénine parlait avec une certitude inébranlable de la victoire inévitable du socialisme, du communisme. Il prenait des mesures pour mettre un terme à la guerre impérialiste par la révolution, par la victoire de la classe ouvrière, par l’établissement de la dictature du prolétariat, par la libération révolutionnaire de tous les peuples de notre pays.
Lénine expliquait inlassablement et avec persévérance que c’est seulement en libérant entièrement les hommes de l’esclavage capitaliste, c’est seulement lorsque le peuple deviendra véritablement libre, que toutes les possibilités matérielles et spirituelles, tous les efforts pourront servir le bien des travailleurs et qu’une ère nouvelle commencera dans l’histoire de l’humanité.
Le grand exploit de la classe ouvrière de la Russie, du peuple de notre pays qui ont accompli sous la direction du Parti communiste la révolution socialiste d’Octobre, entrera dans les siècles, comme un exemple de l’œuvre révolutionnaire du peuple.
Le socialisme a offert à notre pays un champ d’action très vaste. En quarante-trois ans de pouvoir soviétique, la Russie naguère illettrée dont certains parlaient avec mépris en la considérant comme un pays arriéré, a parcouru une route grandiose. Notre pays a maintenant créé le premier vaisseau-satellite, il s’est élancé le premier dans le Cosmos. N’est-ce pas la manifestation la plus éclatante de la liberté authentique du peuple le plus libre du monde, du peuple soviétique !
Après avoir réuni toutes les conditions pour le décollage et l’atterrissage réussi du vaisseau-satellite, nous avons montré de quoi est capable un peuple s’il devient vraiment libre, émancipé sous le rapport politique et économique. Effectivement, sont libres non pas les pays où les riches exploitent librement ceux qui n’ont pas de pain — c’est le monde « libre » — mais les pays où tous les travailleurs, tous les peuples ont la possibilité de jouir de tous les biens matériels et spirituels.
La conquête de l’Espace que nous avons entreprise est un brillant jalon dans l’évolution de l’humanité. Cette victoire signifie un nouveau triomphe des idées léninistes, elle confirme la justesse de la doctrine marxiste-léniniste. Les brillants résultats de tout ce que les peuples de l’Union soviétique ont obtenu dans les conditions de la révolution socialiste d’Octobre, se sont concrétisés et incarnés dans cette victoire du génie humain. Cet exploit marque un nouvel élan de notre pays dans la marche en avant, vers le communisme
Nous déclarons avec fierté et avec une assurance inébranlable devant le monde entier qu’après avoir édifié avec succès le socialisme commencé en 1917 par la Rrvolution d’Octobre, nous avançons hardiment et fermement dans la voie tracée par le grand Lénine, vers la construction du communisme. Nous disons qu’il n’y a pas dans le monde une force qui pourrait nous faire dévier de cette route. Nous remporterons la victoire, la victoire la plus noble, la plus éclatante. Elle n’aboutit pas à la domination d’un groupe de personnes sur un autre, à la domination d’un pays sur un autre ou sur un groupe d’États, d’une nation sur d’autres, mais elle étend ses bienfaits à tous les hommes du monde.
La marche des peuples vers le communisme, la noble aspiration des hommes à réaliser ce grand but ne peut être amoindrie ou arrêtée. Ce mouvement a acquis une force énorme, irrésistible et aucun obstacle ne pourrait arrêter ce grand processus de l’évolution de l’humanité. Le peuple soviétique, les peuples des pays socialistes, les peuples du monde entier, y compris ceux des États qui n’ont pas encore remporté leur victoire, mais qui luttent avec opiniâtreté pour le triomphe du progrès sur l’exploitation et l’oppression, vaincront, bâtiront l’édifice radieux du communisme. Ce sera un grand bien pour l’humanité, le couronnement de sa progression ininterrompue.
Camarades, en cette heure, nous saluons les savants du monde entier pour lesquels le vol cosmique est une grande joie et un grand bonheur. La science soviétique se développe en étroite union avec toute la science mondiale.
Le vol du vaisseau-cosmique Vostok est pour ainsi dire la première hirondelle soviétique dans le Cosmos. Elle s’est envolée après nos nombreux spoutniks et vaisseaux. C’est la conséquence logique du travail scientifique et technique gigantesque effectué dans notre pays en vue de conquérir l’Espace.
Nous continuerons ce travail. Toujours plus de Soviétiques voleront dans l’Espace en suivant des routes inconnues, ils l’exploreront, ils continueront à percer les secrets de la nature, et ils les mettront au service de l’homme, de son bien-être, au service de la paix.
Nous soulignons : au service de la paix ! Les Soviétiques ne veulent pas que les fusées qui remplissent avec une précision si étonnante le programme fixé par l’homme, transportent des cargaisons de mort.
Nous nous adressons une fois de plus aux gouvernements du monde entier : la science et la technique sont allées si loin et elles sont capables de causer de telles destructions en vertu d’une mauvaise volonté qu’il faut prendre toutes les mesures pour le désarmement. Le désarmement général et total sous le contrôle international le plus strict est le chemin qui mène à l’établissement d’une paix durable entre les peuples. Lorsque nous avons lancé le premier spoutnik, des gens bornés outre-Atlantique n’y avaient pas cru. Que faire, il y a des gens myopes et manquant de clairvoyance. On peut maintenant tâter pour ainsi dire l’homme qui nous est venu du ciel !
Permettez-moi de vous étreindre fortement encore une fois, cher Iouri, de transmettre par votre intermédiaire le salut ardent à vos camarades de travail et à ceux qui ont pris part à l’exploit. Vous avez immortalisé l’Union des républiques socialistes soviétiques, la mère-Patrie n’oubliera pas votre exploit et gardera votre nom sur les pages de son histoire. Nous sommes fiers que le premier cosmonaute du monde soit un Soviétique. Iouri Alexeïevitch a grandi et a été élevé dans une école soviétique, il prenait une part active à la vie sociale, c’était un komsomol actif. Il est communiste, membre du grand Parti de Lénine !
J’ai le plaisir d’annoncer que le Présidium du Soviet suprême de l’U.R.S.S. vous a conféré le titre de héros de l’Union soviétique.
Le titre glorieux de « pilote-cosmonaute de l’U.R.S.S. » vous est décerné pour la première fois.
Le buste en bronze du héros sera placé à Moscou et une médaille commémorative sera frappée en l’honneur du premier vol cosmique de l’homme. Je félicite chaleureusement les parents de Iouri, Anna Timoféïevna et Alexis Ivanovitch Gagarine pour avoir élevé et éduqué un tel fils remarquable qui a glorifié notre Patrie par son exploit.
Je présente les vives félicitations à l’épouse de Iouri Alexeïevitch, Valentina Ivanovna, remarquable femme soviétique. En effet, elle savait que Iouri Alexéïevitch allait être lancé dans l’espace, et elle ne l’en a pas dissuadé, elle a soutenu de tout son cœur son mari, père de deux petits enfants, dans la réalisation de son grand exploit.
En effet, personne ne pouvait garantir que le départ de Iouri Alexéïevitch ne soit le dernier. Le courage, la compréhension de toute l’importance de ce vol sans précédent révèlent la grande âme de Valentina Ivanovna.
Oui, c’est une vraie femme soviétique. Rappelez-vous avec quelle chaleur et quel amour Nekrassov, Pouchkine et d’autres écrivains de chez nous ont écrit sur les femmes russes. Les femmes russes, ce sont maintenant toutes les femmes de l’Union soviétique. Valentina Ivanovna a montré son grand caractère, sa volonté et le sens profond du patriotisme soviétique.
Camarades, les peuples de l’Union Soviétique célèbrent leur nouvelle victoire, la victoire du travail, de la science et de la raison. Elle a été remportée par les peuples de notre pays après un travail intense et opiniâtre. Les Soviétiques ont parcouru la grande route de la lutte pour l’essor de l’économie nationale, pour le développement de la technique, de la science et ils ont obtenu une digne récompense en détenant la priorité du lancement dans le Cosmos d’un vaisseau-satellite ayant un homme à bord. Cet exploit immortel, cette réalisation éminente vivra dans les siècles comme la plus grande réalisation de l’humanité.
« Un jeune communiste, premier homme du Cosmos », La jeunesse et le communisme, choix de textes marxistes présentés par Léo Figuères, 2e édition revue et augmentée, Paris, Éditions sociales, 1963, pp. 182-188.