La conservation des ressources naturelles selon Theodore Roosevelt (1912)

Dans le discours qu’il prononce à Chicago, le 6 août 1912, Theodore Roosevelt (1858-1919) plaide pour la « conservation » des ressources naturelles. Ancien président des États-Unis (1901-1909), Roosevelt est républicain, mais progressiste, c’est-à-dire réformateur, contrairement à l’aile conservatrice du parti, restée favorable au laisser-faire économique. Devenu président après l’assassinat de McKinley (14 septembre 1901) et réélu sous son propre nom le 8 novembre 1904, il met en œuvre une politique dite de Square Deal qui vise à lutter contre les excès du capitalisme industriel et fait de l’État fédéral le garant de l’intérêt général. En 1908, il soutient la candidature du républicain Taft, mais se présente contre lui, comme candidat progressiste, à l’élection de 1912. C’est dans ces circonstances qu’il prononce le discours de Chicago. Comme Gifford Pinchot (1865-1946), premier directeur du Service des forêts (1905), Roosevelt est conservationniste, favorable à la « conservation » des ressources naturelles, c’est-à-dire à leur exploitation raisonnée. Il entend faire « usage des ressources naturelles pour le plus grand bénéfice du plus grand nombre pour la période la plus longue » selon la formule du géologue W. J. McGee reprise par Pinchot dans son autobiographie (1947). Il se distingue en cela des préservationnistes comme John Muir (1838-1914) qui font de la nature un sanctuaire à préserver de toute atteinte humaine. C’est l’affaire de Hetch Hetchy (1908-1913) qui sépare les deux écoles. Faut-il ou non construire un barrage dans une vallée de la Sierra Nevada située au nord-ouest du parc national de Yosemite ? Gifford Pinchot répond par l’affirmative puisque le barrage assure l’approvisionnement en eau de la population de San Francisco. John Muir et le Sierra Club s’y opposent au contraire puisqu’il entraîne l’inondation de la vallée et porte atteinte à l’intégrité du site.


Chronologie indicative

3 novembre 1896. — Première élection du président républicain McKinley.

6 novembre 1900. — Réélection de McKinley, avec Roosevelt comme vice-président.

6 septembre 1901. — Attentat contre le président McKinley : il meurt de ses blessures le 14 et Roosevelt devient président.

15-18 mai 1903. — Visite de la vallée de Yosemite en compagnie de John Muir.

8 novembre 1904. — Réélection de Roosevelt (première élection comme président).

1er juillet 1905. — Création du Service des forêts des États-Unis sous la direction de Gifford Pinchot.

8 juin 1906. — Signature de la loi sur la préservation des antiquités autorisant le président à instituer des monuments nationaux par décret présidentiel.

11 mai 1908. — Le secrétaire à l’Intérieur Garfield autorise la municipalité de San Francisco à construire un barrage dans la vallée de Hetch Hetchy afin d’assurer son approvisionnement en eau.

3 novembre 1908. — Élection du président républicain Taft, avec le soutien de Roosevelt.

18-22 juin 1912. — Convention républicaine de Chicago : le président Taft est désigné candidat du Parti républicain à l’élection présidentielle de 1912, malgré la candidature de Roosevelt.

5-7 août 1912. — Convention progressiste de Chicago : Roosevelt obtient l’investiture du Parti progressiste.

5 novembre 1912. — Première élection du président démocrate Woodrow Wilson.

19 décembre 1913. — Signature par Wilson du Raker Act sur le barrage de Hetch Hetchy.

24 décembre 1914. — Mort de John Muir à Los Angeles.


Le discours de Chicago du 6 août 1912

Il ne peut y avoir dans ce pays de cause plus grande que celle de la conservation [conservation]. De même que nous devons protéger [conserve] nos hommes, nos femmes et nos enfants, nous devons préserver [conserve] les ressources de la terre sur laquelle ils vivent. Nous devons préserver [conserve] le sol afin que nos enfants aient une terre qui soit plus fertile, non pas moins fertile que celle sur laquelle nos pères ont vécu. Nous devons préserver [conserve] les forêts, non pas en les laissant à l’abandon, mais en les exploitant, afin de les rendre plus précieuses, en même temps que nous les utilisons. Nous devons préserver [conserve] les mines. Il nous faut en outre, autant qu’il est en notre pouvoir, assurer l’usage de certaines grandes ressources naturelles pour le bénéfice de la collectivité tout entière. La nation ne doit pas abandonner ses droits sur l’énergie hydraulique, une source d’énergie dont l’importance sera incalculable dans un avenir proche. La nation et les États devraient sans délai, avec leurs pouvoirs respectifs, garantir par la loi la propriété publique de l’énergie hydraulique, n’en concédant l’usage que pour une durée raisonnable et à des conditions qui préserveraient les intérêts de la collectivité. De même que la nation s’est engagée dans une œuvre d’irrigation à l’Ouest, elle devrait aussi entreprendre celle de l’assainissement des terres humides du Sud. Nous devrions faire de la mise en valeur et de la protection du Mississippi une œuvre nationale, tout comme nous avons entrepris la construction du canal de Panama. Nous pouvons employer l’outillage et le savoir-faire rendus disponibles par l’achèvement du canal de Panama pour mettre en valeur le Mississippi de façon à en faire une grande route de commerce, et une source de fécondité, et non de mort, pour les riches et fertiles terres qui s’étendent le long de son cours inférieur.

Dans l’Ouest, les forêts, les pâturages, les réserves de toutes sortes devraient être administrées de manière à servir les intérêts du pionnier qui occupe véritablement la terre. Il faudrait l’encourager à l’exploiter immédiatement, tout en la préservant, pour ne pas l’épuiser. Nous ne voulons pas que nos ressources naturelles soient exploitées par quelques-uns au détriment des intérêts du plus grand nombre, comme nous nous refusons à la céder à quiconque les utiliserait à mauvais escient au risque de les détruire, laissant ainsi à ceux qui viendraient après nous un patrimoine amoindri. L’homme dont nous entendons protéger les intérêt est le pionnier qui cultive la terre, qui travaille de ses mains, qui œuvre non seulement pour lui-même, mais aussi pour ses enfants, et qui souhaite leur léguer le fruit de son travail. La garantie de sa prospérité est la première condition à prendre en compte dans la conduite de notre politique de conservation : notre but est de préserver nos ressources naturelles pour la collectivité tout entière, pour l’homme et la femme ordinaires qui constituent le peuple américain.

Traduction personnelle.

Address by Theodore Roosevelt before the convention of the National Progressive Party in Chicago, August, Nineteen Twelve, Mail and Express Job Print, New York, s. d. (extrait).

Theodore Roosevelt Center at Dickinson State University