La déclaration de guerre du 20 avril 1792

La première guerre de la Révolution française est déclarée dans les formes prescrites par la Constitution du 3 septembre 1791. Au matin du vendredi 20 avril 1792, le roi se présente devant l’Assemblée législative et lui propose, sur le rapport du ministre des Affaires étrangères, « la guerre contre le roi de Hongrie et de Bohême ». Levée à une heure un quart, la séance est ajournée à cinq heures. Dans la soirée, l’Assemblée adopte le décret portant déclaration de guerre et désigne une députation chargée de le porter au roi, avant de se séparer à dix heures et demie. Le roi donne alors sa sanction et le décret prend force de loi. L’exercice du droit de faire la paix et la guerre est réglé deux ans auparavant par l’Assemblée constituante, après l’incident de la baie de Nootka, dans l’île de Quadra et Vancouver (5 mai 1790). L’Espagne, parce qu’elle revendique toute la côte occidentale de l’Amérique, s’empare d’un navire de contrebande anglais, or la France est liée à la monarchie espagnole par le pacte de famille de 1761. Devant le risque de guerre, Louis XVI décide d’armer quatorze vaisseaux de ligne et demande à la représentation nationale de lui accorder les secours nécessaires par une lettre lue en séance le 14 mai 1790. De cette « question de circonstances », l’Assemblée constituante fait une « question constitutionnelle » : le droit de la paix et de la guerre appartient-il au roi ou à la nation ? À la suite de Robespierre, elle s’interroge en outre sur la possibilité même de la guerre « parce que c’est de la France que doit partir la liberté et le bonheur du monde ». Au terme d’un débat de sept jours (16-22 mai 1790), elle adopte le décret du 22 mai 1790 concernant le droit de faire la paix et la guerre. L’article 1er dispose : « Le droit de la paix et de la guerre appartient à la nation ». L’article 4 se termine par une déclaration de paix au monde : « la nation française renonce à entreprendre aucune guerre dans la vue de faire des conquêtes et […] n’emploiera jamais ses forces contre la liberté d’aucun peuple ». Ces dispositions sont reprises dans la Constitution du 3 septembre 1791.

Discussion sur l’incident de la baie de Nootka

Décret sur le droit de faire la guerre et la paix

Titres III et VI de la Constitution

Proposition de la guerre contre l’Autriche

Décret de l’Assemblée sur la guerre contre l’Autriche

Sanction du décret par le roi


Discussion sur l’incident de la baie de Nootka

Le 14 mai 1790, l’Assemblée constituante prend connaissance d’une lettre du ministre des Affaires étrangères sur les mesures prises par le roi devant les préparatifs militaires anglais et espagnols. Après un brève échange de vues, elle décide de renvoyer la discussion au lendemain. Le 15 mai, sur la proposition de Mirabeau, elle approuve les mesures prises, mais décide d’ouvrir une discussion sur l’exercice du droit de faire la paix et la guerre.

Séance du vendredi 14 mai au matin

M. le président. — M. de Montmorin m’a adressé, de la part du roi, une lettre qui se rapporte au différend survenu entre l’Espagne et l’Angleterre, à raison de leurs possessions d’Amérique, différend qui donne lieu à des armements dont le roi croit devoir instruire l’Assemblée nationale.

Cette lettre est ainsi conçue :

« Monsieur le président,

« Les armements qui viennent d’avoir lieu chez une puissance voisine, la presse des matelots qui y a été ordonnée et exécutée avec la plus grande activité ; enfin, les motifs que l’on donne de mouvements aussi marqués ont fixé l’attention de Sa Majesté. Elle a pensé que son premier devoir étant de veiller à la sûreté de l’État, elle ne pouvait différer de prendre toutes les mesures propres à remplir cette obligation. Elle va, en conséquence, se mettre en état d’avoir incessamment quatorze vaisseaux de ligne armés dans les ports de l’Océan et de la Méditerranée. Elle prescrira en même temps aux commandants de la marine dans ces différents ports, de préparer les moyens d’augmenter les armements maritimes, si les circonstances l’exigent.

« Sa Majesté, en m’ordonnant, Monsieur le président, d’informer, par votre organe, l’Assemblée nationale de ses dispositions, a désiré qu’elle fût également instruite qu’elles sont purement de prudence et de précaution. Le roi conserve les espérances les plus fondées que la paix ne sera pas interrompue. Sa Majesté y est autorisée d’après les assurances qui lui ont été données par la cour de Londres, que ces préparatifs n’avaient pour objet qu’un différend qui s’est élevé entre cette puissance et l’Espagne, différend que Sa Majesté Britannique désirait sincèrement voir se terminer par une négociation ; et en effet, M. de Fitz-Herbert, ambassadeur d’Angleterre en Espagne, est en chemin pour se rendre à Madrid. Cette communication a été accompagnée d’assurances du désir de Sa Majesté Britannique de conserver avec la France la bonne intelligence qui règne si heureusement entre les deux nations.

« Mais quelque rassurant que soit ce langage, il ne peut dispenser Sa Majesté de prendre les mesures qu’exige la prudence. Il n’est personne qui ne soit convaincu que, lorsque l’Angleterre est armée, la France ne peut ni ne doit rester désarmée ; et il nous importe de montrer à l’Europe que rétablissement de notre Constitution est loin d’apporter aucun obstacle au développement de nos forces. Nous ne pouvons d’ailleurs nous dissimuler que la reconnaissance et notre propre intérêt nous prescrivent, dans cette circonstance, une marche dont l’Espagne nous a donné l’exemple dans toutes les occasions qui nous ont intéressées.

« Le roi va employer tous les moyens qui dépendent de lui pour effectuer entre les cours de Madrid et de Londres un rapprochement qu’il désire avec ardeur. Sa Majesté connaît trop la justice et la modération du roi d’Espagne, pour n’être pas persuadé qu’il se prêtera avec empressement à toutes les voies de conciliation qui seront compatibles avec la dignité et les véritables intérêts de sa couronne. Les dispositions qu’annonce la cour de Londres donnent une égale espérance que, de son côté, elle n’exigera rien qui ne soit conforme à la justice et aux convenances réciproques.

« Le roi m’a ordonné de témoigner à Sa Majesté Britannique toute sa sensibilité à la communication amicale dont elle a chargé son ministre plénipotentiaire auprès de lui, et de lui donner les assurances les plus fortes et les plus positives de son extrême désir que la bonne harmonie entre les deux nations ne soit troublée ni dans cette occasion ni dans une autre.

« Enfin, quelle que soit la confiance de Sa Majesté dans les efforts d’une grande nation qui ne souffrirait sûrement pas que les premiers moments de sa régénération fussent flétris par une conduite que l’honneur national désavouerait, elle est si frappée des malheurs de tout genre qu’entraînerait la guerre, qu’elle n’épargnera ni soin, ni démarche pour l’éviter. Ce serait avec une douleur inexprimable que le roi verrait la nation entraînée ; et c’est essentiellement pour éloigner d’elle un semblable malheur, que Sa Majesté croit devoir envoyer dans les ports les ordres dont j’ai eu l’honneur de vous donner connaissance au commencement de cette lettre. Les dispositions qui en sont l’objet exigeront nécessairement quelques secours extraordinaires pour le département de la marine. Sa Majesté est trop convaincue du patriotisme des représentants de la nation pour n’être pas assurée d’avance de leur empressement à décréter des secours, lorsque le tableau en aura été mis sous leurs yeux.

« J’ai l’honneur d’être, etc. »

« Signé : de Montmorin.

« 14 mai 1790. »


Séance du samedi 15 mai au matin

L’Assemblée passe ensuite à son ordre du jour qui a pour objet la discussion du message de M. de Montmorin, ministre des Affaires étrangères, sur les armements de l’Angleterre et le différend survenu entre la Grande-Bretagne et l’Espagne.

M. le duc de Biron. — Un grand différend s’élève entre l’Espagne et l’Angleterre : les deux puissances font des armements considérables, et le roi a donné communication des mesures qu’il a cru devoir prendre pour assurer la tranquillité générale et pour la sûreté du Commerce. Jamais la paix n’a été plus nécessaire ; il appartient à une grande nation de se porter médiatrice entre deux grandes nations ; mais pour être utilement juste, il faut être redouté et respecté; mais en se rendant redoutable, il ne faut pas oublier que la loyauté et toutes les vertus sont les compagnes de la liberté. Un peuple libre doit être le plus loyal des alliés. Qui ne sait que la guerre à laquelle nous prendrions la moindre part serait très onéreuse pour nous. S’y exposer, ce serait compromettre notre commerce, et avec lui la subsistance sacrée de deux millions d’hommes… Notre prospérité est tellement attachée au bonheur de l’Espagne, que nous devons craindre de l’abandonner. Nous ne pouvons oublier que cette puissance a été pour nous une alliée généreuse : si les représentants de la nation ont cru de leur loyauté de prendre sous leur sauvegarde les dettes contractées par le despotisme, ne croiront-ils pas devoir respecter les obligations de reconnaissance contractées avec une grande nation ? Nous devons acheter la paix par de grands sacrifices, mais non par celui de l’honneur et du caractère national.

Un de nos rois disait : Tout est perdu, fors l’honneur, et tout fut sauvé. Rien n’est perdu, et l’honneur sera toujours notre force, comme il a toujours fait notre loi… Toute paix est détruite, si l’on déclare qu’on n’a pas la forcé de faire la guerre. On dit qu’il n’y a pas d’armée, qu’il n’y a pas de force publique : ne laissons pas insulter la liberté et la Révolution ; ne laissons pas dire que les efforts d’un peuple libre seraient moins grands que ceux du despotisme. Quand nous ne devrions pas à un roi vraiment citoyen toute la confiance, tout le respect, tout l’amour que les Français lui ont voués ; quand nous ne connaîtrions pas les sentiments patriotiques de l’armée, ces millions de citoyens qui ont pris les armes pour la défense de la liberté devraient dissiper toutes nos inquiétudes… Je propose le projet de décret suivant : « L’Assemblée nationale décrète que son président se retirera devers le roi, pour le remercier des mesures qu’il a prises pour la sûreté de l’empire et du commerce, et des négociations qu’il a entamées. L’Assemblée supplie Sa Majesté de lui faire remettre l’état des besoins du département de la marine.

[…]

M. Alexandre de Lameth. — J’ai demandé la parole pour chercher à établir la question. Personne ne blâmera certainement les mesures prises par le roi ; nous pouvons délibérer maintenant, puisque les ordres sont donnés ; mais cette question incidente amène une question de principes. Il faut savoir si l’Assemblée est compétente, et si la nation souveraine doit déléguer au roi le droit de faire la paix ou la guerre : voilà la question…

(L’orateur est interrompu par une longue agitation.)

Il est infiniment simple de traiter cette question avant la question de circonstances, ou bien vous la préjugeriez : le ministre vous l’annonce assez dans sa lettre. Je crois que si vous vous borniez à accorder les subsides demandés, on pourrait entraîner la nation au-delà des bornes que notre prudence doit prescrire. Il faut, avant de prendre un parti, connaître toutes les circonstances, il faut savoir ce qui a précédé. La nation ne doit-elle pas être inquiète, quand le ministère a laissé près la cour dont les affaires nous occupent actuellement, cet homme, ce ministre appelé au conseil du roi, lorsqu’on a entouré l’Assemblée nationale de baïonnettes !.. Il est impossible qu’il y ait des raisons pour déclarer une guerre ; il est possible qu’il existe des arrangements entre différentes cours, car c’est ici la cause des rois contre les peuples. L’Assemblée nationale doit savoir pourquoi cet armement ; elle doit examiner si elle peut déléguer le droit de faire la paix et la guerre. Cette question ne peut faire aucun doute dans cette Assemblée : le droit de faire verser le sang, d’entraîner des milliers de citoyens loin de leurs foyers, d’exposer les propriétés nationales ; ce terrible droit, pouvons-nous le déléguer ? Je demande donc que nous discutions d’abord cette question constitutionnelle. On ne nous dira pas que nous délibérons quand il faut agir, puisque le roi a ordonné l’armement.

(Cette proposition est très applaudie.)

M. de Robespierre. — S’il est un moment où il soit indispensable de juger la question de savoir à qui appartiendra le droit de faire la paix ou la guerre, c’est à l’époque où vous avez à délibérer sur l’exercice de ce droit. Comment prendrez-vous des mesures si vous ne connaissez pas votre droit ? Vous déciderez provisoirement, au moins, que le droit de disposer du bonheur de l’empire appartient au ministre. Pouvez-vous ne pas croire que la guerre est un moyen de défendre un pouvoir arbitraire contre les nations ? Il peut se présenter différents partis à prendre. Je suppose qu’au lieu de vous engager dans une guerre dont vous ne connaissez pas les motifs, vous vouliez maintenir la paix ; qu’au lieu d’accorder des subsides, d’autoriser des armements, vous croyiez devoir faire une grande démarche, et montrer une grande loyauté. Par exemple, si vous manifestiez aux nations que, suivant des principes bien différents que ceux qui ont fait le malheur des peuples, la nation française, contente d’être libre, ne veut s’engager dans aucune guerre, et veut vivre avec toutes les nations avec cette fraternité qu’avait commandée la nature. Il est de l’intérêt des nations de protéger la nation française, parce que c’est de la France que doit partir la liberté et le bonheur du monde. Si l’on reconnaissait qu’il est utile de prendre ces mesures ou toutes autres semblables, il faudrait décider si c’est la nation qui a le droit de les prendre. Il faut donc, avant d’examiner les mesures nécessaires, juger si le roi a le droit de faire la paix ou la guerre.

[…]

M. le comte de Mirabeau. — Je demande à faire une simple proposition, qui ne vient pas de moi, mais à laquelle je donne mon assentiment, et qui peut réunir les opinions ; elle consiste à approuver les mesures du roi et à ordonner, par le même décret, que dès demain, sur le rapport de qui il appartiendra, vous commencerez la discussion de la question constitutionnelle.

[…]

M. le duc de Lévis propose cet amendement : « L’assemblée nationale déclare en outre, de la manière la plus solennelle, que jamais la nation française n entreprendra rien contre les droits d’aucun peuple; mais qu’elle repoussera, avec tout le courage d’un peuple libre et toute la puissance d’une grande nation, les atteintes qui pourraient être portées à ses droits. »

(Cet amendement est ajourné.)

La proposition de M. le comte de Mirabeau est décrétée, presque unanimement, en ces termes :

« L’Assemblée nationale décrète que son président se retirera, dans le jour, par devers le roi, pour remercier Sa Majesté des mesures qu’elle a prises pour maintenir la paix ; décrète, en outre, que demain, 16 mai, il sera mis à l’ordre du jour cette question constitutionnelle : La nation doit-elle déléguer au roi l’exercice du droit de la paix et de la guerre ?

Archives parlementaires de 1787 à 1860. Recueil complet des débats législatifs et politiques des chambres françaises, première série (1789 à 1800), tome XV, du 21 avril 1790 au 30 mai 1790, Paris, Société d’imprimerie et librairie administratives et des chemins de fer, 1883, pp. 510-519.

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Décret sur le droit de faire la guerre et la paix

Séance du samedi 22 mai 1790 au matin

Le décret est adopté le 22 mai 1790 après sept jours de débat (16-22 mai).

M. le président. — Par suite de la délibération, les articles constitutionnels décrétés sont les suivants :

Art. 1er. — « L’Assemblée nationale décrète comme articles constitutionnels ce qui suit :

« Le droit de la paix et de la guerre appartient à la nation.

« La guerre ne pourra être décidée que par un décret du Corps législatif, qui sera rendu sur la proposition formelle et nécessaire du roi, et ensuite sanctionné par Sa Majesté. »

Art. 2. — « Le soin de veiller à la sûreté extérieure du royaume, de maintenir ses droits et ses possessions, est délégué au roi par la Constitution de l’État ; ainsi lui seul peut entretenir des relations politiques au dehors, conduire les négociations et choisir les agents, faire des préparatifs de guerre proportionnés à ceux des États voisins ; distribuer les forces de terre et de mer ainsi qu’il le jugera convenable, et en régler la direction en cas de guerre. »

Art. 3. — « Dans le cas d’hostilités imminentes ou commencées, d’un allié à soutenir, d’un droit à conserver par la force des armes, le pouvoir exécutif sera tenu d’en donner, sans aucun délai, la notification au Corps législatif, d’en faire connaître les causes et les motifs ; et si le Corps législatif est en vacances, il se rassemblera sur-le-champ. »

Art 4. — « Sur cette notification, si le Corps législatif juge que les hostilités commencées soient une agression coupable de la part des ministres, ou de quelqu’autre agent du pouvoir exécutif, l’auteur de cette agression sera poursuivi comme criminel de lèse-nation ; l’Assemblée nationale déclarant, à cet effet, que la nation française renonce à entreprendre aucune guerre dans la vue de faire des conquêtes, et qu’elle n’emploiera jamais ses forces contre la liberté d’aucun peuple. »

Art. 5. — « Sur la même notification, si le Corps législatif décide que la guerre ne doive pas être faite, le pouvoir exécutif sera tenu de prendre sur-le-champ des mesures pour faire cesser ou prévenir toutes hostilités, les ministres demeurant responsables des délais. »

Art. 6. — « Toute déclaration de guerre sera faite en ces termes :

« De la part du roi, au nom de la nation. »

Art. 7. — « Pendant tout le cours de la guerre, le Corps législatif pourra requérir le pouvoir exécutif de négocier la paix, et le pouvoir exécutif sera tenu de déférer à cette réquisition. »

Art. 8. — « À l’instant où la guerre cessera, le Corps législatif fixera le délai dans lequel les troupes levées au-dessus du pied de paix devront être congédiées, et l’armée réduite à son état permanent. »

« La solde des troupes ne sera continuée que jusqu’à la même époque, après laquelle, si les troupes excédant le pied de paix restaient rassemblées, le ministre sera responsable et poursuivi comme criminel de lèse-nation.

« À cet effet, le comité de Constitution sera tenu de donner incessamment son travail sur le mode de la responsabilité des ministres. »

Art. 9. — Il appartiendra au roi d’arrêter et de signer avec les puissances étrangères toutes les conventions nécessaires au bien de l’État ; et les traités de paix, d’alliance et de commerce ne seront exécutés qu’autant qu’ils auront été ratifiés par le Corps législatif. »

(La séance est levée à six heures, au bruit des applaudissements de l’Assemblée et des cris d’allégresse des spectateurs.)

Archives parlementaires de 1787 à 1860. Recueil complet des débats législatifs et politiques des chambres françaises, première série (1789 à 1800), tome XV, du 21 avril 1790 au 30 mai 1790, Paris, Société d’imprimerie et librairie administratives et des chemins de fer, 1883, pp. 661-662.

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Titres III et VI de la Constitution

La Constitution est adoptée dans son texte définitif le 3 septembre 1791 et promulguée par le roi le 14. Elle comprend sept titres divisés en chapitres et sections.

Titre III. — Des pouvoirs publics

Art. 1er. — La souveraineté est une, indivisible, inaliénable et imprescriptible. Elle appartient à la nation ; aucune section du peuple, ni aucun individu, ne peut s’en attribuer l’exercice.

[…]

Chapitre III. — De l’exercice du pouvoir législatif

Section Ire. — Pouvoirs et fonctions de l’Assemblée nationale législative

[…]

Art. 2. — La guerre ne peut être décidée que par un décret du Corps législatif, rendu sur la proposition formelle et nécessaire du roi, et sanctionné par lui.

Dans le cas d’hostilités imminentes ou commencées, d’un allié à soutenir, ou d’un droit à conserver par la force des armes, le roi en donnera, sans aucun délai, la notification au Corps législatif, et en fera connaître les motifs. Si le Corps législatif est en vacances, le roi le convoquera aussitôt.

Si le Corps législatif décide que la guerre ne doive pas être faite, le roi prendra sur-le-champ des mesures pour faire cesser ou prévenir toutes hostilités, les ministres demeurant responsables des délais.

Si le Corps législatif trouve que les hostilités commencées soient une agression coupable de la part des ministres ou de quelque autre agent du pouvoir exécutif, l’auteur de l’agression sera poursuivi criminellement.

Pendant tout le cours de la guerre, le Corps législatif peut requérir le roi de négocier la paix ; et le roi est tenu de déférer à cette réquisition.

À l’instant où la guerre cessera, le Corps législatif fixera le délai dans lequel les troupes élevées au-dessus du pied de paix seront congédiées, et l’armée réduite à son état ordinaire.

Art. 3. — Il appartient au Corps législatif de ratifier les traités de paix, d’alliance et de commerce ; et aucun traité n’aura d’effet que par cette ratification

[…]

Chapitre IV. — De l’exercice du pouvoir exécutif

[…]

Section III. — Des relations extérieures

Art. 1er. — Le roi seul peut entretenir des relations politiques au dehors, conduire les négociations, faire des préparatifs de guerre proportionnés à ceux des États voisins, distribuer les forces de terre et de mer ainsi qu’il le jugera convenable, et en régler la direction en cas de guerre.

Art. 2. — Toute déclaration de guerre sera faite en ces termes : De la part du roi des Français, au nom de la nation.

Art. 3. — Il appartient au roi d’arrêter et de signer avec toutes les puissances étrangères, tous les traités de paix, d’alliance et de commerce, et autres conventions qu’il jugera nécessaire au bien de l’État, sauf la ratification du Corps législatif.

[…]

Titre VI. — Des rapports de la nation française avec les nations étrangères

Art. 1er. — La nation française renonce à entreprendre aucune guerre dans la vue de faire des conquêtes, et n’emploiera jamais ses forces contre la liberté d’aucun peuple.

Archives parlementaires de 1787 à 1860. Recueil complet des débats législatifs et politiques des chambres françaises, première série (1789 à 1800), tome XXXII, du 30 septembre 1791 (suite des annexes), Paris, Société d’imprimerie et librairie administratives et des chemins de fer, 1888, pp. 528-541.

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Proposition de la guerre contre l’Autriche

Séance du vendredi 20 avril 1792 au matin

Un huissier, à l’entrée de la salle, du côté droit. — Messieurs, voilà le roi.

M. Condorcet quitte la tribune.

Tous les membres de l’Assemblée se lèvent et se découvrent.

(Le roi entre accompagné des vingt-quatre commissaires de l’Assemblée et suivi de ses ministres. Un profond silence règne dans toutes les parties de la salle. Le roi monte au bureau et se place au fauteuil qui lui est préparé à côté et à la gauche du président. Le roi et le président s’assoient. Tous les membres de l’Assemblée, qui étaient demeurés debout, reprennent leurs places. Les ministres restent debout autour du roi.)

Le roi. — Je viens, Messieurs, au milieu de l’Assemblée nationale pour un des objets les plus importants qui doivent occuper l’attention des représentants de la nation. Mon ministre des Affaires étrangères va vous lire le rapport qu’il a fait dans mon conseil, sur notre situation politique.

[…]

Le roi, avec quelque altération dans sa voix : Vous venez, Messieurs, d’entendre le résultat des négociations que j’ai suivies avec la cour de Vienne. Les conclusions du rapport ont été l’avis unanime des membres de mon conseil. Je les ai adoptées moi-même : elles sont conformes au vœu que m’a manifesté plusieurs fois l’Assemblée nationale, et aux sentiments que m’ont témoignés un grand nombre de citoyens des différentes parties du royaume. Tous préfèrent la guerre à voir plus longtemps la dignité du peuple français outragée, et la sûreté nationale menacée.

J’avais dû, préalablement, épuiser tous les moyens de maintenir la paix ; je viens aujourd’hui, aux termes de la Constitution, proposer a l’Assemblée nationale la guerre contre le roi de Hongrie et de Bohême.

M. le Président, répondant au roi. — Sire, l’Assemblée nationale prendra, dans la plus grande considération, la proposition formelle que vous lui faites. Votre Majesté sera instruite, par un message, du résultat de sa délibération.

(Le roi se retire accompagné des 24 commissaires de l’Assemblée et suivi de ses ministres. Les citoyens des galeries et de l’enceinte de l’Assemblée applaudissent ; mais les applaudissements ont été retenus par les cris des tribunes des extrémités qui ont réclamé le silence : on entend quelques cris de : Vive le roi !)

M. le Président. — J’ordonne, au nom de l’Assemblée, à tous les étrangers qui sont dans la salle de sortir.

Plusieurs membres : La séance est levée et ajournée à cinq heures !

M. le Président. — La séance est levée et je l’ajourne à cinq heures précises.

(La séance est levée à une heure un quart.)

Archives parlementaires de 1787 à 1860. Recueil complet des débats législatifs et politiques des chambres françaises, première série (1789 à 1800), tome XLII, du 17 avril 1792 au matin au 4 mai 1792 au matin, Paris, Société d’imprimerie et librairie administratives et des chemins de fer, 1893, pp. 195-199.

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Décret sur la guerre contre l’Autriche

On trouvera le texte définitif du décret à la fin du compte rendu de la séance..

Séance du 20 avril 1792 au soir

M. le Président. — Vous avez maintenant à prononcer sur la proposition de déclarer la guerre au roi de Bohême et de Hongrie.

Plusieurs membres : L’appel nominal.

M. Pastoret. — Je crois qu’il est nécessaire d’exprimer que c’est sur la proposition formelle du roi, et que c’est au nom de la nation française que vous la déclarez.

Un membre : Je demande le renvoi de la rédaction au comité diplomatique pour la présenter demain.

Une voix : Séance tenante.

Quelques membres ecclésiastiques interrompent.

M. Rouyer. — Ce n’est pas aux prêtres à faire la guerre, quand le diable y serait.

(L’Assemblée nationale adopte la proposition du roi et en renvoie la rédaction au comité diplomatique pour la présenter séance tenante. MM. Théodore Lameth, Jaucourt, Mathieu Dumas, Louis Genty, Baert, Hua et Becquey s’élèvent seuls contre le décret.)

En conséquence, le décret suivant est rendu, sauf rédaction :

« L’Assemblée nationale, délibérant sur la proposition formelle du roi, décrète, au nom de la nation française, la guerre contre le roi de Bohême et de Hongrie. »

[…]

Un de MM. les secrétaires donne lecture par ordre alphabétique des 24 membres qui doivent aller en députation porter au roi le décret sur la guerre.

M. Gensonné, au nom du comité diplomatique. — Messieurs, voici la rédaction du décret sur la guerre que votre comité diplomatique m’a chargé de vous présenter :

« L’Assemblée nationale, délibérant sur la proposition formelle du roi ; considérant que la cour de Vienne, au mépris des traités, n’a cessé d’accorder une protection ouverte aux Français rebelles, qu’elle a provoqué et formé un concert avec plusieurs puissances de l’Europe contre l’indépendance et la sûreté de la nation française ;

« Que François Ier

Un membre : François second.

M. Jean Debry. — J’observe à l’Assemblée qu’il ne sera François second que quand il sera empereur, et que, comme roi de Bohême, il n’est que François Ier.

M. Gensonné, rapporteur, continuant la lecture :

« Que François Ier, roi de Hongrie et de Bohême, a, par ses notes du 18 mars et 7 avril dernier, refusé à renoncer à ce concert ;

« Que malgré la proposition qui lui a été faite par la note du 11 mars 1792, de réduire, de part et d’autre, à l’état de paix, les troupes sur les frontières, il a continué et augmenté des préparatifs hostiles ;

« Qu’il a formellement attenté à la souveraineté de la nation française, en déclarant vouloir soutenir les prétentions des princes allemands possessionnés en France ;

« Qu’il a cherché à diviser les citoyens français, et à les armer les uns contre les autres, en offrant aux mécontents un appui dans le concert des puissances ;

« Considérant enfin que le refus de répondre aux dernières dépêches du roi des Français ne laisse plus d’espoir d’obtenir, par la voie d’une négociation amicale, le redressement de ces différents griefs, et équivaut à une déclaration de guerre ;

« Décrète qu’il y a urgence.

« L’Assemblée nationale déclare que la nation française, fidèle aux principes consacrés par sa Constitution de n’entreprendre aucune guerre dans la vue de faire des conquêtes, et de n’employer jamais ses forces contre la liberté d’aucun peuple, ne prend les armes que pour le maintien de sa liberté et de son indépendance ; que la guerre qu’elle est forcée de soutenir n’est point une guerre de nation à nation ; mais la juste défense d’un peuple libre contre l’injuste agression d’un roi ;

« Que les Français ne confondront jamais leurs frères avec leurs véritables ennemis ; qu’ils ne négligeront rien pour adoucir le fléau de la guerre, pour ménager et conserver les propriétés, et pour faire retomber sur ceux-là seuls qui se ligueront contre sa liberté tous les malheurs inséparables de la guerre ;

« Qu’elle adopte d’avance tous les étrangers qui, abjurant la cause de ses ennemis, viendront se ranger sous ses drapeaux et consacrer leurs efforts à la défense de sa liberté ; qu’elle favorisera même, par tous les moyens qui sont en son pouvoir, leur établissement en France ;

« Délibérant sur la proposition formelle du roi, et après avoir décrété l’urgence, décrète la guerre contre le roi de Hongrie et de Bohême. » (Applaudissements.)

Second décret.

« L’Assemblée nationale décrète qu’une députation de 24 de ses membres se rendra sur-le-champ chez le roi, pour présenter à sa sanction le décret rendu aujourd’hui sur la guerre contre le roi de Bohême et de Hongrie. » (Applaudissements.)

M. Rougier-La-Bergerie. — Je désirerais qu’on ajoutât, dans le considérant, ces mots, en parlant des princes possessionnés en Alsace « auxquels la nation n’a cessé d’offrir de justes indemnités ».

M. Gensonné, rapporteur. — J’adopte.

M. Leremboure. — J’observe que le préambule qui vous est proposé par votre comité diplomatique est déplacé. Je n’en blâme pas les dispositions, mais je crois qu’elles doivent faire l’objet d’une loi particulière et séparée de celle où vous décrétez la guerre.

Plusieurs membres : Aux voix ! aux voix la rédaction !

(Après quelques amendements décrétés successivement, l’Assemblée adopte la rédaction du comité diplomatique, puis le second décret.)

Suit la teneur de ce décret, tel qu’il a été présenté à la sanction :

« L’Assemblée nationale, délibérant sur la proposition formelle du roi ; considérant que la cour de Vienne, au mépris des traités, n’a cessé d’accorder une protection ouverte aux Français rebelles ; qu’elle a provoqué et formé un concert avec plusieurs puissances de l’Europe contre l’indépendance et la sûreté de la nation française ;

« Que François Ier, roi de Hongrie et de Bohême, a, par ses notes des 18 mars et 7 avril dernier, refusé de renoncer à ce concert ;

« Que malgré la proposition qui lui a été faite par la note du 11 mars 1792, de réduire de part et d’autre à l’état de paix les troupes sur les frontières, il a continué et augmenté des préparatifs hostiles ;

« Qu’il a formellement attenté à la souveraineté de la nation française, en déclarant vouloir soutenir les prétentions des princes allemands possessionnés en France, auxquels la nation française n’a cessé d’offrir des indemnités ;

« Qu’il a cherché à diviser les citoyens français, et à les armer les uns contre les autres, en offrant aux mécontents un appui dans le concert des puissances ;

« Considérant enfin que le refus de répondre aux dernières dépêches du roi des Français, ne laisse plus d’espoir d’obtenir, par la voie d’une négociation amicale, le redressement de ces différents griefs, et équivaut à une déclaration de guerre, décrète qu’il y a urgence.

« L’Assemblée nationale déclare que la nation française, fidèle aux principes consacrés par la Constitution, de n’entreprendre aucune guerre dans la vue de faire des conquêtes, et de n’employer jamais ses forces contre la liberté d’aucun peuple, ne prend les armes que pour le maintien de sa liberté et de son indépendance ; que la guerre qu’elle est forcée de soutenir n’est point une guerre de nation à nation, mais la juste défense d’un peuple libre contre l’injuste agression d’un roi ;

« Que les Français ne confondront jamais leurs frères avec leurs véritables ennemis ; qu’ils ne négligeront rien pour adoucir le fléau de la guerre, pour ménager et conserver les propriétés, et pour faire retomber sur ceux-là seuls qui se ligueront contre sa liberté, tous les malheurs inséparables de la guerre ;

« Qu’elle adopte d’avance tous les étrangers, qui, abjurant la cause de ses ennemis, viendront se ranger sous ses drapeaux, et consacrer leurs efforts à la défense de sa liberté ; qu’elle favorisera même, par tous les moyens qui sont en son pouvoir, leur établissement en France ;

« Délibérant sur la proposition formelle du roi, et après avoir décrété l’urgence, décrète la guerre contre le roi de Hongrie et de Bohême. »

(La séance est levée à dix heures et demie.)

Archives parlementaires de 1787 à 1860. Recueil complet des débats législatifs et politiques des chambres françaises, première série (1789 à 1800), tome XLII, du 17 avril 1792 au matin au 4 mai 1792 au matin, Paris, Société d’imprimerie et librairie administratives et des chemins de fer, 1893, pp. 210-218.

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Sanction du décret par le roi

Séance du samedi 21 avril 1792 au matin

Un de MM. les secrétaires donne, lecture d’une lettre de M. Duranthon, ministre de la justice, ainsi conçue :

Monsieur le Président,

« J’ai l’honneur d’instruire l’Assemblée que le roi a donné hier sa sanction au décret rendu hier, portant déclaration dé guerre contre le roi de Bohême et de Hongrie. (Applaudissements.) Je joins à ma lettre la note des derniers décrets sanctionnés, et dont sa majesté a ordonné l’exécution.

« Je suis avec respect, etc…

« Signé : Duranthon. »

Suit la teneur de cette note : « Le ministre de la justice a l’honneur d’adresser à M. le président de l’Assemblée nationale, la note des décrets sanctionnés par le roi ou dont sa majesté a ordonné l’exécution.

Archives parlementaires de 1787 à 1860. Recueil complet des débats législatifs et politiques des chambres françaises, première série (1789 à 1800), tome XLII, du 17 avril 1792 au matin au 4 mai 1792 au matin, Paris, Société d’imprimerie et librairie administratives et des chemins de fer, 1893, p. 224.

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Bandeau typographique : « Proclamation du roi sur le décret de l’Assemblée nationale, concernant le droit de faire la paix et la guerre », Recueil chronologique de lois et actes de l’autorité publique. Diplomate et traités de paix, Paris, Imprimerie du dépôt des lois, 1789-1799, p. 1.

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