Protestation des journalistes (27 juillet 1830)

On a souvent annoncé, depuis dix mois, que les lois seraient violées, qu’un coup d’État serait frappé. Le bon sens public se refusait à le croire. Le ministère repoussait cette supposition comme une calomnie. Cependant, le Moniteur a publié enfin ces mémorables ordonnances, qui sont la plus éclatante violation des lois. Le régime légal est donc interrompu, celui de la force est commencé.

Dans la situation où nous sommes placés, l’obéissance cesse d’être un devoir. Les citoyens appelés les premiers à obéir sont les écrivains des journaux ; ils doivent donner les premiers l’exemple de la résistance à l’autorité qui s’est dépouillée du caractère de la loi.

Les raisons sur lesquelles ils s’appuient sont telles, qu’il suffit de les énoncer.

Les matières que règlent les ordonnances publiées aujourd’hui sont de celles sur lesquelles l’autorité royale ne peut, d’après la Charte, prononcer toute seule. La Charte (article 8) dit que les Français en matière de presse sont tenus de se conformer aux lois ; elle ne dit pas aux ordonnances. La Charte (article 35) dit que l’organisation des collèges électoraux sera réglée par les lois ; elle ne dit pas par les ordonnances.

La couronne avait elle-même, jusqu’ici, reconnu ces articles ; elle n’avait point songé à s’armer contre eux, soit d’un prétendu pouvoir constituant, soit du pouvoir faussement attribué à l’article 14.

Toutes les fois, en effet, que des circonstances prétendues graves lui ont paru exiger une modification soit au régime de la presse, soit au régime électoral, elle a eu recours aux Chambres. Lorsqu’il a fallu modifier la Charte pour établir la septennalité et le renouvellement intégral, elle a eu recours, non à elle-même comme auteur de cette Charte, mais aux Chambres.

La royauté a donc reconnu, pratiqué elle-même ces articles 8 et 35, et ne s’est arrogé à leur égard ni une autorité constituante, ni une autorité dictatoriale qui n’existait nulle part.

Les tribunaux qui ont droit d’interprétation ont solennellement reconnu ces mêmes principes. La cour royale de Paris, et plusieurs autres, ont condamné les publications de l’association bretonne comme autant d’outrages envers le gouvernement. Elle a considéré comme un outrage la supposition que le gouvernement pût employer l’autorité des ordonnances là où l’autorité de la loi peut seule être admise.

Ainsi le texte formel de la Charte, la pratique suivie jusqu’ici par la couronne, les décisions des tribunaux établissent qu’en matière de presse et d’organisation électorale, les lois, c’est-à-dire le roi et les Chambres, peuvent seuls statuer.

Aujourd’hui donc, des ministres criminels ont violé la légalité. Nous sommes dispensés d’obéir. Nous essayons de publier nos feuilles, sans demander l’autorisation qui nous est imposée. Nous ferons nos efforts pour qu’aujourd’hui, au moins, elles puissent arriver à toute la France.

Voilà ce que notre devoir de citoyens nous impose, et nous le remplirons.

Nous n’avons pas à tracer ses devoirs à la Chambre illégalement dissoute. Mais nous pouvons la supplier, au nom de la France, de s’appuyer sur son droit évident, et de résister autant qu’il sera en elle à la violation des lois. Ce droit est aussi certain que celui sur lequel nous nous appuyons. La Charte dit, article 50, que le roi peut dissoudre la chambre des députés ; mais il faut pour cela qu’elle ait été réunie, constituée en chambre, qu’elle ait soutenu, enfin, un système capable de provoquer sa dissolution. Mais, avant la réunion, la constitution de la Chambre, il n’y a que des élections faites. Or, nulle part la Charte ne dit que le roi peut casser les élections. Les ordonnances publiées aujourd’hui ne font que casser les élections ; elles sont donc illégales, car elles font une chose que la Charte n’autorise pas.

Les députés élus, convoqués pour le 3 août, sont donc bien et dûment élus et convoqués. Leur droit est le même aujourd’hui qu’hier. La France les supplie de ne pas l’oublier. Tout ce qu’ils peuvent pour faire prévaloir ce droit, ils le doivent. Le gouvernement a perdu aujourd’hui le caractère de légalité qui commande l’obéissance. Nous lui résistons pour ce qui nous concerne ; c’est à la France à juger jusqu’où doit s’étendre sa propre résistance.

Ont signé, les gérants et rédacteurs des journaux actuellement présents à Paris.

MM.
Gauja, gérant du National.
Thiers, Mignet, Carrel, Chambolle, Peysse, Albert Stapfer, Dubochet, Rolle, rédacteurs du National.
Leroux, gérant du Globe.
De Guizard, rédacteur du Globe.
Sarrans jeune, gérant du Courrier des électeurs.
B. Dejean, rédacteur du Globe.
Guyet, Moussette, rédacteurs du Courrier.
M. Auguste Fabre, rédacteur en chef de la Tribune des départements.
M. Année, rédacteur du Constitutionnel.
M. Cauchois-Lemaire, rédacteur du Constitutionnel.
Senty, du Temps.
Haussman, du Temps.
Avenel, du Courrier français.
Dussard, du Temps.
Levasseur, rédacteur de la Révolution.
Évariste Dumoulin.
Alexis de Jussieu, rédacteur du Courrier français.
Châtelain, gérant du Courrier français.
Plagnol, rédacteur en chef de la Révolution.
Fazy, rédacteur de la Révolution.
Buzoni, Barbaroux, rédacteurs du Temps.
Chalas, rédacteur du Temps.
A. Billiard, rédacteur du Temps.
Ader, de la Tribune des départements.
F. Larreguy, rédacteur du Journal du commerce.
J.-F. Dupont, avocat, rédacteur du Courrier français.
Ch. de Rémusat, du Globe.
V. de Lapelouze, l’un des gérants du Courrier français.
Bohain et Roqueplan, du Figaro.
Coste, gérant du Temps.
J.-J. Baude, rédacteur du Temps.
Bert, gérant du Commerce.
Léon Pillet, gérant du Journal de Paris.
Vaillant, gérant du Sylphe.