La destination du Louvre dans le rapport Barère du 26 mai 1791

Le 26 mai 1791, l’Assemblée constituante entend le rapport de Barère « sur les domaines nationaux à réserver au roi » et adopte un décret qui reprend les propositions du rapporteur sur la destination à donner au Louvre : « Le Louvre et les Tuileries réunis seront le Palais national destiné à l’habitation du roi et à la réunion de tous les monuments des sciences et des arts » (art. 1er).

Les premiers objets à réserver au roi sont le Louvre et les Tuileries, monuments de grandeur et de science dont le génie des arts traça le plan et éleva les façades, mais dont l’insouciance dissipatrice de quelques rois et l’avarice prodigue de tant de ministres dédaignèrent l’achèvement ou plutôt oublièrent l’existence.

Chaque génération croyait voir finir ce monument digne de Rome et d’Athènes ; mais il fut un temps où nos rois, fuyant les regards du peuple, allèrent loin de la capitale s’environner de luxe, de courtisans et de soldats.

C’est le besoin, c’est le secret du despotisme de s’enfermer dans un palais lointain, au milieu d’un luxe asiatique, comme autrefois on plaçait les divinités dans le fond des temples et des forêts, pour frapper plus sûrement l’imagination des hommes.

Il fallait une grande révolution qui ramenât les peuples à la liberté, et les rois au milieu des peuples. Cette révolution est faite, Messieurs, et le roi des Français fera désormais son séjour habituel dans la capitale de l’Empire. Ce séjour en embellissant Paris, le consolera de ses pertes. « C’est le consentement que Sa Majesté a exprimé plusieurs fois, de rester au milieu de citoyens de Paris, consentement qu’elle devra accorder à leur patriotisme, même à leurs craintes, et surtout à leur amour. »

Voici les projets de vos comités sur ce monument.

Les Tuileries et le Louvre réunis seront le palais national destiné à l’habitation du roi, à la réunion de toutes les richesses que possède la nation dans les sciences et dans les arts, et aux principaux établissements de l’instruction publique.

Ne croyez pas que le roi vous ait demandé le Louvre habitation, mais le Louvre palais des arts et asiles des sciences. Il n’a pas voulu s’enfermer dans un grand palais pour chasser les arts qui l’ont élevé et les sciences qui l’honorent par leur séjour.

Louis XIV lui-même avait consacré la plus grande partie du Louvre pour cette belle destination ; des fonds étaient destinés chaque année à récompenser des ouvrages de sculpture et de peinture en l’honneur des hommes dont les talents ou les vertus ont servi et illustré la France.

Le Louvre est devenu jusqu’à ce moment, par la munificence royale, le théâtre des sciences, des lettres et des arts. Il est, à titre de récompense, la demeure de plusieurs artistes célèbres et de plusieurs hommes de lettres. Il renferme des richesses précieuses ; les statues de plusieurs grands hommes y sont déposées ; de riches galeries de tableaux sont entassées sans ordre ; et ces trésors immenses peuvent être perdus pour la nation, si vous n’en décorez un de vos édifices. Enfin, un jour, la Bibliothèque nationale pourra y être transportée ; et ce vaste monument, ce Louvre antique, ouvrage de tant de rois, concourra à donner une patrie à la liberté et aux arts dans Paris, qui fut si longtemps le trône du despotisme et des abus.

Décréter simplement que le Louvre sera dans le tableau des domaines réservés au roi, a paru à vos comités une disposition funeste, propre à rappeler les abus dans ce qu’on appelait la surintendance des bâtiments, à provoquer autour du roi des demandes indiscrètes, à peupler son palais de parasites dangereux et de courtisans perfides ; enfin, à intervenir et à profaner même l’usage et l’emploi des domaines nationaux.

Mais autant il fallait éviter une disposition trop vague et trop arbitraire, autant il fallait déterminer le véritable esprit de votre décret.

Non, ce n’est pas pour le roi ; ce n’est pas pour la superstition au trône que vous établirez cette représentation magnifique du pouvoir, qui a si souvent corrompu le cœur des rois et subjugué l’imagination des peuples ; c’est pour la nation même que vous agirez. Le roi, chef ou agent du pouvoir délégué par la Constitution, n’est sans doute que le premier des fonctionnaires publics. Mais assis sur le trône, habitant au milieu de la capitale de l’Empire, il représente en quelque sorte la dignité nationale ; il est le signe visible de la’ majesté de la nation : il faut donc l’entourer d’objets qui appellent les hommages publics. Sans doute, un peuple libre ne confie ses destinées qu’à lui-même, la formation de ses lois qu’à des représentants ; mais il charge un roi d’une partie de sa dignité.

Ainsi votre projet, conforme au désir du roi, sera d’élever le palais des sciences et des arts à côté du palais de la royauté, et vous aurez ainsi placé dans la même enceinte les bienfaits de la civilisation et l’institution qui en est la gardienne. Les révolutions des peuples barbares détruisent tous les monuments, et la trace des arts semble effacée. Les révolutions des peuples éclairés les conservent, les embellissent, et les regards féconds du législateur font renaître les arts, qui deviennent l’ornement de l’Empire, dont les bonnes lois font la véritable gloire.

Ainsi la restauration du Louvre et des Tuileries, pour donner au roi constitutionnel une habitation digne de la nation française, et pour y faire un muséum célèbre, demandera des mesures ultérieures qui seront concertées entre l’Assemblée nationale et le roi. Le génie des artistes, témoins de ce que vous faites pour les arts, ouvrira un concours libre pour en former les plans, et nos successeurs en jugeront, en décréteront l’exécution à mesure des besoins, et des sommes que la nation pourra y consacrer.

[…]

L’Assemblée nationale délibérant sur la demande du roi, après avoir entendu le rapport de ses comités des domaines, de féodalité, des pensions et des finances, réunis, décrète qui suit :

Art. 1er. — Le Louvre et les Tuileries réunis seront destinés [le Palais national destiné] à l’habitation du roi et à la réunion de tous les monuments des sciences et des arts, et aux principaux établissements de l’instruction publique ; se réservant l’Assemblée nationale de pourvoir aux moyens de rendre cet établissement digne de sa destination, et de se concerter avec le roi sur cet objet.

Archives parlementaires de 1787 à 1860. Recueil complet des débats législatifs et politiques des chambres françaises, première série (1787 à 1799), tome XXVI, du 12 mai au 5 juin 1791, Paris, Société d’imprimerie et librairie administratives et des chemins de fer, 1887, pp. 468-472.

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