LIVRE SECOND
DES DROITS SUR LES OBJETS EXTÉRIEURS, ENVISAGÉS COMME ÉLÉMENTS DU PATRIMOINE D’UNE PERSONNE
PREMIÈRE DIVISION
DU PATRIMOINE EN GÉNÉRAL [NOTE 1]
INTRODUCTION
§ 573
Notion du patrimoine
Le patrimoine est l’ensemble des biens d’une personne, envisagé comme formant une universalité de droit.
1o L’idée du patrimoine se déduit directement de celle de la personnalité. Quelle que soit la variété des objets sur lesquels l’homme peut avoir des droits à exercer, quelle que soit la diversité de leur nature constitutive, ces objets, en tant que formant la matière des droits d’une personne déterminée, n’en sont pas moins soumis au libre arbitre d’une seule et même volonté, à l’action d’un seul et même pouvoir juridique; ils constituent, par cela même, un tout juridique (universum jus).
Le patrimoine étant de nature purement intellectuelle, les éléments dont il se compose doivent revêtir le même caractère. Les objets extérieurs sur lesquels portent les droits d’une personne, ne forment point des parties intégrantes de son patrimoine, en eux-mêmes, et sous le rapport de leur nature constitutive, mais à titre de biens, et sous le rapport de l’utilité qu’ils sont susceptibles de procurer 3. En cette qualité, ces objets se ramènent tous à l’idée commune d’une valeur pécuniaire.
2o En pure théorie, le patrimoine comprend tous les biens indistinctement, et notamment les biens innés, et les biens à venir.
Le Droit français s’est conformé à cette théorie en ce qui concerne les biens à venir, qui, ainsi que cela ressort nettement des art. 1270, 2092, 2122 et 2123, sont regardés comme virtuellement compris dans le patrimoine, dès avant que de fait ils y soient entrés.
Mais il s’en est écarté en ce qui touche les biens innés. Tout en considérant comme des parties intégrantes du patrimoine, les actions auxquelles peuvent donner ouverture les lésions causées à de pareils biens, notre Droit n’y comprend cependant pas ces biens eux-mêmes, tant qu’ils n’ont pas éprouvé quelque lésion.
Il y a mieux : les droits de puissance envisagés comme tels, et indépendamment des avantages pécuniaires qui peuvent y être attachés, ne sont pas non plus, d’après notre Code, à regarder comme faisant partie du patrimoine.
3o Le patrimoine, considéré comme ensemble de biens ou de valeurs pécuniaires, exprime lui-même, en définitive, l’idée d’une pareille valeur. Pour en déterminer la consistance, il faut, de toute nécessité, déduire le passif de l’actif. La circonstance toutefois que le passif surpasserait l’actif, ne ferait pas disparaître l’existence du patrimoine, qui comprend les dettes comme il comprend les biens.
4o Le patrimoine étant une émanation de la personnalité, et l’expression de la puissance juridique dont une personne se trouve investie comme telle, il en résulte :
Que les personnes physiques ou morales peuvent seules avoir un patrimoine ;
Que toute personne a nécessairement un patrimoine, alors même qu’elle ne posséderait actuellement aucun bien ;
Que la même personne ne peut avoir qu’un seul patrimoine, dans le sens propre du mot.
Note 1. — Les rédacteurs du Code n’ont pas réuni, dans un même chapitre, les règles relatives au patrimoine en général. Celles qui vont être développées sous cette première division se trouvent éparses çà et là. Il est même à remarquer que le Code ne se sert que très rarement du mot patrimoine. On ne le trouve employé que dans les dispositions qui ont trait à la séparation des patrimoines. Voy. art. 878, 881 et 2111. Plus ordinairement, l’ensemble des biens d’une personne, envisagé comme formant un tout juridique, y est désigné par les expressions : les biens droits et actions ; tous les biens ; ou simplement les biens. Voy. art. 724, 2092 et 2093. C’est dans le même sens que le Droit romain emploie le terme bona. Voy. L. 3, D. de bon. poss. (37, 1) ; L. 83 et L. 208, D. de V. S. (50, 16).
Charles-Frédéric Rau et Charles Aubry, Cours de droit civil français, d’après la méthode de Zachariæ, 4e édition t. 6, Paris, Imprimerie et librairie générale de jurisprudence Marchal, Billard et Cie, 1873, pp. 229-231.