L’Assemblée législative devant le vandalisme révolutionnaire (1792)

Le mot de vandalisme est inventé par l’abbé Grégoire (1750-1831) sous la Convention. « Je créai le mot pour tuer la chose » écrit-il dans ses mémoires (1837). Il l’emploie pour la première fois dans un « rapport sur les inscriptions des monuments publics » présenté le 11 janvier 1794 (22 nivôse an II), plusieurs mois avant son premier « rapport sur les destructions opérées par le vandalisme et sur les moyens de le réprimer » du 31 août 1794 (14 fructidor an II) : « on ne peut inspirer aux citoyens trop d’horreur pour ce vandalisme qui ne connaît que la destruction ». Le nom de Vandales ou de Goths est néanmoins donné de longue date à ceux qui détruisent des œuvres d’art. Il est employé devant l’Assemblée législative à l’été 1792. Le 24 juillet, dans la discussion d’un décret « sur les moyens d’augmenter la force de nos armées », Cambon propose que l’on fonde les statues royales pour en faire des canons. Reboul exprime son opposition en demandant à l’Assemblée « si un peuple qui a l’amour de la liberté peut vouloir imiter la conduite des Goths et des Vandales ». Après le 10 Août, devant le « vœu manifeste de la nation », l’Assemblée décrète l’enlèvement des statues des places publiques puis décide de les transformer en canons, mais se réserve la possibilité de conserver les objets qui intéressent les arts. Le 15 septembre, dans une lettre à l’Assemblée, le régisseur général des domaines et bois de Versailles, Marly et Meudon rapporte la mutilation des chevaux de Marly et prie l’Assemblée, « dans la crainte d’un plus grand désordre et d’un désastre que ne commettraient pas des Vandales », d’assurer la sauvegarde des « chefs-d’œuvre des arts ». Le lendemain, l’Assemblée prend deux décrets ayant pour objet d’assurer leur conservation et leur préservation.

Séance du 24 juillet 1792

Séance du 11 août 1792

Séance du 14 août 1792

Séance du 15 septembre 1792

Séance du 16 septembre 1792


Chronologie indicative

20 avril 1792. — Déclaration de guerre au roi de Bohême et de Hongrie.

11 juillet 1792. — Décret de la patrie en danger.

24 juillet 1792. — Décret « sur les moyens d’augmenter la force de nos armées ».

10 août 1792. — Prise des Tuileries.

11 août 1792. — Décret sur l’enlèvement des statues des places publiques ; un second décret institue une commission chargée de l’inventaire du mobilier de la Couronne et de sa conservation (commission du mobilier).

14 août 1792. — Décret sur la transformation des statues en canons ; l’article 4 charge la commission des monuments de « veiller à la conservation des objets qui peuvent intéresser essentiellement les arts ».

15 août 1792. — Décret sur la réunion de la Commissions de monuments et de la commission instituée le 11 août (commission du mobilier).

16 septembre 1792. — Décrets sur la conservation des chefs-d’œuvre des arts.


Séance du 24 juillet 1792

Le 24 juillet 1792, l’Assemblée examine un projet de décret « sur les moyens d’augmenter la force de nos armées ». Présenté par Vergniaud au nom de la commission des Douze (6 mars 1792), il fait l’objet d’une discussion par article. Après lecture de l’article 7 sur l’attribution de deux canons par bataillon, Cambon propose que les statues royales soient fondues pour en faire des canons. Reboul exprime son désaccord et l’Assemblée écarte la proposition.

M. Vergniaud, au nom de la commission extraordinaire des Douze, fait un rapport et présente un projet de décret sur les moyens d’augmenter la force de nos armées […].

M. Vergniaud, rapporteur, donne lecture de l’article 6, qui est adopté sans discussion, et de l’article 7 qui est ainsi conçu :

« Il sera attaché deux pièces de campagne à chacun des bataillons de grenadiers ou chasseurs créés par le présent décret. »

M. Cambon. — La garde nationale de Paris a des canons qui ont été fondus par M. Perrier. Il est important qu’on en procure de pareils à tous les bataillons de volontaires nationaux. En conséquence, je propose de faire fondre les statues des anciens tyrans. (Vifs applaudissements des tribunes.) Nous n’avons qu’un Henri IV, et nous avons trois Louis XIV.

M. Boullanger. — Nous voilà dans les siècles de barbarie. (Murmures des tribunes.)

M. Brival. — J’appuie la proposition de M. Cambon, il faut détruire la mémoire des tyrans.

M. Vincens-Plauchut. — Si vous décrétiez la proposition qui vous est faite, vous vous exposeriez à voir frapper votre décret du veto. (Murmures.)

M. Reboul. — Ce n’est pas par la considération qui vous a été présentée par M. Vincens-Plauchut que je réfuterai la proposition de M. Brival et de M. Cambon ; mais par une simple analyse de cette même proposition. Il est de fait, et un calcul bien simple peut établir, que toutes les statues de bronze, qui sont répandues sur la surface du royaume, ne feront pas ensemble une masse de métal, valant intrinsèquement 100,000 livres. (Murmures à gauche.) Ce fait est incontestable. Maintenant, si vous le considérez sous un autre rapport, détruire les statues, ce n’est pas, comme on vous l’a dit, détruire le despotisme ; c’est détruire des monuments élevés par les arts, et qui font honneur aux arts. (Murmures à gauche.) Je vous rappellerai que les artistes de toutes les nations vont étudier leur art devant les statues des Néron et des Caligula, qui ont été arrachées aux mains des Goths et des Vandales. Je vous demande si un peuple qui a l’amour de la liberté peut vouloir imiter la conduite des Goths et des Vandales, et renverser pour une modique somme de 100,000 livres les monuments que les beaux arts ont élevés depuis trois siècles.

Plusieurs membres : La question préalable !

MM. Lecointe-Puyraveau et Basire demandent la parole.

(L’Assemblée ferme la discussion et décrète qu’il n’y a pas lieu à délibérer sur la motion de Cambon.)

M. Lejosne. — Je ne demande pas qu’on détruise les monuments des arts et j’approuve l’Assemblée d’avoir repoussé par la question préalable la motion de M. Cambon, mais je propose de livrer aux besoins des fonderies les cloches des églises. (Bruit.)

M. Vergniaud, rapporteur. — J’ai l’honneur d’observer à l’Assemblée qu’elle ne doit pas perdre son temps en discussions pareilles. Il ne s’agit point de savoir avec quelle matière on fondra des canons, il s’agit simplement de savoir si vous accorderez deux pièces de canon à chaque bataillon.

Plusieurs membres : La question préalable !

(L’Assemblée décrète qu’il n’y a pas lieu à délibérer sur la proposition de M. Lejosne et adopte l’article 7.)

Archives parlementaires de 1787 à 1860. Recueil complet des débats législatifs et politiques des chambres françaises, première série (1787-1799), tome XLVII, du 21 juillet 1792 au 10 août 1792, Paris, Imprimerie et librairie administratives des chemins de fer, Paul Dupont, éditeur, 1896, pp. 106-109.

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Séance du 11 août 1792

Dans la nuit du 9 au 10 août 1792, les sections parisiennes insurgées et les fédérés des départements appelés à Paris en juillet assiègent les Tuileries. À 8 h 30, le roi et sa famille parviennent à quitter le palais pour se réfugier dans la salle du Manège, siège de l’Assemblée, et s’installent dans la loge du logotachygraphe. Dans la journée, l’Assemblée adopte un décret qui invite les Français à former une Convention nationale et suspend le chef du pouvoir exécutif de ses fonctions, à titre provisoire. Suspendue à trois heure et demie du matin dans la nuit du 10 au 11, la séance reprend à sept heures. Vers huit heures et demie, après une nouvelle suspension, le député de la Gironde Sers alerte l’Assemblée sur l’intention prêtée aux insurgés de démolir les statues des places royales. Devant le « vœu manifeste de la nation », l’Assemblée décrète l’enlèvement des statues et leur remplacement par des monuments à la liberté. Par un second décret, elle institue une commission chargée de faire l’inventaire du mobilier royal et d’assurer la conservation des objets qui intéressent les arts.

M. Sers. — Dans ce moment, le peuple se porte dans les places publiques et veut démolir les statues des rois sur la place Vendôme et sur la place Louis XV. Je demande que les sections nomment des commissaires pour s’y opposer ou des ingénieurs pour prévenir les dangers qui pourraient résulter de la chute de ces masses énormes.

Plusieurs membres : L’ordre du jour ! l’Assemblée ne peut pas autoriser la destruction de ces monuments !

M. Thuriot. — Je m’oppose à l’ordre du jour. Je demande à l’Assemblée de décréter que ces statues seront enlevées, et qu’elles seront employées d’une manière utile pour la nation. Les unes, en effet, peuvent servir aux arts, les autres seront transformées en monnaie ou en canons. Il faut que l’Assemblée montre un grand caractère et qu’elle ordonne l’anéantissement de tous ces monuments de l’orgueil et du despotisme. (Applaudissements.)

M. Albitte. — J’appuie la proposition et je demande qu’à ces statues élevées à l’orgueil et à la vanité, on substitue la statue de la liberté. (Applaudissements.)

M. Marant. — Je demande qu’on excepte la statue d’Henri IV.

Plusieurs membres : Non ! non !

(L’Assemblée adopte la proposition de M. Thuriot et l’amendement de M. Albitte.)

Suit le texte définitif du décret rendu :

« L’Assemblée, considérant que le vœu manifeste de la nation est qu’il n’existe plus aucun monument public qui rappelle le règne du despotisme, décrète qu’il y a urgence.

« L’Assemblée, après avoir décrété l’urgence, décrète que les statues existantes sur les places publiques de Paris seront enlevées et que des monuments en l’honneur de la liberté leur seront substitués ; charge les commissaires des sections, dans l’arrondissement desquels sont les places publiques, de veiller à la conservation des objets qui seront enlevés et de préposer, à cet effet, des gens de l’art à la direction et surveillance des travaux. »

Archives parlementaires de 1787 à 1860. Recueil complet des débats législatifs et politiques des chambres françaises, première série (1787-1799), tome XLVIII, du 11 août 1792 au 25 août 1792, Paris, Imprimerie et librairie administratives des chemins de fer, Paul Dupont, éditeur, 1896, p. 2.

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M. Reboul. — Je demande que quatre commissaires soient nommés par la commission extraordinaire pour procéder au récolement des effets inventoriés au garde-meuble de la Couronne, avec quatre commissaires nommés par la municipalité.

(L’Assemblée décrète la motion de M. Reboul.)

En conséquence, le décret suivant est rendu :

« L’Assemblée décrète que quatre commissaires seront nommés par la commission extraordinaire, pour, réunis à quatre autres qui seront nommés par l’administration municipale, être procédé au récolement des effets inventoriés au garde-meuble de la Couronne, et par addition faire la recherche partout où il en sera besoin, et dresser inventaire de tous les effets composant le mobilier de la Couronne, principalement des tableaux, statues et autres monuments intéressant les beaux arts : les faire déposer en lieu sûr, et les confier à des préposés, qui donneront bonne et suffisante caution ; le tout demeure recommandé à la garde et soumis à la surveillance tant de la municipalité que des corps administratifs, chacun en ce qui les concerne. »

Archives parlementaires de 1787 à 1860. Recueil complet des débats législatifs et politiques des chambres françaises, première série (1787-1799), tome XLVIII, du 11 août 1792 au 25 août 1792, Paris, Imprimerie et librairie administratives des chemins de fer, Paul Dupont, éditeur, 1896, p. 23.

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Séance du 14 août 1792

Dans la matinée du 14 août 1792, une députation de la section du Pont-Neuf informe l’Assemblée de la démolition de la statue d’Henri IV (1614) et demande l’effacement de tous les emblèmes de la royauté dans son ressort. L’Assemblée décrète l’enlèvement de tous les « monuments élevés à l’orgueil, au préjugé et à la tyrannie » et leur transformation en canons, mais se réserve la possibilité de conserver les objets qui intéressent les arts. Dans ses séances des 15 et 16 septembre, elle prend de nouvelles mesures de conservation.

Une députation des citoyens de la section de Henri IV est admise à la barre.

L’orateur de la députation s’exprime ainsi :

« Législateurs,

« Je viens, au nom des citoyens de la section de Henri IV, instruire l’Assemblée qu’ils ont renversé la statue du roi dont cette section portait le nom. C’est à regret que nous l’avons abattue et les vertus de ce roi nous ont arrêté quelque temps. Mais nous n’avons bientôt plus hésité lorsque nous avons songé qu’il était roi sans le consentement du peuple et qu’il ne fallait pas que le Français libre fût désormais offusqué par aucun monument qui lui rappelât ses maîtres.

« L’acte de fondation de la statue a été trouvé dans le corps du cheval de bronze, renversé sur la place Dauphine ; nous le déposons sur le bureau afin qu’il soit remis aux archives et nous demandons qu’il nous en soit délivré une copie.

« Nous proposons d’élever à la place de la statue un piédestal qui portera les tables des droits de l’homme et nous sollicitons, à l’exemple de la section du Théâtre-Français qui a pris le nom de Section des Marseillais, du fait du casernement de ces derniers dans ses limites, de porter désormais le nom de Section du Pont-Neuf.

« J’ai pour mission, enfin, d’assurer à l’Assemblée que le roi ne sera plus qualifié dans la section que de traître Louis XVI, et que tous les emblèmes de la royauté, ainsi que ceux qui auraient trait au général La Fayette, seront effacés dans son ressort. »

M. le Président répond à l’orateur et accorde à la députation les honneurs de la séance.

M. Broussonnet. — Je convertis cette pétition en motion.

(L’Assemblée décrète la demande des pétitionnaires.)

M. Thuriot. — Je demande que les statues abattues soient converties en canons.

M. Delacroix. — Je propose de consacrer à la même destination tous les monuments en bronze qui sont dans les églises.

M. Thuriot. — Ce n’est pas à Paris seulement qu’il faut faire cette utile réforme : il faut que, dans toutes les parties de l’Empire, dans les églises, dans les maisons nationales, et même dans celles qui étaient attribuées à l’habitation du roi, tout ce qu’il y a en bronze soit pris, fondu et métamorphosé en canons.

(L’Assemblée adopte la proposition de M. Delacroix et l’amendement de M. Thuriot et renvoie, pour la rédaction, à la commission extraordinaire des Douze.)

[…]

Un membre, au nom de la commission extraordinaire des Douze, présente la rédaction du décret tendant à convertir en canons les œuvres d’art et monuments en bronze qui se trouvent dans les établissements publics ou royaux ; elle est ainsi conçue :

« L’Assemblée nationale, considérant que les principes sacrés de la liberté et de l’égalité ne permettent point de lasser plus longtemps, sous les yeux du peuple français les monuments élevés à l’orgueil, au préjugé et à la tyrannie ;

« Considérant que le bronze de ces monuments, converti en canons, servira utilement à la défense de la patrie, décrète qu’il y a urgence.

« L’Assemblée nationale, après avoir décrété l’urgence, décrète ce qui suit :

Art. 1er.

« Toutes les statues, bas-reliefs, inscriptions et autres monuments en bronze, ou en toute autre matière, élevés dans toutes les places publiques, temples, jardins, parcs et dépendances, maisons nationales, même dans celles qui étaient réservées à la jouissance du roi, seront enlevées à la diligence des représentants des communes, qui veilleront à leur conservation provisoire.

Art. 2.

« Les représentants de la commune de Paris feront, sans délai, convertir en bouches à feu tous les objets énoncés en l’article premier, existants dans l’enceinte des murs de Paris, sous la surveillance du ministre de l’intérieur, de deux membres de la commission des armes, et de deux membres de la commission des monuments.

Art. 3.

« Les monuments, restes de la féodalité, de quelque nature qu’ils soient, existants encore dans les temples ou autres lieux publics, et même à l’extérieur des maisons particulières, seront, sans aucun délai, détruits à la diligence des communes.

Art. 4.

« La commission des monuments est chargée expressément de veiller à la conservation des objets qui peuvent intéresser essentiellement les arts, et d’en présenter la liste au Corps législatif, pour être statué ce qu’il appartiendra.

Art. 5.

« La commission des armes présentera incessamment un projet de décret, pour employer, d’une manière utile à la défense de chaque commune de la France, la matière des monuments qui se trouveront dans leur enceinte. »

(L’Assemblée adopte cette rédaction.)

[…]

Un autre membre : Je demande que le ministre de l’intérieur soit autorisé à pourvoir aux dépenses de la commission nommée pour l’inventaire du mobilier de la couronne.

(L’Assemblée accorde cette autorisation.)

En conséquence, le décret suivant est rendu :

« L’Assemblée nationale, considérant qu’il importe de constater l’exécution du décret qui ordonne l’inventaire du mobilier de la couronne et la recherche des monuments en dépendant, décrète qu’il y a urgence.

« L’Assemblée nationale, après avoir décrété l’urgence, décrète ce qui suit :

Art. 1er.

« Le ministre de l’intérieur est autorisé à tirer des ordonnances sur les fonds attribués annuellement pour les arts et sciences, à l’effet de fournir aux dépenses de la commission nommée pour l’inventaire du mobilier de la couronne.

« Art. 2.

« Le ministre de l’intérieur fournira à la commission les bâtiments nécessaires, dans le Louvre et ses dépendances, pour recevoir le dépôt des tableaux et statues et autres objets dudit mobilier. »

Archives parlementaires de 1787 à 1860. Recueil complet des débats législatifs et politiques des chambres françaises, première série (1787 à 1799), tome XLVIII, du 11 août 1792 au 25 août 1792, Paris, Imprimerie et librairie administratives des chemins de fer, Paul Dupont, éditeur, 1896, pp. 115-116.

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Séance du 15 septembre 1792

M. Lequinio, secrétaire, donne lecture d’une lettre de M. Couturier, régisseur général des domaines et des bois de Marly et de Meudon, qui informe l’Assemblée que des malintentionnés ont mutilé à coups de fusils les deux chevaux de marbre que les arts devaient au ciseau de Coustou. M. Couturier demande que l’on enlève de ces châteaux tout ce qui s’y trouvera de fer et de plomb pour convertir ces métaux en instruments de guerre, mais que l’on fasse respecter les monuments des arts.

Cette lettre est ainsi conçue :

« Monsieur le Président,

« Le régisseur général des domaines et bois de Versailles, Marly et Meudon vous informe avec douleur que des malveillants ont insulté les chefs-d’œuvre des arts dans le jardin de Marly, et ont mutilé avec des coups de fusils à balle, tirés du grand chemin, les deux beaux chevaux de marbre que nous devons au ciseau de Coustou.

« Dans la crainte d’un plus grand désordre et d’un désastre que ne commettraient pas des Vandales, il prie l’Assemblée nationale d’ordonner par une loi, que tous les fers, plombs et cuivres inutiles dans les maisons et châteaux de Versailles, Marly, Trianon, Meudon et dépendances seront livrés pour être convertis en balles, boulets et canons pour la défense commune, mais que les chefs-d’œuvre des arts seront respectés et conservés honorablement ; que la loi à introduire sera affichée sur toutes les portes desdites maisons et environs et que la susdite livraison de plomb et de cuivre sera faite par les administrateurs eux-mêmes afin d’éviter toute dégradation et pillage.

« À Paris, le 15 septembre 1792, l’an IVe de la liberté et le Ier de l’égalité.

« Signé : Couturier,

« Régisseur général et procureur de la commune de Versailles. »

M. Reboul. — M. Couturier n’a pas été le seul à se préoccuper de la question qu’il vous a soumise, car votre commission, que vous avez nommée le 11 août pour la conservation des tableaux, statues et autres monuments relatifs aux beaux-arts, s’est occupée déjà de cet objet. Son avis est qu’il faudrait recueillir les chefs-d’œuvre et les répartir entre les grandes villes de l’Empire. Alors, on pourrait instituer dans chacune d’elles un Muséum où seraient déposés ces beaux monuments qui font la gloire et la splendeur d’une grande nation. Et c’est ainsi que vous arriveriez à répandre le véritable goût des beaux-arts dans un empire qu’ils ont rendu célèbre et qu’ils peuvent rendre encore florissant (Applaudissements). Voici le projet de décret, qu’en son nom j’ai mission de vous présenter :

« La commission nommée en vertu du décret du 11 août 1792 pour la conservation des tableaux, statues et autres monuments relatifs aux beaux-arts, pour les maisons royales, sera réunie à celle des monuments créée par l’Assemblée constituante et sera soumise au même régime.

« Le ministre de l’intérieur donnera des ordres pour favoriser ses travaux et ses recherches. »

(L’Assemblée adopte le projet de décret.)

Archives parlementaires de 1787 à 1860. Recueil complet des débats législatifs et politiques des chambres françaises, première série (1787 à 1799), tome L et annexes, du 15 septembre 1792 au soir au 21 septembre 1792 au matin, Paris, Imprimerie et librairie administratives des chemins de fer, Paul Dupont, éditeur, 1896, pp. 15-16.

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Séance du 16 septembre 1792

M. Reboul, au nom du comité d’instruction publique et de la commission des arts et monuments réunis présente un projet de décret ayant pour objet la conservation et la préservation des chefs-d’œuvre des arts, cette rédaction est ainsi conçue :

« L’Assemblée nationale, considérant qu’en livrant à la destruction les monuments propres à rappeler le souvenir du despotisme, il importe de préserver et de conserver honorablement les chefs-d’œuvre des arts, si dignes d’occuper les loisirs d’un peuple libre, décrète qu’il y a urgence.

« L’Assemblée nationale, après avoir décrété l’urgence, décrète ce qui suit :

Art. 1er.

« Il sera procédé sans délai, par la commission des monuments, au triage des statues, vases et autres monuments placés dans les maisons ci-devant dites royales, et édifices nationaux, qui méritent d’être conservés pour l’instruction et la gloire des arts. »

Art. 2.

« Du moment où ce triage aura été fait, les administrations feront enlever les plombs, cuivres et bronzes jugés inutiles, les feront transporter dans les ateliers nationaux, et enverront au ministre de l’intérieur les procès-verbaux et inventaires de leurs opérations.

Art. 3.

« En attendant que les monuments qu’il importe de conserver aient pu être transportés dans les dépôts qui leur seront préparés, les administrateurs seront chargés de veiller spécialement à ce qu’il n’y soit apporté aucun dommage par les citoyens peu instruits, ou par des hommes malintentionnés.

Art. 4.

« Le présent décret sera affiché aux maisons ci-devant dites royales, et autres lieux renfermant des monuments utiles aux beaux-arts. »

(L’Assemblée décrète l’urgence puis adopte le projet de décret.)

M. Reboul, au nom du comité d’instruction publique et de la commission des arts et monuments réunis présente un projet de décret ayant pour but de conserver aux beaux-arts et à l’instruction publique les chefs-d’œuvre épars sur la surface de l’Empire ; cette rédaction est ainsi conçue :

« L’Assemblée nationale, considérant qu’il importe de conserver aux beaux-arts et à l’instruction publique les chefs-d’œuvre épars sur la surface de l’empire, décrète qu’il y a urgence.

« L’Assemblée nationale, après avoir décrété l’urgence, décrète ce qui suit :

Art. 1er.

« La commission nommée en vertu du décret du 11 août, l’an IVe de la liberté, pour la recherche des tableaux, statues et autres objets précieux dépendant du mobilier de la couronne, est et demeure réunie à la commission des monuments nommée en vertu des décrets de l’Assemblée constituante.

Art. 2.

« Les dépositaires et gardes des tableau, dessins, statues, qui ont été nommés par la commission du 11 août en vertu du décret dudit jour, seront logés au Louvre et soumis au régime qui sera déterminé par le ministre de l’intérieur, après l’avis de la commission.

Art. 3.

« Le ministre de l’intérieur est autorisé à prendre toutes les mesures et faire les dépenses nécessaires sur le fonds destiné annuellement aux arts et aux sciences, pour seconder les travaux de ladite commission en ce qui concerne la recherche et la conservation des tableaux, statues et autres monuments relatifs aux beaux-arts, renfermés dans les églises et maisons nationales et dans celles des émigrés, lesquels objets seront recueillis, pour la répartition en être faite entre le Muséum de Paris et ceux qui pourront être établis dans les autres départements.

Art. 4.

« L’inventaire raisonné desdits objets sera imprimé, et il en sera fait tous les ans un récolement par des préposés du pouvoir exécutif sous la surveillance des commissaires de l’Assemblée nationale. »

(L’Assemblée décrète l’urgence, puis adopte le projet de décret.)

La séance est suspendue à quatre heures.

Archives parlementaires de 1787 à 1860. Recueil complet des débats législatifs et politiques des chambres françaises, première série (1787 à 1799), tome L et annexes, du 15 septembre 1792 au soir au 21 septembre 1792 au matin, Paris, Imprimerie et librairie administratives des chemins de fer, Paul Dupont, éditeur, 1896, pp. 51-52.

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