Le verdict du Tribunal militaire international de Nuremberg

Dans son numéro d’octobre-novembre-décembre 1946, La France en Allemagne, revue de la zone française d’occupation, publie un tableau récapitulatif du jugement prononcé par le Tribunal militaire international de Nuremberg les 30 septembre et 1er octobre 1946.

VII. — LES CRIMINELS DE GUERRE

A) La fin du procès de Nuremberg.

Le 31 août, après les ultimes déclarations des accusés, le Tribunal Militaire International s’était ajourné pour préparer le verdict, qui devait être prononcé le 23 septembre. Mais le 17 septembre, le secrétaire général du Tribunal annonça officiellement que le verdict ne pourrait être rendu avant le 30, retard imputable (d’après le secrétariat des juges français) non pas « à des divergences de vues entre les juges américains, britanniques, soviétiques et français, mais simplement à l’énormité de la tâche de rédaction et de traduction en trois langues d’un jugement dont le texte intégral comprendra plusieurs centaines de pages ».

C’est donc le 30 septembre, à 10 heures, que commença la lecture du jugement. Ce document peut se diviser en quatre parties :

1) Le régime nazi en Allemagne.

2) Les quatre chefs d’accusation du procès :

a) le plan concerté ou complot et les guerres d’agression ;

b) crimes de guerre et crimes contre l’humanité.

3) Les organisations accusées (corps des dirigeants politiques du parti nazi, Gestapo et S.D., S.S., S.A., Cabinet du Reich, État-major général et haut commandement de la Wehrmacht).

4) Responsabilités individuelles des 22 accusés.

La lecture de ce jugement, qui constitue un document volumineux, a été répartie entre le Lord Justice Lawrence, président du Tribunal Militaire International, et les différents juges délégués par les États : MM. Francis Biddle et John J. Parker (U.S.A.), Donnedieu de Vabres et Falco (France), le général Nikitchenko et le colonel Voltchkov (U.R.S.S.). Elle a nécessité quatre séances : deux le 30 octobre [septembre] (à 10 heures et à 14 h. 15), et deux le 1er octobre (à 9 h. 30 et à 14 h. 55), la dernière, très courte, étant consacrée uniquement au prononcé des sentences : chacun des accusés reconnus coupables entrait, coiffait le casque, écoutait la sentence et disparaissait, un entr’acte de deux minutes séparant la comparution de chaque accusé.

On rappelle que les chefs d’accusation énumérés dans l’acte d’accusation du 18 octobre 1945 étaient au nombre de quatre :

1) Complot ou plan concerté en vue de commettre des crimes contre la paix ;

2) Crimes contre la paix, préparation et déclenchement de guerres d’agression, en violation des traités, accords et engagements internationaux ;

3) Crimes de guerre, en violation des conventions de la Haye et de Genève ;

4) Crimes contre l’humanité.

Le tableau suivant indique, pour chacun des accusés, les chefs d’accusation visant les crimes dont il est inculpé, ceux que retient le Tribunal et la sentence prononcée.

Verdict du procès de Nuremberg

En ce qui concerne les organisations, les S.A., le Cabinet du Reich, l’État-Major et le haut-commandement de la Wehrmacht n’ont pas été considérés comme criminels par le Tribunal. Les derniers mots du Président Lawrence ont été pour faire la déclaration suivante : « Le membre soviétique du Tribunal tient à exprimer son dissentiment pour les cas des accusés Schacht, Papen et Fritzche. Il pense qu’ils auraient dû être condamnés et non acquittés. Il n’est pas non plus d’accord pour les décisions qui concernent le Cabinet du Reich et l’État-Major général et le haut-commandement, pensant qu’ils auraient dû être déclarés organisations criminelles. Il n’est pas non plus d’accord pour la décision qui concerne la sentence de l’accusé Heß et pense que la sentence aurait dû être la peine de mort et non l’emprisonnement à vie. »

La séance a été levée à 15 h. 37.

[…]

On a vu, d’après le verdict, que le Tribunal avait prononcé sept condamnations à des peines d’emprisonnement : Heß, Funk et Raeder, à vie ; Schirach et Speer à vingt ans, Neurath à quinze et Doenitz à dix ans. Le conseil de contrôle de Berlin a fait connaître officiellement le 16 octobre qu’ils purgeraient leurs peines à la prison de Spandau, dont la garde sera assurée par les soins de la Kommandatura alliée de Berlin.

Quant aux condamnés à mort, ils avaient — ainsi que l’avait annoncé le président Lawrence à la fin de la première audience du 1er octobre — jusqu’au samedi 5 octobre à 15 h. 45, pour introduire auprès du Conseil de contrôle, par l’intermédiaire du secrétariat général du Tribunal, un recours en grâce ou une demande de réduction de peine. D’après la coutume du droit allemand, admise par le Tribunal Militaire International, l’avocat d’un accusé peut signer au lieu et place de son client si celui-ci refuse de signer lui-même son propre recours en grâce. À l’expiration du délai seuls Kaltenbrunner, Schirach et Speer n’avaient présenté aucune demande. Il est à noter que Goering, Keitel et Jodl demandèrent, au cas où leur recours serait rejeté, à être fusillés et non pendus ; quant à Raeder il demanda que sa condamnation à la détention perpétuelle fût commuée en peine capitale, étant donné son âge et son mauvais état de santé.

Toutes ces demandes furent examinées par le Conseil de contrôle, réuni sous la présidence du général Koenig, les 9 et 10 octobre. Le conseil fut d’accord pour les rejeter toutes, et les condamnés en furent informés le 13 octobre : Hess, Frank et Doenitz déclarèrent à cette occasion que les démarches avaient été entreprises par leurs avocats, au mépris de leur désir formel.

Dès le 2 octobre, il avait été décidé que l’exécution des onze criminels de guerre aurait lieu le 16 octobre à Nuremberg, dans la cour de la prison. Le 15 à 22 h. 45 le factionnaire placé devant la porte de la cellule de Goering entendit des râles, pénétra dans la cellule de Goering et le trouva étendu mort sur son lit de camp. La sentinelle alerta immédiatement l’officier de service ; l’aumônier protestant américain, le capitaine Henry F. Gerecke, et le médecin allemand de la prison, le Dr. Pflücker, mandés aussitôt, ne purent que constater le décès. C’est à l’aide de cyanure de potassium, contenu dans une ampoule de verre elle-même enfermée dans une douille de cuivre que Goering s’est donné la mort.

De 23 h. 38 à 23 h. 54 le colonel Andrus se rendit dans les cellules des dix autres condamnés à mort et leur donna lecture de la sentence du Tribunal Militaire International. Après un dernier repas servi aux prisonniers, les exécutions eurent lieu, de 1 h. 11 à 2 h. 52, à l’intérieur d’un préau séparé du corps principal des bâtiments par une cour. Les condamnés furent pendus dans l’ordre suivant : Ribbentrop, Keitel, Kaltenbrunner, Rosenberg, Frank, Frick, Streicher, Sauckel, Jodl, Seyß-Inquart. Après la dernière exécution deux gardes apportèrent sur une civière le corps de Goering, pour constatation d’identité.

Le 17 octobre, la commission quadripartite pour la détention des grands criminels de guerre publia le communiqué suivant : « Le corps de Hermann Wilhelm Goering, ainsi que ceux des criminels de guerre qui ont été pendus à Nuremberg le 16 octobre 1946 en exécution des sentences prononcées par le Tribunal Militaire International ont été incinérés, et leurs cendres ont été dispersées secrètement. »

La France en Allemagne, no 3, octobre-novembre-décembre 1946, Gouvernement militaire de la zone française d’occupation, direction de l’information, pp. 115-118.

La France en Allemagne

GALLICA – BIBLIOTHÈQUE NATIONALE DE FRANCE

N.B. : la typographie est conservée ; les notes ne sont pas reproduites.