Document 1 : les 11 et 12 juin 1899 dans L’Année politique
Document 2 : la une d’un journal de province du 27 juin 1899
Document 3 : un discours de Méline (16 novembre 1899)
Document 4 : une lettre de Charles Jonnart (10 décembre 1899)
Document 1 : les 11 et 12 juin 1899 dans L’Année politique
Les esprits étaient, au Sénat, plus surexcités peut-être qu’à la Chambre par les scènes scandaleuses d’Auteuil. Aussi vit-on pour la première fois les groupes républicains du Sénat, groupes en majorité modérés, s’entendre avec les groupes avancés de la Chambre : groupe Isambert, gauche démocratique et extrême gauche, pour envoyer une délégation à M. le président du Conseil, dans le but d’appeler sa vigilance sur la situation politique. […]
En même temps les journaux avancés, et au premier rang la Lanterne et la Petite République , prenaient l’initiative d’une grande manifestation républicaine pour le dimanche suivant, 11 juin, jour où M. le président de la République devait assister au Grand Prix de Paris, couru sur l’hippodrome de Longchamp.
Il s’agissait d’acclamer le président Loubet pour protester contre la manifestation du 4 juin à Auteuil, et d’entrer jusqu’au pesage même, pour empêcher le public mondain qui s’y trouvait habituellement de manifester contre le président. […]
Comme dans les journées dont on prédit à l’avance la gravité, rien de sérieux ne se passa, le 11 juin. Le président de la République à l’aller et au retour de Longchamp, comme sur le champ de courses même, fut vivement acclamé.
Une bagarre se produisit pourtant dans un café du Bois de Boulogne entre partisans et adversaires de M. Loubet.
Dans la soirée, rue Montmartre, la police, surmenée par les fatigues de cette longue journée, rudoya, paraît-il, quelques manifestants socialistes qui étaient venus manifester devant les bureaux du journal la Petite République.
Plusieurs arrestations furent opérées, la police prétendant avoir entendu les cris de : « À bas Loubet ! » proférés par des manifestants, qui affirmaient au contraire avoir acclamé la République et son président.
Ces incidents furent le prétexte d’une interpellation déposée le lendemain (12 juin) à la Chambre par M. Vaillant, député socialiste révolutionnaire de Paris, qui se plaignit « des violences de la police contre les républicains ».
Fidèle à la tactique des socialistes qui, depuis une semaine surtout, essayaient d’accaparer à leur profit le monopole de la défense de la République et de son président, M. Vaillant affirma que les vrais républicains étaient les socialistes et qu’il n’y avait qu’eux qui savaient défendre la République contre « les réactions coalisées ». […]
Après M. Vaillant, M. Clovis Hugues, député socialiste de Paris, puis M. Charles Bos, député radical-socialiste de Paris, vinrent soutenir la même thèse, à savoir que la police sévissait de parti pris contre les républicains.
Puis la clôture ayant été prononcée, la bataille s’engagea sur les ordres du jour.
M. Vaillant en déposa un « blâmant les violences policières républicains ».
MM. Saumande (Dordogne) et Charruyer (Charente-Inférieure) en proposèrent un autre « approuvant les déclarations du gouvernement ».
M. Dulau, au nom du groupe républicain progressiste présidé par M. Méline, « proposa qu’aucun blâme ne fût adressé à la police, qui n’avait fait que se conformer aux instructions reçues ».
Le gouvernement réclama le vote de l’ordre du jour Saumande. Or, la priorité fut refusée à cet ordre du jour par 253 voix contre 240. C’était une première défaite pour le ministère.
Après le rejet de l’ordre du jour Dulau par 364 voix contre 156, MM. Ruau, député radical de la Haute-Garonne, et de la Porte, député radical des Deux-Sèvres, proposèrent la rédaction suivante : « La Chambre, résolue à ne soutenir qu’un gouvernement décidé à défendre avec énergie les institutions républicaines et à assurer l’ordre public, passe à l’ordre du jour. »
366 voix contre 177 accordèrent la priorité à l’ordre du jour de M. Ruau. L’échec du ministère s’accentuait. Il devint définitif au vote sur le fond de l’ordre du jour qui, malgré la question de confiance posée par M. Dupuy, sur son rejet, fut adopté par 296 voix contre 156.
Le cabinet Dupuy se retira. Il succombait devant la coalition de ceux qu’il avait tour à tour satisfaits, puis mécontentés. C’est le sort ordinaire des cabinets dont la politique s’inspire des principes de la bascule.
André Daniel, L’Année politique 1899, Paris, Fasquelle, pp. 214-218.
Document 2 : la une d’un journal de province du 27 juin 1899
La France de Bordeaux et du Sud-Ouest, Bordeaux, 27 juin 1899.
Document 3 : un discours de Méline (16 novembre 1899)
Député des Vosges et ancien président du Conseil, Jules Méline s’exprime devant la Chambre des députés.
M. le président du Conseil vient de justifier toute sa politique d’un mot ; elle tient tout entière dans une formule dont son discours n’est que le développement oratoire : Nous avons fait œuvre de défense républicaine, vous a-t-il dit ; la République était à deux doigts de sa perte, et nous l’avons sauvée. (Interruptions à l’extrême gauche.) […]
Nous aussi, messieurs, nous sommes pour la défense de la République. M. le président du conseil connaît notre drapeau ; il l’a porté glorieusement. […] Il connaît aussi la devise inscrite dans ses plis : Ni réaction ni révolution ! (Applaudissements au centre et à droite. — Exclamations ironiques à gauche et à l’extrême gauche.) […]
Nous sommes les adversaires résolus des partisans soit de la monarchie, soit de l’empire, soit de la République plébiscitaire, que nous considérons comme un acheminement au césarisme […] mais, messieurs, nous sommes aussi les adversaires de la révolution sociale (Très bien ! très bien ! sur divers bancs an centre et à droite) et du collectivisme ; car nous considérons que leur avènement serait la perte de la République. (Applaudissements sur les mêmes bancs.) C’est donc comme républicains et au nom de la République que nous condamnons une politique qui a pour résultat de donner la consécration officielle du gouvernement à la révolution sociale et au collectivisme.
Discours de Jules Méline devant la Chambre des députés, 16 novembre 1899. Journal officiel de la République française. Débats parlementaires. Chambre des députés, 17 novembre 1899, p. 1855 (extraits).
Document 4 : une lettre de Charles Jonnart (10 décembre 1899)
Député du Pas-de-Calais, Charles Jonnart s’adresse au directeur de la Revue politique et parlementaire.
Je partage, — ai-je besoin de le dire ? — la répugnance de M. Méline pour le collectivisme où tend de plus en plus le parti socialiste, mais vous savez que je ne juge pas la situation politique tout à fait comme lui ; la République est menacée de divers côtés, à mon sens ; le péril collectiviste existe, mais il y en a d’autres, plus prochains, également redoutables. […]
Nous avons assisté au recommencement de l’aventure boulangiste. Le cheval noir manquait, mais les conjurés caressaient l’illusion d’entraîner l’armée dans la lutte des partis. Ils sont passés maîtres dans l’art d’exploiter le patriotisme et le sentiment religieux. La rue s’est emplie de cris de guerre civile ; pour la plus grande gloire du nom français, la coalition sans nom et sans drapeau, que nous avons connue au Seize Mai, retrouvée debout en 1889, nous conviait dans ce siècle finissant à de nouvelles guerres de race et de religion. […]
Modéré, libéral, oui, je l’ai toujours été, je le suis toujours, mais non pas modérément républicain. Et je ne sais pas s’il est vrai que la République a couru de graves dangers, […] mais, à coup sûr, l’esprit républicain n’a jamais été plus menacé.
Je ne suis pas un fervent de la politique de concentration je l’ai souvent déclaré mais quand l’ennemi s’attaque soit à la forme du gouvernement, soit aux plus précieuses conquêtes de l’esprit moderne, qui sont notre orgueil et notre espérance, je n’hésite pas à rallier le gros de l’armée, et je ne demande à ceux qui tiennent le drapeau que d’être républicains, et, par là, j’entends partisans résolus, irréductibles de la liberté d’examen et de la prédominance du pouvoir civil.
Charles Jonnart, « La politique républicaine. Liberté et responsabilité. Lettre à M. Marcel Fournier », Revue politique et parlementaire, 10 décembre 1899, tome XXII, pp. 477-480 (extraits).