Document 1 : la une de L’Aurore du 27 juin 1899
Document 2 : l’éditorial de Clemenceau dans L’Aurore du 27 juin 1899
Document 3 : un discours de Méline (16 novembre 1899)
Document 4 : une lettre de Charles Jonnart (10 décembre 1899)
Document 1 : la une de L’Aurore du 27 juin 1899
L’Aurore, 27 juin 1899 (extrait).
Document 2 : l’éditorial de Clemenceau dans L’Aurore du 27 juin 1899
VAINQUEURS !
Le ministère a une majorité de vingt-six voix. J’aurais souhaité, pour l’honneur du parti républicain, qu’elle fût plus considérable. Telle que les événements nous la donnent, elle peut, doit suffire. Les ennemis de la République s’en seraient contentés.
Oui. Les ennemis de la République, car, de quelque nom qu’il leur plaise de se parer, les vaincus du scrutin d’hier ne pouvaient aboutir, s’ils nous avaient arraché la victoire, qu’à l’effondrement de la République dans l’anarchie prétorienne exploitée par la Compagnie de Jésus. Je sais bien qu’il se fut trouvé d’hypocrites farceurs pour jurer qu’ils ne l’avaient pas fait exprès. Quelle surprise pour eux d’être débordés par les troupes de l’Église et de la monarchie dont ils se sont faits les auxiliaires, en attendant que le succès les réduisit à l’état de prisonniers ! Nous ne verrons pas ce spectacle, puisque nous demeurons maîtres du champ de bataille. Que les faux républicains nous sachent gré de leur avoir épargné l’ultime déshonneur qui eût été, pour eux, le fruit de la victoire !
Nous avons l’avantage de 26 voix. C’est assez pour maintenir la République, sauver l’ordre et la loi des révoltes imminentes. Cette majorité est bonne, car elle est toute républicaine, contre une bigarrure jésuitico-militariste, diversement déguisée. Tous républicains, les 263. Pas un trembleur. Pas un lâche. Beaucoup ont fait au salut de la République un cruel sacrifice. Ils ont su refouler jusqu’au plus profond d’eux-mêmes les plus affreux souvenirs. En vain retentissaient des appels de désertion, d’abstention. Ils n’ont rien voulu entendre. Ils ont pensé que, si les pères avaient donné leur vie, les fils peuvent faire le sacrifice, plus difficile peut-être, de leur vengeance, et ils ont marché au canon, comme des braves.
Il était temps, car si j’en crois ceux qui ont contemplé la bataille, jamais mêlée ne fut plus effroyable à voir. On nous fait des tableaux de guerre où des hommes faits pour s’aider, pour s’aimer, se tuent, trop souvent sans même savoir pourquoi. Quel peintre nous rendra l’implacable choc des idées ennemies, où dans l’indescriptible tumulte des haines, les outrages, les mensonges, les lâchetés en fureur font plus de mal que la mitraille ou le fer, qui, après tout, ne déchirent et ne torturent que les corps !
Georges Clemenceau, « Vainqueurs », L’Aurore, 27 juin 1899 (extrait).
Selon L’Aurore, la majorité est de 26 voix (263 contre 237). Selon le Journal officiel du 27 juin, la majorité est de 25 voix (262 contre 237). Selon Bertrand Joly — Histoire politique de l’affaire Dreyfus, p. 504 —, la majorité est de 24 voix (262 contre 238). Dans ses annexes au procès verbal de la séance, le Journal officiel indique en outre : « Bénézech, porté comme ayant voté “pour” dans le scrutin ci-dessus, déclare avoir eu l’intention de “s’abstenir”. » La majorité serait alors de 23 voix.
Document 3 : un discours de Méline (16 novembre 1899)
Député des Vosges et ancien président du Conseil, Jules Méline s’exprime devant la Chambre des députés.
M. le président du Conseil vient de justifier toute sa politique d’un mot ; elle tient tout entière dans une formule dont son discours n’est que le développement oratoire : Nous avons fait œuvre de défense républicaine, vous a-t-il dit ; la République était à deux doigts de sa perte, et nous l’avons sauvée. (Interruptions à l’extrême gauche.) […]
Nous aussi, messieurs, nous sommes pour la défense de la République. M. le président du conseil connaît notre drapeau ; il l’a porté glorieusement. […] Il connaît aussi la devise inscrite dans ses plis : Ni réaction ni révolution ! (Applaudissements au centre et à droite. — Exclamations ironiques à gauche et à l’extrême gauche.) […]
Nous sommes les adversaires résolus des partisans soit de la monarchie, soit de l’empire, soit de la République plébiscitaire, que nous considérons comme un acheminement au césarisme […] mais, messieurs, nous sommes aussi les adversaires de la révolution sociale (Très bien ! très bien ! sur divers bancs an centre et à droite) et du collectivisme ; car nous considérons que leur avènement serait la perte de la République. (Applaudissements sur les mêmes bancs.) C’est donc comme républicains et au nom de la République que nous condamnons une politique qui a pour résultat de donner la consécration officielle du gouvernement à la révolution sociale et au collectivisme.
Discours de Jules Méline devant la Chambre des députés, 16 novembre 1899. Journal officiel de la République française. Débats parlementaires. Chambre des députés, 17 novembre 1899, p. 1855 (extraits).
Document 4 : une lettre de Charles Jonnart (10 décembre 1899)
Député du Pas-de-Calais, Charles Jonnart s’adresse au directeur de la Revue politique et parlementaire.
Je partage, — ai-je besoin de le dire ? — la répugnance de M. Méline pour le collectivisme où tend de plus en plus le parti socialiste, mais vous savez que je ne juge pas la situation politique tout à fait comme lui ; la République est menacée de divers côtés, à mon sens ; le péril collectiviste existe, mais il y en a d’autres, plus prochains, également redoutables. […]
Nous avons assisté au recommencement de l’aventure boulangiste. Le cheval noir manquait, mais les conjurés caressaient l’illusion d’entraîner l’armée dans la lutte des partis. Ils sont passés maîtres dans l’art d’exploiter le patriotisme et le sentiment religieux. La rue s’est emplie de cris de guerre civile ; pour la plus grande gloire du nom français, la coalition sans nom et sans drapeau, que nous avons connue au Seize Mai, retrouvée debout en 1889, nous conviait dans ce siècle finissant à de nouvelles guerres de race et de religion. […]
Modéré, libéral, oui, je l’ai toujours été, je le suis toujours, mais non pas modérément républicain. Et je ne sais pas s’il est vrai que la République a couru de graves dangers, […] mais, à coup sûr, l’esprit républicain n’a jamais été plus menacé.
Je ne suis pas un fervent de la politique de concentration je l’ai souvent déclaré mais quand l’ennemi s’attaque soit à la forme du gouvernement, soit aux plus précieuses conquêtes de l’esprit moderne, qui sont notre orgueil et notre espérance, je n’hésite pas à rallier le gros de l’armée, et je ne demande à ceux qui tiennent le drapeau que d’être républicains, et, par là, j’entends partisans résolus, irréductibles de la liberté d’examen et de la prédominance du pouvoir civil.
Charles Jonnart, « La politique républicaine. Liberté et responsabilité. Lettre à M. Marcel Fournier », Revue politique et parlementaire, 10 décembre 1899, tome XXII, pp. 477-480 (extraits).