La Grande Encyclopédie de F.-Camille Dreyfus et André Berthelot est publiée en fascicules (778 livraisons) puis en volumes (31 tomes) de 1885 à 1902. L’article « traités de Westphalie », signé A.-M. B., est l’œuvre d’André Berthelot. La notion de « souveraineté territoriale » (Landeshoheit), comme la thèse de la « dissolution de l’Empire », sont à nuancer : les États de l’empire disposent de la « supériorité territoriale », non pas d’une souveraineté pleine et entière, puisqu’elle est limitée par les lois de l’Empire. La signature des traités est habituellement datée du 24 octobre 1648. Selon le Dictionnaire universel d’histoire et de géographie de Bouillet, celui d’Osnabrück est signé le 6 août 1648 et celui de Münster le 8 septembre ; ils sont publiés tous les deux le 24 octobre.
Traités de Westphalie. — Les traités dits de Westphalie ont mis fin à la guerre de Trente ans. Ils constituent le premier de ces grands pactes internationaux qui ont défini la situation respective des États européens. Ils marquent le terme de l’époque des guerres de religion et, par la proclamation du principe de souveraineté territoriale, ont consommé la ruine du système du Saint-Empire romain germanique qui avait dominé le moyen âge. Ils ont commencé l’élaboration du droit des gens et d’un droit international laïque. Ces traités furent l’aboutissement de négociations entamées en 1641. La diète allemande de Ratisbonne avait exprimé le vœu du rétablissement de la paix et fixé comme lieu de négociations avec les puissances étrangères Osnabruk et Munster en Westphalie (9 oct. 1641). Peu après, les représentants de l’empereur, de la France et de la Suède, Conrad de Lutzow, le comte d’Avaux et Salvius, assemblés à Hambourg, convinrent des préliminaires de la paix (25 déc. 1641), définissant la forme des passeports, le lieu et le moment des pourparlers ; ceux-ci devraient s’ouvrir à Munster et Osnabruk le 25 mars 1642. L’empereur commença par désavouer Lutzow et le remplaça par le comte Auesperg, mais les victoires de Torstensson le décidèrent à contre-signer les préliminaires de Hambourg (22 juil. 1642) ; l’échange des pouvoirs fut fixé à fin mars 1643 et l’ouverture du congrès au 1er juil. 1643. Toutefois les négociateurs tardèrent tellement que leurs délibérations ne s’ouvrirent qu’en avr. 1645.
À Munster, l’empereur et les princes allemands traitaient avec la France, sous la médiation du pape et de Venise ; à Osnabruck, avec la Suède, directement. Le cérémonial, les préséances, les titres donnèrent lieu à d’interminables débats ; la division des négociateurs en deux groupes fut aussi une cause de retards. Elle était motivée par le désir de séparer les représentants protestants et catholiques. Le nonce du pape était Fabio Chigi (plus tard pape Alexandre VII) ; l’ambassadeur vénitien, Contareno ; l’empereur était représenté à Munster par le comte Jean-Louis de Nassau et Isaac Volmar, à Osnabruck par son premier ministre, le comte Max de Trautmannsdorff ; ils étaient contrariés par les jésuites qui cherchaient à faire échouer les négociations. La France était représentée par le comte d’Avaux et Abel Servien, auxquels on adjoignit pour la forme le duc de Longueville ; la Suède, par Jean Oxenstierna et Salvius ; les princes ecclésiastiques allemands, par Adam Adami ; le Brunswick-Lunebourg, par le savant Jacob Lampadius, etc. Une foule de princes, de seigneurs, de juristes gravitaient autour des plénipotentiaires. La langue officielle était le latin, et les actes furent rédigés en latin, mais la plupart des conversations se tinrent en français, lequel tendit dès lors à devenir la langue diplomatique internationale. Les traités furent signés le 25 oct. 1618 à Munster où s’étaient rendus quelques jours auparavant les plénipotentiaires d’Osnabruck qui avaient conclu un peu plus tôt.
Les modifications territoriales étaient considérables : les unes sanctionnant officiellement des faits déjà anciens ; les autres consacrant les résultats de la guerre de Trente ans. La France obtenait en toute souveraineté les Trois-Évêchés (Metz, Toul, Verdun), annexés par elle en 1552, et les possessions autrichiennes d’Alsace, landgraviat de Haute et Basse-Alsace, Sundgau, la ville de Brisach, le droit de garnison dans Philipsbourg, l’avouerie des villes libres d’Alsace (Strasbourg, Haguenau, Colmar, Schlettstadt, Wissembourg, Landau, Kaysersberg, Obernai, Rossheim, Munster, Turckheim), lesquelles demeuraient nominalement subordonnées à l’Empire, ainsi que les évêques de Baie et Strasbourg et les abbés et princes alsaciens jouissant de l’immédiateté. Les fils de l’archiduc Léopold reçurent de la France une indemnité de 3 millions de livres en compensation de leurs terres d’Alsace. — La Suisse vit reconnaître son indépendance totale. De même la république des Provinces-Unies (Hollande) ; ceci fut l’objet d’un traité particulier signé à Munster le 30 janv. 1618, entre l’Espagne et les Provinces-Unies et ratifié par l’empereur et la diète allemande le 22 mars 1654. — Par contre, les litiges entre la France et la Lorraine, entre la France et l’Espagne, l’Espagne et le Portugal, quoique soumis au Congrès de Munster, ne furent pas résolus par lui. — Il laissa de même irrésolue la question de la succession de Clèves et de Juliers, celle de Donauwerth (que la Bavière conserva en fait) ; enfin celle de la succession de Hesse avait été tranchée par un pacte de famille du 24 avr. 1648. — Voici quels furent à l’intérieur de l’Allemagne les autres remaniements territoriaux. La Suède, qui avait un moment revendiqué toute la Poméranie et la Silésie, obtint, outre une indemnité de 5 millions de thalers, la Poméranie antérieure avec Rugen et un lambeau de la Poméranie ultérieure avec Stettin, les îles d’Usedom et Wollin ; de plus, la ville de Wismar et les évêchés sécularisés de Brême et Verden. Ces pays demeuraient allemands et étaient représentés à la diète par des délégués suédois. — Le Brandebourg obtint le reste de la Poméranie et fut dédommagé de la cession à la Suède des meilleures parties par la sécularisation à son profit des évêchés de Cammin, Magdebourg, Halberstadt et Minden. En échange de Wismar, le duc de Mecklembourg-Schwerin eut les évêchés de Schwerin et Ratzsburg. — La Bavière (protégée de la France) conserva le Haut-Palatinat et la dignité électorale ; mais un huitième électorat fut créé au profit du Palatinat rhénan. Cette transaction était contraire au principe posé à la base des négociations, amnistie totale et restitution des situations de 1618 ; elle profitait à la fois aux catholiques qui restaient maîtres absolus du collège électoral, à la Bavière protégée de la France, et à l’Autriche qui, en lui donnant le Haut- Palatinat, avait dégagé la prov. de Haute-Autriche donnée jadis en gage au duc de Bavière. Dans l’Allemagne du S., les princes protestants de Wurttemberg et de Bade recouvrèrent leurs États. La Hesse-Cassel obtint quelque argent, l’abbaye sécularisée de Hersfeld et le comté de Schaumbourg. La clause d’amnistie et de restitution intégrale en la situation de 1618 ne fut qu’imparfaitement appliquée ; l’Autriche s’y refusa à peu près complètement dans ses États héréditaires et ramena la date des restitutions à 1630.
Les questions religieuses furent réglées par le traité d’Osnabruck seul : on confirma les traités de Passau et d’Augsbourg ; les réformés furent admis au même titre que les membres de la confession d’Augsbourg. L’égalité complète fut établie entre catholiques et protestants dans les tribunaux et autres institutions impériales ; aux diètes, les questions religieuses durent être réglées, non à la majorité, mais par des accords entre le corps évangélique et le corps catholique, lesquels tendaient ainsi à former deux confédérations distinctes. En ce que concernait les biens et les fiefs ecclésiastiques, on admit qu’on s’en tiendrait à la situation existant au 1er janv. 1624. Il en fut de même en ce qui regardait la pratique du culte. Sous cette réserve importante, le principe fut Cujus regio ejus religio, la souveraineté territoriale entraînant le droit de régler le culte.
Cette solution était conforme à la nouvelle organisation donnée à l’Allemagne par les traités de Westphalie (V. ALLEMAGNE et SAINT-EMPIRE). Le Saint-Empire romain germanique fut transformé en une confédération d’États, dont chacun tendit à se comporter comme tout à fait indépendant. C’était la dissolution de l’Empire ; la diète continua de se réunir et la chambre impériale de juger, mais leurs attributions furent de plus en plus nominales. L’armée de l’Empire n’existait plus que sur le papier, l’Empire n’ayant pour ainsi dire pas de budget propre. Chaque membre de l’Empire eut le droit de traiter isolément avec une puissance étrangère.
Telles furent les stipulations essentielles des traités de Westphalie ; rappelons que par le nombre et l’importance des participants avaient été posées une série de questions d’étiquette, de forme, de rang, établis ou confirmés, des usages, qui depuis firent loi pour la diplomatie. Un embryon de droit international y fut défini avec le concours des juristes qui participèrent à la rédaction de ces actes solennels. Vainement le pape Innocent X s’opposa aux traités de Westphalie et les condamna dans la bulle Zelo dominus dei du 3 janv. 1651. Déjà le second traité exécutoire de Nuremberg (26 juin 1650) en avait assuré l’application. La diète de 1653-54 les érigea en loi de l’Empire. A.-M. B.
BIBL. : Négociations secrètes touchant la paix de Munster et d’Osnabrug ; La Haye, 1725, 4 vol. — MEIERN, Acta pacis Westphalicæ publica ; Gœttingue et Hanovre, 1734-36, 6 vol., et Acta pacis executionis publica, 1736-37, 2 vol. — MOSER, Erläuterung des Westphalischen Friedens ; Erlangen, 1775, 2 vol. — VOLTMANN, Gesch. des Westphalischen Friedens ; Leipzig, 1808, 2 vol.
André Berthelot, « Traités de Westphalie », in La Grande Encyclopédie. Inventaire raisonné des sciences, des lettres et des arts par une société de savants et de gens de lettres, t. 31, Paris, Société anonyme de la Grande Encyclopédie, 1885-1902, pp. 1208-1209.
N.B. : l’orthographe et la typographie de l’article sont conservées ; les majuscules sont accentuées.