L’historien et les mémoires de la Seconde Guerre mondiale en France


I. L’HISTORIEN ET LA CONSTRUCTION DES MÉMOIRES (1940-1969)
A. Un objet d’histoire immédiate
1. Un « témoignage » précoce
2. Des institutions savantes ad hoc
3. L’ébauche d’une historiographie
B. Une mémoire collective fragmentée
1. Des mémoires combattantes
2. Une contre-mémoire maréchaliste
3. Une mémoire minoritaire : la mémoire juive
C. Une mémoire collective simplificatrice
1. La mémoire officielle
2. Les mémoires savante et scolaire
3. La « cristallisation définitive du mythe résistancialiste »

II. L’HISTORIEN ET LA DÉCONSTRUCTION DES MÉMOIRES (1969-1992)
A. La « révolution paxtonienne »
1. Un livre iconoclaste
2. Une réception plutôt favorable
3. Le renouvellement de la mémoire savante
B. Le réveil de la mémoire juive
1. Une mémoire singulière
2. Une mémoire menacée
3. Le renouvellement de la mémoire collective
C. L’historicisation des mémoires de la guerre
1. Un livre pionnier
2. Une nouvelle institution savante
3. La multiplication des recherches

III. L’HISTORIEN ET LE RÈGLEMENT DES CONFLITS DE MÉMOIRES (DEPUIS 1992)
A. La révision de la mémoire officielle
1. La pétition du « Comité Vel d’Hiv 42 »
2. La réponse du président Mitterrand
3. La reconnaissance par l’État de sa responsabilité
B. La poursuite du travail historiographique
1. Une nouvelle histoire de la Résistance
2. Un réexamen des mémoires de la guerre
3. L’internationalisation de la recherche
C. L’historien devant les usages publics de l’histoire
1. La loi Gayssot
2. L’affaire Guy Môquet
3. Le « devoir de mémoire »

LANGLOIS | CC BY-NC-ND 4.0


L’historien fait profession d’écrire l’histoire. Il réunit des sources, les interroge, les soumet à la critique et les recoupe ; il reconstitue les faits du passé, établit leur succession dans le temps, en construit une relation intelligible, documentée et raisonnée.

La mémoire est une représentation du passé, collective ou individuelle. Elle n’est jamais unique et n’est pas fixée une fois pour toutes. La mémoire officielle, produite par les pouvoirs publics, cohabite avec des mémoires particulières, appartenant en propre à des groupes politiques, confessionnels ou géographiques. La mémoire savante trouve son origine dans l’historiographie, la mémoire scolaire, dans les programmes d’enseignement. À ces mémoires organisées, la mémoire diffuse emprunte ses diverses représentations. La mémoire individuelle contribue à la formation des mémoires collectives, mais elle en est aussi le produit. La mémoire se transforme avec le temps, selon les circonstances et les générations. « La mémoire, écrit l’historien Robert Frank (né en 1944), n’est pas conservation, mais reconstruction du passé à partir du présent[1]. »

La Seconde Guerre mondiale n’est pas pour la France une simple répétition de la Première. La « guerre », au sens classique, est assez brève, mais l’expérience du conflit ne se borne pas aux deux batailles de France. L’Occupation est marquée par une « guerre franco-française[2] » qui oppose des Français tout au long du conflit et à la Libération. La Révolution nationale, la collaboration, la Résistance, la France libre, la répression, la déportation, le génocide des juifs, le travail obligatoire, la captivité de guerre, le bombardement stratégique et l’épuration appartiennent à l’histoire du conflit et engendrent des mémoires différentes.

L’historien n’est pas un mémorialiste, mais il n’est pas indifférent à la mémoire. Il s’efforce d’établir la vérité des faits ; la mémoire est alors une source de l’histoire, mais non pas la seule, ni la première. Il fait aussi de la mémoire un objet d’histoire, étudie sa formation, ses caractères et son évolution. Devant la multiplication des usages publics de l’histoire, il intervient enfin dans le débat public.

I. L’historien et la construction des mémoires (1940-1969)

L’historien fait de la guerre, avant même la fin du conflit, un objet d’histoire immédiate et contribue à la construction d’une mémoire collective, mais il n’a pas le monopole de la représentation du passé. La mémoire savante cohabite avec des mémoires particulières et antagonistes, comme avec la mémoire officielle, redevenue gaullienne, après la création de la Ve République, en 1958.

A. Un objet d’histoire immédiate

La guerre constitue, avant même la Libération, un objet d’histoire immédiate. Son histoire, parce qu’elle est strictement contemporaine, interfère avec la mémoire, individuelle ou collective. C’est une « histoire du temps présent », c’est-à-dire une histoire dont les acteurs restent vivants[3].

1. Un « témoignage » précoce

L’historien se saisit de l’histoire de la défaite dès l’été 1940. Ancien combattant de la Première Guerre mondiale, mobilisé à sa demande en 1939, l’historien Marc Bloch (1886-1944) rédige, de juillet à septembre 1940, un premier témoignage écrit — c’est le titre qu’il donne à son livre en 1940. Médiéviste, co-fondateur de l’école des Annales (1929) et professeur à la Sorbonne (1936), il livre également une réflexion d’historien sur les causes de la défaite. Résistant, il est fusillé par les Allemands le 16 juin 1944. Publié en 1946, sous le titre L’Étrange Défaite, et plusieurs fois réédité, son livre est un « essai d’histoire immédiate[4] ».

2. Des institutions savantes ad hoc

Un Comité d’histoire de la libération de Paris se constitue à l’été 1944 et organise un « concours de témoignages » destiné à faire de l’histoire de l’insurrection une œuvre collective. Le ministère de l’Éducation nationale lui donne ensuite une existence officielle (20 octobre 1944), sous le nom de Commission d’histoire de l’occupation et de la libération de la France (CHOLF). Pour assurer la coordination des recherches entreprises dans différents ministères se constitue l’année suivante un Comité d’histoire de la guerre (CHG), placé sous l’autorité de la présidence du Gouvernement provisoire (6 juin 1945). La Commission et le Comité fusionnent en 1951, dans une nouvelle institution, le Comité d’histoire de la deuxième guerre mondiale (CHDGM, 17 décembre 1951).

Ces institutions savantes se donnent pour tâche de constituer des archives, de collecter des documents ou de recueillir des témoignages, afin de préparer l’écriture de l’histoire du conflit. Répondant à « l’envie brûlante de retenir un peu de l’histoire clandestine à l’état pur[5] », elles font de la mémoire une source de l’histoire en raison de la nature même de la Résistance, une lutte clandestine dont les archives sont forcément réduites. Leur mission et leurs méthodes, parce qu’elles sont nouvelles, soulèvent des interrogations, sinon des objections. On se demande s’il est possible d’écrire une histoire immédiate — c’est le temps qui apporterait à l’historien tout le recul nécessaire. On s’interroge sur la validité des témoignages recueillis — le document écrit, contemporain de l’événement, est réputé plus fiable, en histoire, que le témoignage livré a posteriori. Les historiens qui participent à ces institutions sont eux-mêmes des contemporains de l’événement : l’historien Henri Michel (1907-1986), secrétaire général du CHG, puis du CHDGM, est un ancien résistant. On redoute enfin l’écriture d’une histoire officielle puisque que les trois institutions dépendent du gouvernement.

3. L’ébauche d’une historiographie

Les institutions savantes de l’immédiat après-guerre donnent naissance à une première historiographie de la guerre. Leurs revues — les Cahiers d’histoire de la guerre (1949-1950) puis la Revue d’histoire de la deuxième guerre mondiale (1950-1981) — reçoivent de premiers travaux. Leurs membres publient de premières synthèses : « Esquisse d’une histoire de la Résistance française » d’Odette Merlat en 1946, le Que sais-je ? d’Henri Michel sur l’Histoire de la Résistance (1950). La collection « Esprit de la Résistance » (PUF) accueillent des études approfondies, thématiques ou monographiques.

La première synthèse sur l’histoire de Vichy ne doit rien en revanche au CHDGM, ni à l’Université. Intitulé Histoire de Vichy (1954), le livre de Robert Aron (1898-1975) et Georgette Elgey (1929-2019) s’appuie avant tout sur les comptes rendus sténographiques des audiences de la Haute Cour de justice, entend « apporter un récit exact des événements[6] », mais reprend la thèse maréchaliste du bouclier et de l’épée : « Tous deux, écrit l’auteur, à propos de Pétain et de Gaulle, étaient également nécessaires à la France[7] ». Selon l’historien Jean-Pierre Azéma (né en 1937), le livre « rencontra l’adhésion de tous ceux qui ne s’étaient pas engagés dans la Résistance et avaient besoin de thèses rassurantes[8] ». Il sert d’ouvrage de référence pendant une bonne dizaine d’années.

B. Une mémoire collective fragmentée

L’historien contribue à la construction de la mémoire collective, mais il n’a pas le monopole de la représentation du passé et la « mémoire savante » cohabite avec des mémoires particulières et antagonistes : des mémoires combattantes, une mémoire maréchaliste, la mémoire juive.

1. Des mémoires combattantes

a) La mémoire gaullienne

Le 25 août 1944, à l’Hôtel de Ville, de Gaulle présente la libération de Paris, « libéré par lui-même », comme l’œuvre « de la France tout entière, de la France qui se bat, de la seule France, de la vraie France, de la France éternelle ». Selon l’historien Henry Rousso (né en 1954), le président du GPRF pose ce jour-là la « première pierre du mythe fondateur de l’après-Vichy[9] ». Il évoque certes l’action des Alliés, mais la présente comme un simple « concours » et place la France dans le camp des vainqueurs. Il rejette dans l’ombre le régime de Vichy et la guerre franco-française, se bornant à mentionner l’existence de « quelques malheureux traîtres qui se sont livrés à l’ennemi ou lui ont livré les autres et qui connaissent ou connaîtront la rigueur des lois ». Il ne dit rien non plus des républicains espagnols de la 9e compagnie du régiment de marche du Tchad (2e DB) entrés les premiers dans Paris dans la soirée du 24.

La mémoire gaullienne est « résistancialiste » puisqu’elle insiste sur le souvenir de la Résistance. De Gaulle associe la France tout entière à la Résistance, et la Résistance à l’action qu’il a conduite lui-même depuis 1940. Il présente la Libération comme le terme d’une « guerre de Trente Ans » afin d’occulter les particularités du second conflit mondial, celles d’une guerre franco-française. Il affirme que la République n’a jamais cessé d’être, conformément à la thèse de la continuité républicaine[10]. Il entend affirmer sa propre légitimité, comme celle de son gouvernement en France et celle de la France dans le camp des vainqueurs.

Lors du colloque de Rennes sur les mémoires des comportements sous l’Occupation[11] (2-3 avril 2014), l’historien Pierre Laborie (1936-2017) s’interroge néanmoins sur la signification habituellement donnée à l’anaphore du 25 août : « Paris ! Paris outragé ! Paris brisé ! Paris martyrisé ! Mais Paris libéré ! Libéré par lui-même… ». Prononcée le jour de la libération de Paris, en présence des membres du CNR et du Comité parisien de la Libération, l’allocution identifie peut-être la France à la Résistance, mais lui fixe avant tout des devoirs, et ne fait pas de tous les Français des résistants. Après la Libération, de Gaulle décrit au contraire la Résistance comme le fait d’une élite, ce qui n’exclut pas l’assentiment de la masse.

L’historiographie de l’immédiat après-guerre ne fait pas elle non plus de la majorité des Français des résistants. « Les Résistants[12] n’ont jamais été qu’une minorité[13] » écrit Henri Michel, en 1950, dans la conclusion de son Que sais-je ? sur l’histoire de la Résistance.

b) La mémoire communiste

À la Libération, le Parti communiste français se présente comme le « parti des fusillés ». Le 22 octobre 1944, il organise une « journée des martyrs » qui commémore l’assassinat par les Allemands, trois ans auparavant, des vingt-sept otages de Châteaubriant (Loire-Inférieure). Maurice Thorez, secrétaire général du Parti communiste, s’exprime le même jour, depuis Moscou, dans une allocution radiodiffusée[14]. Les otages de Châteaubriant sont fusillés le 22 octobre 1941, après l’exécution d’un officier allemand par des résistants communistes, mais le Parti communiste n’est pas résistant, à proprement parler, au début de la guerre. En septembre 1939, après la signature du pacte germano-soviétique, il adopte la ligne fixée par l’Internationale communiste, dénonce la « guerre impérialiste » et se prononce pour la conclusion d’une « paix immédiate ». Frappé par la répression — interdiction de la presse communiste, dissolution du Parti, déchéance des députés communistes, arrestations —, il se réfugie dans la clandestinité.

À la Libération, le Parti communiste s’emploie à montrer que son entrée dans la lutte est précoce en associant dans un même hommage les communistes arrêtés au début de la guerre par la IIIe République ou par Vichy et les communistes qui s’engagent massivement dans la Résistance, à partir de juin 1941. À l’appel du 18 Juin, il oppose un appel du 10 Juillet, le premier sur le sol national, en lui donnant un sens qu’il n’avait peut-être pas : non pas un appel à la Résistance contre l’occupation allemande, mais une condamnation de la « guerre impérialiste », du gouvernement de Vichy et de l’impérialisme britannique. La mémoire communiste est résistancialiste, comme la mémoire gaullienne, mais l’idéologie du Parti communiste, comme son histoire depuis les années 1930, lui donne un tour particulier. Elle ne fait pas, elle non plus, de tous les Français des résistants.

2. Une contre-mémoire maréchaliste

Chef de l’État français de Vichy pendant l’Occupation, Pétain est condamné à mort par la Haute Cour de justice le 15 août 1945, mais la peine est commuée en réclusion à perpétuité par de Gaulle, président du Gouvernement provisoire, à la demande du tribunal. Emprisonné au fort du Portalet, dans les Pyrénées, puis à l’île d’Yeu, il meurt le 23 juillet 1951. Ses obsèques, à Port-Joinville, réunissent ses anciens fidèles. Une association « pour défendre la mémoire du maréchal Pétain » (ADMP) se constitue le 6 novembre.

La mémoire maréchaliste s’appuie sur la thèse du bouclier et de l’épée, exposée par Pétain lui-même, dans la proclamation qu’il adresse aux Français, le 20 août 1944, à son départ de Vichy : « S’il est vrai que de Gaulle a levé hardiment l’épée de la France, l’Histoire n’oubliera pas que j’ai tenu patiemment le bouclier des Français.[15] » Or la reprise des luttes politiques, qui défait l’unité de la Libération, facilite son expression publique. Le 20 janvier 1946, de Gaulle démissionne de la présidence du Gouvernement provisoire et fonde un parti qui s’oppose à la IVe République, le Rassemblement du peuple français (7-14 avril 1947). Après l’entrée en guerre froide, le Parti communiste abandonne le tripartisme et ses ministres sont révoqués (5 mai 1947). Lors des élections municipales de 1947 et des élections législatives de 1951, deux forces politiques réciproquement hostiles s’opposent à la majorité de « troisième force ».

De Gaulle lui-même infléchit son jugement. Le 20 juin 1948, à l’invitation de la municipalité, il prononce un discours à Verdun, à l’occasion du trente-deuxième anniversaire de la bataille, dans lequel il évoque la mémoire du « grand chef de la Grande Guerre […] emporté sous l’effet de l’âge par le torrent des abandons ». Deux ans plus tard, il déplore son maintien en détention en dépit de son grand âge (16 mars 1950). La même année, dans l’hebdomadaire Carrefour (11 avril 1950), le colonel Rémy, compagnon de la Libération et membre du RPF, attribue à de Gaulle la phrase suivante : « Souvenez-vous qu’il faut toujours que la France ait deux cordes à son arc. En juin 1940, il lui fallait la “corde” Pétain aussi bien que la “corde” de Gaulle.[16] » Devant la polémique, de Gaulle désavoue Rémy, mais sans démentir publiquement les propos qui lui sont prêtés[17]. Dans le dernier tome de ses Mémoires de guerre (1959), à propos de Pétain, de Gaulle écrit : « son drame avait été celui d’une vieillesse que la glace des années privait des forces nécessaires pour conduire les hommes et les événements[18] » ; il exprime la même idée dans le premier tome (1954) et conclut : « La vieillesse est un naufrage. Pour que rien ne nous fût épargné, la vieillesse du maréchal Pétain allait s’identifier avec le naufrage de la France[19]. »

Au début des années 1950, la « désépuration » succède à l’épuration. Adoptées par l’Assemblée nationale après de vifs débats[20], les lois d’amnistie de 1951 et 1953 entendent liquider les séquelles des années de guerre. Elles autorisent la libération de la plupart des condamnés pour faits de collaboration.

3. Une mémoire minoritaire : la mémoire juive

Une mémoire juive, fondée sur l’expérience du génocide, se constitue à la fin de la guerre. Fondé dans la clandestinité par Isaac Schneersohn (28 avril 1943), le Centre de documentation juive contemporaine (CDJC) s’efforce de constituer des archives sur la persécution des juifs. Issu du Comité général de défense juive (1943), le Conseil représentatif des israélites de France (CRIF) est fondé en 1944. Construit à partir de 1953, sur un terrain cédé par la ville de Paris, rue Geoffroy-l’Asnier, dans le IVe arrondissement, le Mémorial du martyr juif inconnu est inauguré le 30 octobre 1956.

La mémoire juive se confond néanmoins, dans la mémoire collective, avec celle des victimes du nazisme dans leur entier. Le mot « déporté » désigne à la fois les déportés pour faits de résistance et les déportés « raciaux » promis à l’extermination. Il est associé à deux autres catégories de victimes, les prisonniers de guerre et les requis du travail obligatoire. La différence entre centres de mise à mort et camps de concentration n’est pas clairement établie. Dans son film Nuit et Brouillard (1956) — une commande du CHDGM —, Alain Resnais évoque l’univers concentrationnaire dans son entier, sans distinction explicite. Majoritaires parmi les déportés, les juifs ne le sont plus parmi les rescapés en raison de la nature même de leur déportation : 75 000 juifs sont déportés depuis la France pendant l’Occupation, 2 500 survivent[21].

Dans son livre Le Mythe du grand silence (2012), le philosophe François Azouvi (né en 1945) montre cependant que le génocide des juifs n’est pas occulté, ni refoulé, dans la France d’après-guerre. Rapporté dans la presse à la Libération, objet d’histoire et de réflexion philosophique dans l’immédiat après-guerre, il apparaît, à partir des années 1950, dans des œuvres littéraires ou cinématographiques. L’étude de Léon Poliakov — Bréviaire de la haine. Le IIIe Reich et les Juifs — est publiée en 1951. La pièce de Rolf Hochhuth — Le Vicaire — est représentée à Paris en 1963 et provoque une vive polémique[22]. La connaissance du génocide serait précoce, non pas tardive.

C. Une mémoire collective simplificatrice

Le retour au pouvoir du général de Gaulle et l’installation d’une république gaullienne (1958-1969) favorisent la mise en place d’une mémoire collective simplificatrice : la mémoire officielle demeure résistancialiste et l’historien, ou bien ne la contredit pas, ou bien n’est pas entendu.

1. La mémoire officielle

L’entrée au Panthéon des cendres de Jean Moulin (18-19 décembre 1964), à l’occasion du vingtième anniversaire de la Libération, marque l’apogée de la mémoire officielle gaullienne. Dans son discours du 19, André Malraux, ministre d’État chargé des Affaires culturelles, associe étroitement de Gaulle et Jean Moulin, la Résistance et de Gaulle, président de la République depuis 1959. En 1941, déclare-t-il, la Résistance « n’est encore qu’un désordre de courage ». C’est Jean Moulin qui fait « des Français résistants » la « Résistance française ». Or l’action de Jean Moulin repose sur la mission que lui confie de Gaulle, à Londres, en décembre 1941. L’oraison funèbre de Jean Moulin est donc aussi un hommage à l’action du général de Gaulle : l’unification de la Résistance est l’œuvre de Jean Moulin, mais sous la direction du chef de la France libre, « car c’était à travers lui seul que la France livrait un seul combat[23] ». Selon l’historien Henry Rousso, Malraux formule ce jour-là « l’axiome du résistancialisme gaullien » : « la Résistance, c’est de Gaulle ; de Gaulle, c’est la France ; donc la Résistance, c’est la France[24] ».

2. Les mémoires savante et scolaire

a) La mémoire savante

Le travail historiographique se poursuit, sans apporter encore une connaissance complète de la période. Il se heurte à la fermeture des archives publiques puisque la réglementation fixe le délai de consultation à cinquante ans. Dans sa Bibliographie critique de la Résistance (1964), Henri Michel souligne les lacunes de l’histoire résistante : une « littérature historique de la Résistance », non pas une véritable « historiographie[25] ». Produite par des contemporains de l’événement, elle n’échappe pas à la tentation de la justification, au risque de créer de « pieuses légendes ». Les historiens de la Résistance sont souvent d’anciens résistants, guidés par une exigence de fidélité. Au deuxième trimestre de 1964, Henri Michel publie une biographie de Jean Moulin qu’il dédie « aux Français de vingt ans » et lui donne une finalité civique et morale explicite ; le dernier chapitre du livre s’intitule : « Jean Moulin, un exemple et un modèle[26] ».

L’historiographie de Vichy reste incomplète, en dépit d’un premier réexamen des thèses aroniennes. Dans Vichy, année 40 (1966), Henri Michel présente la collaboration comme un choix délibéré du gouvernement de Vichy unanime. Dans La France dans l’Europe de Hitler (1966, traduction française, 1968), l’historien allemand Eberhard Jäkel aboutit à la même conclusion. En 1970, l’historien René Rémond et la Fondation nationale des sciences politiques organisent un premier colloque universitaire sur le régime de Vichy (6 et 7 mars 1970), mais son programme reste incomplet et il soulève des désaccords. Henri Michel refuse d’y participer.

b) La mémoire scolaire

La Seconde Guerre mondiale apparaît dans l’enseignement primaire au lendemain du conflit, mais elle est avant tout présentée comme une nouvelle guerre franco-allemande. Elle est introduite en terminale à la rentrée de 1962, mais il s’agit d’étudier le conflit dans son entier, non pas précisément le cas français. La place de la France, celle du régime de Vichy et de la collaboration d’État en particulier, varie selon les manuels. À partir de 1961, le concours de la Résistance réunit tous les ans des candidats de l’enseignement secondaire. « Il ne s’agit pas de réveiller des haines, écrit le ministre de l’Éducation nationale, Lucien Paye, dans sa circulaire du 11 avril 1961, mais d’évoquer le souvenir de sacrifices très purs et héroïques dans le combat livré pour que les jeunes Français puissent vivre libres et fraternellement unis dans la patrie retrouvée.[27] » En 1964, les services de l’Éducation nationale publient deux recueils de documents sur la Seconde Guerre mondiale, dans la collection pédagogique Textes et documents : « La déportation » d’Olga Wormser (no 17, 1er trimestre 1964), « La Résistance française » d’Henri Michel (no 20, 4e trimestre 1964).

3. La « cristallisation définitive du mythe résistancialiste »

Selon Henry Rousso, les années 1960 marquent la « cristallisation définitive du mythe résistancialiste[28] » introduit par de Gaulle à la Libération : identification de la France tout entière à la Résistance, exaltation de sa mémoire héroïque, refoulement du souvenir de Vichy et de la guerre franco-française. Devenu mémoire officielle avec la création de la Ve République, le résistancialisme gaullien ferait l’objet d’un consensus dans l’opinion.

La mémoire collective des années 1960 est assurément marquée par le gaullisme de guerre. Dès 1958, de Gaulle décrète la construction d’un Mémorial de la France combattante, dans la clairière du mont Valérien, et l’inaugure le 18 juin 1960, pour le vingtième anniversaire de l’appel de 1940. Au centre du monument, une immense croix de Lorraine porte l’inscription suivante : « Quoi qu’il arrive, la flamme de la résistance française ne doit pas s’éteindre et ne s’éteindra pas. » Les cérémonies d’entrée au Panthéon de Jean Moulin, pour le vingtième anniversaire de la Libération, visent à rassembler la nation autour du président de la République, l’homme du « non du premier jour » (18-19 décembre 1964). La sortie du film Paris brûle-t-il ? est l’occasion d’une nouvelle mobilisation de l’opinion (24-26 octobre 1966) : première mondiale au palais de Chaillot, illumination de vingt-cinq monuments parisiens, reconstitution de l’entrée de la 2e DB dans Paris[29]. La télévision, monopole public, donne à toutes ces manifestations une portée nationale. Or l’historiographie ne bouleverse pas ces représentations, ou bien parce qu’elle ne les contredit pas, ou bien parce qu’elle reste ignorée de l’opinion. La mémoire scolaire, sans ignorer la guerre, ni le génocide, reste lacunaire.

Dans Le Chagrin et le Venin (2011), Pierre Laborie s’interroge néanmoins sur la place réelle de la « vulgate héroïque[30] » dans la mémoire collective. Cantonnée à la mémoire officielle, elle ne se manifesterait clairement qu’à deux moments, la Libération et les débuts de la Ve République, et sans que les Français ne s’y reconnaissent massivement. Surévaluée a posteriori, son emprise supposée serait avant tout une création de la légende noire, ou vulgate pessimiste, qui s’installe dans l’opinion à partir des années 1970, celle d’une France occupée attentiste, sinon complice de l’occupant — et qui s’emploierait, dans les décennies d’après-guerre, à refouler le souvenir des années noires. Le colloque de Rennes sur les mémoires des comportements sous l’Occupation[31] (2-3 avril 2014) jette le doute sur la réalité même du « mythe résistancialiste ». L’héritage de la Résistance ne tiendrait pas la place qu’on lui prête dans la reconstruction identitaire de la France contemporaine et le consensus du gaullisme politique (1958-1968) resterait ambigu[32].

II. L’historien et la déconstruction des mémoires (1969-1992)

La « révolution paxtonienne[33] », qui rompt définitivement avec l’historiographie aronienne, et le réveil de la mémoire juive contribuent au renouvellement de la mémoire collective. Devenue un « objet d’histoire », la mémoire même de l’Occupation fait l’objet de premiers travaux historiographiques.

A. La « révolution paxtonienne »

La « révolution paxtonienne » n’est pas dépourvue d’antécédents — Vichy, année 40 d’Henri Michel, La France dans l’Europe de Hitler d’Eberhard Jäkel – mais elle représente néanmoins une rupture historiographique et favorise la multiplication des travaux sur le régime de Vichy, la Révolution nationale et la collaboration d’État.

1. Un livre iconoclaste

La France de Vichy de Robert Paxton est la traduction française (janvier 1973) d’un livre publié aux États-Unis l’année précédente, Vichy France. Old Guard and New Order (1972). L’auteur, né en 1932, est un historien états-unien dont la thèse portait sur l’armée d’armistice (1966), c’est-à-dire sur l’armée conservée par le gouvernement de Vichy après la défaite. Son livre, qui s’appuie avant tout sur des archives allemandes, rompt définitivement avec les thèses aroniennes. Il récuse tout double jeu de la part du gouvernement de Vichy, montre au contraire que la collaboration s’engage à sa demande, établit une corrélation entre la Révolution nationale et la collaboration : c’est la seconde qui autorise la poursuite de la première en plaçant le régime sous protection allemande. Il présente le régime de Vichy comme un tout cohérent qui associe armistice, Révolution nationale et collaboration.

2. Une réception plutôt favorable

Publié après relecture par deux historiens français, Jean-Pierre Azéma et Michel Winock, le livre recueille des réactions plutôt favorables. Dans la Revue d’histoire de la deuxième guerre mondiale (janvier 1974), Henri Michel le présente comme « la meilleure étude d’ensemble parue à ce jour sur l’État français, ses dirigeants et leur politique », mais ajoute : « un léger parfum d’hostilité à la France se dégage peut-être d’un livre dont la documentation et les interprétations méritent tant d’éloges[34] ». Il provoque néanmoins un petit nombre de réactions négatives, qui contribuent à sa notoriété puisqu’elles soulèvent une polémique. L’amiral Auphan, ancien secrétaire d’État à la Marine du gouvernement de Vichy et président de l’Association pour défendre la mémoire du maréchal Pétain, publie deux tribunes dans le journal Le Monde : « Un pamphlet pour justifier une opinion » (22 mars 1973), « Une affaire à traiter entre Français » (17 mai 1973).

Les circonstances facilitent la bonne réception du livre et son entrée dans la conscience collective. La République gaullienne est ébranlée par la crise de Mai 68 et son fondateur démissionne l’année suivante, après l’échec d’un ultime référendum (27-28 avril 1969) ; il meurt dix-huit mois plus tard (9 novembre 1970). « Le général de Gaulle est mort, la France est veuve » déclare son successeur, le président Pompidou, à la télévision. Deux polémiques, au début des années 1970, replacent les années noires sous le regard de l’opinion : la sortie du film de Marcel Ophuls Le Chagrin et la Pitié, la grâce de Paul Touvier par le président Pompidou. Conçu pour la télévision (1969), Le Chagrin et la Pitié sort dans une salle parisienne, le Studio Saint-Séverin, le 5 avril 1971, après avoir été refusé par l’ORTF, ce qui éveille la curiosité du public. C’est un documentaire (4 h 30) qui vise délibérément à déconstruire le « mythe résistancialiste ». La grâce de Paul Touvier (23 novembre 1971) provoque l’indignation d’une partie de l’opinion. Milicien sous l’Occupation, condamné à mort par contumace à la Libération, Touvier parvient à échapper à la justice et se réfugie dans la clandestinité, or la peine de mort est prescrite en 1967. Sollicité, le président Pompidou accepte de lui faire grâce de deux peines accessoires, la confiscation de ses biens et une interdiction de séjour dans plusieurs départements. Interrogé à ce sujet, lors d’une conférence de presse à l’Élysée (21 septembre 1972), le président Pompidou répond : « allons-nous éternellement entretenir saignantes les plaies de nos désaccords nationaux ? Le moment n’est-il pas venu de jeter le voile, d’oublier ces temps où les Français ne s’aimaient pas, s’entre-déchiraient et même s’entre-tuaient ? » Sa décision, qui se conjugue à la sortie du Chagrin, produit le contraire de l’effet attendu, non pas l’oubli, mais le réveil des mémoires.

3. Le renouvellement de la mémoire savante

Une série de publications, au tournant des années 1980, renouvelle l’histoire de la France dans la Seconde Guerre mondiale : De Munich à la Libération de Jean-Pierre Azéma (1979), une synthèse sur l’histoire de l’Occupation, Vichy et les Juifs de Robert Paxton et Michael Marrus (1981), une étude sur la politique anti-juive de Vichy, L’Abîme de Jean-Baptiste Duroselle (1982), une histoire de la politique étrangère de la France de 1939 à 1944. Un second colloque sur Vichy, après celui de 1970, se tient en 1990, dresse un état des connaissances et témoigne de l’avancée des recherches : contrairement au premier, il couvre la période de l’Occupation dans son entier. À la génération des historiens contemporains de l’événement succède une génération d’historiens née au milieu du siècle ou dans l’après-guerre et l’ouverture des archives facilite les recherches : la loi du 3 janvier 1979 fixe le délai ordinaire de consultation à trente ans, non plus à cinquante, et autorise des dérogations.

B. Le réveil de la mémoire juive

Confondue dans l’immédiat après-guerre avec le souvenir de la déportation dans son entier, la mémoire juive retrouve toute sa singularité dans les années 1970 et la montée du négationnisme contribue à son expression publique, comme à sa diffusion dans la mémoire collective.

1. Une mémoire singulière

La mémoire juive de la guerre ne date pas des années 1970, mais se distingue désormais plus nettement de celle de la déportation dans son entier. Au début des années 1960, le procès Eichmann de Jérusalem (1961) rappelle la singularité de l’expérience juive de la guerre, celle du génocide. « La mise en jugement du criminel Eichmann sera le Nuremberg du peuple juif, qui a été privé à la libération de faire le procès de ses bourreaux[35] » déclare le Premier ministre israélien Ben Gourion au journal Le Monde (11 juin 1960). En 1978, l’avocat et historien Serge Klarsfeld publie un Mémorial de la déportation des juifs de France qui recense les 75 721 noms de juifs français ou étrangers déportés depuis la France pendant la guerre. La série états-unienne Holocauste (1978) est diffusée par la télévision française en 1979. Le mot « shoah », pour désigner le judéocide, est employé en français à partir des années 1980, après la sortie du film de Claude Lanzmann, un documentaire sur l’extermination des juifs (1985).

2. Une mémoire menacée

D’abord cantonné à des cercles restreint, le négationnisme se manifeste plus ouvertement à partir des années 1970 et se présente comme un « révisionnisme ». Le 28 octobre 1978, l’hebdomadaire L’Express publie un entretien avec Louis Darquier, ancien commissaire général aux questions juives du gouvernement de Vichy : « Je vais vous dire, moi, ce qui s’est exactement passé à Auschwitz. On a gazé. Oui, c’est vrai. Mais on a gazé les poux. » Le 1er novembre, Robert Faurisson envoie une lettre circulaire à la presse dans laquelle il expose les thèses négationnistes et ses déclarations sont reprises par plusieurs journaux : Le Matin publie un entretien avec lui sous le titre : « Les chambres à gaz : ça n’existe pas » (16 novembre 1978) ; Le Monde lui accorde une tribune intitulée : « Le problème des chambres à gaz ou la rumeur d’Auschwitz » (29 décembre 1978).

La montée du négationnisme place les historiens devant le dilemme suivant : faut-il ou non réfuter les thèses négationnistes ? S’engager dans une discussion, c’est risquer de leur conférer une légitimité scientifique ; s’abstenir, c’est laisser place à la suspicion. Le 21 février 1979, trente-quatre historiens français signent, dans le journal Le Monde, une déclaration rédigée par Pierre Vidal-Naquet et Léon Poliakov. En 1987, dans son livre Le Syndrome de Vichy, Henry Rousso forge le mot « négationnisme », désormais utilisé en histoire, pour désigner le prétendu « révisionnisme ».

3. Le renouvellement de la mémoire collective

La mémoire de la déportation et du génocide des juifs prend désormais toute sa place dans la conscience collective : à la mémoire supposée héroïque de la période précédente se substitue une mémoire des victimes. Les juifs, par la voix de leurs associations ou de leurs institutions représentatives, soulignent publiquement la singularité de leur propre expérience de l’Occupation et formulent des revendications. Dans sa charte de 1977, le CRIF plaide pour l’enseignement du judaïsme et du judéocide dans l’Éducation nationale[36]. Fondée en 1979, par Serge Klarsfeld, l’association des Fils et filles de déportés juifs de France (FFDJF) entend à la fois collecter des documents sur l’histoire du génocide et faciliter l’identification, l’arrestation et la condamnation des coupables.

Le renouvellement de la mémoire ouvre la voie à une « seconde épuration », fondée sur une loi de 1964 qui introduit le crime contre l’humanité dans la loi française et le déclare imprescriptible. Une première plainte pour crime contre l’humanité est déposée contre l’ancien milicien Paul Touvier le 9 novembre 1973. La première inculpation date du 12 mars 1979 : elle vise Jean Leguay, ancien délégué en zone occupée du secrétaire général à la Police du gouvernement de Vichy et intervient à la suite d’une plainte déposée par Serge Klarsfeld, le 15 novembre 1978. La première condamnation date du 4 juillet 1987 : elle frappe Klaus Barbie, un ancien officier SS en poste à Lyon, réfugié en Bolivie après la guerre puis extradé vers la France en 1983. Deux autres inculpations interviennent dans les années 1980 : la première vise Maurice Papon, ancien secrétaire général de la préfecture de Gironde (19 janvier 1983), la seconde vise René Bousquet, ancien secrétaire général à la Police du gouvernement de Vichy (1er mars 1991).

Les inculpés appartiennent à trois catégories différentes et leur inculpation présente une signification différente. Barbie est un ancien officier allemand, membre du NSDAP. Paul Touvier est un collaborateur, voire un « collaborationniste », dont l’engagement repose sur des convictions personnelles. Leguay, Bousquet et Papon occupent des fonctions officielles. Leur collaboration ne procède pas d’un engagement personnel à caractère idéologique, mais de leur appartenance à l’administration. En poste sous la IIIe République, ils continuent d’exercer des fonctions après la naissance de l’État français de Vichy et contribuent de la sorte à la mise en œuvre de la collaboration d’État. Leur action témoigne d’une certaine continuité de l’État.

C. L’historicisation des mémoires de la guerre

Ébranlée par la « révolution paxtonienne », la mémoire collective de la guerre devient un objet d’histoire : l’historien étudie sa formation et s’interroge sur ses caractères successifs. L’Institut d’histoire du temps présent succède au Comité d’histoire de la deuxième guerre mondiale. Les travaux sur l’histoire de la mémoire se multiplient.

1. Un livre pionnier

Dans les années 1980, à la suite de la « révolution paxtonienne », Henry Rousso publie à la fois un article et un livre pionniers qui portent, non plus sur la Seconde Guerre mondiale elle-même, mais sur les mémoires de l’événement. L’article est publié dans la revue Vingtième siècle en 1985 sous le titre « Vichy, Le grand fossé ». Dans son livre, Le Syndrome de Vichy. 1944-198… (1987), l’historien propose la périodisation suivante[37] :

— 1944-1954 : « Le deuil inachevé ». Ni l’épuration ni les lois d’amnistie ne débouchent sur une mémoire apaisée.

— 1954-1971 : « Les refoulements ». Le « mythe résistancialiste » sert à occulter les années noires, à les refouler.

— 1971-1974 : « Le miroir brisé ». Le « retour du refoulé » ruine le « mythe résistancialiste ».

— Après 1974 : « L’obsession ». Le souvenir des années noires, désormais omniprésent, divise les Français.

2. Une nouvelle institution savante

La création de l’Institut d’histoire du temps présent contribue à faire de la mémoire un objet d’histoire et Henry Rousso, après François Bédarida et Robert Frank, en assure la direction de 1994 à 2005. Fondé en 1978, il absorbe le Comité d’histoire de la deuxième guerre mondiale en 1980. Comme son nom l’indique, l’IHTP étudie le temps présent — « une séquence de l’histoire dont les acteurs sont vivants[38] » —, mais il ne se borne pas à ajouter à l’étude du passé une nouvelle tranche chronologique. Il s’interroge aussi sur les rapports entre le présent et le passé : toute connaissance historique s’inscrit forcément dans le présent puisqu’elle répond à des questions qui varient dans le temps. Il entend donner toute sa place à l’étude de la mémoire.

3. La multiplication des recherches

Les travaux sur l’histoire de la mémoire se multiplient au tournant des années 1990. En décembre 1991, Annette Wieviorka soutient une thèse intitulée : Déportation et génocide : oubli et mémoire (1943-1948) ; le cas des juifs de France. Le livre qui en est issu est publié en 1992 : Déportation et génocide. Entre la mémoire et l’oubli. L’historienne s’interroge sur les raisons pour lesquelles la singularité du génocide des juifs n’est clairement perçue dans l’immédiat après-guerre. À la Libération, la déportation est comprise comme un tout qui réunit les juifs et les résistants et associe la déportation dans son entier à la Résistance ; la différence entre les camps de concentration et les centres de mises à mort n’est pas clairement établie. L’État, les associations de déportés et les juifs partagent les mêmes préoccupations : refus de toute discrimination, volonté de réintégrer la communauté nationale. D’autres travaux portent sur la mémoire de la Résistance, ou sur celle du Parti communiste dans la guerre, et donnent lieu à des colloques, comme à des publications.

III. L’historien et le règlement des conflits de mémoires (depuis 1992)

Le débat ouvert à l’occasion du cinquantenaire de la rafle du Vel d’Hiv témoigne des changements intervenus dans la mémoire collective. Dominée par l’étude de Vichy depuis le tournant des années 1970, l’historiographie de l’Occupation donne à nouveau toute sa place à l’histoire de la Résistance. Devant la multiplication des usages publics de l’histoire, l’historien intervient dans le débat public pour exprimer ses réserves.

A. La révision de la mémoire officielle

Les revendications qui s’expriment à l’occasion du cinquantenaire de la rafle du Vel d’Hiv conduisent à une révision de la mémoire officielle. Le 16 juillet 1992, le président Mitterrand est le premier chef de l’État à assister à la commémoration. Trois ans plus tard, le président Chirac reconnaît la responsabilité de l’État dans les crimes commis contre les juifs.

1. La pétition du « Comité Vel d’Hiv 42 »

Le 17 juin 1992, un mois avant le cinquantenaire de la rafle du Vel d’Hiv (16 et 17 juillet 1942), le journal Le Monde publie une pétition qui demande « que soit reconnu et proclamé officiellement par le président de la République, chef de l’État, que l’État français de Vichy est responsable de persécutions et de crimes contre les juifs de France. ».

Des historiens de l’Occupation, dont Henry Rousso, aident les signataires à rédiger la pétition, avant de refuser de la signer, non pas qu’ils soient hostiles à un déclaration officielle à ce sujet, mais parce qu’ils désapprouvent la version définitive du texte. Henry Rousso en donne les raisons dans Vichy, un passé qui ne passe pas[39] (1994). Le texte de la pétition néglige l’épuration, c’est-à-dire les procès de la Libération, en dépit d’une brève mention jugée insuffisante. Il attribue les lacunes de la mémoire officielle à la « raison d’État » opposée à la « mémoire des victimes et de leurs descendants », or l’explication est plus complexe : dans l’immédiat après-guerre, les survivants de l’extermination ne cherchent pas à se distinguer des autres victimes du nazisme. Il souligne la contribution de Vichy à la déportation, à juste titre, mais sans rappeler que les rafles de l’été 1942 s’expliquent avant tout par la politique d’extermination voulue par l’Allemagne nazie. Il rappelle enfin que les « crimes de Vichy » sont établis de longue date par les historiens : on ne peut donc laisser penser qu’ils restent ignorés.

2. La réponse du président Mitterrand

À la demande qui lui est adressée, le président de la République répond par la négative, le 14 juillet 1992. Il rappelle que la République n’est pas Vichy et que la République, elle, a émancipé les juifs[40]. Sa réponse est conforme à la thèse gaullienne et à l’ordonnance du 9 août 1944. Il se rend néanmoins, le 16 juillet 1992, à la cérémonie organisée par le CRIF et c’est le premier président à le faire. Une partie de l’assistance l’accueille par des sifflets et des huées : « Mitterrand à Vichy ! » À la tribune, Robert Badinter, président du Conseil constitutionnel, exprime son indignation : « Vous m’avez fait honte ! » Le président prend ensuite deux décisions (3 février 1993) : la création d’une journée de commémoration, fixée au 16 juillet — ou au dimanche suivant —, et la construction d’un monument commémoratif à l’emplacement de l’ancien vélodrome d’hiver.

Le président Mitterrand, malgré ces décisions, continue d’éveiller la suspicion. On incrimine ses relations avec René Bousquet, ancien secrétaire général à la Police du gouvernement de Vichy, assassiné par un déséquilibré, le 8 juin 1993. On s’indigne de la gerbe qu’il fait déposer sur la tombe du maréchal Pétain à l’occasion du 11 Novembre[41]. On s’interroge sur son passé après la publication d’un livre à ce sujet — Une jeunesse française du journaliste Pierre Péan, 1er septembre 1994. Après des études secondaires en Charente, François Mitterrand (1916-1996) s’installe à Paris, pour y poursuivre des études, à la rentrée de 1934, et adhère aux Volontaires nationaux, organisation de jeunesse des Croix-de-Feu. Mobilisé en 1939, il est blessé le 14 juin 1940, fait prisonnier et conduit en Allemagne. Après deux échecs, il parvient à s’évader (15 décembre 1941), gagne Vichy, où il occupe des fonctions administratives, avant de passer à la Résistance (1942-1943). Ses premiers engagements politiques, comme son passage à Vichy pendant la guerre, soulèvent la polémique.

3. La reconnaissance par l’État de sa responsabilité

En 1995, le nouveau président, Jacques Chirac, reconnaît formellement la responsabilité de « l’État français », mais sans accepter entièrement ce que son prédécesseur avait refusé en 1992. Dans son allocution du 16 juillet 1995, il prononce une allocution à l’occasion des cérémonies commémorant la rafle des 16 et 17 juillet 1942 dans laquelle il affirme : « Oui, la folie criminelle de l’occupant a été secondée par des Français, par l’État français » tout en rappelant qu’il existe aussi une France « fidèle à ses traditions, à son génie » ; « Cette France n’a jamais été à Vichy ».

Deux ans plus tard, le Premier ministre Alain Juppé institue une « mission d’étude sur la spoliation durant l’Occupation des biens appartenant aux juifs résidant en France » (arrêté du 25 mars 1997). Présidée par Jean Mattéoli et composée de plusieurs historiens, dont Annette Wieviorka, la mission établit l’ampleur de la spoliation, montre que les restitutions d’après-guerre, en dépit de leur importance, sont restées incomplètes, recommande la création d’une Commission d’indemnisation des victimes et d’une Fondation nationale pour la mémoire — la Fondation pour la mémoire de la Shoah, reconnue d’utilité publique (26 décembre 2000).

Ouvert la même année, le procès Papon (8 octobre 1997-2 avril 1998), qui recueille le témoignage de plusieurs historiens, rappelle que la collaboration d’État s’appuie sur une administration qui date de la IIIe République. Rédacteur au ministère de l’Intérieur en 1935, l’accusé devient secrétaire général de la préfecture de Gironde en 1942 et contribue, dans l’exercice de ses fonctions, à l’arrestation et à l’internement des juifs. À la Libération, il échappe à l’épuration pour services rendus à la Résistance, devient préfet et poursuit sa carrière : préfet de police de Paris (1958-1967), député UDR puis RPR (1968-1978), ministre du Budget (1978-1981), sous la présidence de Valéry Giscard d’Estaing. Condamné à dix ans de réclusion criminelle pour complicité de crimes contre l’humanité, il obtient du conseil d’État que soit reconnue la responsabilité de l’État pour une partie des fautes qui lui sont imputées (12 avril 2002).

B. La poursuite du travail historiographique

La « révolution paxtonienne » favorise les recherches sur Vichy au risque d’éclipser l’histoire de la Résistance, mais celle-ci retrouve toute sa place à partir des années 1990 et se renouvelle. Les mémoires de la guerre font l’objet d’un premier réexamen et l’internationalisation de la recherche favorise le développement de l’histoire comparée.

1. Une nouvelle histoire de la Résistance

De 1993 à 1997, l’histoire de la Résistance fait l’objet d’un cycle de six colloques, intitulé « La Résistance et les Français » et organisé avec le concours de l’IHTP (Toulouse, Rennes, Bruxelles, Besançon, Paris, Aix-en-Provence). Ils réunissent cent-cinquante chercheurs. Le premier objectif est scientifique : s’interroger sur la notion même de Résistance, inscrire son histoire dans celle de la société, l’ouvrir à celle des femmes, des étrangers ou des juifs, ne pas la cantonner à celle de ses organes centraux, de ses mouvements ou de ses réseaux organisés Il s’agit aussi de lui rendre toute sa place dans la mémoire collective. Publié en 2006, le Dictionnaire historique de la Résistance est l’un des « principaux aboutissements[42] » de ce travail.

La « révolution paxtonienne » est désormais considérée comme un acquis de la recherche, mais fait néanmoins l’objet de deux retouches, relatives à l’histoire des comportements[43]. La première porte sur l’adhésion des Français au régime de Vichy, surestimée par Robert Paxton, la seconde sur la place de la Résistance, qu’il sous-estimait, comme le montre une série de travaux ultérieurs.

2. Un réexamen des mémoires de la guerre

Dans Le Chagrin et le Venin. La France sous l’occupation, mémoire et idées reçues (2011), Pierre Laborie examine les représentations successives, dans la mémoire collective, de l’Occupation et de ses mémoires. Une légende noire — vulgate pessimiste — s’impose à partir des années 1970 — celle d’une France occupée attentiste, sinon complice de l’occupant. La même légende noire affirme l’existence d’une légende dorée — vulgate héroïque —, propre à la période précédente, celle d’une France tout entière résistante. L’historien s’interroge à la fois sur l’existence de ces deux représentations dans la mémoire collective et sur les rapports qu’elles entretiennent avec la réalité historique, celle des comportements collectifs, en France occupée. Selon Pierre Laborie, si l’existence de la première, dans la mémoire collective, n’est pas douteuse, celle de la seconde est moins certaine. Si la France n’est pas tout entière résistante sous l’Occupation, la Résistance ne peut cependant être réduite à une minorité coupée du pays.

Dans Le Mythe du grand silence (2012), le philosophe François Azouvi s’interroge sur la mémoire du génocide des juifs et réfute la thèse de son occultation après la Seconde Guerre mondiale. Si le souvenir de Vichy est bien occulté, celui du génocide en revanche ne le serait pas. Rapporté dans la presse à la Libération, objet d’histoire et de réflexion philosophique dans l’immédiat après-guerre, le génocide pénètre ensuite, par « cercles concentriques[44] », dans la conscience publique : la création littéraire et cinématographique à partir des années 1950, la « sphère de l’État » à partir des années 1970.

3. L’internationalisation de la recherche

L’internationalisation de la recherche n’est pas complètement nouvelle puisque la création du Comité international d’histoire de la deuxième guerre mondiale date de 1967, mais une coopération plus étroite s’établit à partir des années 1990 et favorise le développement de l’histoire comparée. En 1973, dans une lettre à Robert Paxton, Henri Michel déplorait que l’historien américain n’ait pas travaillé avec le Comité d’histoire de la deuxième guerre mondiale. En 1997, un colloque international sur l’œuvre de Robert Paxton se tient à New York et réunit des contributions d’historiens américains et français (26-27 septembre 1997). Les six colloques des années 1990 sur l’histoire de la Résistance se donnent entre autres pour objectif de favoriser une approche comparatiste. Le colloque de Bruxelles (1994) porte à la fois sur la France et sur l’Europe du Nord, celui d’Aix-en-Provence (1997) sur la France et l’Europe du Sud.

C. L’historien devant les usages publics de l’histoire

L’omniprésence du souvenir de Vichy dans la conscience collective encourage les pouvoirs publics à intervenir en matière historique et soulève la question des usages publics de l’histoire. On s’interroge sur la pertinence des lois mémorielles, sur la fonction des commémorations officielles et sur les ambiguïtés du « devoir de mémoire ».

1. La loi Gayssot

Le 30 juin 1990, l’Assemblée nationale adopte la loi Gayssot. Destinée à combattre le négationnisme, elle inscrit un délit de contestation de crime contre l’humanité dans la loi sur la presse de 1881, en complément des dispositions antiracistes introduites par la loi Pleven de 1972. En novembre, dans un article publié dans le magazine L’Histoire, « Le génocide, le juge et l’historien », l’historienne Madeleine Rebérioux estime qu’il n’appartient pas au législateur d’établir la vérité historique, ni au juge de la faire respecter. La loi Pleven est suffisante, puisqu’elle permet de combattre l’antisémitisme. La loi Gayssot risque au contraire de faciliter la tâche des négationnistes. Fondée en 2005, après l’adoption de trois nouvelles « lois mémorielles », l’association Liberté pour l’histoire réunit des historiens qui expriment les mêmes réserves. On s’inquiète désormais des risques de concurrence, d’inflation et de fragmentation mémorielles.

2. L’affaire Guy Môquet

Le 16 mai 2007, jour de son entrée en fonction, le nouveau président Sarkozy fait lire la dernière lettre de Guy Môquet, un jeune communiste fusillé comme otage en 1941, et annonce que la lettre sera lue tous les ans dans les lycées. Le 30 août 2007, le ministre de l’Éducation nationale fixe la commémoration au 22 octobre, jour anniversaire de l’exécution, et en précise l’organisation : lecture de la lettre, en classe ou devant l’ensemble des élèves, suivie d’une réflexion collective menée dans le cadre de la classe.

Approuvée par une partie de l’opinion, la décision présidentielle soulève les objections d’un grand nombre d’historiens et d’enseignants. On déplore l’utilisation de la mémoire ou de l’histoire à des fins politiques, le détournement du souvenir de Guy Môquet, l’occultation de son engagement communiste. On rappelle que la commémoration ne doit pas être confondue avec l’enseignement de l’histoire. La première sollicite l’émotion. Le second, fondé sur l’esprit critique, vise à la construction d’un véritable savoir. On s’interroge, de façon plus générale, sur les usages publics de l’histoire par le nouveau président. En 2009, l’historien Nicolas Offenstadt, cofondateur du Comité de Vigilance face aux usages publics de l’histoire[45] (CVUH, 2005), déplore la résurrection du « roman national » dans un livre intitulé L’histoire bling-bling.

L’affaire Guy Môquet nourrit une autre polémique, qui oppose des historiens, et porte sur la mémoire communiste. Dans une tribune publiée par le journal Le Monde (23 juin 2007), Jean-Marc Berlière et Sylvain Boulouque, rappellent que Guy Môquet, arrêté le 13 octobre 1940, n’était pas à proprement parler un résistant[46]. C’est le Parti communiste, pendant la guerre et à la Libération, qui annexe sa mémoire à celle de la Résistance, pour montrer que l’entrée des communistes dans la lutte est précoce. Dans une réponse publiée dans L’Humanité du 26 juin, Xavier Vigna, Jean Vigreux et Serge Wolikow, soutiennent au contraire que la résistance communiste se dessine à partir de l’été 1940[47]. Jean-Marc Berlière et Sylvain Boulouque développement leur argumentation dans un livre publié en 2009 : L’Affaire Guy Môquet. Enquête sur une mystification officielle.

3. Le « devoir de mémoire »

Répétée à satiété, l’expression « devoir de mémoire » justifierait, selon ses détracteurs, la surenchère mémorielle, entretiendrait la confusion entre histoire et mémoire, priverait la première de sa complexité. Le 13 février 2008, lors du dîner du CRIF, le président Sarkozy exprime le souhait de voir confier tous les ans, à chaque élève du CM2, la mémoire d’un enfant juif victime du génocide. Jugée « inimaginable, insoutenable, dramatique et surtout injuste[48] » par Simone Veil, rescapée d’Auschwitz et présidente d’honneur de la Fondation pour la mémoire de la shoah, la proposition présidentielle suscite une série de réactions négatives, avant d’être abandonnée. On s’alarme de ses dangers pour la santé des enfants. On déplore la multiplication des interventions publiques en matière historique. On rappelle que l’enseignement de l’histoire, dans le cadre scolaire, est la première condition d’une mémoire lucide et apaisée.

LANGLOIS | CC BY-NC-ND 4.0


[1] Robert Frank, « La mémoire et l’histoire », La bouche de la Vérité ? La recherche historique et les sources orales, Les cahiers de l’IHTP, no 21, novembre 1992.

[2] L’expression « guerre franco-française » est employée par le politiste Stanley Hoffmann : “Collaborationism in France during World War II”, Journal of Modern History, 1968, et reprise par la revue Vingtième Siècle : « Les guerres franco-françaises », 1985.

[3] François Bédarida, Histoire, critique et responsabilité, Bruxelles, Complexe, coll. Histoire du temps présent, 2003, p. 4.

[4] Charles-Olivier Carbonell, « Le XXe siècle français, histoires nouvelles, nouvelle histoire » in Les sciences historiques de l’Antiquité à nos jours, Paris, Larousse, 1994, p. 227.

[5] Laurent Douzou, La Résistance française, une histoire périlleuse, Paris, Seuil, coll. Points Histoire, 2005, p. 283.

[6] Robert Aron, Histoire de Vichy. 1940-1944, Paris, Fayard, 1954, p. 8.

[7] Robert Aron, Histoire de Vichy. 1940-1944, Paris, Fayard, 1954, p. 94.

[8] Jean-Pierre Azéma, « Vichy et la mémoire savante : quarante-cinq ans d’historiographie » in Jean-Pierre Azéma et François Bédarida (dir.), Vichy et les Français, Paris, Fayard, 1992, p. 27.

[9] Henry Rousso, Le syndrome de Vichy de 1944 à nos jours, Paris, Seuil, 1987, 2e édition, coll. Points Histoire, 1990, p. 30.

[10] Le 25 août 1944, à l’Hôtel de Ville, de Gaulle refuse de proclamer la République comme le lui demande le président du CNR, Georges Bidault : « La République n’a jamais cessé d’être. La France libre, la France combattante, le Comité français de libération nationale l’ont, tour à tour, incorporée. Vichy fut toujours, et demeure nul et non avenu. Moi-même suis le président du gouvernement de la République. Pourquoi irais-je la proclamer ? » L’ordonnance du 9 août 1944 dispose dans son article 2 que « sont nuls et de nul effet tous les actes constitutionnels, législatifs ou réglementaires […] promulgués sur le territoire continental postérieurement au 16 juin 1940 et jusqu’à l’établissement du Gouvernement provisoire de la République ».

[11] Pierre Laborie, « Les comportements collectifs et la mémoire gaulliste : mots et usages », in Jacqueline Sainclivier, Jean-Marie Guillon et Pierre Laborie (dir.), Images des comportements sous l’Occupation. Mémoires, transmission, idées reçues, Rennes, PUR, 2016, pp. 19-33.

[12] Henri Michel écrit : « la Résistance », « les Résistants » ; seul le premier terme prend aujourd’hui la majuscule : « la Résistance », « les résistants ».

[13] Henri Michel, Histoire de la Résistance, Paris, PUF, coll. Que sais-je, 1950, p. 125.

[14] « Puisse le rappel de ces vérités, déclare Maurice Thorez, confondre les calomniateurs qui, tantôt dénient l’action patriotique des militants antifascistes mis hors la loi au début de la “drôle de guerre” ; tantôt osent parler du sacrifice de nos martyrs comme d’un rachat de prétendues fautes, tantôt enfin acceptent de louer les morts pour continuer à calomnier les vivants. » L’Humanité, 25 octobre 1944.

[15] Marc Ferro, Pétain, Paris, Fayard, coll. Pluriel, 1987, p. 594.

[16] Henry Rousso, Le syndrome de Vichy de 1944 à nos jours, Paris, Seuil, 1987, 2e édition, coll. Points Histoire, 1990, p. 49.

[17] Dès 1947, dans un livre intitulé De Gaulle, cet inconnu, le colonel Rémy attribuait à de Gaulle une phrase similaire : « les armistices étant signés, notre pays étant placé devant le fait accompli, il n’était pas mauvais que la France disposât de deux cordes à son arc, l’une d’elles étant maniée par de Gaulle et l’autre par Pétain, étant bien entendu qu’elles devaient s’accorder l’une et l’autre au bénéfice exclusif de la nation. » Rémy, De Gaulle, cet inconnu, Paris, Solar, 1947, p. 30. La conversation entre de Gaulle et Rémy date, selon l’auteur, de décembre 1946.

[18] Charles de Gaulle, Mémoires de guerre, Paris, Plon, 1959, nouvelle édition, 1994, p. 846.

[19] Charles de Gaulle, Mémoires de guerre, Paris, Plon, 1954, nouvelle édition, 1994, p. 69.

[20] En 1953, seule la première phrase de l’article 1er est adoptée à l’unanimité. « La République française rend hommage à la Résistance, dont le combat au dedans et au dehors des frontières a sauvé la nation. C’est dans la fidélité à l’esprit de la Résistance qu’elle entend que soit aujourd’hui dispensée la clémence. L’amnistie n’est pas une réhabilitation ni une revanche, pas plus qu’elle n’est une critique contre ceux qui, au nom de la nation, eurent la lourde tâche de juger et de punir. » (Loi du 6 août 1953, article 1er.)

[21] Le nombre des juifs vivant en France en 1939 est de l’ordre de 300 000. Le nombre des déportés en direction des camps de concentration est de 63 085, celui des survivants de 37 025, soit 59 p. 100. Dans le cas des déportés juifs, la part des survivants tombe à 3 p. 100. Annette Wieviorka, Déportation et génocide. Entre la mémoire et l’oubli, Paris, Plon, 1992, nouvelle édition, Fayard, coll. Pluriel, pp. 20-21, 337 et 429.

[22] La pièce entend dénoncer l’attitude du pape Pie XII devant le génocide des juifs.

[23] André Malraux, Oraisons funèbres, Paris, Gallimard, 1971, pp. 117-137.

[24] Henry Rousso, Le syndrome de Vichy de 1944 à nos jours, Paris, Seuil, 1987, 2e édition, coll. Points Histoire, 1990, p. 109.

[25] Laurent Douzou, La Résistance française, une histoire périlleuse, Paris, Seuil, coll. Points Histoire, 2005, p. 179.

[26] Henri Michel, Jean Moulin l’unificateur, Paris, Hachette, 1964, p. 213.

[27] Bulletin officiel de l’Éducation nationale, no 14, 20 avril 1961.

[28] Henry Rousso, Le syndrome de Vichy de 1944 à nos jours, Paris, Seuil, Point Histoire, 1990, 1re édition 1987, p. 89.

[29] Sylvie Lindeperg, Les écrans de l’ombre. La Seconde Guerre mondiale dans le cinéma français, Paris, CNRS, 1997, nouvelle édition augmentée, Points, 2014, pp. 428-463.

[30] Pierre Laborie, Le Chagrin et le Venin, Paris, Bayard, 2011, pp. 68-72.

[31] Pierre Laborie, « Les comportements collectifs et la mémoire gaulliste : mots et usages », in Jacqueline Sainclivier, Jean-Marie Guillon et Pierre Laborie (dir.), Images des comportements sous l’Occupation. Mémoires, transmission, idées reçues, Rennes, PUR, 2016, pp. 19-33.

[32] Pierre Laborie et Cécile Vast, « Quelle place pour la Résistance dans la reconstruction identitaire de la France contemporaine ? », texte original en italien, Turin, SEB 27, 2012, in Pierre Laborie, Penser l’événement. 1940-1945, Paris, Gallimard, coll. Folio Histoire, pp. 370-396.

[33] Jean-Pierre Azéma, « La révolution paxtonienne », in Fishman Sarah (dir.), La France sous Vichy. Autour de Robert O. Paxton, Bruxelles, Complexe, coll. Histoire du temps présent, 2004, p. 23.

[34] John Sweets, « Chaque livre un événement : Robert Paxton et la France, du briseur de glace à l’iconoclaste tranquille », in Sarah Fishman (dir.), La France sous Vichy, Autour de Robert O. Paxton, Bruxelles, Complexe, coll. Histoire du temps présent, 2004, p. 36.

[35] Annette Wieviorka, Le procès Eichmann, Paris, Complexe, 1989, p. 32.

[36] « Au regard de la nation, le patrimoine spirituel, historique et culturel du judaïsme doit être reconnu ; sa contribution à la culture française et universelle rend légitime l’enseigne-ment, dans le cadre de l’Éducation nationale, de son histoire, et notamment celui de l’holocauste. » Le Monde, 28 janvier 1977.

[37] Henry Rousso, Le syndrome de Vichy de 1944 à nos jours, Paris, Seuil, 1987, 2e édition, coll. Points Histoire, 1990, pp. 18-19.

[38] François Bédarida, Histoire, critique et responsabilité, Bruxelles, Complexe, « Histoire du temps présent », 2003, p. 4.

[39] Éric Conan et Henry Rousso, Vichy, un passé qui ne passe pas, Paris, Gallimard, coll. Folio Histoire », 1994, nouvelle édition, 1996, pp. 53-57.

[40] Le président de la République déclare notamment : « en 1940, il y a eu un État français, c’était le régime de Vichy, ce n’était pas la République. Et, à cet État français, on doit demander des comptes, je l’admets naturellement, comment ne l’admettrais-je pas ? Je partage totalement le sentiment de ceux qui s’adressent à moi, mais précisément, la Résistance, puis le gouvernement de Gaulle, ensuite la IVe République et les autres, ont été fondés sur le refus de cet État français, il faut être clair. »

[41] Le général de Gaulle est le premier président à accomplir ce geste (10 novembre 1968). Il est imité par Georges Pompidou (20 février 1973), au Val-de-Grâce, après l’échec d’une translation des cendres à Verdun, par Valéry Giscard d’Estaing (11 novembre 1978) et par François Mitterrand, une première fois en 1984 (le 22 septembre, jour de sa rencontre avec le chancelier Kohl à Verdun), une deuxième fois en 1986, puis tous les ans de 1987 à 1992 ; il annonce qu’il y renonce, le 8 novembre 1993.

[42] François Marcot (dir.), Dictionnaire historique de la Résistance, Paris, Robert Laffont, 2006, p. IX.

[43] John Sweets, « Chaque livre un événement : Robert Paxton et la France, du briseur de glace à l’iconoclaste tranquille », in Fishman Sarah (dir.), La France sous Vichy, Autour de Robert O. Paxton, Complexe, « Histoire du temps présent », 2004, p. 38.

[44] François Azouvi, Le mythe du grand silence. Auschwitz, les Français, la mémoire, Paris, Fayard, 2012, p. 15.

[45] Le Comité de Vigilance face aux usages publics de l’histoire (CVUH) est une association fondée en 2005 en réaction à l’adoption d’une loi « mémorielle » qui reconnaissait, dans son article 4, le « rôle positif de la présence française outre-mer ». La disposition contestée est finalement abandonnée.

[46] Jean-Marc Berlière et Sylvain Boulouque, « Guy Môquet : le mythe et l’histoire », Le Monde, 23 juin 2007.

[47] Xavier Vigna, Jean Vigreux et Serge Wolikow, « Un peu de rigueur SVP ! », L’Humanité, 26 juin 2007.

[48] Simone Veil, « J’ai ressenti une grande solidarité », propos recueillis par Anne Vidalie, L’Express, 28 février 2008.