HISTOIRE-GÉOGRAPHIE, GÉOPOLITIQUE ET SCIENCES POLITIQUES
ÉTUDE CRITIQUE DE DOCUMENT
Dans quelle mesure les crises irakiennes transforment-elles le système international ?
Analyser le document et s’appuyer sur des connaissances afin de répondre à la question suivante : dans quelle mesure les deux crises irakiennes de 1990-1991 et 2001-2003 transforment-elles le système international ?
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Dario Battistella est un politiste internationaliste français. Son livre Retour de l’état de guerre (2006) reprend et développe un article publié dans la revue de théorie politique Raisons politiques (2004) sous le titre « “Liberté en Irak” ou le retour de l’anarchie hobbienne ».
Le 18 mars 2003, les États-Unis de George Bush fils attaquent l’Irak de Saddam Hussein au cours de l’opération Liberté en Irak ; le 16 janvier 1991, les États-Unis de George Bush père avaient attaqué l’Irak de Saddam Hussein au cours de l’opération Tempête du désert. […]
Dans le cas de l’opération Liberté en Irak, l’absence de soutien unanime aux États-Unis, contrastant avec le quasi-consensus prévalant au moment de l’opération Tempête du désert, tend à indiquer qu’une partie importante des États, de la France à la Chine en passant par la Russie et l’Allemagne, n’est pas prête à abandonner les institutions de l’anarchie lockienne. Néanmoins, parce que le retour à un comportement de type hobbien est l’œuvre de la puissance dominante, il n’est pas à exclure que tôt ou tard, les autres États seront amenés à suivre l’exemple américain, tant c’est précisément la puissance dominante qui façonne, par son soft power et sa puissance structurelle, les codes de conduite légitime sur la scène internationale, comme l’ont fait le Royaume-Uni avec le concert européen des puissances au lendemain des guerres napoléoniennes, et les États-Unis eux-mêmes avec l’ONU, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. […]
Les États-Unis précisément, depuis qu’ils ont définitivement rejoint le système international au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, ont dans un premier temps inscrit leur comportement dans une logique lockienne, contribuant ainsi, du fait de leur statut de puissance prépondérante, à consolider la culture de rivalité caractéristique de celle-ci, au détriment de la culture d’hostilité, constitutive de l’anarchie hobbienne. C’est le cas tout au long de la guerre froide, synonyme de rivalité idéologique, et non pas d’inimitié idéologique. C’est également le cas au moment de l’opération Tempête du Désert, ainsi que lors des interventions américaines, appelées de leurs vœux par leurs alliés européens, en Bosnie et au Kosovo.
Mais ce n’est plus le cas depuis le déclenchement de la crise irakienne ayant abouti à l’opération Liberté en Irak. Au cours de cette crise, les autorités américaines renouent avec une logique hobbienne : du point de vue du (non-)respect de l’institution centrale de l’anarchie lockienne qu’est la souveraineté, l’opération Liberté en Irak met fin à l’indépendance politique de l’Irak même si son indépendance nationale est maintenue ; du point de vue des croyances, partagées par les États au sujet de leurs représentations mutuelles, les États-Unis procèdent à la construction discursive de l’Irak comme ennemi, plutôt que comme rival, en alignant l’image qu’ils se font de l’Irak sur les intentions — menaçantes — prêtées à ce dernier en politique extérieure à partir de son altérité politique intérieure — le régime non-démocratique du parti Baas. Ils adoptent ce faisant un comportement à la fois ante- et extra-westphalien, en ce qu’ils jugent les autres États, ou du moins certains d’entre eux, non pas à partir de ce qu’ils font, mais de ce qu’ils sont ou, mieux, de ce qu’ils disent qu’ils sont.
Dario Battistella, Retour de l’état de guerre, Paris, Armand Colin, 2006, pp. 7-110.