Dans son discours sur les libertés nécessaires du 11 janvier 1864, Adolphe Thiers (1797-1877) justifie son retour à la vie politique par la libéralisation du régime, avant de retracer l’histoire de la liberté en France depuis le début du siècle : « la France peut quelquefois se passer de la liberté, s’en passer au point de paraître l’avoir oubliée ; puis, quand les temps et les esprits sont plus calmes, elle y revient avec une persévérance singulière et une force presque irrésistible. » Il expose ensuite, et définit, cinq conditions nécessaires en fait de liberté. Il se demande enfin dans quelles mesures ces libertés sont possibles sous le Second Empire : « de ces cinq conditions, lesquelles avons-nous ? lesquelles nous restent à acquérir ? lesquelles pouvons-nous avoir ? Je le répète, toutes. » Par le décret de 1860, l’empereur « a rouvert le champ de la politique ». Il lui appartient de donner ce qui manque encore à la liberté. Thiers le lui demande « avec le ton de déférence qui convient », mais termine sa péroraison par cet avertissement : « ce pays aujourd’hui à peine éveillé, ce pays si bouillant, chez lequel l’exagération des désirs est si près de leur réveil, ce pays qui permet aujourd’hui qu’on demande pour lui du ton le plus déférent, un jour peut-être il exigera. » On trouvera ci-après le texte intégral du discours et des indications sur le plan suivi par l’orateur.
Analyse
Les cinq conditions nécessaires de la liberté
— Première liberté : la liberté individuelle
— Deuxième liberté : la liberté de la presse
— Troisième liberté : la liberté électorale
— Quatrième liberté : la liberté de la représentation nationale
— Cinquième liberté : la responsabilité ministérielle
De ces cinq conditions, lesquelles sont possibles ?
— Première liberté : la liberté individuelle
— Deuxième liberté : la liberté de la presse
— Troisième liberté : la liberté électorale
— Quatrième liberté : la liberté de la représentation nationale
— Cinquième liberté : la responsabilité ministérielle
La cinquième liberté se distingue de la quatrième en cela qu’elle établit le régime parlementaire. À la responsabilité de l’empereur devant le peuple, inscrite dans la Constitution mais tombée en désuétude, elle ajoute ou substitue la responsabilité du Gouvernement devant l’assemblée issue du suffrage universel. La quatrième liberté, déclare Thiers, consiste pour l’assemblée à « apporter un utile contrôle à tous les actes du pouvoir ». Le but de la cinquième, « c’est de faire que l’opinion publique, bien constatée ici à la majorité, devienne la directrice des actes du Gouvernement », c’est le « pays se gouvernant lui-même… » Il suffirait, pour assurer complètement la quatrième, d’introduire le droit d’interpellation, c’est-à-dire la possibilité pour tout député d’interroger un ministre en séance sur la politique qu’il conduit. La cinquième, parce qu’elle change la nature du régime, expose Thiers à des protestations dans la majorité officielle : « Ah ! nous vous reconnaissons ! Ah ! vous voulez cet affreux gouvernement parlementaire… » C’est pourquoi l’orateur reste circonspect dans l’expression.
Texte intégral
M. Thiers. — Messieurs, je vous disais il y a quelques jours que bientôt je vous demanderais la permission de vous entretenir de la politique intérieure du pays, et que je saisirais cette occasion de vous donner quelques explications personnelles sur les motifs de ma présence dans cette assemblée, et sur les sentiments qui m’ont animé en y entrant.
Je sais bien que les grandes assemblées ont tout autre chose à faire que de s’occuper des individus : mais lorsque je vous demande la permission de vous entretenir de moi un instant, un instant seulement, c’est un devoir que je crois remplir envers le pays, qui m’a élu sans me demander de profession de foi, et envers vous, mes collègues, dont je serais heureux de posséder la confiance. (Très bien !)
Messieurs, il y a 34 ans que je suis entré pour la première fois dans cette enceinte ; j’y ai pris place à côté de la dernière Chambre de la Restauration. Depuis, j’ai fait partie de toutes les Chambres qui se sont succédé de 1830 à 1848 ; puis j’ai siégé, sous la république, sur les bancs de la Constituante et de la Législative ; et enfin me voilà, au milieu de vous, sur les bancs du Corps législatif de l’Empire.
Dans ce long espace de temps, j’ai vu se succéder les choses, les hommes, les opinions, les affections même, et, au milieu de ce torrent qui semblait devoir tout emporter, les principes seuls ont survécu, les principes sociaux et politiques sur lesquels repose la société moderne. Ce n’est pas que dans certains jours ils n’aient paru singulièrement menacés. Nous avons vu des moments où l’ordre semblait tellement ébranlé qu’on se demandait comment la société pourrait se rasseoir.
Plus tard, c’était l’idée de la liberté qui semblait effacée de l’esprit humain, et cependant l’ordre s’est rétabli et la liberté est prête à renaître. (Mouvement.)
Ces grands principes sont comme ces astres destinés à nous éclairer, qui s’enveloppent quelquefois de nuages pour paraître bientôt plus radieux.
Une circonstance vous aura sans doute frappés : c’est que les hommes eux-mêmes, si petits au milieu de la grandeur des événements, les hommes n’ont quelque valeur que par l’intelligence qu’ils ont eue de ces grands principes et par la fidélité qu’ils leur ont conservée.
Quant à moi, il y a trois principes que j’ai toujours considérés comme devant faire la règle d’une vie honnête et bien ordonnée : c’est le principe de la souveraineté nationale, le principe d’ordre, le principe de liberté. (Très bien ! très bien !)
Je suis né, j’ai vécu dans cette école dite de 89 qui croit que la France a droit de disposer de ses destinées et de choisir le gouvernement qui lui convient. Je pense qu’elle ne doit user de sa souveraineté que très-rarement, et que mieux vaudrait qu’elle n’en usât jamais, s’il était possible ; mais quand elle a prononcé, à mes yeux, le droit y est. (Très-bien ! — Bravo.) Je pense que c’est manquer et à la loi et au bon sens que de chercher à substituer des vues particulières à sa volonté clairement exprimée. (Très bien ! très bien !)
Mais quand on s’est soumis au gouvernement légal de son pays, il y a deux choses qu’on est toujours en droit de lui demander : l’ordre et la liberté. (Très bien !)
Quand la société est privée de l’ordre, elle est dans les angoisses : inquiète, agitée, elle ne travaille pas ou elle travaille peu. Or, le riche peut quelquefois ne pas travailler ; mais la société est un ouvrier condamné à gagner du matin au soir le pain de ses enfants. (Très-bien !) Si elle s’arrête un jour, elle s’appauvrit, et tandis que, privée de l’ordre, elle s’appauvrit au dedans, au dehors elle se déconsidère. Et ce qu’il y a de plus triste, c’est qu’elle tend de tous ses vœux au despotisme. Si c’est la liberté qui manque, la société n’est pas plus heureuse : elle souffre différemment, mais elle ne souffre pas moins ; elle s’inquiète, elle s’agite sourdement, elle se sent humiliée ; et si, faute d’être assez consultée, elle aperçoit que ses destinées sont dirigées dans d’autres vues que les siennes, elle s’irrite ; elle voudrait le dire, elle ne le peut pas ; elle est toujours prête à éclater ; et tandis que privée d’ordre elle tend au despotisme, privée de liberté elle tend aux révolutions. (Très bien ! très bien !)
M. le président. — Monsieur Thiers, on ne vous entend pas assez de ce côté (M. le Président désigne le côté droit de l’assemblée), et les sténographes se plaignent de ne pas vous entendre. Parlez à la Chambre tout entière.
M. Thiers. — Les principes que je viens d’indiquer, messieurs, sont ceux d’après lesquels j’ai essayé de diriger ma vie au milieu de la confusion des événements.
Lorsque la république fut proclamée en France, je me soumis, bien que ce gouvernement ne fût pas celui auquel me rattachaient mes antécédents ; et je me joignis aux hommes courageux qu’ici même défendaient l’ordre au milieu d’une assemblée nombreuse, passionnée, mais honnête et courageuse, et sachant écouler les vérités qui lui déplaisaient. (Sur plusieurs bancs : Très-bien ! très-bien !)
L’ordre, messieurs, a été sauvé ; la France est revenue au principe monarchique. Je me suis soumis également, par suite de ce même sentiment de respect pour la volonté nationale ; mais alors je suis entré dans la retraite pour un motif bien simple, c’est qu’il n’y avait rien à faire pour le principe d’ordre, qui était sauvé, et rien encore pour le principe de liberté, qui était ajourné. Dans cette retraite, permettez-moi de le dire, tout le monde sait ce que j’ai fait : j’ai écrit avec sincérité l’histoire de mon pays, (Très bien ! très bien !) J’y aurais passé sans regret le reste de ma vie, lorsque les décrets du 24 novembre 1860, de février et de décembre 1861, ont été promulgués. Vous savez quels changements ces décrets ont apportée à nos institutions. Vous ne pouviez vous réunir qu’en silence pour recevoir les projets de lois que vous apportaient MM. les conseillers d’État, et que vous deviez discuter avec eux presque sans pouvoir les amender. (Réclamations sur plusieurs bancs.)
Puis venait le budget, que vous deviez voter par ministère, et quant aux crédits supplémentaires, plus importants que le budget, vous n’en pouviez connaître qu’à la loi des comptes, c’est-à-dire quand il n’était plus possible d’y apporter un contrôle utile. (Nouvelles réclamations.)
L’empereur a changé cet état de choses : il vous a rouvert le champ de la politique en vous accordant la discussion de l’adresse. Il a fait davantage ; il vous a mis face à face avec son Gouvernement en introduisant ici les ministres sans portefeuille, et même un ministre à portefeuille, le ministre d’État ; il vous a rendu la publicité de vos séances ; il vous a donné le moyen de voter le budget, non plus par ministères, mais par sections ; et quant aux crédits supplémentaires, s’il ne les a pas supprimés, comme il en avait d’abord exprimé l’espérance, il a rapproché l’époque de leur discussion de l’époque de leur ouverture, et il vous a donné sur ces crédits une incontestable influence.
Messieurs, vous ne me trouverez jamais ni dénigrant ni flatteur. Je ne dirai pas que ces décrets contiennent toutes les libertés désirables, mais ils en contiennent une partie considérable, et ils sont le gage, du reste. Quant à moi, j’en remercie l’empereur (Très bien ! très bien !), car l’ingratitude est un mauvais sentiment et un mauvais calcul. (Nouvelle approbation.)
À partir de ces décrets, j’ai pensé, j’ai dit à tous les hommes qui partageaient mes convictions que, dès qu’ils pouvaient venir ici discuter librement les affaires du pays, et qu’il leur était possible de concourir au rétablissement des libertés publiques, l’abstention ne serait plus, de leur part, ni sage, ni digne, ni patriotique. (Très bien ! très bien !) Je leur ai conseillé de prêter serment à l’empereur et de se rendre dans leurs collèges électoraux, soit comme électeurs, soit comme éligibles.
Je vous l’avouerai, messieurs, après avoir donné ce conseil, j’aurais voulu être dispensé de le suivre (On rit) ; après avoir trouvé dans la retraite, l’étude, la paix avec les partis, un peu de justice, il m’en coûtait de me rejeter au milieu des orages de la vie publique : mais l’inconséquence eût été trop grande de donner des conseils et de ne pas les suivre soi-même.
D’ailleurs, un dernière considération m’a décidé, c’est qu’en venant au milieu de vous, personne ne pouvait m’accuser d’ambition. À mon âge, après les postes que j’ai occupés dans l’État, je ne peux plus avoir qu’une seule ambition : c’est, en vous apportant le modeste tribut d’une expérience bien chèrement acquise, en discutant avec vous les affaires de l’État du point de vue de l’État, et jamais du point de vue des partis (Très bien ! très bien !), de pouvoir quelquefois être d’un faible secours à vos délibérations et de ne pas laisser tout à fait inutiles à mon pays les dernières années de ma vie. (Très-bien ! très-bien ! — Applaudissements sur plusieurs bancs.)
M. le président. — Monsieur Thiers, si vous vouliez vous tourner un peu de mon côté… Les sténographes se plaignent de ne pas vous entendre.
Quelques voix. La tribune !
M. Thiers. — Monsieur le Président, par une vieille habitude de la tribune, je suis toujours tenté de me présenter de face à l’assemblée devant laquelle je parle. (On rit.)
M. Glais-Bizoin. — Un de MM. les commissaires du Gouvernement pourrait vous céder sa place.
M. le président. — Ce que je dis est dans l’intérêt de ceux qui n’entendent pas.
M. Thiers. — Messieurs, après ces explications que j’aurais voulu rendre plus courtes, j’arrive tout de suite au grand objet pour lequel nous sommes ici réunis. Il ne saurait être question, en suivant l’ordre que nous ont tracé le discours du trône et le projet d’adresse qui est destiné à lui servir de réponse, ni de finances, ni d’affaires extérieures ; il s’agit uniquement de notre politique intérieure, et dans cette politique quel est l’objet principal, essentiel, qui occupe tous les esprits ? C’est le développement de nos institutions dans le sens d’une liberté modérée et régulière. Et à cet égard permettez-moi de préciser sur-le-champ notre situation constitutionnelle. Nous avons longtemps vécu sous le régime des constitutions fixes qui, une fois faites, étaient déclarées invariables ; nous sommes placés sous le régime des constitutions modifiables, perfectibles, comme on dit, qui se font peu à peu, par la main du temps, plus sage et plus habile que les hommes. Et en effet le principe suivant a été posé dans la Constitution : Quand un changement sera reconnu convenable, utile, l’empereur en prendra l’initiative, le Sénat donnera sa sanction.
Ou ne s’est pas borné à poser le principe, on a modifié la Constitution plusieurs fois.
Ainsi notre situation est celle-ci : tant que le texte n’est pas modifié, il a droit à tous nos respects, à notre obéissance absolue ; ruais il peut être modifié par l’initiative de l’empereur et la sanction du Sénat.
Eh bien ! dans cette œuvre, n’avez-vous, messieurs, rien à faire ? Oui, messieurs, vous avez quelque chose à faire, et l’empereur vous a ménagé votre part en vous donnant la discussion de l’adresse, et en vous fournissant le moyen de lui apporter les vœux du pays.
On vous a dit souvent, on vous a dit à l’ouverture des débats de la législature, que, depuis quelque temps, ou parlait beaucoup de liberté. On en parle souvent encore. Eh bien, je me pose tout du suite cette question : Ce vœu de liberté est-il sérieux, ou bien est-ce un de ces besoins capricieux qu’un jour voit naître et qu’un jour voit disparaître ? S’il est sérieux, dans quelle mesure est-il sage d’y satisfaire, et, avec nos institutions actuelles, dans quelle mesure est-il possible d’y satisfaire ?
Voilà les questions que je vous demande la permission de traiter aujourd’hui devant vous.
Je puis dire comme le poète : Incedo per ignes. Mais, messieurs, fiez-vous à moi du soin de respecter tout ce qui doit être respecté, et, par votre confiance, vous faciliterez ma tâche, vous la rendrez moins périlleuse et plus fructueuse.
Messieurs, quand on considère l’histoire des trois quarts du siècle écoulé, on est frappé de l’observation que voici : C’est que la France peut quelquefois se passer de la liberté, s’en passer au point de paraître l’avoir oubliée ; puis, quand les temps et les esprits sont plus calmes, elle y revient avec une persévérance singulière et une force presque irrésistible.
Nous avons la preuve de la vérité de cette observation dans trois grande faits que je vous demande la permission de retracer.
S’il y a une époque où il fut naturel que la France oubliât cette idée de la liberté, ce fut en 1800, après les épreuves terribles de notre première révolution. Elle avait devant elle un homme merveilleux qui portait sur tout sa main réparatrice ; elle se donna à lui ; elle s’absorba en lui, et, à un moment, elle sembla ne plus penser ; elle regardait, et, certes, le spectacle en valait la peine. (Vive approbation !)
Mais bientôt, messieurs, la France recommença à penser ; elle recommença à penser : quand elle vit une partie de nos armées précipitée dans le gouffre brûlant de l’Espagne, une autre partie dans le gouffre glacé de la Russie, et surtout quand elle vit que ni l’une ni l’autre n’en revenait. Alors elle pensa tristement, profondément ; elle regretta ces libertés dont elle avait fait le trop facile abandon, et le 31 décembre 1813 elle éleva la voix pour demander la paix.
Sa voix ne fut pas écoutée : quelques mois après l’ennemi victorieux était dans Paris ; la France tomba toute sanglante aux pieds des Bourbons et leur demanda la paix dont elle avait tant besoin, et cette liberté dont elle avait recommencé à sentir le prix.
Les Bourbons ne régnèrent que quelques jours ; Napoléon revint. Que lui demanda la France ? Elle lui demanda la paix et la liberté. ! La paix, Napoléon en avait longtemps disposé ; il n’en disposait plus, hélas ! il ne pouvait la donner, mais il donna la liberté et il la donna tout entière.
On a dit qu’il n’avait pas été de bonne foi. Permettez-moi de vous le dire : c’est là un singulier hommage que rendent à sa mémoire les soutiens de sa famille. Mais quoi qu’on en ait dit, il était de bonne foi. Dans ses entretiens les plus intimes, il a dit et répété que la dictature pouvait être une concession de quelques années faites à un homme de génie comme lui, mais une concession de quelques années seulement ; et quand il donna la liberté, il la donna tout entière très-sincèrement.
Messieurs, on aime souvent à emprunter des exemples à Napoléon victorieux, ébloui par le succès ; je supplie qu’on en emprunte quelques-uns à Napoléon agrandi et mûri par le malheur. (Très bien ! très bien !)
La liberté tout entière donnée à une nation qui n’en avait encore pratiqué aucune partie, et lorsqu’un million d’hommes marchait sur nous, ne pouvait pas être un essai heureux. Waterloo, nom sinistre ! Waterloo fit disparaître une seconde lois l’idée de liberté, et une immense réaction commença en Europe non pas seulement contre l’idée de liberté, mais contre toutes les idées de la révolution française.
Nous étions bien jeunes alors, messieurs, et quelquefois nous essayions de murmurer le mot de liberté ; mais on nous faisait taire, en nous montrant l’échafaud sanglant de Louis XVI. À ce souvenir navrant nos jeunes cœurs étaient contristés, mais nos raisons n’étaient pas confondues. Nous persistâmes, et dix ans ne s’étaient pas encore écoulés, que la liberté occupait tous les esprits, remplissait toutes les bouches.
En 1825, 1826, 1827, nous allions atteindre ce but tant de fois, si longtemps, si vivement poursuivi, lorsque en approchant de ces limites obscures et périlleuses où les pouvoirs sont exposés à se rencontrer, ou la prérogative du souverain, la prérogative du pays, mises en présence, sont exposées à se heurter si une sagesse supérieure ne préside à leurs relations, nous avons vu deux fois, sous des formes différentes, surgir cette redoutable question de la prédominance d’un pouvoir sur l’autre ; et deux trônes sont tombés !
Cette question fatale a été pour nous, permettez-moi cette image, ce qu’était pour les navigateurs du XVe siècle ce fameux cap dit des Tempêtes. Les navigateurs n’en approchaient qu’en tremblant, ils n’osaient pas le doubler ! Vous savez ce qui arriva. Un prince heureusement inspiré, Jean de Portugal, voulut dissiper de vaines terreurs ; ce cap des Tempêtes, il l’appela cap de Bonne-Espérance, et quelques années après le cap était franchi. (Applaudissements.)
Eh bien, messieurs, n’aurons-nous pas, nous aussi, une heureuse inspiration de confiance ? ne verrons-nous pas de vaines terreurs se dissiper ? ne verrons-nous pas ce cap devant lequel nous avons tant de fois échoué, changer de nom et tire heureusement franchi ? Dieu le veuille !
Je ne vous raconterai pas, vous y avez assisté, l’histoire de nos agitations à partir de 1848. Nous avons traversé la république, nous ayons abouti à l’Empire ; et de nouveau la liberté a disparu. Une réaction militaire a dominé l’Europe. Cependant l’esprit vivifiant du siècle agissait sur les peuples, il agissait même sur les souverains, auteurs et chefs de cette immense réaction militaire Et voyez, messieurs, combien sont mystérieuses et profondes les voies de la Providence ! Les princes de l’Europe étaient assemblés à Paris dans la personne de leurs représentants, pour régler les conséquences de la glorieuse guerre de Crimée, et ce que jamais on n’avait vu, la liberté eut pour tribune un congrès, pour orateur un diplomate ! L’illustre comte de Cavour fut autorisé à dénoncer à l’Europe les princes italiens, les uns pour n’avoir pas donné la liberté à leurs peuples, les autres parce qu’ils étaient les fils de princes qui l’avaient refusée.
Vous vous en souvenez, messieurs, l’émotion fut immense ; les Italiens s’armèrent, les Autrichiens s’armèrent aussi ; ils furent bien tôt aux prises les uns et les autres. Nous accourûmes. Nous avons dépensé 50 000 hommes et 500 millions, et l’Italie a été affranchie. Mais le mouvement a été si rapide que, malgré nos engagements de Villafranca, tous les princes italiens ont été renversés, et, sans la foi universelle des peuples et une sage politique, le pape lui-même succombait. (C’est vrai ! c’est vrai !)
Ce n’est pas seulement en Italie que le mouvement s’est étendu, il s’est étendu à l’Europe entière. L’Autriche a demandé à la liberté le dédommagement des défaites quelle avait éprouvées, et elle l’a trouvé. Cette idée de liberté nous est revenue par tous les échos, et la France, messieurs, ne pouvait pas y être sourde. Le décret du 24 novembre, tour à tour effet et cause, a été rendu ; il a continué le mouvement, et vous avez vu ce mouvement se continuer encore, et se continuer avec éclat, jusqu’au moment des élections.
L’histoire de la liberté, la voilà. Je demande à tous les hommes de sens, à tous les hommes d’expérience, si un besoin qui, trois fois étouffé depuis le commencement du siècle, trois fois reparaît avec une force irrésistible, si c’est là un besoin faux et factice dont il soit permis de ne pas tenir compte ? Non, messieurs, c’est un besoin de la raison humaine, qui devait être profondément senti chez une nation comme la nôtre, l’une des plus intelligentes et des plus fière de la terre. (Approbation.)
[Les cinq conditions nécessaires de la liberté]
Eh bien, messieurs, si c’est là un besoin sérieux, arrive la seconde question : Dans quelle mesure faut-il y satisfaire ? Ah ! là, j’en conviens, la question est grave, immensément grave ; cependant, si l’on y pense bien sérieusement, toute grave qu’elle est, elle n’est pas insoluble.
Je sais très bien que ce mot liberté ne laisse personne de sang-froid. Chez les uns elle excite des désirs illimités, chez les autres des craintes chimériques. Mais, messieurs, en ne consultant que l’expérience, en s’arrêtant à ce qui est incontestable, indiscutable, n’est-il pas possible de trouver, de déterminer ce que j’appellerai, en fait de liberté, le nécessaire ?
Oui, messieurs, le nécessaire ; vous pouvez aller à Vienne, à Berlin, à La Haye, à Madrid, à Turin, personne ne dispute plus aujourd’hui sur ce point. Oui, il y a le nécessaire en fait de liberté, et il est hors de question aujourd’hui pour tous les hommes éclairés. C’est ce nécessaire que je vous demande la permission de vous exposer le plus brièvement que je le pourrai. Et, je me hâte de vous dire tout de suite que ce nécessaire, heureusement, est parfaitement conciliable avec nos institutions actuelles, pourvu, bien entendu, que ne soit pas tarie la source heureuse de laquelle est émanée le décret du 24 novembre. (Mouvements divers.)
[Première liberté : la liberté individuelle]
Pour moi, messieurs, il y a cinq conditions qui constituent ce qui s’appelle le nécessaire en fait de liberté. La première est celle qui est destinée à assurer la sécurité du citoyen. Il faut que le citoyen repose tranquillement dans sa demeure, parcoure toutes les parties de l’État, sans être exposé à aucun acte arbitraire. Pourquoi les hommes se mettent-ils en société ? Pour assurer leur sécurité. Mais, quand ils se sont mis à l’abri de la violence individuelle, s’ils tombaient sous des actes arbitraires du pouvoir destiné à les protéger, ils auraient manqué leur but. Il faut que le citoyen soit garanti contre la violence individuelle et contre tout acte arbitraire du pouvoir. Ainsi, quant à cette liberté qu’on appelle la liberté individuelle, je n’y insisterai pas ; c’est bien celle-ci qui mérite le titre d’incontestable et d’indispensable.
[Deuxième liberté : la liberté de la presse]
Mais, quand les citoyens ont obtenu cette sécurité, cela ne suffit pas. S’il s’endormait dans une tranquille indolence, cette sécurité, il ne la conserverait pas longtemps. Il faut que le citoyen veille sur la chose publique. Pour cela, il faut qu’il y pense, et il ne faut pas qu’il y pense seul, car il n’arriverait ainsi qu’à une opinion individuelle ; il faut que ses concitoyens y pensent comme lui, il faut que tous ensemble échangent leurs idées et arrivent à cette pensée commune qu’on appelle l’opinion publique ; et cela n’est possible que par la presse. Il faut donc qu’elle soit libre, mais lorsque je dis liberté, je ne dis pas impunité. De même que la liberté individuelle du citoyen existe à la condition qu’il n’aura pas provoqué la vindicte de la loi, la liberté de la presse est à cette condition que l’écrivain n’aura ni outragé l’honneur des citoyens, ni troublé le repos du pays. (Marques d’approbation.)
[Troisième liberté : la liberté électorale]
Ainsi, pour moi, la seconde liberté nécessaire, c’est cette liberté d’échange dans les idées qui crée l’opinion publique. Mais lorsque cette opinion se produit, il ne faut pas qu’elle soit un vain bruit, il faut qu’elle ait un résultat. Pour cela il faut que des hommes choisis viennent l’apporter ici, au centre de l’État, — ce qui suppose la liberté des élections, — et, par liberté des électeurs, je n’entends pas que le Gouvernement qui est chargé de veiller aux lois n’ait pas là un rôle ; que le Gouvernement qui est composé de citoyens n’ait pas une opinion ; je me borne à dire qu’il ne faut pas qu’il puisse dicter les choix et imposer sa volonté dans les élections. Voilà ce que j’appelle la liberté électorale.
[Quatrième liberté : la liberté de la représentation nationale]
Enfin, messieurs, ce n’est pas tout : quand ces élus sont ici mandataires de l’opinion publique, chargés de l’exprimer, il faut qu’ils jouissent d’une liberté complète ; il faut qu’ils puissent à temps… — veuillez bien, messieurs, apprécier la portée de ce que je dis là, — il faut qu’ils puissent à temps apporter un utile contrôle à tous les actes du pouvoir. Il ne faut pas que ce contrôle arrive trop tard et qu’on n’ait que des fautes irréparables à déplorer. C’est là la liberté de la représentation nationale, sur laquelle je m’expliquerai tout à l’heure, et cette liberté est, selon moi, la quatrième des libertés nécessaires.
[Cinquième liberté : la responsabilité ministérielle]
Enfin vient la dernière. — je ne dirai pas la plus importante, elles sont toutes également importantes, — mais la dernière, dont le but est celui-ci : c’est de faire que l’opinion publique, bien constatée ici à la majorité, devienne la directrice des actes du Gouvernement. (Bruit.)
Messieurs, les hommes, pour arriver à cette liberté, ont imaginé deux moyens, la république et la monarchie.
Dans la république, le moyen est bien simple ; on fait changer le chef de l’État tous les quatre, six ou huit ans, suivant le texte de la Constitution.
Eh bien, les partisans de la monarchie ont voulu, eux aussi, être aussi libres que sous la république ; et quel moyen ont-ils imaginé ? C’est, au lieu de taire porter l’effort de l’opinion publique sur le chef de l’État, de le faire porter sur les dépositaires de son autorité, d’établir le débat non pas avec le souverain, mais avec les dépositaires de son autorité, de manière que le souverain ne changeant pas, la permanence du pouvoir étant assurée, quelque chose change : la politique, et qu’ainsi s’accomplisse ce beau phénomène du pays placé sous un monarque qui est au-dessus de nos débats, du pays se gouvernant lui-même par sa propre pensée et par sa propre opinion. (Mouvement prolongé en sons divers.)
[De ces cinq conditions, lesquelles sont possibles ?]
Eh bien, de ces cinq conditions de la liberté que j’appelle nécessaire, incontestable, indispensable ; de ces cinq conditions, lesquelles avons-nous ? lesquelles nous restent à acquérir ? lesquelles pouvons-nous avoir ? Je le répète, toutes. (Bruit.)
Je commence, messieurs, et je tâcherai d’être bref dans cet examen.
[Première liberté : la liberté individuelle]
Quant à la liberté individuelle, il y a une exception fâcheuse, c’est la loi de sûreté générale. Elle porte sur un certain nombre de citoyens. Mais, messieurs, vous le savez, qu’importent les citoyens sur lesquels elle porte ? La qualité de citoyen est une qualité absolue ; il n’y a que la justice qui puisse y porter atteinte, et quand la justice n’y a pas porté atteinte, tous les citoyens sont égaux (Sur plusieurs bancs : Très-bien ! très-bien !)
Eh bien, quant à cette loi de sûreté générale, elle a appartenu à des circonstances qui heureusement ne sont plus. (Interruption et rumeurs dubitatives.)
M. Ernest Picard. — Très-bien !
M. Thiers. — Messieurs, j’ai trop de respect pour vous tous pour vouloir discuter le passé d’une manière qui pourrait vous blesser. Mais j’imagine qu’aucun de vous ne me désavouera quand je dirai que personne dans cette enceinte ne songe à renouveler cette loi, que le Gouvernement lui-même n’y pense pas, et qu’il n’y a qu’une question, c’est de savoir si on la laissera expirer naturellement en 1865, ou si on la rapportera plus tôt. C’est une détermination dont il faut laisser le mérite au Gouvernement et sur laquelle je n’insisterai pas.
[Deuxième liberté : la liberté de la presse]
Je passe à la seconde des libertés que j’ai qualifiées de nécessaires, à la liberté de la presse.
Ici, j’en conviens, la question est singulièrement difficile. La presse est de toutes les libertés la plus contestée ; elle est, si je puis dire, la partie aiguë de la liberté (Bruit), et je comprends les appréhensions dont elle est l’objet.
Mais, veuillez m’en croire, s’il y a un homme en France qui ait éprouvé les inconvénients de la liberté de la presse, c’est assurément celui qui vous parle. (Rire d’adhésion.) Il y a un homme illustre avec lequel j’ai fait longtemps les affaires de l’État, et avec lequel, plus tard, je les ai discutées. Je n’ai pas besoin de le nommer, mais je le nommerai : c’est l’illustre M. Guizot. Il les a éprouvés autant que moi.
Eh bien, écoutez une déclaration qu’il confirmerait, je crois, s’il était ici : après avoir éprouvé l’un et l’autre les effets de la presse, nous sommes, en hommes politiques, en hommes d’expérience, convaincus qu’elle est nécessaire. (Mouvements divers.)
Une voix. Pour renverser le Gouvernement !
M. Thiers. — Je comprends, messieurs, qu’on ne donne pas la liberté à un pays. Quand je dis je comprends, je ne l’approuve pas, mais je le comprends. Il y a vingt et quelques années j’ai vu pour la première fois un grand pays, l’Autriche. C’est un bon peuple, bon et brave, que le peuple autrichien. Je l’ai vu il y a vingt et quelques années ; sa sérénité était parfaite. Les uns cultivaient leurs champs, les autres se livraient à leur négoce, et le gouvernement gouvernait ; c’était sa profession, à lui. (On rit.)
C’était, je le répète, un bon peuple, ce peuple était tranquille. Savez-vous quelle singulière liberté il avait ? Lorsque je l’ai vu pour la première fois, il avait un vieux souverain que le peuple de Vienne appelait le vieux François. Ce prince, qui avait partagé les bonnes et les mauvaises destinées de son pays, était très-populaire ; il se promenait tous les jours dans les rues de Vienne, avec des vêtements usés, tout seul, sans aide de camp, et entretenait tout le monde ; il allait même dans certains quartiers obscurs de Vienne voir des amis avec lesquels il s’entretenait, et quand il rentrait tout seul dans son palais, objet de l’affection universelle, il savait la vérité. Voilà la liberté d’il y a vingt à vingt-cinq ans. Eh bien, je m’adresse à tous les hommes de bon sens : Y a-t-il aujourd’hui un peuple qui s’accommoderait de cette liberté ? C’est là une question pratique. M’entretenant à ce sujet avec un des grands esprits du siècle, le défunt prince de Metternich, je lui disais : Que les peuples aujourd’hui aimeraient mieux gâter leurs affaires de leurs propres mains que de les laisser bien faire à d’autres (Rires et bruit), et j’ajoutais : et ils auraient raison, parce que c’est le seul moyen d’apprendre à les faire.
Messieurs, je vous le demande, est-il possible aujourd’hui, en quelque partie du monde que ce soit, de refuser à un pays la connaissance de ses affaires ? Lorsqu’ici, à la tribune, nous pouvons parler en toute liberté des affaires du pays, quand nous pouvons même, — et jusqu’ici vous avez vu avec quelle réserve nous avons essayé de le faire, — mais enfin quand nous pouvons déverser sur les actes du Gouvernement le blâme le plus sévère, nos discours arriveront dans les journaux, et, tandis qu’ils reproduiront ce que nous croirons la vérité, eux-mêmes ne pourront pas ajouter un mot à la suite des discours dont ils auront été les reproducteurs. Dites-le-moi, n’est-ce pas là un non-sens ? (Mouvements divers.)
Messieurs, j’invoque la tolérance et le silence de ceux qui ne pensent pas comme moi. Mais je suis bien sincère, j’ai quelque expérience des choses, et peut-être pourrez-vous, je ne dirai pas avec beaucoup de fruit, mais avec quelque utilité, m’accorder quelques instants d’attention. (Parlez ! parlez !)
Eh bien, pour moi, je ne comprends pas que lorsqu’on permet de dire la vérité ici, là tout près on le défende. Cela me fait l’effet d’un homme qui confie sou secret à dix personnes, et qui recommande bien à une onzième de n’en rien dire. (Hilarité et approbation sur quelques bancs.)
Messieurs, quand on s’y prend de la sorte, à mon avis, on détruit l’ordre naturel des choses et l’on fausse tous les ressorte.
Dans un État dont l’éducation est faite ; je dis : « dans un État dont l’éducation est faite, » vous m accorderez que les choses se passent comme je vais le dire :
La presse ne fait pas l’opinion publique, heureusement !… Je parle, encore une fois, d’un État dont l’éducation est faite… (Interruption.) Je ne puis entrer en dialogue avec mes interrupteurs.
M. le président. — Je prie la Chambre de ne pas interrompre. (S’adressant à M. Thiers :) Parlez.
M. Thiers. — Je dis que, dans un État dont l’éducation est faite, la presse ne fait pas l’opinion ; elle fait qu’il y en a une.
Plusieurs voix. — C’est cela !
M. Thiers. — En plaçant tous les jours sous les yeux du pays ses propres affaires, elle l’oblige à y penser. Elle exagère, c’est, sa nature ; mais, en exagérant, elle fait que le pays se rejette en arrière, et son exagération fait la modération du pays.
Et puis, cette opinion, qui n’est, permettez-moi de le dire, qu’un préavis, un avis préalable, la représentation nationale la discute, choisit le vrai, écarte le faux, et la majorité, qui est la loi, la loi de tout pays libre, fait la véritable opinion publique, celle qui passe pour l’opinion vraie, et la dépose au pied du trône. En bien ! dans cette manière de concevoir les choses, la presse prépare l’opinion ; la représentation nationale l’achève ; la presse pousse la représentation nationale ; la représentation nationale la contient. (Mouvements en sens divers.)
Maintenant, il est vrai que cela se passe ainsi dans les pays dont l’éducation est faite. Eh bien, qu’est-ce que cela veut dire ? C’est qu’il faut faire cette éducation, et la faire le plus tôt possible. Et, je vous le demande, lequel de nous déclarera que la France doit être dans une enfance perpétuelle ? lequel déclarera qu’il ne faut pas enfin commencer son éducation ? (Rumeurs.)
Plusieurs membres. Très-bien !
M. Thiers. — On nous dit, et je suis heureux de l’apprendre, que le Gouvernement est très-fort ; je le crois très-fort en effet ; je crois qu’il a une force matérielle telle qu’aucun parti n’oserait l’attaquer.
Eh bien, je vous demande : Si vous ne profitez pas d’un temps où la force du pays est tellement supérieure à tous les obstacles, je vous demande quand vous commencerez cette éducation indispensable qui permettra de dire que la France est un pays dont l’éducation est faite ? Et voulez-vous donc, en présence de l’Europe entière, de l’Europe où la presse est libre partout, que la France seule soit dans cet état d’enfance, dans cet état de tutelle où elle est aujourd’hui ? (Mouvements divers.)
On me dit, messieurs, que cette éducation est commencée ; M. le ministre d’État disait, il y a quelques jours, qu’il y avait à Paris 15 ou 18 journaux, je ne me rappelle plus le nombre, et qu’il n’y en avait que deux qui soutiennent la politique du Gouvernement.
Mais quel est l’état des autres ? Vous le savez, le Gouvernement a la faculté de les avertir ; un premier, un second avertissement ne suffisant pas, on les suspend, on les supprime. Quel est ce système, réduit à ses termes les plus simples ? La presse, quelle mission a-t-elle ? De critiquer le Gouvernement ; elle ne peut en avoir une autre. (Rumeurs.)
Eh bien, c’est ce même Gouvernement qu’elle doit critiquer qui est chargé de déclarer dans quelle mesure il sera critiqué. Je vous demande si c’est là même le commencement de la liberté de la presse ? Non, c’est un régime, permettez-moi de vous le dire, étrange, dont nous n’avons jamais vu le pareil, que celui même qu’on est chargé de critiquer soit char gé de vous dire : Mais non, aujourd’hui c’est trop, je ne veux pas ; jusque-là je veux bien, au-delà non.
C’est la liberté en tutelle ; ce n’est pas le commencement de l’éducation que j’invoque pour la France.
On me parle de licence ; je le sais bien, il y a quelque chose qu’on appelle licence et avec beaucoup de raison ; mais, je vous le demanderai, la licence, l’avez-vous supprimée ? Ah ! je serais très sensible à cet argument ; je ne dis pas qu’il changerait complètement mes convictions, mais j’y serais sensible dans une certaine mesure. Eh bien, je m’adresse à votre mémoire, cherchez ; avez-vous supprimé la licence ? ou plutôt ne l’avez-vous pas mise en dépôt dans les mains du Gouvernement pour s’en servir quelquefois, lorsqu’un citoyen a eu le malheur de lui déplaire ? (Approbation sur quelques bancs.)
M. Eugène Pelletan. — Oui, les journaux du Gouvernement sont des calomniateurs ! (Réclamation.)
M. Thiers. — Et ne croyez pas que je veuille ici rappeler des souvenirs personnels, non ; vous verrez à ma conduite, à mon langage, que je n’ai aucun souvenir de ce qui a pu se passer il y a quelques mois ; non, mais vous me permettrez cependant de me servir de tous les faits qui ont quelque signification. Eh bien, la vérité c’est que notre régime actuel est celui-ci sous le rapport de la presse : le gouvernement que la presse doit critiquer est chargé de déclarer dans quelle mesure on le critiquera ; et, quant à la licence, elle est dans ses mains, il en peut faire ce qu’il veut. (Interruption.)
Messieurs, permettez. Je vois très-bien qu’on a très-peu de mémoire pour ce qui concerne les autres. Je veux bien ne pas en avoir beaucoup, mais je voudrais bien que vous en eussiez un peu. (Rires approbatifs sur plusieurs bancs.)
Je n’insisterai pas sur ce sujet.
[Troisième liberté : la liberté électorale]
Je passe à cette autre liberté qu’on appelle la liberté électorale. Ce n’est pas aujourd’hui que je traiterai la question des candidatures officielles, — cela nous mènerait trop loin, — je ne veux pas abuser de votre attention, et comme le sujet que j’ai à traiter est fort vaste, je ne dirai que très-peu de mots de ce point particulier.
Je dirai qu’à l’égard de la liberté électorale nous procédons un peu comme à l’égard de la liberté de la presse.
Oh ! oui, on a donné le suffrage universel, on a donné à la nation tout entière le droit d’avoir un avis, mais à une condition, c’est de lui dicter cet avis ; et quand je dis : de lui dicter cet avis, vous conviendrez que je suis modéré dans mon langage. (Plusieurs voix : Très-bien !)
Le suffrage universel ! on lui rend de grands hommages ; on en a fait le droit divin de notre temps. Veut-on un souverain ? on s’adresse au suffrage universel. Vous lui avez demandé un souverain pour l’Italie, vous lui en avez demandé un pour la Grèce, vous lui en demandez un pour le Mexique; l’on s’agenouille ainsi devant cette autorité vénérable ; et puis quand il s’agit de députés, ou se redresse, et on lui dit : « Oh ! vous êtes bien respectable, mais le plus souvent vous me savez ni lire ni écrire ; il y a mieux, vous êtes singulièrement crédule, vous êtes capable de croire tout ce que vous disent les candidats de l’opposition ; vous êtes même bien timide, car avec toute la force publique, nous pouvons à peine vous rassurer, et un député de l’opposition en habit noir vous fait peur. »
Cette autorité si grande, si respectable, à laquelle on demande des souverains, quand il faut lui demander des députés, on la déclare infirme, sourde, aveugle et incapable, et on veut lui dicter ses choix. (Plusieurs voix : Très-bien ! — Bruit.)
M. Thiers. — Si vous voulez accepter les conditions que dans tous les pays libres le gouvernement accepte, je vous accorderai les candidatures officielles ; sinon, non ! Pour ma part, je ne le pourrais pas.
Mais je me borne là quant à présent. Nous discuterons plus tard cette question avec toute la profondeur qu’elle mérite. Pour aujourd’hui, je vous prie de remarquer qu’en fait de liberté électorale, c’est la même chose qu’en fait de liberté de la presse : vous critiquerez dans telle mesure, vous aurez la liberté de vos choix dans telle mesure que je vous indique rai, que je vous tracerai.
[Quatrième liberté : la liberté de la représentation nationale]
J’arrive à cette autre liberté que j’ai appelée la liberté de la représentation nationale. Je ne parle pas de cette liberté que nous sommes toujours assurés de trouver ici, grâce à l’impartialité du président qui dirige nos débats, je parle d’une autre liberté.
J’accorde — car vous ne me verrez jamais déserter les maximes de gouvernement, — j’accorde que l’initiative doit en tout appartenir au pouvoir. Le pouvoir, c’est l’action même, l’action incessante ; il faut que le pouvoir veille sur tous nos intérêts, qu’il veille sur tous ces grands États qui nous entourent, pour sauvegarder notre grandeur et notre sécurité. Ce n’est pas seulement autour de nous, c’est sur la surface entière du globe qu’il faut qu’il agisse.
Au-dedans, il faut qu’il veille à l’organisation de nos forces, qu’il perçoive l’impôt, qu’il en distribue le produit, il faut qu’il veille sur l’administration de la justice ; il faut même qu’il veille à la législation, car la législation ne peut être immuable, éternelle : il faut qu’elle change. En tout cela, il lui faut l’initiative. Pourquoi ? Parce que nous sommes habituellement dispersés ; nous ne sommes réunis que quelques instants de l’année, et le Gouvernement ne peut pas attendre, parce que l’action ne peut s’arrêter un seul moment.
J’accorde donc l’initiative, je l’accorde complète ; je lui accorde même, — et peut-être beaucoup de mes amis politiques me blâmeront ici, mais c’est ma conviction, — je lui accorde même l’initiative en matière de législation, et voici pourquoi.
Qu’est-ce que peut être l’initiative en matière de législation ? Ce n’est jamais plus qu’un vœu, car même quand une assemblée a la faculté de l’initiative jusqu’à pouvoir rédiger une loi tout entière, il faut encore que cette loi soit accueillie par une autre Chambre, par le souverain lui-même. Elle n’a donc jamais que la valeur d’un vœu, et quand vous avez la faculté de présenter une adresse, avec une phrase dans cette adresse faite dans le sens de la loi que vous désireriez, que la majorité l’accueille, vous aurez la loi. Par conséquent, je ne regrette pas même l’initiative en matière de législation.
Mais, messieurs, si j’accorde au Gouvernement l’initiative en toutes choses, il faut bien qu’on nous accorde le contrôle en toutes choses aussi. Eh bien, le contrôle, pour que nous puissions l’exercer toujours à temps et utilement, il faut que nous puissions, comme cela se pratique dans toutes les assemblées de l’Europe, il faut que nous puissions introduire ici une question lorsqu’elle nous paraît nécessaire, urgente à examiner. Et dans toutes les assemblées de l’Europe, comment cela se passe-t-il ? Sous deux garanties qui me semblent bien rassurantes : il faut d’abord que la majorité le veuille et ensuite que le Gouvernement y consente, car si le Gouvernement déclare qu’il ne peut pas s’expliquer sur la question qu’on a soulevée, les questionneurs sont obligés de se taire.
Il me semble qu’avec cette double garantie, cet usage qui a existé dans toutes nos assemblées et qui existe aujourd’hui dans toute l’Europe, cet usage n’a aucun inconvénient ; mais voici ses avantages ; c’est que dans l’état actuel, si vous voulez vous saisir de toutes les questions qui méritent votre attention, vous êtes obligés ou de faire de l’adresse une véritable encyclopédie politique, administrative et financière, ou de faire du budget une chose qu’il ne doit pas être, au lieu d’une matière de finances une matière de politique universelle.
Eh bien, je dis que la représentation nationale n’a pas sa vraie liberté, quand le Gouvernement seul peut lui tracer son ordre de travail et qu’elle ne peut se saisir que des questions que le Gouvernement lui a véritablement soumises.
Quant à moi, je crois que nous n’aurons notre véritable liberté, que nous n’aurons nos mouvements aisés, que nous ne ferons les choses naturellement et à propos, que lorsque nous aurons cette faculté, établie par l’usage, d’introduire ici telle question que la majorité aura considérée comme méritant la peine d’être traitée, et que le Gouvernement n’aura pas déclarée dangereuse.
Autrement, savez-vous ce qui arrive ? C’est que certaines questions qu’on n’a pas saisies à temps, qu’on n’a pas arrêtées dans leur développement, se traduisent par des chiffres de 300, de 400, de 500 millions, par des emprunts, par des mouvements de la dette flottante, et qu’on est réduit, comme la Prière au pied boiteux d’Homère, à déplorer le mal qui a été fait, mais à arriver toujours trop tard pour le réparer.
Plusieurs voix. Très-bien !
[Cinquième liberté : la responsabilité ministérielle]
J’arrive à la dernière de ces conditions, à celle qui a pour but d’établir le débat des affaires publiques, non pas avec le souverain lui-même, mais avec les dépositaires de son autorité.
Ici, messieurs, je me hâte de rendre hommage à ce que l’empereur a déjà fait, En introduisant ici les ministres sans portefeuille et même un ministre à portefeuille, le ministre d’État, il nous a déjà fait faire un pas considérable vers cette dernière de nos libertés, qui est, à mon avis, l’une des plus importantes Il est vrai qu’en introduisant ici M. le ministre d’État, on a pris un soin, c’est de vider son portefeuille. (On rit.)
Il y avait dans ce portefeuille les sociétés savantes, les beaux-arts, les théâtres, même les haras, toutes attributions qui ont leur va leur administrative, mais qui n’ont pas de valeur politique. Il y avait cependant une attribution que, pour ma part, je regrette, et qui n’aurait pas été mal placée dans les mains du ministre d’État : c’est la direction du Moniteur, car nous avons pu éprouver combien le Moniteur a d’importance. Eh bien, cette attribution elle-même a été mise à l’écart, et M. le ministre d’État conviendra que lorsqu’il vient ici, son portefeuille ne doit pas peser beaucoup sous son bras. (Nouveaux rires.)
Messieurs, le portefeuille a été vidé ; mais il suffit d’un décret pour le remplir. Le portefeuille pourra être rempli plus tard… Oh ! monsieur le ministre, ne m’ôtez pas l’espérance ! (On rit.)
Il y a mieux : non-seulement on pourra remettre quelque chose dans le portefeuille de M. le ministre d’État, mais enfin il dépend de la souveraineté impériale de faire arriver ici les autres ministres à portefeuille. Et, quant à moi, je dirai tout à l’heure mes raisons de le désirer. Mais auparavant, je voudrais répondre à une objection qu’on me fera peut-être. On me dira, — on l’a dit ailleurs, — que j’oublie l’article 5 de notre Constitution.
Je ne l’oublie pas, messieurs. Vous savez que cet article déclare le souverain de la France responsable. Cet article se trouvait dans la Constitution républicaine : il y était bien à sa place ; mais la Constitution républicaine, de janvier en novembre, est devenue Constitution monarchique, et, pour ma part, j’ai été étonné de retrouver cet article dans la Constitution monarchique. Mais peu importe !
On peut vous dire que c’est violer la Constitution que de vouloir se servir d’un droit qu’elle ne contient pas. Mais, quand vous consentez à ne pas vous servir d’un droit qu’elle contient, on ne peut pas dire que vous la violez. Eh bien, moi, messieurs, je suis bien décidé, pour mon compte, à faire comme vous, et à ne pas me servir de l’art. 5 : je ne ferai en cela que suivre votre exemple ; et si je ne voulais pas le suivre, vous me feriez taire, et vous auriez raison — du reste vous n’aurez jamais à cet égard à me rappeler aux convenances. Et je ne fais pas ici une vaine supposition, car, bien que je vécusse dans la retraite, je suivais, dans tous les temps, vos travaux avec l’attention que méritent toujours les travaux des représentants de la France. Eh bien, je me rappelle que dans la séance du 8 mars 1862, l’un de vos collègues, non pas qu’il voulût se servir de l’art. 5, mais parce qu’il voulait constater qu’il pourrait s’en servir au besoin, fut arrêté par M. le Président, qui lui dit : « Gardez-vous-en bien, car je vous arrêterais ! » Et M. le Président avait raison.
Mais comme il y a deux manières d’abroger un article de loi, ou l’abrogation ou la désuétude, je conclus que vous regardez l’article 5 comme tombé en désuétude.
On me dira peut-être : « Ayez donc du courage ; et puisque le souverain a inscrit cet article dans la Constitution, ayez donc autant de courage que lui, et servez-vous-en ? »
Messieurs, si vous me le permettez, pour bien rendre ma pensée, qui est difficile à rendre, J’aurai recours à une anecdote qui s’est passée à Berlin, il y a environ cent ans, anecdote qui rend ma pensée si bien, que je vous demande la permission de vous la raconter bien brièvement.
D’abord il s’agit du grand Frédéric, et vous conviendrez qu’il n’y a d’outrage pour personne à le placer très-près de ce nom-là.
Eh bien ! Frédéric, vous le savez tous, était un grand homme de guerre, un grand politique, un grand administrateur. Il avait des travers : comme son ami, ou, si vous voulez, son ennemi Voltaire, il avait une fort mauvaise langue. (On rit.) Mais les libertés qu’il prenait, il les donnait aux autres, et un jour, de la fenêtre de son palais il aperçut des curieux qui lisaient un placard ; ce placard était placé très-haut, et les curieux étaient obligés de se dresser sur la pointe des pieds pour pouvoir le lire. Le grand Frédéric demanda à un de ses serviteurs ce que c’était. Ou lui dit que c’était un placard dans lequel ou disait beaucoup de mal de lui. Il en rit de grand cœur et dit à ce serviteur : « Allez donc baisser ce placard pour que ces bonnes gens puissent le lire plus commodément ! »
Savez-vous ce qui survint ? Lorsque le serviteur du roi se présenta pour baisser le placard, tous les curieux s’enfuirent, et aucun d’eux ne profita de la commodité qu’on voulait lui ménager.
Eh bien, moi, je suis comme les curieux de Berlin : si l’on veut baisser le placard, je m’enfuirai. (Rire général.)
Maintenant donnons la forme sérieuse a un fonds très-sérieux.
Permettez-moi de vous le dire, l’irresponsabilité du souverain est la liberté du pays. (Mouvement.)
Je ne m’inquiète donc pas de l’objection qu’on pourrait tirer de l’article 5, et je demande, en renonçant à en user, à pouvoir me servir le plus possible de l’article 13. Tel qu’il est fait, il constitue une certaine responsabilité ministérielle.
Pour moi, je demande à débattre les affaires publiques très-vivement avec MM. les ministres, et j’avouerai à l’honorable M. Rouher, qui connaît le cas que je fais et de sa personne et de son mérite, que quand il voudra parler des affaires étrangères, — et je suis convaincu qu’il en parlera avec un grand sens et une grande habitude à manier la parole, — je lui avouerai mon faible : c’est que si j’étais au Sénat et que je visse M. le ministre des Af faires étrangères auprès de lui, je ne pourrais résister au désir de piquer M. le ministre des Affaires étrangères pour qu’il en parlât lui-même… (On rit.)
Pourquoi ? Parce qu’il y a toujours grand bénéfice et grande instruction à discuter les affaires avec ceux qui les font. S’il s’agissait des affaires du Mexique, par exemple, j’aimerais à mettre en scène M. le ministre de la Marine et M. le ministre de la Guerre.
On me dira que les grands administrateurs, quelquefois, ne savent pas parler. Je vous entretenais tout à l’heure des pays dont il faut faire l’éducation. Eh bien, dans les pays dont l’éducation est faite, les grands administrateurs ne deviennent pas toujours précisément des orateurs, mais ils savent toujours expliquer d’une manière suffisamment claire les affaires qu’ils ont dirigées, et j’ai toujours remarqué que lorsqu’un homme vient, la poitrine découverte, dire devant son pays : J’ai fait telle chose par tels motifs, qu’il soit orateur ou non, il est écouté avec grande confiance, parce qu’il a deux grands mérites aux veux de ceux qui l’écoutent : la compétence et la franchise. (Plusieurs voix. Très-bien ! Très-bien !)
Oh ! il y a une autre raison qui me fait désirer que ce que l’empereur a déjà fait se renouvelle, — c’est-à-dire que nous voyions ici plusieurs collègues du ministre d’État, — c’est que la plus grande sagesse chez le souverain ne me dispense pas de désirer le courage chez ses ministres.
Messieurs, le souverain le plus élevé et le plus éminent a besoin du courage de ses ministres, et ce courage, où peuvent-ils le puiser le plus sûrement ? Ici, messieurs ; dans leur conscience sans doute, mais ici plus certainement ; et c’est, quand ils ont entendu la voix du pays par ses représentants, quand leur conscience est fortement impressionnée, qu’ils portent cette conscience ainsi impressionnée auprès du souverain et qu’ils lui font entendre des vérités que le souverain le plus éclairé a toujours besoin d’entendre.
Messieurs, j’ai parcouru le plus rapidement que j’ai pu ces conditions de liberté que j’appelle nécessaires, et vous voyez qu’il n’est pas besoin de bouleverser nos institutions pour vous les donner. Vous voyez que pour la liberté individuelle, il suffit de laisser tomber la loi de sûreté générale ; que pour la presse, il ne faudrait pas toucher à la Constitution, il faudrait changer seulement un ou deux articles du décret sur la presse ; que pour la liberté électorale, il faudrait changer quelques pratiques ; que pour la liberté que j’appelle la liberté de la représentation nationale, il faudrait introduire un usage ici, celui d’interpeller les ministres, qui a existé dans tous les temps et qui existe partout ; et quant à la principale des libertés, celle qui consiste à établir le débat, en laissant le souverain toujours au-dessus de nous, toujours étranger à nos discussions, qui consiste à rétablir le débat avec les ministres, pour celle-là il ne faut qu’un ou deux décrets comme l’empereur en a déjà rendu plusieurs.
Ainsi vous le voyez, il ne s’agit pas de bouleverser nos institutions ; il s’agit qu’elles soient développées dans le sens où elles l’ont déjà été.
Messieurs, il faut… mais j’ai déjà beaucoup usé de votre attention. (Non ! non !)
Quelques voix. Reposez-vous.
M. Thiers. — Non ! messieurs, il faut que vous me permettiez d’accomplir mon dessein. Je sais bien ce qu’on va me dire : Ah ! nous vous reconnaissons ! Ah ! vous voulez cet affreux gouvernement parlementaire (On rit), le gouvernement des rhéteurs qui vous a donné pendant quarante ans le triste spectacle de la dispute des portefeuilles,… qui a mal fini, qui peut convenir à l’Angleterre, cette nation de marchands, mais qui ne convient pas à l’héroïque France, qui ne veut pas de disputes de procureurs, qui veut une épopée perpétuelle !
Puisqu’on veut bien me reconnaître à tout ce que j’ai dit, je vous demande la permission de répondre (je tâcherai de ne pas vous retenir trop longtemps) quelques mots à cette objection.
Le gouvernement des rhéteurs ? Je déclare d’abord que je ne m’offense pas du mot. Quand on le voit employé comme il l’a été quand on voit qu’il s’adresse au général Foy, à M. de Serres, à M. de Villèle, à M. de Martignac, à M. Royer-Collard, à M. Casimir Périer, à M. le duc de Broglie, à M. Guizot, à M. Berryer, quand on le voit appliqué à de tels noms, on n’a qu’un souci, c’est de le mériter.
Plusieurs voix. Très-bien ! très-bien !
M. Thiers. — Puisque je ne m’en offense pas, les honorables ministres qui sont sur ces bancs, je m’imagine, ne s’en offenseront pas plus que moi. Je dirai donc qu’on devrait parler de ce gouvernement de rhéteurs avec quelque ménagement, car enfin nous y voilà. (Hilarité.) En voilà, et des plus distingués.
Quand ces messieurs viennent ici exprimer vos opinions, vous les approuvez, vous les applaudissez, et vous avez raison. Je vais plus loin : quand vous en voyez poindre un, vous l’applaudissez de toutes vos forces, et vous avez encore raison.
Cette objection des rhéteurs, elle est donc puérile ; il faut n’avoir pas un grand discernement de la langue pour confondre les vains parleurs avec les hommes sérieux qui viennent discuter ici les affaires du pays. (Très bien !)
Mais j’arrive à une objection plus sérieuse : à la dispute des portefeuilles. Vous m’accorderez qu’en cette matière je suis aujourd’hui bien désintéressé. (On rit.) Eh bien, je demande, à quiconque a lu les pages de l’histoire, quel est donc le temps, le pays où le pouvoir n’a pas été disputé ! Dans les républiques turbulentes, il est disputé sur la place publique ; dans les cours même les plus glorieuses, il est disputé par de sourdes intrigues.
Y a-t-il eu un temps plus grand, plus glorieux que celui de Louis XIV ? Eh bien, il fallait plaire à Mme de Maintenon.
Je le demande, si le pouvoir doit être disputé partout, vous ne voulez pas qu’il soit disputé sur la place publique ou qu’il soit disputé dans de basses intrigues ; je demande s’il peut l’être plus noblement que par des hommes qui viennent faire preuve ici de ces trois qualités : l’intelligence des affaires du pays, un certain talent pour les exposer, le caractère nécessaire pour les défendre.
L’Angleterre, qui est bon juge en matière de gloire, nous accorde la gloire des armes ; elle se réserve jalousement cette gloire qui consiste à défendre ainsi les intérêts de son pays ; elle appelle cela la gloire de Pitt et de Fox, elle ne veut l’abandonner à personne. Soyons aussi fiers et aussi intelligents qu’elle en cette matière, et ne faisons pas fi d’une gloire qui n’a pas nui à notre pays depuis quarante ans. (Plusieurs voix. Très-bien !)
Aux audacieux qui dédaignent tant les rhéteurs, je dirai : L’homme le plus audacieux qui fut jamais, Napoléon Ier, n’a jamais songé à faire percevoir l’impôt sans qu’il eût été voté. Eh bien ! messieurs, quand il faudra venir vous demander des milliards et des milliards, il vous faudra de ces rhéteurs pour expliquer à quelles conditions on doit les donner et comment on peut les employer.
J’arrive à cette objection qu’on nous répète si souvent : c’est là le gouvernement anglais.
En entendant tous les jours cette objection, je me suis épuisé à chercher ce qu’on voulait dire, en répétant sans cesse que c’est là le gouvernement anglais. Et je me suis dit : mais voyons, les hommes voulant être libres sous la monarchie, que pouvaient-ils faire ? que pouvaient-ils imaginer autre que ceci : c’est que le citoyen soit libre quand il s’occupe d’affaires publiques et assure de sa personne ; qu’il puisse exprimer son opinion ; qu’il puisse charger des hommes d’élite de venir l’exprimer ici ; et que ces hommes, une fois réunis, puissent les débattre, non pas avec le souverain, ce serait une révolution perpétuelle, mais avec les dépositaires de son autorité.
Je demande comment, voulant être libres, nous avons pu imaginer autre chose que cela : que l’homme qui s’occupe d’affaires publiques soit inviolable, qu’il puisse envoyer ici des mandataires qui le représentent pour discuter ses intérêts avec les dépositaires de l’autorité souveraine ?
Est-ce que cela est anglais ? Est-ce qu’il y a quelque chose d’anglais là-dedans ? Cela est de tous les pays.
Ou on veut être libre ou on ne le veut pas. Si on veut l’être, il n’y a que cette manière de s’y prendre.
Oh ! je comprends que s’il s’agit de la loi électorale, c’est autre chose. La loi électorale doit varier selon les pays, parce qu’elle est en quelque sorte moulée sur la société qu’elle re présente.
Par exemple, en Suède, il y a quatre ordres : les paysans, les bourgeois, le clergé, la noblesse ; c’est la manière de représenter cette société. Je comprends donc que la loi électorale soit adaptée à cette forme de société. En Autriche, ce sont des nationalités différentes, qui ont chacune une forme de gouvernement à part, et qui envoient des délégués à l’assemblée universelle.
Le Reichsrat, c’est une autre forme de représentation. L’Autriche a la sienne, nous avons la nôtre ; l’Angleterre a la sienne. J’accorde donc que la loi électorale varie, mais le mécanisme du gouvernement ne peut varier. Il est aussi ridicule de dire que c’est la manière anglaise que de dire, permettez-moi la comparaison, que la machine à vapeur est anglaise, ou autrichienne, ou française ; elle est de tous les pays, parce que de mécanisme, il ne peut y en avoir qu’un. Et puis, je dirai qu’il y a là une étrange ignorance de l’histoire. Si cela était vrai, cela voudrait dire qu’il faut un gouvernement différent à chaque partie de l’Europe. Eh bien, ce que l’histoire apprend, c’est qu’à toutes les époques l’Europe n’a eu que la même forme de gouvernement Je ne veux pas entrer dans de trop grands détails ; mais permettez-moi quelques mots sur ce sujet, car tout cela est de la plus grande importance.
Il y a trois époques dans l’histoire de l’Europe moderne : l’époque féodale, l’époque royale, et aujourd’hui l’époque libérale. Vous savez ce que c’était que l’époque féodale. Lors que le gouvernement militaire, si grandement manié par Charlemagne, est tombé dans les mains de ses successeurs, le gouvernement militaire s’est localisé ; c’est là l’époque féodale. Eh bien, consultez les documents du temps, et vous verrez que le régime féodal a été partout le même ; le régime féodal a été eu Angleterre, en France, en Allemagne, ce qu’il était partout. Il y a plus, les mœurs que la féodalité a inventées, cos mœurs qui étaient un mélange do violence et en même temps de délicatesse, car la Providence corrige tout, et à côté de la violence du gouvernement féodal elle avait placé la protection du faible dans les mœurs chevaleresques ; eh bien, ces mœurs-là ont été les mêmes partout ; partout, dans toute l’Europe, vous pouvez consulter les documents du temps et on en trouve la preuve dans ces poésies du temps passé qu’on publie aujourd’hui en Angleterre, eu France, en Allemagne, le gouvernement était le même, et les mœurs étaient les mêmes aussi.
Et lorsque la société s’est fatiguée de cette forme de gouvernement, qu’elle n’a plus voulu de cette violence, la royauté a attiré à elle tous les pouvoirs ; elle a employé les moyens que vous connaissez, les armées permanentes et les hommes de loi, c’est-à-dire les parlements. Eh bien, l’époque royale, vous la trouvez la même dans toute l’Europe ; il y a quelquefois une centaine d’années de différence entre le moment où ce changement s’est produit, mais il s’est produit en Angleterre, en France, en Allemagne, partout avec les mêmes caractères. Et puis, quand enfin les nations ont voulu, après q je 1 autorité loyale avait at tiré à elle tous les pouvoirs, quand les nations, dis-je, ont voulu en avoir leur part, alors a commencé la période libérale.
L’Angleterre nous a précédés d’un peu moins d’un siècle dans cette voie, et aujourd’hui toute l’Europe veut nous suivre. Si vous alliez dire à Vienne, à Berlin, à Madrid, que c’est là un gouvernement anglais, on sourirait, on ne vous écouterait pas ; car personne ne reconnaît que l’Angleterre, seule au monde, ait le droit d’être libre. (Plusieurs voix. Très-bien !) Maintenant, si ce gouvernement n’appartient qu’à l’Angleterre, je vous demanderai pourquoi nous avons sacrifié cinquante mille Français pour aller le donner en Italie ; pour quoi on a tant loué, dans tous les journaux du Gouvernement, l’Autriche, lorsqu’elle s’est donné cette forme de gouvernement ; pour quoi on a déclaré que, à partir de ce jour, on pouvait être ses alliés ?
Comment ! ce serait le mal ? et vous vous seriez faits les importateurs du mal avec le sang de vos soldats ? Non, messieurs, ce serait là une dérision qu’il faudrait faire cesser : il ne faut pas nous demander le sang de nos soldats pour porter la liberté partout, et venir nous dire ensuite que la liberté n’est pas faite pour nous. (Applaudissements sur quelques bancs.)
De tout cela, messieurs, si on veut être conséquent, on est réduit à prononcer contre la France une déclaration d’incapacité. Quant à moi, je ne l’accepte pas. Eh quoi ! notre France, qui a donné au monde toutes les idées de liberté, notre France en serait privée ! Non ! non ! messieurs, je n’accepte pas cette condamnation. L’Europe nous envie, et quand elle reconnaît nos qualités, nous pouvons croire que nous les possédons véritablement : a-t-elle jamais dit de la France que l’esprit de son peuple est brillant, mais faux ? Non ! l’Europe nous a toujours accordé l’éclat et la justesse du génie. La France n’est pas un esprit faux ; c’est un esprit bien fait : la nation de Descartes, de Bossuet et de Montesquieu, n’est pas indigne de la liberté ! (Nouveaux applaudissements sur les mêmes bancs.)
Maintenant, messieurs, il y a une chose que je constate, et c’est par là que je finis cette harangue trop longue.
Ah oui ! si on veut nous dire qu’il y a des difficultés dans notre situation, si on veut nous dire qu’il y a certaines difficultés dans notre caractère, dans ce que je me permettrai d’appeler notre état révolutionnaire, je vous accorderai qu’il y en a ; mais, heureusement, je ne les crois pas insurmontables. Oui, il y a des difficultés dans notre caractère ; mais je n’admets pas que la France soit plus passionnée que l’Angleterre, par exemple. Quiconque a observé le peuple anglais de près sait qu’il est le plus grandement passionné de la terre ; et cependant il n’en est pas moins libre, malgré cela.
Quand j’entends parler d’aristocratie et de démocratie pour expliquer la différence qu’il y a entre le peuple anglais et le peuple français, je dis qu’elle n’est pas là. J’ai vu et observé de près le caractère anglais, et pour moi la véritable différence qui existe entre ce caractère et le nôtre, la voici : notre type et le caractère des Anglais, permettez-moi cette expression, c’est le municipe.
Il résulte de cela qu’en France le souverain et le peuple ont l’orgueil militaire. En Angleterre, au contraire, las souverains ont une dignité que personne ne leur conteste, mais ils savent céder et le peuple anglais sait attendre.
En France, les souverains ont l’orgueil militaire. Le plus souvent, en mettant la main sur la garde de leur épée, ils s’écrient : « Plus de concessions ! » et le peuple français, qui a l’orgueil militaire lui aussi, court aux armes, et alors, au lieu de ces belles concessions et de ces belles transactions qui constituent la liberté anglaise, nous avons des batailles où il y a un vainqueur et un vaincu.
Eh bien, cette difficulté, résultant du caractère français, est-elle insoluble ? Non, messieurs, et je n’hésite pas à le dire, en France le fondateur de nos libertés, le fondateur de dynastie sera le souverain qui saura céder.
Maintenant j’arrive à la dernière difficulté.
On nous dit que nous sommes dans un état révolutionnaire encore, et on a raison.
La révolution française a renversé plus de gouvernements que la révolution anglaise, et c’est naturel : la révolution anglaise ne portait dans ses flancs que la liberté de l’Angleterre ; la révolution française portait dans les siens la liberté du monde, et les convulsions de l’enfantement ont été proportionnées à la grandeur de l’enfant qu’elle portait dans son sein. (Mouvement.)
Le sol français est couvert des débris de ces gouvernements. Il y a ce qu’on appelle les représentants des anciens partis ; je suis un de ces représentants, et je vous demande, dans l’intérêt de notre pays, de déchirer tous les voiles.
J’ai étudié le pays ; je crois du moins l’avoir étudié et bien observé. Eh bien, quelle mission a-t-il donnée à ces représentants des anciens partis ? Il leur a donné pour mission d’étudier les affaires du pays, de les discuter avec sincérité, avec impartialité, mais aussi de les approfondir ; il leur a donné pour mission de veiller à la fortune publique, de veiller au développement progressif et continu de nos institutions, et la bonne gestion des affaires publiques est dans les bonnes institutions. Voilà la mission qu’il a donnée aux représentants des anciens partis, et je ne parie que pour moi. Mais si les représentants des anciens partis, au lieu de se vouer à cette tâche, laissaient apercevoir l’intention ou de substituer une forme de gouvernement à une autre, ou une dynastie à une autre, tout de suite ils seraient faibles, parce qu’ils seraient en dehors de leur mandat (Très bien ! très bien !)
Je crois que ce que je vais dire est dans l’intelligence, dans l’âme de beaucoup d’entre eux, et peut-être de tous, du moins je l’espère : il y a un tel désir de la saine liberté, de la vraie liberté, que le gouvernement qui nous la donnera sera franchement, sincèrement accepté de tous. (Bruit.)
Quant à moi, — permettez-moi de déchirer encore un dernier voile, — j’ai servi une auguste famille aujourd’hui dans le malheur ; je lui dois le respect qu’on ne refuse jamais à de grandes infortunes noblement supportées ; je lui dois l’affection qu’on ne peut manquer de ressentir pour ceux avec qui on a passé la meilleure partie de sa vie ; mais il y a quelque chose que je ne lui dois pas, et qu’elle ne me demande pas, mais que la fierté de mon âme lui donne volontiers, c’est de vivre dans la retraite, et de ne pas lui montrer ses anciens serviteurs recherchant l’éclat du pouvoir quand elle est dans la tristesse de l’exil ; mais il y a quelque chose que, j’en atteste le Ciel, elle ne me demande pas, qu’elle ne me demandera jamais, et que je ne lui donnerai jamais, c’est de lui sacrifier les intérêts de mon pays. Je le déclare donc ici en honnête homme, si on nous donne cette liberté nécessaire, quant à moi, je l’accepterai, et ou pourra me compter au nombre des citoyens soumis et reconnaissants de l’Empire.
Plusieurs voix. Très-bien !
M. Glais-Bizoin. — Qu’on la donne immédiatement ! (Exclamations.)
M. Thiers. — Mais si notre devoir est d’accepter, permettez-moi de vous le dire, le devoir du Gouvernement est de donner. Et qu’on n’imagine pas que je veuille ici tenir le langage d’une exigence arrogante ; non, je sais que pour obtenir il faut demander avec respect. C’est donc avec respect que je demande. Pour moi je ne demanderai jamais rien ; pour mon pays je n’hésiterai jamais à demander et à demander avec le ton de déférence qui convient. Mais, qu’on y prenne garde, ce pays aujourd’hui à peine éveillé, ce pays si bouillant, chez lequel l’exagération des désirs est si près de leur réveil, ce pays qui permet aujourd’hui qu’on demande pour lui du ton le plus déférent, un jour peut-être il exigera. (Exclamations sur un grand nombre de bancs. — Applaudissements sur quelques autres.)
La séance est suspendue pendant dix minutes.
Corps législatif, séance du lundi 11 janvier 1864.
Le Moniteur universel : Journal officiel de l’Empire français, no 12, mardi 12 janvier 1864.
Supplément au journal Le Temps du 13 janvier 1864.
Chronologie indicative
24 février et 4 mai 1848. — Proclamation de la IIe République.
4 novembre 1848. — Constitution de la IIe République.
10-11 décembre 1848. — Élection de Louis-Napoléon Bonaparte à la présidence de la République.
1er-2 décembre 1851. — Coup d’État et proclamation du 2 Décembre.
20-21 décembre 1851. — Plébiscite sur la maintien de l’autorité de Louis-Napoléon Bonaparte.
14 janvier 1852. — Constitution de la République décennale.
7 novembre 1852. — Sénatus-consulte sur le rétablissement de la dignité impériale.
21-22 novembre 1852. — Plébiscite sur le rétablissement de la dignité impériale.
25 décembre 1852. — Sénatus-consulte portant modification de la Constitution du 14 janvier 1852.
27 février 1858. — Loi de sûreté générale.
16 août 1859. — Décret portant amnistie des condamnés pour crimes et délits politiques.
24 novembre 1860. — Décret rétablissant le droit d’adresse et création des ministres sans portefeuille.
3 février 1861. — Sénatus-consulte sur la publicité des débats parlementaires.
31 décembre 1861. — Sénatus-consulte sur le vote du budget par section.
23 juin 1863. — Décret qui attribue au ministre d’État les fonctions des ministres sans portefeuille.
19 janvier 1867. — Lettre au ministre d’État et décret sur le droit d’interpellation.
5 février 1867. — Décret sur les rapports du Sénat et du Corps législatif avec l’empereur.
16 mars 1867. — Sénatus-consulte sur les pouvoirs du Sénat.
11 mai 1868. — Loi relative à la presse.
6 juin 1868. — Loi relative aux réunions publiques.
8 septembre 1869. — Sénatus-consulte sur l’initiative des lois.
20 avril 1870. — Adoption par le Sénat du sénatus-consulte fixant la Constitution de l’Empire.
23 avril 1870. — Décret convoquant le peuple français dans ses comices.
8 mai 1870. — Plébiscite sur la Constitution de l’Empire.
21 mai 1870. — Promulgation du sénatus-consulte fixant la Constitution de l’Empire.
Gravure : Première séance du corps législatif. — Constitution des bureaux, le 23 [28] janvier (s. d.).