Les États-Unis et le monde en 1945
Sujet
ÉTUDE CRITIQUE DE DOCUMENT
Le « leadership » de Washington vu par le général de Gaulle dans ses Mémoires de guerre
Montrer que le document témoigne à la fois du « leadership » exercé par les États-Unis au lendemain de la Seconde Guerre mondiale et des réticences qu’il suscite chez l’auteur.
Document : un extrait des Mémoires de guerre du général de Gaulle
Dans le troisième tome de ses Mémoires de guerre (1959), l’auteur rapporte ses entretiens avec le président Truman, à Washington, les 22, 23 et 25 août 1945.
M. Truman, sous des manières simples, se montrait très positif. À l’entendre, on se sentait loin des vues d’un vaste idéalisme que déroulait dans ce même bureau son illustre prédécesseur. Le nouveau Président avait renoncé au plan d’une harmonie mondiale et admis que la rivalité du monde libre et du monde soviétique dominait tout, désormais. L’essentiel consistait donc à éviter les querelles entre États et les secousses révolutionnaires, afin que tout ce qui n’était pas communiste ne fût pas conduit à le devenir.
Quant aux problèmes compliqués de notre antique univers, ils n’intimidaient point Truman qui les considérait sous l’angle d’une optique simplifiée. Pour qu’un peuple fût satisfait, il suffisait qu’il pratiquât la démocratie à la manière du Nouveau Monde. Pour mettre fin aux antagonismes qui opposaient des nations voisines, par exemple Français et Allemands, il n’était que d’instituer une fédération des rivaux, comme avaient su le faire entre eux les États d’Amérique du Nord. Pour que les pays sous-développés penchent vers l’Occident, il existait une recette infaillible : l’indépendance ; à preuve l’Amérique elle-même qui, une fois affranchie de ses anciens possesseurs, était devenue un pilier de la civilisation. Enfin, devant la menace, le monde libre n’avait rien de mieux à faire, ni rien d’autre, que d’adopter le « leadership » de Washington.
Le président Truman était, en effet, convaincu que la mission de servir de guide revenait au peuple américain, exempt des entraves extérieures et des contradictions internes dont étaient encombrés les autres. D’ailleurs, à quelle puissance, à quelle richesse, pouvaient se comparer les siennes ? Je dois dire qu’en cette fin de l’été 1945 on était, dès le premier contact avec les États-Unis, saisi par l’impression qu’une activité dévorante et un intense optimisme emportaient toutes les catégories. Parmi les belligérants, ce pays était le seul intact. Son économie, bâtie sur des ressources en apparence illimitées, se hâtait de sortir du régime du temps de guerre pour produire des quantités énormes de biens de consommation. L’avidité de la clientèle et, au dehors, les besoins de l’univers ravagé garantissaient aux entreprises les plus vastes débouchés, aux travailleurs le plein emploi. Ainsi, les États-Unis se sentaient assurés d’être longtemps les plus prospères. Et puis, ils étaient les plus forts ! Quelques jours avant ma visite à Washington, les bombes atomiques avaient réduit le Japon à la capitulation.
Charles de Gaulle, Mémoires de guerre, tome III, Le Salut, Paris, Plon, 1959, pp. 209-210.
Le texte dans les Mémoires de guerre.
Éléments de corrigé
1. UNE ANALYSE LUCIDE DU LEADERSHIP ÉTATS-UNIEN
Dans son récit, de Gaulle livre une analyse lucide du « leadership de Washington » dans l’immédiat après-guerre. Pourvus d’une puissance sans égale et sûrs de leur exemplarité, les États-Unis se destineraient à prendre la direction du monde.
1.1. Une puissance sans égale
De Gaulle souligne la puissance acquise par les États-Unis au lendemain de la Seconde Guerre mondiale : leur puissance économique, leur puissance militaire, etc.
1.2. Un sentiment d’exemplarité
De Gaulle rappelle que les États-Unis regardent leur propre histoire comme un exemple pour le monde : la déclaration d’indépendance, la Constitution de 1787, l’universalisme de l’expérience américaine, etc.
1.3. Une volonté d’hégémonie
De Gaulle explique que les États-Unis sont résolus à exercer dans le monde des responsabilités conformes à la puissance qu’ils ont acquise, comme à l’idée qu’ils se font d’eux-mêmes : la « mission de servir de guide », la direction du « monde libre », etc.
2. UNE CRITIQUE VOILÉE DE LA POLITIQUE EXTÉRIEURE ÉTATS-UNIENNE
De Gaulle rapporte les propos du président du président Truman sans chercher à dissimuler ses propres réticences. Son témoignage est aussi une critique voilée des positions adoptées par les États-Unis au lendemain de la guerre.
2.1. La « fédération des rivaux »
De Gaulle ne souscrit pas à l’idée d’une « fédération des rivaux » défendue aux États-Unis dans l’immédiat après-guerre : la question allemande, les États-Unis d’Europe, l’attachement du général de Gaulle à la souveraineté de la France, etc.
2.2. La « recette infaillible » de l’indépendance
De Gaulle ne souscrit pas non plus à l’idée selon laquelle l’indépendance serait une « recette infaillible » dans le règlement des questions coloniales : rendre à la France son rang dans le monde, maintenir des liens entre la France et ses colonies ou protectorats, etc.
2.3. L’« optique simplifiée » de Washington
De Gaulle comme Truman regarde l’Union soviétique comme une menace pour l’Occident, mais il récuse tout ordre bipolaire qui soumettrait la France au « leadership de Washington » et la priverait de sa propre politique extérieure : la doctrine Truman (1947), la formation des blocs, etc.
3. UN TÉMOIGNAGE TARDIF QUI N’EST PAS ENTIÈREMENT NEUTRE
Le récit gaullien manque de neutralité en raison de la date de sa rédaction, des rapports entretenus par l’auteur avec Roosevelt pendant la guerre et des fonctions qu’il exerce en 1945 comme en 1959.
3.1. Une rédaction tardive
De Gaulle achève la rédaction de ses Mémoires de guerre à la fin des années 1950 et dispose d’un recul historique qui influence son récit et facilite la critique.
3.2. Un témoignage marqué par la discorde des années de guerre
De Gaulle entretient des rapports conflictuels avec le président Roosevelt pendant la Seconde Guerre mondiale et reste hostile à toute hégémonie états-unienne etc.
3.3. Un plaidoyer implicite en faveur d’une politique d’indépendance nationale
La publication du dernier tome des Mémoires de guerre est postérieure au retour au pouvoir du général de Gaulle. Premier président de la Ve République, il entend conduire une politique d’« indépendance nationale » etc.
Annexes
Photo : Truman and President de Gaulle During Welcoming Ceremonies, DOCSTeach-Nara, Domaine public
La définition du mot leadership dans le Trésor de la langue française
La définiton dans le dictionnaire Merriam-Webster
Les voyages de de Gaulle aux États-Unis dans les actualités cinématographiques états-uniennes