Le sujet d’histoire-géographie des séries L et ES du baccalauréat donné en Amérique du Sud le 17 novembre 2015 propose, en seconde partie, une étude critique de deux documents en histoire. On s’interroge ci-dessous sur la datation du second document.
Pour une analyse du dessin :
Cf. infra : description et explication
HISTOIRE
Étude critique de documents
« Les États-Unis et le monde depuis les années 1940 »
Document 1 : la charte de l’Atlantique
(14 août 1941)
Document 2 : [sans titre]
Le second document est daté dans le sujet de 2007
Le second document de l’étude est dépourvu de titre, mais la référence bibliographique donne l’indication suivante : Andy Singer, Invading New Markets — À l’assaut des nouveaux marchés, 2007 (www.politicalcartoons.com).
On retrouve le dessin d’Andy Singer dans les collections de PoliticalCartoons.com Store et sa publication sur le site est bien datée du 7 décembre 2007 :
Invading New Markets Color Version
Sa première publication semble néanmoins plus ancienne
1. Le dessin figure sur la couverture d’un livre de Vijay Prashad publié par l’éditeur Three Essays Press en juillet 2002
N.B. : le dessin est daté de 1998 sur la quatrième de couverture.
Le livre sur le site de l’éditeur
2. Le dessin est reproduit dans un manuel publié par Rethinking Schools (Milwaukee, Wisconsin) en janvier 2002 : Rethinking Globalization: Teaching for Justice in an Unjust World
“Invading New Markets” by Andy Singer
Le livre sur le site de l’éditeur :
Rethinking Globalization: Teaching for Justice in an Unjust World
Le livre sur Google Books :
Rethinking Globalization: Teaching for Justice in an Unjust World
3. Selon le dessinateur lui-même, le dessin date bien de 1998
« Invading new markets » par Andy Singer
Laurent Schietecatte — 20000 lieues sur le net
Compléments du 4 décembre 2015
Le dessin est publié pour la première fois en couverture du numéro de Z Magazine daté juillet-août 1998.
Z Magazine est une publication de la gauche radicale américaine.
Le site du dessinateur Andy Singer
4. Sa première version en couleurs date elle-même de l’année 1998
Une version en couleurs du même dessin, peut-être la première, est publiée sous le titre « D-Day », en décembre de la même année, dans un numéro du mensuel britannique New Internationalist intitulé « The Mousetrap; Inside Disney’s dream machine » (numéro 308, 5 décembre 1998).
The Mousetrap — Inside Disney’s dream machine
Le sens à donner au dessin serait alors différent
Le sens à donner au dessin serait alors différent : non pas le « wilsonisme botté » du second président Bush (2001-2009) ni l’invasion de l’Irak (2003), mais la diplomatie commerciale du président Clinton (1993-2001) et la multiplication par les États-Unis des accords de libre-échange dans l’immédiat après-Guerre froide.
La multiplication par les États-Unis des accords de libre-échange dans les années 1990
Signé en 1992, sous la présidence Bush, l’Alena est ratifié par le Congrès à la fin de l’année 1993, au terme d’un débat difficile (entrée en vigueur le 1er janvier 1994). Le premier sommet de la CEAP se réunit dans une île du Puget Sound en 1993 et envisage la création d’une vaste zone de libre échange Asie-Pacifique. L’Acte final du cycle de l’Uruguay, négocié dans le cadre du GATT, est signé l’année suivante (Marrakech, 15 avril 1994) et donne naissance à l’OMC (1er janvier 1995). Le Ier Sommet des Amériques se réunit à Miami en décembre 1994 et envisage la création d’une zone de libre-échange panaméricaine.
Sur la politique commerciale des États-Unis dans les années 1990, on relira l’allocution prononcée par le président Clinton à l’occasion de la signature des annexes à l’Accord de libre-échange nord-américain, le 14 septembre 1993, à la Maison Blanche, en présence des anciens présidents Ford, Carter et Bush :
Yesterday we saw the sight of an old world dying, a new one being born in hope and a spirit of peace. Peoples who for a decade were caught in the cycle of war and frustration chose hope over fear and took a great risk to make the future better.
Today we turn to face the challenge of our own hemisphere, our own country, our own economic fortunes.
NAFTA is essential to our longterm ability to compete with Asia and Europe. Across the globe our compe- titors are consolidating, creating huge trading blocs. This pact will create a free trade zone stretching from the Arctic to the tropics, the largest in the world, a $6.5 billion market with 370 million people. It will help our businesses to be both more efficient and to better compete with our rivals in other parts of the world.
This is also essential to our leadership in this hemisphere and the world. Having won the cold war, we face the more subtle challenge of consolidating the victory of democracy and opportunity and freedom. For decades, we have preached and preached and preached greater democracy, greater respect for human rights, and more open markets to Latin America. NAFTA finally offers them the opportunity to reap the benefits of this.
In an imperfect world, we have something which will enable us to go forward together and to create a future that is worthy of our children and grandchildren, worthy of the legacy of America, and consistent with what we did at the end of World War II. We have to do that again. We have to create a new world economy.
Sur les événements du 13 septembre 1993, voir le document suivant :
Today we bear witness to an extraordinary act in one of history’s defining dramas
Sur le cycle de guerre et de frustration de la décennie écoulée :
6 juin 1982. — Invasion du Liban par Israël.
21 août 1982. — Évacuation de Beyrouth par l’OLP.
1er octobre 1985. — Bombardement par Israël du siège de l’OLP à Tunis.
9 décembre 1987. — Début du soulèvement palestinien dans les territoires occupés.
Le débarquement d’Iwo Jima et le lever du drapeau sur le mont Suribachi
Le dessinateur trouve son inspiration dans l’iconographie de la guerre du Pacifique, mais il en fait une allégorie de la conquête des marchés et du libre-échange inégal.
1. Le débarquement d’Iwo Jima (19 février 1945)
N.B. : on aperçoit le mont Suribachi à l’arrière-plan.
Assault on the Beachhead, USMC Archives
2. La photo de Joe Rosenthal sur le mont Suribachi (23 février 1945)
Description et explication
Le dessin d’Andy Singer — “Invading New Markets”, Z Magazine, juillet-août 1998 — représente un débarquement militaire : il témoigne de la puissance des États-Unis, montre peut-être leur force militaire, mais figure avant tout — et caricature, pour les dénoncer — leur domination commerciale et l’expansion de leur culture de masse.
— La puissance militaire : des fusiliers marins débarquent sur une plage, après accostage de deux barges de débarquement, sous la protection d’un navire de guerre et de quelques avions de chasse ; sur la plage, des habitants terrorisés sont tués, s’enfuient ou se rendent ; sur la colline, à l’arrière-plan, le lever du drapeau s’inspire d’une photo prise par Joe Rosenthal, sur une île japonaise, à la fin de la Seconde Guerre mondiale, Raising the Flag on Iwo Jima.
— La domination commerciale : les projectiles lancés par le navire ou les avions sont des articles de commerce — canettes de soda et téléviseurs — et les fusiliers marins prennent les traits de personnages de fiction produits par la firme de divertissement Disney ; ils sont revêtus, comme la flotte de débarquement, du logotype de firmes ou de produits états-uniens : Motorola, Windows (Microsoft), McDonald’s, Coca-Cola, Nike et Texaco.
— L’expansion culturelle, dans le cadre d’un libre-échange inégal, celle d’une culture de masse fondée sur la consommation de biens de consommation ou de services standardisés : des biens de consommation durables (postes de télévision, automobile, ordinateurs), des produits alimentaires (sodas) et des services (restauration, cinéma d’animation et parcs d’attraction).
Le dessin est une allégorie du libre-échange inégal et de la conquête des marchés par les firmes transnationales états-uniennes. Il se réfère à la multiplication par les États-Unis des accords de libre-échange dans la première décennie de l’après-Guerre froide et fait de la politique commerciale une continuation de la guerre par d’autres moyens. Il reprend les arguments opposés par l’altermondialisme à la mondialisation libérale. Il témoigne avant tout du pouvoir de contraindre (hard power) exercé par les États-Unis dans le monde, y compris dans le domaine commercial, non pas de leur pouvoir de convaincre (soft power) dont la notion même trouve ici sa réfutation. Au sourire de la souris au fusil mitrailleur répond le rictus de l’homme aux deux mains sur la tête.
Hard power et soft power
Traduction et définition des deux notions :
Pouvoir de contraindre et pouvoir de convaincre
Commission générale de terminologie et de néologie, 2006.
Sur la notion de « soft power », un texte délibérément critique de l’américaniste Pierre Guerlain :
« Soft power: la fin d’une légende et la mort d’un concept »
Huffington Post, 2014.
Une autre parodie de la célèbre photo
On donnerait une tout autre signification au dessin du caricaturiste brésilien Carlos Latuf publié sur Indymedia le 30 décembre 2002 : « Bush’s war for oil ».
Bush’s war for oil poster by Latuff
Note du 14 décembre 2020
Sur la notion de « soft power », lire le texte de Campus, magazine scientifique de l’Unige, no 143, décembre 2020 :