Trois économies-monde successives
ANALYSE DE DOCUMENTS
Montrer que les deux documents témoignent de la mise en place d’une économie-monde américaine au XXe siècle, mais qu’ils présentent aussi des différences en raison de la date à laquelle ils sont produits.
Document 1 : l’économie-monde américaine vue par un géographe au lendemain de la Seconde Guerre mondiale
La prépondérance des États-Unis dans l’économie internationale est l’un des résultats essentiels de la dernière guerre. Il est peu de moments dans l’histoire, où une seule nation ait dominé d’aussi haut l’arène mondiale. La recherche instinctive d’un précédent évoque l’image de Rome mais l’empire de Rome ne fut jamais vraiment universel ; comme tous les grands empires de jadis, il s’érigea par une poussée politique qui dura plusieurs siècles. […]
La grande conflagration de 1939-1945 remodela vite et puissamment l’édifice économique du monde : avec une intensité et une durée variables, elle ravagea la plus grande partie du Vieux Monde. Seul le Nouveau Monde, isolé entre les deux grands océans, demeura à l’écart de l’immense effort de destruction : par un effet d’équilibre nécessaire, il accomplit, au cours de ces six années, une œuvre de création énorme. Les chiffres officiels, désormais dévoilés, expriment avec éloquence le déplacement survenu du centre de gravité économique du globe. […]
Ainsi, au lendemain de la guerre, les États-Unis se trouvent à la tête d’une machine de production monstrueuse, d’une flotte marchande maritime et aérienne comme aucun pays n’en posséda jamais, en face d’un monde ravagé et diminué dans tous les domaines, financièrement ruiné, cherchant avec angoisse à reprendre une assiette, ne fût-ce que provisoire, mais qui permette aux moteurs économiques d’embrayer à nouveau.
Jean Gottmann, « L’essor des États-Unis et l’économie d’après-guerre », Annales. Économies, sociétés, civilisations, 1re année, n° 2, 1946, pp. 97-115 (extraits).
Document 2 : l’économie-monde américaine vue par un géographe au début des années 1960
L’amenuisement des réserves d’or américaines pose le problème de la balance des paiements . En effet, depuis 1949, année de la plus grande richesse en or, les réserves ont baissé de près du tiers (1949 : 24,5 milliards de dollars ; 1960 : 17,8 milliards). Elles sont mêmes descendues au-dessous du chiffre de 1940 (22 milliards). Il est évident que, chaque année […], les États-Unis perdent plus d’argent qu’ils n’en gagnent. Mais il est assez difficile de déceler la cause essentielle de ce déficit qui s’est brusquement aggravé à la fin de 1960, atteignant près de 4 milliards pour l’année. On avait pu, en 1959, incriminer le déclin des exportations, qui ne dépassaient plus qu’à peine les importations : l’année 1960 n’a pas confirmé ce point de vue. […]
La grosse question reste celle des investissements à l’étranger. Leur somme globale a triplé depuis 1950 (près de 30 milliards de dollars contre 11) et chaque année 2 à 3 milliards de dollars de plus s’y ajoutent. […] Leur rentabilité est bonne. Sans atteindre maintenant le taux de 10 pour 100 obtenu il y a quelques années, ils ont permis en 1959, la rentrée aux États-Unis de 2,2 milliards de dollars, soit près de 7 pour 100 ; de sorte que les nouveaux investissements sont presque payés par les bénéfices des anciens. L’on rétorque que les filiales américaines à l’étranger vendent leurs produits aux États-Unis, ce qui compromet l’équilibre commercial et n’est pas compensé par les achats en Amérique de produits par les filiales.
André Meynier, « Balance des paiements et investissements des États-Unis à l’étranger », Annales de géographie, 1962, t. 71, n° 388, pp. 662-664 (extraits).