Dans un article publié par la Revue d’histoire de la deuxième guerre mondiale — no 47, juillet 1962 —, Raymond Josse propose une première synthèse sur la manifestation des étudiants et lycéens, à l’Étoile et sur les Champs-Élysées, le 11 novembre 1940 : « La naissance de la Résistance étudiante à Paris et la manifestation du 11 novembre 1940 ». Fondé sur des témoignages, l’article retrace les origines de la manifestation, reconstitue son déroulement et s’interroge sur ses suites. Un demi-siècle plus tard, l’article d’Alain Monchablon dans Vingtième Siècle — « La manifestation étudiante à l’Étoile du 11 novembre 1918 » — repose avant tout sur des archives. On trouvera ci-dessous une chronologie établie d’après le récit de Raymond Josse et le texte du tract appelant à la manifestation ; entre crochets, des précisions ou corrections d’après Alain Monchablon.
Le déroulement des événements
30 octobre 1940. — Arrestation du professeur Paul Langevin, cofondateur du Comité de vigilance des intellectuels antifascistes, à l’École de physique et de chimie industrielles, rue Vauquelin.
8 octobre 1940, dans l’après-midi. — Manifestation pour la libération de Paul Langevin, devant le Collège de France et rue des Écoles ; elle se prolonge, après sa dispersion, dans les rues du Quartier latin.
[La manifestation réunit une cinquantaine d’étudiants communistes, « à la hauteur de la place de la Sorbonne ».]
Dans la soirée. — Rédaction du tract appelant à la manifestation du 11.
[La rédaction du tract est antérieure : une lettre anonyme adressée au recteur en donne le texte, or elle est datée du 7. Contrairement à l’idée reçue, la manifestation du 8 n’est pas à l’origine de celle du 11.]
[1er novembre 1940. — L’Arc de triomphe reçoit la visite de 20 000 personnes ; des fleurs sont déposées sur la tombe du Soldat inconnu.]
[11 novembre 1940, 5 h 30. — Dépôt d’une gerbe, devant la statue de Clemenceau, par André Weil-Curiel et Léon-Maurice Nordmann.]
11 novembre 1940, à partir de 8 h 30. — Premiers attroupements devant la statue de Clemenceau ou sur la tombe du Soldat inconnu.
11 h 45. — Une centaine de jeunes gens, descendant l’avenue par groupes d’une dizaine, se heurtent à la police ; arrestation de René Baudoin, professeur de sciences naturelles au lycée Lakanal.
À partir de 15 h. — Nouveaux attroupements sur l’avenue.
À partir de 16 h. — Des groupes d’étudiants ou de lycéens se forment en haut de l’avenue ; un millier de lycéens de Janson-de-Sailly rejoignent la place de l’Étoile, en cortège, par la rue de la Pompe et l’avenue Victor-Hugo.
Vers 16 h 30. — Rassemblement de 150 personnes environ, au no 144 de l’avenue, devant la permanence de deux organisations collaborationnistes, le Jeune Front et la Garde française ; deux voitures allemandes, roulant sur le trottoir, bousculent des manifestants ; intervention de la police.
Un peu après 16 h 30. — Arrivée à l’Étoile des lycéens de Janson-de-Sailly, puis de ceux de Carnot.
Après 17 h. — Arrivée en bas de l’avenue de lycéens ou d’étudiants du Quartier latin et de tout Paris ; jets de pierre contre le siège principal des deux organisations collaborationnistes, au no 28 de l’avenue.
Vers 17 h 15. — À l’angle de la rue Balzac, début de bagarre entre manifestants et militants du Jeune Front ; intervention de la police ; la manifestation se poursuit, sur le trottoir de droite, entre l’Étoile et la rue de Washington.
Vers 17 h 30. — Nouvel attroupement devant la permanence du Jeune Front et de la Garde française ; dispersion de l’attroupement par la police ; arrestations de cinq manifestants par des soldats allemands ; la manifestation se poursuit sur toute la longueur de l’avenue, alors que la nuit commence à tomber ; charges de police et arrestations.
Un peu avant 18 h. — Intervention d’une section allemande au rond-point des Champs-Élysées ; arrivée d’une seconde section à l’angle de l’avenue George-V ; intervention de la police à l’Arc de triomphe ; arrivée des Allemands qui achèvent de dégager la place ; les manifestants se replient dans les rues avoisinantes, poursuivis par les Allemands ; arrestations.
18 h 15. — La place de l’Étoile est dégagée ; des bagarres se poursuivent en bas de l’avenue.
Vers 19 h. — Derniers heurts, Cours-la-Reine et rue Royale.
Gustave Roussy, recteur de l’Académie de Paris, est relevé des ses fonctions et remplacé par Jérôme Carcopino, directeur de l’École normale supérieure. L’Université de Paris est provisoirement fermée.
Le texte du tract appelant à la manifestation
Étudiant de France !
Le 11 novembre est resté pour toi jour de Fête nationale
Malgré l’ordre des autorités opprimantes, il sera Jour de recueillement.
Tu n’assisteras à aucun cours.
Tu iras honorer le Soldat Inconnu, 17 h 30
Le 11 novembre 1918 fut le jour d’une grande victoire.
Le 11 novembre 1940 sera le signal d’une plus grande encore
Tous les étudiants sont solidaires pour que
Vive la France !
Recopie ces lignes et diffuse-les.
Plan de Paris, Dufrénoy, 1937.
Les articles de Raymond Josse et Alain Monchablon sont disponibles sur les sites JSTOR et CAIRN :
Raymond Josse, « La naissance de la Résistance étudiante à Paris et la manifestation du 11 novembre 1940 », Revue d’histoire de la deuxième guerre mondiale, no 47, juillet 1962, pp. 1-31.
Alain Monchablon, « La manifestation à l’Étoile du 11 novembre 1940. Histoire et mémoires », Vingtième Siècle, no 110, avril-juin 2011, pp. 67-81.
« Des notes extraites d’un journal intime »
Le 11 novembre 1944, sous le titre « Écrit le 11 novembre 1940 », le journal Franc-Tireur publie « des notes extraites d’un journal intime écrit au jour le jour tout au long de cette année du désastre ».
Écrit le 11 novembre 1940
Ce jour-là sous les yeux de l’ennemi, les Parisiens manifestèrent pour la première fois
Ce fut la journée des fleurs et du sang
11 novembre 1944, armistice de la délivrance. Malgré soi, on évoque ce que fut ce jour du monde tragique entre tous, ce 11 novembre 1940, le premier de l’occupation. Voici, prises sur le vif au moment où les choses se passèrent, des notes extraites d’un journal intime écrit au jour le jour tout au long de cette année du désastre.
Un de nos amis est venu nous donner hier soir le mot d’ordre. Il s’agit d’aller isolément déposer des fleurs à Notre-Dame, devant le pilier de l’allée de droite sur lequel a été apposée en 1918 une plaque commémorative en l’honneur des soldats anglais morts pendant la guerre.
[…]
Madeleine Jacob
Franc-Tireur, 11 novembre 1944.