Dans un article de La Grande Encyclopédie (t. XII, 1890-1891), le juriste Ernest Lehr (1835-1919) assure que les deux termes ne sont pas synonymes et s’emploie à les définir : le « congrès » se distinguerait de la « conférence » par la qualité des plénipotentiaires qu’il réunit, par les sujets qu’il examine et par les buts qu’il se donne. La différence manque cependant de netteté pour un bon nombre de juristes et le second terme finit par l’emporter sur le premier. Le congrès de Paris (1856) règle la paix après la guerre de Crimée (1853-1856), comme le congrès de Westphalie (1643-1648) après celle de Trente Ans (1618-1648) ou le congrès de Vienne (1814-1815) après celles de la Révolution et de l’Empire (1792-1815). Après la Première Guerre mondiale, en revanche, la paix est réglée par une conférence — la Conférence de la paix de Paris. Ouverte le 18 janvier 1919, sans préliminaires de paix et en l’absence des vaincus, elle réunit pourtant des chefs de gouvernement et même un chef d’État, premier membre de sa propre délégation. On peut considérer l’Assemblée annuelle de la Société des Nations comme une sorte de congrès international.
III. Histoire et Droit international. — On désigne sous les noms de conférences, congrès, des réunions de diplomates délégués par leurs gouvernements pour traiter des questions internationales et d’intérêt commun. S’il n’est pas aisé de poser une limite précise entre le congrès et la conférence, il serait cependant inexact de soutenir, comme l’ont fait certains publicistes modernes, qu’aujourd’hui les deux termes sont synonymes. Non seulement un congrès est incontestablement plus solennel dans ses manifestations extérieures ; mais encore on peut, en y regardant de près, discerner entre les deux sortes de réunions des différences de fond qui, pour n’avoir pas toujours été strictement observées, n’en existent pas moins en réalité. Jusqu’à une époque récente (congrès de Vienne, d’Aix-la-Chapelle, de Troppau, de Laybach, etc.), les congrès proprement dits étaient fréquemment composés des souverains eux-mêmes, accompagnés de leurs premiers ministres. Aujourd’hui, les souverains n’y prennent plus part ; mais ils s’y font représenter par leurs ministres des affaires étrangères et autres dignitaires de rang très élevé, ayant presque toujours des pleins pouvoirs pour conclure les traités formant l’objet du congrès. Au contraire, les conférences se composent de délégués désignés ad hoc par les gouvernements, avec voix délibérative ou consultative, rarement de ministres d’État et jamais de souverains. D’un autre côté, les sujets soumis à l’examen des congrès touchent aux intérêts primordiaux et vitaux des États ; ils sont plus vastes et plus importants ; les conférences s’occupent, d’ordinaire, de questions plus circonscrites et moins graves ; elles se contentent d’examiner les obligations existantes et d’en fixer le sens, ou de préparer la solution de quelque difficile affaire, comme, par exemple, la conférence réunie à Bruxelles en 1874 pour délibérer sur les lois de la guerre. Enfin, le but des congrès est différent de celui des conférences. Les congrès cherchent à aplanir les conflits par une décision de nature à prévenir la guerre et à maintenir l’ordre légal entre les nations. Les conférences ne proclament pas de nouveaux principes, mais appliquent ceux qui existent ; elles ne tranchent pas des questions litigieuses, mais en étudient la solution. Nous ne contestons pas, d’ailleurs, qu’en pratique certaines réunions internationales ont été intitulées conférences qu’il eut été plus exact de qualifier de congrès.
Les congrès et conférences sont convoqués, soit sur l’initiative d’une puissance médiatrice, — c’est ainsi qu’en 1770 Catherine II invita l’Autriche et la Prusse, qui ne s’entendaient pas au sujet de la succession de Bavière, à nommer des plénipotentiaires pour un congrès à Teschen ; — soit par les États intéressés eux-mêmes, — c’est le cas ordinaire des congrès appelés à mettre fin à une guerre ; — soit, enfin, en l’absence de toute médiation, sur la proposition d’une puissance qui juge une réunion nécessaire en vue d’examiner et de résoudre certaines questions d’intérêt général. Seuls, les États indépendants et souverains peuvent prendre part à un congrès ou à une conférence ; les États mi-souverains y sont représentés par la puissance dont ils relèvent. En dehors des nations directement intéressées, les puissances médiatrices sont toujours admises à la réunion, et il en est de même des autres gouvernements dès que les questions soulevées prennent une portée universelle ; dans tous les cas il est de règle, sinon d’usage constant, qu’on ne traite les affaires d’une puissance qu’en sa présence. Les représentants des puissances sont, comme nous le disions plus haut, dans les congrès, des souverains ou des plénipotentiaires, dans les conférences, des délégués ou commissaires chargés de rendre compte à leur gouvernement. Les délibérations sont dégagées aujourd’hui de tout vain apparat ; les sessions s’ouvrent par le choix du président, qui est habituellement le représentant le plus élevé en dignité de l’État sur le territoire duquel se tient la réunion, ou parfois le doyen du corps diplomatique accrédité dans la capitale. Après l’élection du président, on procède à l’échange et à la vérification des pouvoirs. Les délibérations ont lieu de vive voix et font l’objet d’un procès-verbal pour chaque séance. Le vote a lieu à la majorité, chaque État ne disposant que d’une voix quel que soit le nombre de ses représentants ; mais la décision de la majorité n’est pas absolument obligatoire pour la minorité ; on ne saurait l’imposer sans faire violence au principe de l’indépendance des États ; les efforts d’un congrès doivent tendre à obtenir de la minorité qu’elle renonce à son opposition; si elle y persiste, le but de la réunion est à considérer comme manqué. Quant à l’exécution des décisions, elle dépend entièrement des puissances qui ont contribué à les faire adopter ; quelquefois l’une d’elles est chargée d’y pourvoir ; d’autres fois, elles agissent en commun.
Les congrès les plus célèbres sont les suivants : Munster et Osnabrück (1641-1648, paix de Westphalie) ; congrès des Pyrénées (1659); Aix-la-Chapelle (1663) ; Nimègue (1676-1679) ; Francfort (1681) ; Rvswick (1697); Utrecht (1712-1713) ; Aix-la-Chapelle (1748); Teschen (1779) ; Paris (1782-1783) ; Rastadt (1797) ; Amiens (1802) ; Erfurt (1808) ; Prague (1813) ; Châtillon-sur- Seine et Gand (1814) ; Vienne (1814-1815) ; Aix-la-Chapelle (1818) ; Carlsbad(1849) ; Troppau (1820) ; Laybach (1821) ; Vérone (1822) ; Panama (1826) ; Lima (1847) ; Paris (1856) ; Berlin (1878). — Les conférences les plus importantes des temps modernes sont, par ordre de date : 1828 et années suivantes, affaires de Grèce ; 1831 à 1839, affaires de Belgique ; 1858, question des principautés danubiennes; 1861, affaires de Syrie ou du Liban ; Orizaba, 1862, question mexicaine ; Londres, 1864, affaire du Danemark, et 1867, question du Luxembourg ; Paris, 1868, différend turco-grec, à propos de l’insurrection crétoise ; Bruxelles, 1874, lois de la guerre ; Constantinople, 1877-78, question des principautés vassales de la Porte, réformes en faveur des populations chrétiennes de la Turquie d’Europe ; Londres, 1883, conférence danubienne ; Berlin, 1885, conférence relative au Congo ; Paris, 1885, canal de Suez ; Bruxelles, 1889, congrès antiesclavagiste. Il y a eu, en outre, dans les quinze dernières années, plusieurs conférences, notamment à Berne, pour l’élaboration de règlements internationaux sur des questions de droit privé : transports par chemins de fer, propriété intellectuelle, câbles sous-marins, etc. Ernest LEHR
Ernest Lehr, « Conférences. III. Histoire et Droit international », in La Grande Encyclopédie. Inventaire raisonné des sciences, des lettres et des arts par une société de savants et de gens de lettres, t. XII, Paris, H. Lamirault et Cie, 1885-1902, pp. 380-381.
Le congrès de Paris d’après Dubufe
Publiée dans L’Histoire de France populaire d’Henri Martin (1868-1885), le dessin reproduit le tableau d’Édouard-Louis Dubufe (1819-1883) sur le congrès de Paris (25 février-16 avril 1856). Le traité est signé par sept puissances le 30 mars : aux quatorze plénipotentiaires, le peintre ajoute une quinzième personne, Benedetti, alors directeur des affaires politiques au ministère des Affaires étrangères et secrétaire rédacteur du congrès. Le buste représente Napoléon III, le tableau Napoléon Ier (Delaroche, 1807).
Henri Martin, Histoire de France populaire depuis les temps les plus reculés jusqu’à nos jours, t. 6, p. 441.
De gauche à droite :
1. — Cavour (Sardaigne) ; 2. — Cowley (Royaume-Uni) ;
3. — Buol-Schauenstein (Autriche) ; 4. — Orloff (Russie) ;
5. — Bourqueney (France) ; 6. — Manteuffel (Prusse) ;
7. — Hübner (Autriche) ; 8. — Walewski (France), président ;
9. — Djemil (Empire ottoman) ; 10. — Benedetti (France), secrétaire ;
11. — Clarendon (Royaume-Uni) ; 12. — Brunnow (Russie) ;
13. — Aali (Empire ottoman) ;
14. — Hatzfeldt (Prusse) ; 15. Villamarina (Sardaigne).
Dans son édition du 25 février 1856, le Journal des débats politiques et littéraires donne la liste des douze plénipotentiaires. La Prusse est admise au congrès le 18 mars ; la représente deux plénipotentiaires : le baron de Manteuffel, président du Conseil et ministre des Affaires étrangères, le comte de Hatzfeldt, envoyé extraordinaire et ministre plénipotentiaire à Paris.
L’ouverture de la conférence de Paris aura lieu définitivement le 25 février. Le comte Orloff, le grand-vizir Aali-Pacha, qu’on attendait, sont arrivés depuis deux jours ; ainsi la conférence sera complète lorsqu’elle commencera ses travaux. Comme c’est à Paris que la conférence se réunira, elle sera présidée de droit par le comte Walewski, ministre des affaires étrangères de France. Les dix plénipotentiaires des cinq puissances autres que la France, qui sont admises à faire partie de la conférence, prendront rang à la droite et à la gauche du président, selon l’ordre établi par les règlemens du Congrès de Vienne. La question relative à l’admission et à l’exclusion de la Prusse est toujours incertaine. On sait quels seront les membres de la conférence :
Pour la France, le comte Colonna Walewski, ministre des affaires étrangères, avec le baron de Bourqueney, envoyé extraordinaire et ministre plénipotentiaire de France près la cour d’Autriche ;
Pour l’Autriche, le comte Buol-Schauenstein, ministre de l’extérieur et de la maison de l’empereur, avec le baron Hübner, envoyé extraordinaire et ministre plénipotentiaire d’Autriche à Paris ;
Pour la Grande-Bretagne, le comte de Clarendon, secrétaire d’État pour les affaires étrangères, avec lord Cowley, ambassadeur extraordinaire de la reine d’Angleterre à Paris ;
Pour la Russie, le comte Orloff, envoyé extraordinaire de l’empereur Alexandre, avec le baron de Brunnow, envoyé extraordinaire et ministre plénipotentiaire de Russie près la Confédération germanique ;
Pour la Sardaigne, le comte de Cavour, président du conseil des ministres et ministre des finances, avec le marquis Pes de Villamarina, envoyé extraordinaire et ministre plénipotentiaire de Sardaigne à Paris
Pour la Turquie, Aali-Pacha, grand-vizir, président du conseil privé, avec Mehemet-Bey, ambassadeur extraordinaire du Sultan à Paris.
Tous ces personnages sont connus.
Journal des débats politiques et littéraires, 25 février 1856.
N.B. : l’orthographe et la typographie de l’article sont conservées ; les majuscules sont accentuées.
Le tableau de Dubufe rappelle celui d’Isabey sur le congrès de Vienne (gravure de Godefroy, 1819).
Congrès de Vienne. Séance des plénipotentiaires des huit puissances signataires du traité de Paris
Gravure de Godefroy, d’après Isabey.
Le préambule du traité de Versailles
Le préambule d’un traité de paix indique en général les noms et titres des chefs d’États représentés puis les noms et qualités de leurs plénipotentiaires. Sa rédaction, dans le traité de Versailles du 28 juin 1919, est insolite : présent en personne à la conférence, Woodrow Wilson, président des États-Unis, est le premier membre de sa propre délégation et se représente lui-même…
À cet effet, les hautes parties contractantes représentées comme il suit :
Le Président des États-Unis d’Amérique, par :
L’Honorable Woodrow Wilson, Président des États-Unis, agissant tant en son nom personnel que de sa propre autorité ;
L’Honorable Robert Lansing, Secrétaire d’État ;
L’Honorable Henry White, ancien Ambassadeur extraordinaire et plénipotentiaire des États-Unis à Rome et à Paris ;
[…]
Heinrich Triepel, Nouveau recueil général de traités et autres actes relatifs aux rapports de droit international. Continuation du grand recueil de G. Fr. de Martens, Leipzig, Librairie Theodor Weicher, 1922, 3e série, t. XI, 1re livraison, p. 324.