Document 1 : « Le canon de Guillaume… » (Clemenceau, 1er août 1914)
Document 2 : « A peace without victory » (Wilson, 22 janvier 1917)
Document 3 : « Des choses qui ont l’infériorité d’être » (Clemenceau, 25 janvier 1917)
Document 4 : « The world must be made safe for democracy » (Wilson, 2 avril 1917)
Document 5 : Clemenceau dans les ruines de Noyon (8 septembre 1918)
Document 6 : Wilson en partance pour l’Europe (4 décembre 1918)
Document 7 : « Il y avait un vieux système… » (Clemenceau, 29 décembre 1918)
Document 1 : « Le canon de Guillaume… » (Clemenceau, 1er août 1914)
Écrit le 1er août 1914, l’éditorial de Clemenceau paraît le 2 à la une de L’Homme libre.
L’heure est venue de résolutions graves. En effet, il s’agit, pour la France, de la vie et de la mort.
Nous avons été vaincus, démembrés, écrasés en 1871, saignés jusqu’aux dernières gouttes, nous avons essayé de revivre, et depuis quarante ans, tantôt bien, tantôt mal, nous avons vécu. Mais cette vie même est notre crime, aux yeux de vainqueurs qui croyaient en avoir fini pour jamais avec nous. […]
Le monde civilisé nous doit ce témoignage que, pendant ces quarante années, nous avons été, sur le continent européen, un instrument de paix. Nous avons travaillé, d’une bonne volonté inlassable, parmi les erreurs et les fautes qui sont de l’homme en tous pays, à organiser, à implanter solidement chez nous un régime de démocratie qui pût faire l’ordre, dans la patrie, par la liberté, avec l’espérance qu’un labeur obstiné nous maintiendrait parmi les peuples la place à laquelle notre histoire nous dit que nous avons droit.
À cinq reprises différentes depuis que nous avons vu les soldats allemands dans Paris, l’ordre de l’Europe a été délibérément troublé par la menace de l’épée germanique, sans que la plus légère provocation de notre part ait pu l’excuser. Nous sommes demeurés maîtres de nous-mêmes, et quand l’honneur nous a commandé la résistance, nous avons accompli ce devoir avec la simplicité d’hommes dont le sang d’une grande race fait battre le cœur. Aujourd’hui, que nous veut-on ? Nous vivions en paix. Attentifs à l’organisation de notre défense, rien n’est venu de nous d’où se pût induire une pensée d’offensive. Et que de fois, pourtant, avons-nous dû, raidis dans une impassibilité de commande, rester sans parole, ni geste, quand passait par-dessus les Vosges la voix de la patrie torturée.
Là-bas, de l’autre côté du Rhin, une nation grande et forte qui a le droit de vivre, mais qui n’a pas le droit de détruire, en Europe, toute vie indépendante, pousse le délire de grandeur jusqu’à ne plus tolérer que la France ose lever la tête lorsqu’elle a parlé. Affolé d’hégémonie, l’empereur allemand qui entraîne ses peuples, les yeux fermés, à des aventures dont personne ne peut calculer l’étendue, porte inexcusablement, comme sous la hantise des invasions barbares, le coup le plus cruel à tout ce qui fait l’orgueil des peuples civilisés. Il veut en finir avec la France, l’Angleterre, la Russie, ignorant qu’on n’en finit pas avec des peuples qu’on ne peut ni anéantir, ni assimiler. Appuyé sur l’incohérent assemblage de races ennemies que le sceptre de Vienne n’arrive pas à maintenir dans l’obéissance, le Kaiser prétend choquer les deux moitiés de l’Europe pour hisser son trône sanglant sur les plus hautes ruines que le malheur humain aura jamais contemplées. […]
Hier, un misérable fou assassinait Jaurès, au moment où il rendait, d’une magnifique énergie, un double service à son pays, en cherchant obstinément à assurer le maintien de la paix, et en appelant tout le prolétariat français à la défense de la patrie. […]
Serrons les rangs, nous, de tous les partis, et si la paix doit jamais ramener l’heure des comptes, ne manquons pas de payer en justice sociale le dévouement de ceux qui se sont donné pour but sublime la grande réconciliation de l’humanité.
Un rêve dont le canon de Guillaume, tout à l’heure, va nous réveiller.
Georges Clemenceau, « À la veille de l’action », L’Homme libre, 2 août 1914.
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Document 2 : « A peace without victory » (Wilson, 22 janvier 1917)
Le président Wilson s’exprime devant le Sénat des États-Unis le 22 janvier 1917.
If the peace presently to be made is to endure, it must be a peace made secure by the organized major force of mankind.
The terms of the immediate peace agreed upon will determine whether it is a peace for which such a guarantee can be secured. The question upon which the whole future peace and policy of the world depends is this:
Is the present war a struggle for a just and secure peace, or only for a new balance of power? If it be only a struggle for a new balance of power, who will guarantee, who can guarantee, the stable equilibrium of the new arrangement?
Only a tranquil Europe can be a stable Europe. There must be, not a balance of power, but a community of power; not organized rivalries, but an organized common peace.
Fortunately we have received very explicit assurances on this point. The statesmen of both of the groups of nations now arrayed against one another have said, in terms that could not be misinterpreted, that it was no part of the purpose they had in mind to crush their antagonists. But the implications of these assurances may not be equally clear to all — may not be the same on both sides of the water. I think it will be serviceable if I attempt to set forth what we understand them to be.
They imply, first of all, that it must be a peace without victory. It is not pleasant to say this. I beg that I may be permitted to put my own interpretation upon it and that it may be understood that no other interpretation was in my thought. I am seeking only to face realities and to face them without soft concealments.
Victory would mean peace forced upon the loser, a victor’s terms imposed upon the vanquished. It would be accepted in humiliation, under duress, at an intolerable sacrifice, and would leave a sting, a resentment, a bitter memory upon which terms of peace would rest, not permanently, but only as upon quicksand. Only a peace between equals can last.
Only a peace the very principle of which is equality and a common participation in a common benefit.
Address of the President delivered to the Senate of the United States, January 22, 1917, Washington, Department of State, February 14, 1917, pp. 4-5.
La traduction de Désiré Roustan (1917)
La traduction de T. H. Mac Carthy (1918)
Document 3 : « Des choses qui ont l’infériorité d’être » (Clemenceau, 25 janvier 1917)
L’éditorial de Clemenceau paraît à la une de L’Homme enchaîné du 25 janvier 1917.
M. Wilson parle de la guerre européenne, parce qu’il ne peut pas n’en pas parler, puisque c’est le fait même qui lui met la plume à la main. Mais, très visiblement, ce n’est pas là son sujet. Occasion, c’est assez dire. Comme il est certainement sincère, il ne peut se défendre d’aborder le problème de l’Europe en feu, mais, le regard perdu dans l’abîme des âges, il s’élance, d’un magnifique essor, par delà le temps et l’espace, pour planer dans le vide au-dessus des choses qui ont l’infériorité d’être. […]
Si M. Wilson avait construit, en même temps que sa planète de vapeurs irisées, une population spéciale de droit et de sagesse surhumaine, pour emplir les vastes colonnades du céleste séjour, il n’y aurait rien à faire qu’à nous émerveiller. Et, pour moi, je troquerais de bon cœur ma part d’humanité misérable pour une entrée, même des plus modestes, en ce féerique habitacle. Hélas ! ce n’est pas ce qui nous arrive. L’édifice est de merveille, mais je ne vois pas d’homme pour l’habiter. C’est bien ce qui me gêne du triste point de vue de l’utilité passagère, où la présence des Boches dans la France envahie, avec leurs cortèges d’atrocités quotidiennes, m’oblige à me placer. […]
Nos villes sont détruites, nos cathédrales séculaires flambent sous la main des Boches « de culture », de villages, même, on ne peut plus retrouver l’emplacement, nos hommes sont au feu, des femmes violentées, ou déportées en serre-files d’esclaves, sous le bâton des soldats, pour aller nous ne savons où. C’est ce qui fait que nous n’avons pas le cœur à la métaphysique de la Haye, dont nous sommes loin de méconnaître les doctrinales beautés. […]
Croyez-moi, sans tant de paroles, vous ne détruirez pas la violence sur la terre, avant que la terre et ses créatures ne soient changées. Quand on assassine un passant, le public neutre des trottoirs arrive au secours. Ce n’est ni nous, ni l’Angleterre, ni la Belgique qui avons levé le couteau sur l’Allemagne. On nous assassine, monsieur, ce n’est pas l’heure de discourir.
Georges Clemenceau, « L’idéalisme d’un président », L’Homme enchaîné, 25 janvier 1917.
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Document 4 : « The world must be made safe for democracy » (Wilson, 2 avril 1917)
Le président Wilson s’exprime devant le Congrès le 2 avril 1917 et rappelle son discours du 22 janvier.
Our object now, as then, is to vindicate the principles of peace and justice in the life of the world as against selfish and autocratic power and to set up among the really free and self-governed peoples of the world such a concert of purpose and of action as will henceforth ensure the observance of those principles.
Neutrality is no longer feasible or desirable where the peace of the world is involved and the freedom of its peoples, and the menace to that peace and freedom lies in the existence of autocratic governments backed by organized force which is controlled wholly by their will, not by the will of their people. We have seen the last of neutrality in such circumstances.
We are at the beginning of an age in which it will be insisted that the same standards of conduct and of responsibility for wrong done shall be observed among nations and their governments that are observed among the individual citizens of civilized states.
We have no quarrel with the German people. We have no feeling toward them but one of sympathy and friendship. It was not upon their impulse that their government acted in entering this war. It was not with their previous knowledge or approval. […]
We are now about to accept gage of battle with this natural foe to liberty and shall, if necessary, spend the whole force of the nation to check and nullify its pretensions and its power. We are glad, now that we see the facts with no veil of false pretense about them, to fight thus for the ultimate peace of the world and for the liberation of its peoples, the German peoples included: for the rights of nations great and small and the privilege of men everywhere to choose their way of life and of obedience.
The world must be made safe for democracy. Its peace must be planted upon the tested foundations of political liberty. We have no selfish ends to serve. We desire no conquest, no dominion. We seek no indemnities for ourselves, no material compensation for the sacrifices we shall freely make. We are but one of the champions of the rights of mankind. We shall be satisfied when those rights have been made as secure as the faith and the freedom of nations can make them.
Address of the President of the United States delivered at a Joint Session of the Two Houses of Congress, April 2, 1917, Cambridge, The Riverside Press, 1918, pp. 3-10.
La traduction du discours dans son entier par Désiré Roustan
La traduction des deux phrases les plus citées du discours
Document 5 : Clemenceau dans les ruines de Noyon (8 septembre 1918)
La photo est publiée dans Le Miroir du 29 septembre 1918.
M. CLEMENCEAU VISITE LES RUINES DE LA VILLE DE NOYON RÉOCCUPÉE
Le président du Conseil vient de quitter l’hôtel de ville et s’engage dans la rue du Nord
Le président du Conseil, accompagné du général Mordacq, passa les journées des 7 et 8 septembre sur les fronts des armées alliées. Le 7, il visita, dans la matinée, avec le roi Albert, un des points les plus intéressants du front belge ; l’après-midi, il parcourut les régions dévastées du Kemmel, de Bailleul et de Neuve-Eglise et assista d’un observatoire avancé aux opérations contre Armentières. Le lendemain, M. Clemenceau alla a Noyon où il rayonna dans toute la vallée de l’Oise, visitant Chauny et Coucy-le-Château. Le voici traversant Noyon. De gauche à droite : le préfet de l’Oise, le général Humbert, M. Clemenceau et le général Mordacq ; au second plan, M. Noël, maire de Noyon et M. Félix, conseiller municipal.
« M. Clemenceau visite les ruines de la ville de Noyon réoccupée », Le Miroir, 29 septembre 1918.
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Document 6 : Wilson en partance pour l’Europe (4 décembre 1918)
La photo est publiée à la une d’Excelsior du 13 décembre 1918, jour de l’arrivée à Brest du président Wilson.
LE PRÉSIDENT ET MME WILSON QUITTENT LA MAISON-BLANCHE, À WASHINGTON, DANS L’AUTO PRÉSIDENTIELLE
« Le président et Mme Wilson quittent la Maison-Blanche… », Excelsior, 13 décembre 1918.
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Le président Wilson arrive à Brest un mois après la signature de l’armistice et quitte la France après la signature du traité de Versailles (29 juin 1919). Il s’absente néanmoins plus d’un mois (15 février-13 mars 1919) en raison d’un bref séjour à Washington (24 février-4 mars). Ses voyages se font par voie de mer.
Document 7 : « Il y avait un vieux système… » (Clemenceau, 29 décembre 1918)
Clemenceau s’exprime devant la Chambre des députés le 29 décembre 1918.
Il y avait un vieux système, qui paraît condamné aujourd’hui et auquel je ne crains pas de dire que je reste en partie fidèle en ce moment : les pays organisaient leur défense. C’est très prosaïque. Ils tâchaient d’avoir de bonnes frontières ; ils s’armaient. C’était un terrible fardeau pour les populations toutes entières.
M. Brizon. — Il a fait faillite. (Exclamations.)
M. le président. — Voulez-vous laisser parler ? Ces interruptions sont indécentes. (Protestation sur divers bancs de l’extrême gauche. — Applaudissements sur d’autres bancs.)
Sur divers bancs à l’extrême gauche. — C’est abominable.
M. le président. — C’est moi qui suis abominable ? Que la Chambre et le pays jugent. (Applaudissements.) Vous n’avez pas compris : « Indécent » veut dire qui ne convient pas. (Vifs applaudissements.)
M. le président du Conseil. — Je disais qu’il y avait cette veille méthode des frontières solides et bien défendues, des armements et de ce qu’on appelait l’équilibre des puissances, le système aujourd’hui paraît condamné…
M. Brizon. — Il a fait faillite.
M. Géo-Gérald. — C’est vous qui avez fait faillite. C’est un scandale d’entendre parler ainsi. (Applaudissements.)
M. le président du conseil. — Ce système, aujourd’hui, paraît condamné par quelques très hautes autorités. Je ferai cependant observer que si l’équilibre, qui s’est spontanément produit pendant la guerre, avait existé auparavant si par exemple l’Angleterre, l’Amérique, la France et l’Italie étaient tombées d’accord pour dire que quiconque attaquait l’une d’entre elles attaquait tout le monde, la guerre n’aurait pas eu lieu. (Très bien ! très bien !)
M. André Lebey. — C’est la société des nations.
M. le président du conseil. — Je vous en prie, monsieur Lebey, laissez-moi parler, j’ai assez de peine à suivre ma pensée et vous avez assez l’habitude de la parole pour me laisser parler.
Il y avait donc ce système des alliances, auquel je ne renonce pas, je vous le dis tout net et ma pensée directrice, en allant à la conférence, si votre confiance maintenue me permet d’y aller (Vifs applaudissements), c’est qu’il ne doit rien arriver qui puisse séparer dans l’après-guerre les quatre puissances qui étaient réunies dans la guerre. (Vifs applaudissements à droite, au centre et sur un grand nombre de bancs à gauche.)
[…]
La vérité est que, depuis les temps les plus reculés de l’Histoire, les peuples se sont éternellement rués les uns sur les autres pour la satisfaction de leurs appétits et de leurs intérêts égoïstes. Ce n’est pas moi qui ai fait cette histoire, pas plus que vous.
Elle est. Dans ma jeunesse encore, dans les lycées, où je n’étais pas toujours un très bon élève, comme quelques-uns d’entre vous sans doute (On rit), on ne m’apprenait, en fait d’histoire, qu’une série de batailles. Puis, quand on m’avait appris cela, on me disait : « Vous savez l’histoire de France ! » Et je ne soupçonnais pas ce que c’était que l’histoire de France. Il a fallu que je sortisse des écoles pour l’apprendre, pour la connaître et pour la juger.
Eh bien ! messieurs, c’est la situation aujourd’hui. Cela ne vous est pas attribuable pas plus qu’à moi. Tout ce passé des peuples, avec les hasards des guerres et des victoires, des conquérants, des faiblesses, des déchéances de quelques races, a amené, par un concours de batailles effroyables, qu’on ne pourrait pas dénombrer, des régions limitées suivant que la poussée a été plus ou moins forte dans certains endroits ou dans certains autres.
Vous me dites tout d’un coup : « Nous allons faire la justice internationale ».
Quand on annonce qu’on va faire la justice et quand des peuples envoient des délégués en conférence pour faire cette justice, les clients ne manquent pas pour demander que justice leur soit faite d’abord. Il faut donc nous attendre à ce que toutes les questions qui ont pu léser les intérêts des peuples à ce jour vont être soulevées à la conférence. Les grands et les petits peuples se présenteront.
Journal officiel de la République française. Débats parlementaires. Chambres des députés. « 2e séance du dimanche 29 décembre », 30 décembre 1918, pp. 3732-3734.