Les États-Unis et le monde depuis les « Quatorze Points » du président Wilson (1918)
II. La confrontation avec une superpuissance concurrente (1945-1991)
A. Un nouvel ordre américain
1. La création d’un nouveau système multilatéral
2. La défense du « monde libre » face à l’Union soviétique
3. La formation d’une « économie-monde » états-unienne
B. Les années 1960 : apogée et désillusions
1. Les ambiguïtés de la détente
2. L’érosion de la suprématie économique
3. La montée des contestations
C. Trois redéfinitions de la puissance
1. La « Realpolitik » de Nixon et Kissinger
2. La présidence Carter : défense des droits de l’homme et durcissement de la politique états-unienne
3. La présidence Reagan : la lutte contre l’« empire du mal »
II. La confrontation avec une superpuissance concurrente (1945-1991)
La victoire de 1945 renforce la puissance des États-Unis, les convainc de l’excellence de leur modèle et leur confère un rôle décisif dans le règlement de la paix : le président Roosevelt (1933-1945) envisage l’établissement d’un nouvel ordre international, néo-wilsonien, fondé sur l’exempla-rité des États-Unis, sur le principe de la « porte ouverte » et sur un système multilatéral de sécurité. Les États-Unis se heurtent néanmoins à l’Union soviétique, laquelle trouve sa légitimité dans une idéologie différente, et entend fonder sa propre sécurité sur l’acquisition d’un glacis défensif en Europe. La mort de Roosevelt (12 avril 1945) est suivie d’une dégradation des relations Est-Ouest, laquelle compromet la mise en œuvre de son projet. Les États-Unis s’engagent alors dans une guerre froide avec l’Union soviétique et assument le leadership du « monde libre », mais ils connaissent des difficultés à partir des années 1960, lesquelles entraînent plusieurs redéfinitions de leur politique de puissance.
A. Un nouvel ordre américain
1. La création d’un nouveau système multilatéral
Avec la création de l’ONU, Roosevelt renoue avec l’internationalisme wilsonien, mais il infléchit l’idéalisme de son prédécesseur dans un sens réaliste en attribuant aux grandes puissances des responsabilités particulières. La doctrine des « quatre gendarmes », formulée pendant la guerre, fait des États-Unis, du Royaume-Uni, de l’Union soviétique et de la Chine[1], les garants de l’ordre international. La conférence de San Francisco (25 avril-26 juin 1945) rassemble les cinquante États fondateurs de la nouvelle organisation, mais elle est préparée par les deux conférences de Dumbarton Oaks (Washington, 1944) qui ne réunit que les quatre puissances. Le Conseil de sécurité constitue l’organe directeur de la nouvelle organisation : il se compose de onze membres à l’origine, dont cinq membres permanents, pourvus d’un « droit de veto » : les « quatre gendarmes » et la France.
La conférence de Bretton Woods (New Hampshire, 1944) établit un système monétaire international à parités fixes et fait du dollar la principale monnaie de réserve (Gold exchange standard ou étalon de change-or). Le FMI est le garant du système monétaire international : il surveille le système des parités et accorde des crédits aux pays déficitaires (il prête à ces pays les devises nécessaires à leur intervention sur le marché des changes) ; il peut en outre autoriser la dévaluation. Il attribue à chacun de ses membres un nombre de voix proportionnel à sa quote-part, c’est-à-dire au montant de sa souscription au capital du FMI : la quote-part des États-Unis est à l’origine de 32,5 pour 100. Son siège est fixé à Washington. Le GATT réunit les États-Unis et vingt-deux autres pays (1947) : il vise à la libéralisation des échanges mondiaux et donne lieu à plusieurs cycles de négociations (Rounds). La création d’une Organisation internationale du commerce (OIC) est en revanche un échec : la charte de La Havane (24 mars 1948) n’est pas ratifiée par le Congrès.
2. La défense du « monde libre » face à l’Union soviétique
L’entrée des États-Unis dans la Guerre froide repose sur la doctrine formulée par le président Truman (1945-1953), successeur de Roosevelt, laquelle n’est pas remise en cause par le président républicain Eisenhower (1953-1961).
La doctrine Truman (12 mars 1947) sanctionne la dégradation des relations Est-Ouest depuis 1945 et l’échec du système multilatéral de sécurité établi en 1945. Elle vise à contenir l’expansion de l’Union soviétique (containment, endiguement), donne à la confrontation Est-Ouest une signification idéologique et établit un lien entre la sécurité des États-Unis et la défense du « monde libre ». Elle conduit les États-Unis à apporter une assistance économique aux pays d’Europe occidentale (plan Marshall[2], 1948-1952), à contrecarrer le blocus de Berlin (pont aérien, 1948-1949) et à renoncer provisoirement au quadripartisme (RFA, 1949), à intervenir en Corée (30 juin 1950), à conclure plusieurs pactes de sécurité avec leurs alliés (traité de l’Atlantique nord, 1949, ANZUS et traité bilatéral de sécurité avec le Japon, 1951), à fabriquer la bombe thermonucléaire (première explosion, 1952).
La guerre de Corée et le maccarthysme facilitent l’élection du candidat républicain Eisenhower à la présidence des États-Unis (1952), laquelle entraîne la désignation au secrétariat d’État de John F. Dulles, un partisan déclaré du refoulement (roll back) ; Richard Nixon est vice-président. Les choix budgétaires de la majorité républicaine, le « réalisme » de l’administration républicaine et la déstalinisation en Union soviétique conduisent néanmoins à la mise en œuvre d’une politique plus prudente. La fermeté se traduit par l’adoption de la stratégie des représailles massives (le New Look, 1954, un moyen pour les États-Unis de réduire le coût de la Guerre froide) et par le renforcement du système d’alliances (pactomania) : création de l’OTASE (pacte de Manille, 1954), réarmement de la RFA et admission de celle-ci dans l’OTAN (1954-1955), appui au pacte de Bagdad (1955), mais sans participation directe.
Les États-Unis reprennent le dialogue avec l’Union soviétique de Khrouchtchev dans la deuxième moitié des années 1950 : conférence au sommet de Genève[3] (1955), la première depuis celle de Potsdam, signature la même année du traité d’État autrichien, condamnation conjointe de l’intervention franco-britannique en Égypte lors de la crise de Suez (1956), visite de Khrouchtchev aux États-Unis en 1959 et tenue d’une nouvelle conférence au sommet à Paris (1960), laquelle est un échec.
3. La formation d’une « économie-monde » états-unienne
L’économie états-unienne domine l’économie mondiale au milieu du XXe siècle et constitue le cœur d’une économie-monde[4] en voie de mondialisation. Les États-Unis exportent dans le monde entier : 20 pour 100 du commerce mondial en 1950. Leur balance commerciale est excédentaire (jusqu’en 1971). Ils disposent d’une avance technologique et exportent des brevets et des licences. Ils drainent des flux en provenance de l’étranger : des flux commerciaux (combustibles fossiles et matières premières) ; des flux migratoires, de main d’œuvre très qualifiée en particulier, laquelle contribue à la recherche et à l’innovation.
Les firmes états-uniennes investissent dans le monde entier : elles créent des filiales à l’étranger afin d’exploiter les ressources naturelles et les productions locales, d’employer une main d’œuvre bon marché ou de pénétrer les marchés étrangers (Europe, Japon). Ces firmes deviennent de la sorte « multinationales » ou « transnationales » et contribuent à l’activité aux États-Unis : rapatriement d’une partie des profits, importations en provenance des États-Unis (biens d’équipements, pièces détachées etc.) La place du dollar dans le système monétaire international facilite les transferts de capitaux.
Les États-Unis se heurtent néanmoins à un bloc antagoniste (Union soviétique, démocraties populaires, Chine populaire, pays du Tiers Monde favorables à l’Union soviétique ou à la Chine), mais les relations commerciales entre les blocs se développent à partir de la fin des années 1950 (« coexistence pacifique », puis détente).
B. Les années 1960 : apogée et désillusions
1. Les ambiguïtés de la détente
Les succès de l’Union soviétique et les difficultés intérieures des États-Unis facilitent, en 1960, l’élection du candidat démocrate John F. Kennedy, lequel dénonce pendant la campagne le « missile gap » qui séparerait les États-Unis de l’Union soviétique. Il s’engage dans une politique extérieure volontariste, fondée sur la célébration des valeurs américaines, augmente le budget militaire et adopte la doctrine de la riposte graduée, laquelle se substitue à la stratégie des représailles massives. Ébauché sous Eisenhower, le programme Apollo permet aux États-Unis de reprendre l’avantage sur l’Union soviétique[5] dans la course à l’espace : l’objectif fixé par Kennedy en 1961 de conduire un homme sur la lune avant la fin de la décennie est atteint le 20 juillet 1969, après l’entrée en fonction du président républicain Nixon (1969-1974).
Les États-Unis sont confrontés à deux crises graves au début des années 1960 : la seconde crise de Berlin (1958-1961) qui conduit à la construction du Mur, la crise de Cuba (1962) que Kennedy résout à l’avantage des États-Unis et dont il sort renforcé ; en 1963, dans un discours prononcé à Berlin, deux ans après la construction du Mur, il affirme la supériorité du modèle occidental. Les deux crises, qui témoignent de la réalité du risque nucléaire, conduisent le président Kennedy (1961-1963), puis son successeur Johnson (1963-1969), à rechercher les conditions d’une détente avec l’Union soviétique, laquelle se traduit par la conclusion des premiers traités de contrôle des armements : le traité d’interdiction partielle des essais nucléaires (1963), le traité sur l’espace (1967), le traité de non prolifération nucléaire (1968).
Les États-Unis s’engagent néanmoins, au Vietnam, dans un conflit périphérique qui marque l’apogée de l’interventionnisme états-unien, avant d’en démontrer les risques. L’engagement s’ébauche sous Kennedy et conduit à une intervention massive sous Johnson (résolution du golfe du Tonkin, 1964) : bombardement du Nord et envoi d’un corps expéditionnaire au Sud (1965) ; 500 000 hommes en 1968. L’escalade n’empêche pas l’enlisement. Elle divise les États-Unis, qui connaissent un mouvement anti-guerre (festival de Woodstock, 1969), et leur impose un effort de guerre qui les affaiblit dans leur confrontation avec l’Union soviétique, laquelle n’est pas directement engagée dans le conflit.
2. L’érosion de la suprématie économique
L’économie états-unienne reste la première du monde, mais elle est désormais concurrencée par des économies japonaise et européennes en forte croissance. Sa part dans la production mondiale se réduit : de l’ordre de la moitié en 1945, entre le tiers et le quart à la fin des années 1960. Elle connaît dans les années 1960 ses premiers déficits commerciaux bilatéraux, avec le Japon ou la RFA. Elle se heurte en Europe à la création du marché commun. Le Kennedy Round (1964-1967) est ouvert à la demande des États-Unis (1962) : la diminution négociée des tarifs douaniers est un moyen pour les États-Unis de s’assurer des débouchés dans le reste du monde, en particulier en Europe.
Le dollar reste la principale monnaie de réserve, mais il n’est plus as good as gold en raison du gonflement de la masse des dollars en circulation dans le monde (eurodollars). Dès 1960, l’économiste belge Robert Triffin souligne la fragilité du système de Bretton Woods. En raison des fonctions qu’il remplit, le dollar doit satisfaire à deux nécessités contradictoires : la stabilité, puisqu’il sert d’étalon de mesure pour les monnaies et les marchandises, l’abondance puisqu’il constitue un moyen de règlement et un instrument de réserve (paradoxe de Triffin) ; la seconde finit par l’emporter sur la première en raison des besoins de l’économie mondiale et de la politique adoptée par les États-Unis. Dans l’immédiat après-guerre, les excédents commerciaux compensent les sorties de capitaux. Dans les années 1960, la réduction des excédents commerciaux aggrave le déficit de la balance des paiements.
La confiance dans le dollar s’érode au profit de l’or ou des autres monnaies. Afin de maintenir la parité de leur propre monnaie, les États-Unis sollicitent l’aide des autres puissances économiques : formation du Pool de l’or par huit banques centrales afin de défendre le dollar de façon concertée, formation du Club des dix par les dix principaux pays industriels. Les difficultés persistent néanmoins et les réserves d’or des États-Unis diminuent fortement. En 1968, afin d’enrayer le mouvement, les États-Unis obtiennent de leurs partenaires la création d’un double marché de l’or, le premier réservé aux banques centrales et sur lequel le dollar reste convertible au cours légal, le second sur lequel le prix de l’or dépend de l’offre et de la demande.
3. La montée des contestations
Les États-Unis conservent leur suprématie au sein du système panaméricain formé au lendemain de la Seconde Guerre mondiale (pacte de Rio en 1947, OEA en 1948) et le président Kennedy s’efforce de promouvoir une coopération avec l’Amérique latine dans le cadre de l’Alliance pour le progrès (charte de Punta del Este, Uruguay, 17 août 1961), mais ils se heurtent à la résistance des oligarchies latino-américaines et à des contestations : la révolution cubaine (1959), la réunion à La Havane (1966) d’une conférence tricontinentale (Afrique, Asie, Amérique latine) dirigée contre l’impérialisme états-unien, l’action de Che Guevara : Crear dos, tres… muchos Vietnam, es la consigna (1967) etc.
L’Alliance atlantique conserve sa cohésion, mais la France gaullienne manifeste des velléités d’indépendance. De Gaulle critique les avantages que le fonctionnement du système de Bretton Woods confère aux États-Unis. Le dollar ne serait plus un « signe impartial » de paiement, déclare-t-il en 1965, mais un « un moyen de crédit approprié à un État » (4 février 1965). Il entend revenir à l’étalon or. En 1966, il retire les forces françaises de l’OTAN (7 mars 1966). La même année, dans le discours de Phnom Penh (Cambodge), il condamne l’intervention états-unienne au Vietnam (1er septembre 1966).
La guerre du Vietnam soulève dans le monde un mouvement de protestation qui touche une partie des opinions occidentales, en témoigne le tableau de Gilles Aillaud : Vietnam, La Bataille du riz (1968). Le peintre français participe au mouvement de la « figuration narrative ». Il représente un soldat états-unien escorté par une combattante nord-vietnamienne. Il s’inspire d’une photographie de presse datée de 1965. La vareuse du soldat porte les inscriptions suivantes : « Robinson », « US Air Force ». Il s’agit d’un sous-officier, mécanicien navigant à bord d’un hélicoptère de recherche et de secours. Le 20 septembre 1965, l’appareil s’écrase en territoire nord-vietnamien et tout l’équipage est fait prisonnier. La rizière est un ajout de l’artiste et contribue à donner son sens au tableau : une population paisible et laborieuse menacée par une agression extérieure, qui s’efforce par son travail d’assurer sa subsistance.
C. Trois redéfinitions de la puissance
1. La « Realpolitik » de Nixon et Kissinger
L’enlisement au Vietnam facilite l’élection du candidat républicain Richard Nixon en 1968, lequel adopte, sous l’influence de Kissinger, une politique dite « réaliste », une Realpolitik qui rompt avec l’idéalisme néo-wilsonien de ses prédécesseurs démocrates, mais les difficultés s’accumulent dans la première moitié des années 1970 : crise du dollar (1971), premier choc pétrolier (1973) et récession économique, affaire du Watergate (1972-1974), démission de Nixon et crise de la « présidence impériale » (1974), chute de Saigon (1975).
Les rapports Est-Ouest sont désormais conçus de façon moins idéologique : on recherche la stabilité, on cherche à établir un ordre international fondé sur l’équilibre des puissances, un ordre « westphalien » dans lequel les questions idéologiques sont secondaires ; la diplomatie doit l’emporter sur l’idéologie, ce qui n’exclut pas la fermeté. Nixon engage de nouvelles négociations avec l’Union soviétique (négociations SALT à partir de 1969) et s’efforce d’exploiter la rupture sino-soviétique : la même année 1972, il rencontre Mao Zedong à Pékin (21 février 1972) et signe les traités SALT et ABM à Moscou (26 mai 1972).
Le « réalisme » de Nixon entraîne une évolution des rapports entre les États-Unis et leurs alliés. Le monde n’est plus strictement bipolaire, mais pentagonal : les États-Unis doivent défendre avant tout leurs propres intérêts, lesquels ne se confondent pas nécessairement avec les valeurs américaines. Le désengagement prend plusieurs formes : militaire (doctrine Nixon, 1969), monétaire (suspension de la convertibilité du dollar en or, 15 août 1971). Le SMI de Bretton Woods disparaît dans les années 1970. Les accords de Paris (1973) entraînent le retrait des troupes états-uniennes du Vietnam.
Le président Nixon démissionne en 1974 à la suite du scandale du Watergate. Son successeur, le vice-président Ford, exerce pour deux ans une présidence affaiblie. Il poursuit néanmoins les négociations SALT avec l’Union soviétique et les deux États parviennent à un accord qui prévoit la conclusion d’un traité SALT II pour 1975 (accord de Vladivostok, 1974). L’accord est l’objet de vives critiques aux États-Unis. Confrontés à une poussée soviétique, pourvus de partenaires qui disposent désormais d’une plus grande autonomie et affaiblis par des difficultés intérieures, les États-Unis s’interrogent sur le bien-fondé de la détente et s’engagent progressivement dans une seconde Guerre froide.
La poussée soviétique de la seconde moitié des années 1970 témoigne des limites de la détente « réaliste » pratiquée par Nixon et Kissinger. En 1976, lors des primaires républicaines, le président sortant affronte l’ancien gouverneur de Californie, Ronald Reagan, lequel critique durement la politique de détente. Ford l’emporte de justesse sur son rival républicain, mais il est défait à l’élection présidentielle par le candidat démocrate Jimmy Carter.
2. La présidence Carter : défense des droits de l’homme et durcissement de la politique états-unienne
Les présidences Carter (1977-1981) et Reagan (premier mandat, 1981-1985) sont certes différentes, mais elles rompent l’une et l’autre avec la détente « réaliste » de la période précédente et conduisent à un durcissement de la politique extérieure états-unienne, lequel est rythmé par l’évolution de la politique extérieure soviétique.
La politique extérieure du président Carter obéit à des préoccupations morales, mais elle n’entraîne pas nécessairement un assouplissement de l’attitude des États-Unis à l’égard de l’Union soviétique. Carter entend défendre les droits de l’homme dans le monde. Il apporte son soutien aux dissidents soviétiques (c’est une manifestation de fermeté) ; la défense des droits de l’homme s’applique aussi aux alliés des États-Unis, ce qui facilite sans doute la chute de régimes autoritaires pro-occidentaux. Carter s’efforce de relancer les négociations SALT, mais le traité SALT II (1979) n’est pas ratifié en raison de la dégradation des relations Est-Ouest. Dans la crise des euromissiles, Carter et ses alliés européens adoptent la « double décision » de 1979 : ouverture de négociations avec l’URSS, déploiement en Europe d’armes états-uniennes capables d’atteindre le territoire soviétique en cas d’échec (Pershing II et missiles de croisière).
L’intervention soviétique en Afghanistan (24-27 décembre 1979) précipite l’entrée des États-Unis dans une seconde Guerre froide : embargo céréalier à l’encontre de l’Union soviétique, doctrine Carter sur le golfe Persique, aide à la résistance afghane, augmentation des dépenses militaires. La révolution iranienne constitue une menace différente : elle entraîne la chute du régime du shah (janvier-février 1979) et la proclamation d’une « République islamique », un régime islamiste[6] hostile aux États-Unis (occupation de l’ambassade des États-Unis le 4 novembre 1979). L’année suivante, les États-Unis mettent l’Union soviétique en garde contre une intervention militaire en Pologne, laquelle paraît alors imminente (3 décembre 1980). Les Soviétiques renoncent (5 décembre 1980).
3. La présidence Reagan : la lutte contre l’« empire du mal »
Reagan donne à la Guerre froide une signification idéologique explicite. Sa politique économique, qui remet en cause l’économie keynésienne et l’État providence, accentue l’opposition entre le modèle américain et le modèle « socialiste » soviétique : elle répudie toute idée de convergence. Reagan présente l’Union soviétique comme l’« empire du mal » (1983) et il en condamne le « totalitarisme ».
Reagan confère à la politique des États-Unis un caractère offensif : intervention militaire à la Grenade (1983), stratégie indirecte surtout (aide au syndicat polonais Solidarité après la proclamation de l’état de guerre en Pologne, aide à la résistance afghane, aide à la guérilla antisandiniste du Nicaragua) ; en Europe, conformément à la double décision de 1979, déploiement des Pershing II et des missiles de croisière (1983).
Reagan accentue l’effort de réarmement ébauché sous Carter, mais sans exclure la reprise des négociations sur le contrôle des armements. Il annonce en particulier la mise en œuvre d’un programme de recherche ABM susceptible de garantir le territoire des États-Unis contre toute frappe stratégique de la part de l’Union soviétique (IDS, 1983) ; la réalisation d’un tel système reste très incertaine, mais le projet témoigne de l’avance technologique des États-Unis dans le domaine des armes intelligentes fondées sur l’électronique (une troisième « révolution militaire », high-tech, après celle du moteur à explosion et celle de l’arme atomique). Reagan envisage néanmoins la reprise des négociations stratégiques (sous le nom de START), ce que facilite l’arrivée au pouvoir de Mikhaïl Gorbatchev (11 mars 1985). Le sommet de Genève (1985) marque la reprise du dialogue (second mandat du président Reagan, 1985-1989).
- Les États-Unis et le monde de 1918 à 1945
- Les États-Unis et le monde de 1945 à 1991
- Les États-Unis et le monde depuis 1991
[1] La République de Chine est dirigée par Jiang Jieshi (1887-1975) ; on écrit plus couramment Tchang Kaï-chek, transcription française de son nom dans sa prononciation cantonaise. Jiang Jieshi fait de Nankin (Nanjing) sa capitale en 1927, mais il est contraint de quitter la ville à la suite de l’invasion japonaise (1937) : son gouvernement s’établit à Chongqing (1938), sur le cours supérieur du Yangzi, et le demeure pendant toute la guerre en dépit des bombardements japonais. En 1943, à la conférence du Caire, il rencontre Roosevelt et Churchill.
[2] Le plan est présenté par le secrétaire d’État états-unien George Marshall le 5 juin 1947, mais son application commence en avril 1948 et couvre une période de quatre ans.
[3] Il ne faut pas confondre la conférence au sommet de Genève (18-23 juillet 1955) et la conférence de Genève sur l’Asie (26 avril-21 juillet 1954).
[4] La notion d’« économie-monde » est définie par Fernand Braudel (1902-1985), un historien des temps modernes (XVe-XVIIIe siècle). Une économie-monde, c’est « un morceau de la planète économiquement autonome, capable pour l’essentiel de se suffire à lui-même et auquel ses liaisons et ses échanges intérieurs confèrent une certaine unité organique ». Fernand Braudel, Civilisation matérielle, économie et capitalisme, XVe-XVIIIe siècle, Paris, 1979, p. 14.
[5] Premier satellite artificiel en 1957 (Spoutnik), premier homme dans l’espace en 1961 (Youri Gagarine).
[6] Son « guide suprême » (1979-1989), l’ayatollah Khomeyni, appartient au haut clergé chiite et c’est un opposant précoce au régime du shah. Il entend fonder le gouvernement du pays sur la religion musulmane (chiite) qu’il conçoit de façon rigoriste.