Le dessin est publié dans L’Express du 19 septembre 1958, quelques jours avant le référendum du 28 sur la Constitution de la Ve République. Il est repris l’année suivante dans l’album De la mollarchie à l’empire mongaulle. Le dessinateur associe le référendum et la crise du 13 Mai. Le 28 septembre, les Français répondent par « oui ou non » à la question suivante : « Approuvez-vous la Constitution qui vous est proposée par le Gouvernement de la République ? ». Conforme à la loi constitutionnelle du 3 juin, la consultation trouve cependant son origine dans la crise du 13 Mai : soulèvement d’Alger, crainte du coup d’État et de la guerre civile, appel à de Gaulle, ralliement du personnel politique à la solution gaullienne, etc.
Texte du dessin
Oui ou non ?
Acceptez-vous de prendre pour mari et légitime époux… ?
Dans l’album De la mollarchie à l’empire mongaulle, le dessin est accompagné de l’indication suivante :
11-14 septembre 1958. — À Lyon, le congrès radical-socialiste vote « oui » au référendum. M. Félix Gaillard est élu président du parti.
Schéma d’analyse
Identification des personnages
1. Marianne, allégorie de la République. — Proclamée une première fois en France en 1792, une deuxième fois en 1848, une troisième fois en 1870, la République succombe à la défaite de 1940, mais sans jamais cesser d’être, selon la thèse gaullienne, puisqu’elle s’incarne successivement dans la France libre, le Comité français de libération nationale, le Gouvernement provisoire de la République française.
2. Le général de Gaulle. — Ancien président du Gouvernement provisoire à la Libération, il se déclare « prêt à assumer les pouvoirs de la République » le 15 mai 1958, reçoit l’investiture de l’Assemblée nationale le 1er juin et présente une nouvelle Constitution au peuple français, place de la République, le 4 septembre, jour anniversaire de la proclamation de la IIIe République.
3. Le général Massu. — Commandant de la 10e division parachutiste à Alger, il apporte son soutien au soulèvement du 13 mai, accepte de former avec les insurgés un comité dit de « salut public » et réclame la formation à Paris d’un gouvernement de « salut public ». Pour résoudre la crise, il fait appel au général de Gaulle.
4. Félix Gaillard. — Président du Conseil depuis novembre 1957, il est renversé par l’Assemblée nationale le 15 avril 1958 à la suite de l’affaire de Sakhiet. Élu président du Parti radical au congrès de Lyon (11-14 septembre 1958), il se prononce pour le « oui » au référendum du 28 septembre.
5. Guy Mollet. — Secrétaire général de la SFIO depuis 1946, ancien président du Conseil (1956-1957), il parvient à convaincre une partie des députés socialistes d’accepter le retour au pouvoir du général de Gaulle et de voter l’investiture le 1er juin 1958. En septembre, il se prononce pour le « oui » au référendum.
Chronologie indicative
1er novembre 1954. — Début de la « guerre d’Algérie ».
8 février 1958. — Bombardement de Sakhiet Sidi Youssef (Tunisie) par l’aviation française.
15 avril 1958. — Démission du cabinet Félix Gaillard.
8 mai 1958. — Le président de la République charge Pierre Pflimlin, président du MRP, de former le nouveau gouvernement.
13 mai 1958. — Soulèvement d’Alger, investiture de Pierre Pflimlin à Paris.
15 mai 1958. — Le général de Gaulle annonce dans un communiqué de presse qu’il est « prêt à assumer les pouvoirs de la République ».
19 mai 1958. — Conférence de presse du général de Gaulle : « Croit-on, qu’à 67 ans, je vais commencer une carrière de dictateur ? »
28 mai 1958. — Démission de Pierre Pflimlin.
29 mai 1958. — Le président de la République annonce qu’il fait appel au général de Gaulle, « le plus illustre des Français ».
1er juin 1958 (un dimanche). — L’Assemblée nationale vote l’investiture du général de Gaulle comme président du Conseil par 329 voix contre 224.
2 juin 1958. — L’Assemblée nationale adopte trois projets de loi avant de se séparer : le nouveau gouvernement est chargé d’élaborer une nouvelle Constitution à soumettre au référendum et reçoit le droit de gouverner par ordonnances pendant six mois.
29 juillet-14 août 1958. — Examen du projet de Constitution par un Comité consultatif constitutionnel présidé par Paul Reynaud, ancien président du Conseil.
3 septembre 1958. — Adoption du projet de constitution par le Conseil des ministres.
4 septembre 1958. — Présentation de la Constitution par le général de Gaulle, place de la République.
11-14 septembre 1958. — Congrès de la SFIO à Issy-les-Moulineaux, congrès du Parti radical à Lyon.
28 septembre 1958. — Référendum.
Éléments d’explication
Le 15 avril 1958, Félix Gaillard, président du Conseil depuis novembre 1957, est renversé par l’Assemblée nationale à la suite de l’affaire de Sakhiet. S’ouvre alors une crise ministérielle : le président du Conseil démissionnaire expédie les affaires courantes tandis que le président de la République consulte les partis afin de lui trouver un successeur. Après plusieurs échecs ou refus, le chef de l’État fait appel à Pierre Pflimlin, président du MRP, réputé favorable à une solution négociée de la question algérienne.
Le 13 mai 1958, conformément à la Constitution, le président du Conseil désigné se présente devant l’Assemblée nationale afin d’obtenir son investiture. Le même jour, à Alger, les ultras de l’Algérie française envahissent le « Gouvernement général », siège de l’administration française en Algérie, pour protester contre la formation d’un gouvernement supposé favorable à des négociations avec les nationalistes algériens. Or ils reçoivent le soutien d’une partie de l’armée : le général Massu, commandant de la 10e division parachutiste, accepte de former avec les insurgés un comité dit de « salut public » et réclame la formation à Paris d’un gouvernement de « salut public ».
Investi dans le courant de la nuit par une majorité de « défense républicaine », le nouveau président du Conseil entend rétablir la légalité en Algérie, mais le comité d’Alger réitère son opposition à un gouvernement qu’il présente comme un « gouvernement d’abandon » et supplie le général de Gaulle de « rompre le silence ». On redoute désormais à Paris ou bien une sécession de l’Algérie, ou bien un coup de force en métropole, peut-être la guerre civile.
De Gaulle sort de son silence le 15 mai 1958 en publiant un communiqué laconique dans lequel il se déclare « prêt à assumer les pouvoirs de la République », mais son retour au pouvoir par la voie légale suppose qu’il réunisse une majorité à l’Assemblée nationale. Le 19 mai 1958, il rappelle son attachement à la République afin de rassurer les partis, mais il se refuse à condamner la rébellion d’Alger et envisage un changement de constitution conforme à ses propres conceptions. Pierre Pflimlin démissionne le 28 mai 1958 et le président de la République fait appel au « plus illustre des Français » le 29.
La crainte d’un coup de force venu d’Algérie conduit en définitive une majorité de députés à accepter l’hypothèse de son retour au pouvoir. Le groupe socialiste est divisé : il se réunit le 31 mai et décide, sous l’influence de Vincent Auriol, ancien président de la République, et de Guy Mollet, ancien président du Conseil, de pas arrêter de position commune comme il fait habituellement et de laisser à chacun des députés la liberté de voter en conscience. L’Assemblée nationale vote l’investiture le 1er juin et attribue au nouveau gouvernement la tâche de préparer un projet de Constitution. Le général de Gaulle devient ainsi le dernier président du Conseil de la IVe République (1er juin 1958-8 janvier 1959).
La Constitution de la Ve République est préparée pendant l’été 1958. Soumise à l’approbation d’un Comité consultatif restreint composé de membres désignés en majorité par les deux assemblées, elle est adoptée par le Conseil des ministres le 3 septembre et présentée au peuple français par le général de Gaulle, place de la République, le 4 septembre 1958, jour anniversaire de la proclamation de la IIIe République.
La crise du 13-Mai dans la presse parisienne
Dans son édition du 14 mai, le quotidien socialiste suisse La Sentinelle reproduit une dépêche de l’AFP sur les réactions de la presse parisienne au lendemain des événements d’Alger.
Jamais depuis 1940, la France n’a vécu d’heures plus graves, commente la presse parisienne du matin
Paris, 14. (AFP.) — De larges manchettes couvrent ce matin les premières pages des quotidiens parisiens annonçant la formation d’un comité de salut public à Alger. La presse communiste et socialiste qualifie cet événement de « coup de force fasciste », tandis que le « Parisien libéré », l’« Aurore » et de façon plus nuancée « Combat » admettent en les commentant, les réactions de la population d’Algérie.
« La population algérienne tout entière a pris une position politique, écrit le « Parisien libéré » (droite). Elle a voulu signifier son refus de l’abandon. Elle cherche à promouvoir, à imposer s’il le faut, un gouvernement de salut public seul capable à son avis de sauver l’Algérie française. Elle n’a plus confiance dans les gouvernements de minorités basés sur une coalition disparate et vouée à l’impuissance… À Paris, les partis n’ont pas voulu comprendre qu’ils préparaient la pire des aventures en refusant de restaurer l’État, en cherchant à tout prix à perpétuer un système moribond qui n’a plus et n’aura plus jamais la confiance de la nation. Le système s’est placé de lui-même dans ce tragique dilemme : ou bien céder à l’ultimatum d’Alger, ou bien prendre le risque de réprimer la révolte, de faire couler le sang français… Pour sauver l’unité du pays et éviter l’aventure, il n’y a plus qu’un recours concevable : l’appel au général de Gaulle. L’ancien chef de la France libre reste l’arbitre indiscutable. Il serait le plus sûr garant de la légalité républicaine. »
« Tout se passe, écrit pour sa part « Combat » (indépendant de gauche), comme si les milieux politiques, fascinés par les méandres d’une crise tortueuse n’avaient pu tourner les yeux une seule minute vers les réalités humaines… Il faut déplorer les violences commises, mais il faut surtout que le Parlement se décide à tenir compte de la réalité d’un problème où c’est la vie et la mort de milliers d’hommes qui est en cause… Entre les « ultras » qui ne sont pas exempts d’arrière-pensées politiques, et une minorité séparatiste, il y a place pour l’esprit de salut public qui doit rassembler tous les Français raisonnables, soucieux de l’avenir de leur pays et de la durée du régime auquel les événements d’Alger risquent, si la réaction n’était pas immédiate, de donner un terrible coup de boutoir… »
Le « Populaire » (organe de la SFIO) écrit de son côté : « La pire des réactions, celle qui fait profession permanente d’antirépublicanisme, donne le spectacle effroyable de sa volonté de ne retenir que des solutions de force et les chemins de l’illégalité. Alors que notre grand espoir tenait et tient encore, dans un respect intransigeant des idéaux démocratiques. »
« Cette tentative de sécession et de guerre civile, estime « Libération » (progressiste) doit être stoppée net. Le pays républicain exige que toutes mesures soient prises pour mettre à la raisons les émeutiers d’Alger, leur, comité fasciste et leur général félon. Dès aujourd’hui, toutes les forces démocratiques du pays doivent se considérer comme mobilisées au service de la République et se tenir prêtes à la riposte. »
C’est l’opinion du « Figaro » (droite modérée) qui dans sa première édition écrit « La menace de dissidence que nous redoutions par-dessus toute chose se fait à présent plus précise. Un comité irresponsable dicte ses exigences au chef de l’État et au régime lui- même. On voudrait croire encore à la flambée d’un soir. Jamais, depuis 1940, la France n’a vécu d’heures plus graves. »