Les moyens d’information sont au cœur de la crise qui secoue la République gaullienne en mai 1968. Ils témoignent de la crise par le récit qu’ils en font. Ils contribuent à la crise en raison du tour qu’ils donnent à leur récit ou des positions qu’ils adoptent. Ils sont même un enjeu de la crise puisque l’ordre médiatique de la République gaullienne fait lui-même l’objet de la contestation. L’information audio-visuelle, strictement contrôlée, garde d’abord le silence sur les événements, avant d’en donner une présentation défavorable, mais les chaînes périphériques (RTL et Europe no 1) couvrent les manifestations, au moyen de motos et de voitures émettrices, et le mouvement crée ses propres moyens d’information. L’ORTF entre à son tour dans la grève le 17 mai et revendique la liberté de l’information, comme sa stricte indépendance à l’égard du pouvoir politique. À partir du 25, la grève touche les journalistes de la télévision. Le verbe gaullien semble frappé d’impuissance. Dans son allocution télévisée du 24 mai, le président annonce un référendum, sans parvenir à retourner l’opinion. Le 29 mai, il disparaît ; il est à Baden-Baden (Bade-Wurtemberg), où il rencontre le général Massu, commandant en chef des Forces françaises en Allemagne. Il rentre à Colombey dans la soirée puis à Paris le lendemain. Le 30 mai, à 16 heures 30, il prononce une nouvelle allocution, radiodiffusée, non pas télévisée, annonce la dissolution de l’Assemblée nationale et appelle ses partisans à « l’action civique ». Une heure plus tard, une gigantesque manifestation de soutien se déploie sur les Champs-Élysées.
Les affiches du mouvement de contestation
Autres affiches
RTL — ORTF — EUR. 1 [de Gaulle en poste de télévision]
La police vous parle tous les soirs à 20 h
La collection d’affiches de la bibliothèque numérique Gallica-BNF
GALLICA – BIBLIOTHÈQUE NATIONALE DE FRANCE
L’allocution prononcée par de Gaulle le 30 mai
Françaises, Français,
Étant le détenteur de la légitimité nationale et républicaine, j’ai envisagé depuis vingt-quatre heures toutes les éventualités sans exception qui me permettraient de la maintenir. J’ai pris mes résolutions. Dans les circonstances présentes, je ne me retirerai pas. J’ai un mandat du peuple, je le remplirai.
Je ne changerai pas le Premier ministre dont la valeur, la solidité, la capacité méritent l’hommage de tous. Il me proposera les changements qui lui paraîtront utiles dans la composition du gouvernement. Je dissous aujourd’hui l’Assemblée nationale. J’ai proposé au pays un référendum qui donnait aux citoyens l’occasion de prescrire une réforme profonde de notre économie et de notre université et en même temps de dire s’ils me gardaient leur confiance ou non par la seule voie acceptable, celle de la démocratie. Je constate que la situation actuelle empêche matériellement qu’il y soit procédé. C’est pourquoi j’en diffère la date.
Quant aux élections législatives, elles auront lieu dans les délais prévus par la Constitution, à moins qu’on entende bâillonner le peuple français tout entier, en l’empêchant de s’exprimer, en même temps qu’on l’empêche de vivre, par les mêmes moyens qu’on empêche les étudiants d’étudier, les enseignants d’enseigner, les travailleurs de travailler. Ces moyens, ce sont l’intimidation, l’intoxication et la tyrannie, exercées par des groupes organisés de longue main en conséquence, et par un parti qui est une entreprise totalitaire même s’il a déjà des rivaux à cet égard.
Si donc cette situation de force se maintient, je devrai, pour maintenir la République, prendre, conformément à la Constitution, d’autres voies que le scrutin immédiat du pays. En tout cas, partout et tout de suite, il faut que s’organise l’action civique. Cela doit se faire pour aider le gouvernement d’abord, puis localement les préfets devenus ou redevenus commissaires de la République, dans leur tâche qui consiste à assurer autant que possible l’existence de la population et à empêcher la subversion à tout moment et en tout lieu.
La France en effet est menacée de dictature. On veut la contraindre à se résigner à un pouvoir qui s’imposerait dans le désespoir national, lequel pouvoir serait alors évidemment essentiellement celui du vainqueur, c’est-à-dire celui du communisme totalitaire. Naturellement, on le colorerait pour commencer d’une apparence trompeuse en utilisant l’ambition et la haine de politiciens au rancart. Après quoi ces personnages ne pèseraient pas plus que leur poids, qui ne serait pas lourd.
Eh bien non ! La République n’abdiquera pas, le peuple se ressaisira, le progrès, l’indépendance et la paix, l’emporteront avec la liberté.
Vive la République. Vive la France!
Chronologie indicative
8 janvier 1968. — Inauguration de la piscine de Nanterre.
22 mars 1968. — Formation du mouvement du 22 Mars.
2 mai 1968. — Fermeture de la Faculté des Lettres de Nanterre ; Pompidou en Iran et en Afghanistan (2-11 mai).
3 mai 1968. — Évacuation de la Sorbonne par la police.
10-11 mai 1968. — « Nuit des barricades ».
11 mai 1968. — Annonce de la réouverture de la Sorbonne pour le 13 mai ; elle est alors occupée.
13 mai 1968. — Manifestation à l’appel des syndicats.
14 mai 1968. — Premières grèves (Sud-Aviation, à Nantes) ; de Gaulle en Roumanie (14-18 mai).
22 mai 1968. — La motion de censure déposée par l’opposition est rejetée par l’Assemblée nationale.
24 mai 1968. — De Gaulle prononce une allocution télévisée dans laquelle il annonce un référendum.
25 mai 1968. — 0uverture des négociations de la rue de Grenelle ; elles conduisent à la signature des accords de Grenelle (27 mai 1968).
28 mai 1968. — François Mitterrand demande la formation d’un gouvernement provisoire.
29 mai 1968. — De Gaulle quitte Paris et disparaît.
30 mai 1968 (à 16 heures 30). — Allocution radiodiffusée du président de la République ; une heure plus tard, une gigantesque manifestation de soutien remonte les Champs-Élysées.
23 et 30 juin 1968 : Élections législatives ; victoire écrasante de l’UDR.