L’historien et les mémoires de la Seconde Guerre mondiale en France
Au deuxième trimestre de 1950, l’historien Henri Michel, secrétaire général de la Commission d’histoire de l’Occupation et de la Libération de la France (CHOLF), publie une Histoire de la Résistance dans la collection Que Sais-je des PUF. On trouvera ci-dessous son avant-propos et sa conclusion.
N.B. : Henri Michel écrivait : « la Résistance », « les Résistants » ; seul le premier terme prend aujourd’hui la majuscule : « la Résistance », « les résistants ».
AVANT-PROPOS
« L’histoire de la Résistance n’est pas aisée à retracer : il est peu de sujets aussi brûlés de passion ; il n’en est pas où les documents soient aussi rares sur les points les plus obscurs. Les Résistants ont toujours été peu nombreux, et l’indispensable cloisonnement a orienté leurs gestes de façon telle qu’ils n’ont qu’une vue partielle, même de leur activité propre ; de ce fait, les morts ont emporté bien des secrets avec eux ; quant aux vivants, trop de querelles de personnes ou de chapelles les opposent aujourd’hui pour qu’on puisse espérer de beaucoup la sérénité nécessaire dans l’évocation de leurs souvenirs.
« Les Français qui n’ont connu la Résistance, et se sont joints à elle, que dans la liesse – et le désordre – de la Victoire, ont beaucoup de peine à percer le mystère de sa genèse et de son déroulement : les précédents historiques ne suffisent pas à les guider dans un dédale souterrain où leur font défaut points de repère et fils conducteurs. Ce qui n’empêche pas les uns et les autres de porter les jugements les plus divers sur la Résistance, les plus ardents à le faire étant souvent ceux qui la connaissent le moins, peut-être parce que tout rappel de la Résistance ranime en eux une honte secrète de l’avoir, parfois délibérément, ignorée.
« Il ne pouvait être question de départager les Résistants, de peser les mérites des groupes et des individus, de procéder à une distribution de lauriers, ni d’écrire une histoire de la Résistance qui fût autre chose qu’une esquisse, appelant compléments et corrections. Du moins pouvait-on essayer d’éclairer les ressorts et les modalités de son action. Qu’on veuille voir dans les pages qui suivent moins une explication qu’une description de quelques faits ; l’évolution générale des événements est certes respectée, mais on s’est surtout efforcé de saisir quelques ensembles en des tableaux qui, à défaut d’embrasser la réalité dans sa plénitude, visent du moins à en marquer les principaux contours avec sincérité et objectivité. »
CONCLUSION
« Les Résistants n’ont jamais été qu’une minorité. Tout, au départ, plaidait contre eux : l’écrasement de la France, l’isolement et la faiblesse apparente de la Grande-Bretagne, l’instinct de conservation, la prudence ; les corps constitués, les plus hautes autorités du pays avaient pris position pour la cessation du combat. Seul, un vent de folie semblait pousser ceux qui ne désespéraient pas.
« En route, le long de leur dur cheminement, ces minoritaires, placés en face de problèmes qu’ils ne pouvaient résoudre, ni même prévoir, devant tout entreprendre à la fois et ne disposant d’aucun des moyens nécessaires pour réussir, furent amenés à se diviser. De vifs conflits les opposèrent parfois.
« Il est donc logique, l’inévitable réaction aidant, qu’aujourd’hui la Résistance soit attaquée. Elle a commis des erreurs, et même, il faut le dire, comme toute entreprise humaine, elle a eu ses profiteurs. Mais si on la considère en bloc, et c’est ainsi qu’il faut la prendre pour la voir tout entière, il est incontestable qu’elle constitue un des plus magnifiques épisodes de l’histoire de France. Les faits ne lui ont pas donné tort, bien au contraire, et on comprend que sa légende soit entrée directement dans son histoire.
« Il est certain que beaucoup d’attaques de Résistants contre l’armée allemande eurent, pour la population, par suite des représailles allemandes, des conséquences fâcheuses ; par ailleurs, les violences des groupes francs, les attaques des maquis, ne se produisirent pas toujours à bon escient. À la Libération, il fut difficile d’interdire à une population qui avait durement souffert pendant quatre ans, de voir dans sa délivrance l’occasion de se venger de ses humiliations et de ses colères rentrées. L’immoralité et le goût de jouissance qui, dès la paix revenue, se donnèrent libre cours et demeurèrent sensibles surtout dans la jeunesse, furent incontestablement favorisés par la nécessité où était la Résistance de prêcher la désobéissance aux lois et d’étendre le désordre. Mais, en définitive l’ordre public ne fut guère troublé et toutes les violences, tous les excès furent ceux qui, immanquablement, accompagnent les guerres.
« Sur le plan intérieur, en recréant peu à peu une quasi-unanimité nationale, la Résistance a permis à la France de faire à la Libération l’économie d’une guerre civile. Elle a assuré la relève partielle des classes dirigeantes de la politique et provoqué un changement du haut personnel administratif.
« Sur le plan des idées et des systèmes, l’œuvre a été peu féconde. L’après-guerre n’a pas vu le renouvellement des institutions et des œuvres dont beaucoup avaient rêvé dans la clandestinité. Les tentatives de création de grands groupements nouveaux n’ont pas donné grand-chose, et à quelques modifications près, c’est entre les anciennes familles, spirituelles et politiques, que les Français se sont à nouveau partagés. Le regroupement qui, peu à peu, semble s’établir pour ou contre le Communisme puise bien quelques racines dans l’histoire de la Résistance, mais s’explique surtout par les conditions nouvelles de la politique internationale qui divisent le monde en deux grands blocs.
« C’est toutefois sur le plan de la guerre et de la politique étrangère que la Résistance a servi les intérêts nationaux. Elle a fait rentrer le pays dans le bon combat et dans le camp qui n’était pas seulement celui des plus forts, mais aussi le refuge de la défense de l’Homme. Sa route a été jalonnée de martyrs ; son désintéressement, les courages qu’elle a exigés, les dévouements qu’elle a suscités, sont incontestables. Moralement, elle a été une noble et belle entreprise et il n’est pas exagéré d’écrire qu’elle a rendu à la France l’Honneur.
« Pour comprendre ce que représentait vraiment, comme volonté de vivre, ce sursaut national, il n’est pas mauvais de rappeler qu’il fut le fait d’un pays qui avait perdu une guerre et laissé dans ce premier combat cent quinze mille morts ou disparus et un million huit cent mille prisonniers, à quoi s’ajoutèrent six cent mille déportés du Service du travail obligatoire ; cette saignée en hommes ôtait au peuple français ses forces vives. La sous-alimentation, les bombardements des Alliés, la propagande de l’ennemi et des amis de l’ennemi faisaient le reste. La Résistance est née dans un peuple appauvri, trompé, affaibli.
« Cependant, en annulant la défaite provisoire, en redonnant à la France sa place parmi les grandes nations, en écrivant quelques-unes des plus belles pages de son histoire militaire, en provoquant un renouveau des plus belles vertus civiques et patriotiques, la Résistance a bien mérité de la Patrie. »
Henri Michel, Histoire de la Résistance, Paris, PUF, coll. Que Sais-je ? 1950, pp. 5-6 et 125-127.
Dans une recension publiée en 1951 par la revue des Annales, l’historien Lucien Febvre, écrit :
« Ceux qui nous suivent se feront, une fois, deux, fois, dix fois, des “Résistances françaises” à la mesure de leurs passions et de leurs idéologies particulières. Ils composeront une vulgate de la Résistance qui sera tenue pour valable par les historiens. Nous n’en saurons rien, car nous aurons disparu de la terre. Mais si, par impossible, nous venions à connaître cette version future de l’histoire que nous avons vécue, nous serions bien malheureux. Car il y a bien des chances pour que nous n’y retrouvions à peu près rien de ce qui fut pour nous “la Résistance”. »
Lucien Febvre, « Histoire de la Résistance : un précis », Annales. Économies, Sociétés, Civilisations, année 1951, 6e année, no 3, juillet-septembre 1951, pp. 361-362.
Compléments
François Bédarida, « L’histoire de la résistance. Lectures d’hier, chantiers de demain », Vingtième siècle, no 11, juillet-septembre 1986, pp. 75-90.
Jean-Marie Guillon, « La résistance historisée », Vingtième siècle, no 52, octobre-décembre 1996, pp. 132-135.