Le Chagrin et le Venin. La France sous l’occupation, mémoire et idées reçues de Pierre Laborie (2011)

L’historien et les mémoires de la Seconde Guerre mondiale en France


Dans Le Chagrin et le Venin. La France sous l’occupation, mémoire et idées reçues (Paris, Bayard, 27 janvier 2011), l’historien Pierre Laborie s’interroge sur les représentations successives, dans la mémoire collective, de la Seconde Guerre mondiale en France — et des mémoires de la période. Une légende noire — vulgate pessimiste — s’impose à partir des années 1970 — celle d’une France occupée attentiste, sinon complice de l’occupant. La même légende noire affirme l’existence d’une légende dorée — vulgate héroïque —, propre à la période précédence, — celle d’une France tout entière résistante. Il faut à la fois s’interroger : 1. Sur l’existence de ces deux représentations dans la mémoire collective, la première dans le dernier quart du siècle, la seconde dans le troisième quart ; 2. Sur les rapports qu’elles entretiennent avec la réalité historique, celle des comportements collectifs, en France occupée, pendant la Seconde Guerre mondiale. 1. Selon l’historien, si l’existence de la première, dans la mémoire collective, n’est pas douteuse, celle de la seconde est moins certaine. 2. Si la France n’est pas tout entière résistante, la Résistance ne peut être réduite à une minorité coupée du pays. On peut être avec la Résistance, sans être dans la Résistance. On trouvera ci-après un bref extrait du livre, la quatrième de couverture de l’édition de poche, des extraits de plusieurs recensions éclairantes.


Un extrait du livre

Aux yeux de ceux qui inscrivent […] la propension à l’amnésie au premier rang des spécificités nationales, la France de Vichy fournit l’exemple d’une mémoire non seulement oublieuse mais affabulatrice, nourrie d’arrangements complaisants avec la vérité. […]

En France même, c’est sur ce fond de suspicion et de secrets enfouis qu’une version répandue — on la nommera vulgate par commodité — sur la réalité des comportements collectifs sous Vichy et l’Occupation a fini par émerger et par prendre forme à partir des années 1970. […]

Dans la mécanique de cette fabrication, la nouvelle interprétation du passé a été présentée comme le retour à la vérité, comme une réaction indispensable face à ce qui était désormais affirmé comme la domination sans partage d’une imposture. […]

Pourtant, à y regarder de près, les choses paraissent un peu moins limpides, un peu moins évidentes. Autant la vulgate installée depuis les années 1970, énoncée et reprise partout, imprègne l’esprit du temps, autant on peut s’interroger, comme on l’a suggéré, sur la place réelle, dans la mémoire commune, de la fable qui la précédait. […]

En d’autres termes, sans écarter la fonction d’écran que des références systématiques à la seule Résistance auraient pu remplir, est-il inconvenant de se demander si l’omniprésence et la domination de la vulgate héroïque n’ont pas été surévaluées a posteriori ?

Pierre Laborie, Le Chagrin et le Venin, Paris, Bayard, 2011, pp. 20-69.

La présentation du livre sur le site des éditions Bayard n’est plus accessible.


Le livre en édition de poche (25 avril 2014)

Le livre est publié en édition de poche le 25 avril 2014, avec le texte ci-après, en quatrième de couverture.

Le chagrin et le venin, c’est ce qu’il reste aujourd’hui d’une vision de l’Occupation et de la Résistance qui s’est largement mise en place dans les années 1970, particulièrement avec le film de Marcel Ophuls, Le Chagrin et la Pitié.

Depuis lors, la vision de la France occupée, à la télévision comme dans les ouvrages d’historiens reconnus, est celle d’un pays immobile, préoccupé dans sa grande majorité de durer, replié dans un attentisme marqué par l’opportunisme, des arrangements consentants, voire une indifférence coupable aux minorités persécutées, avec à ses marges deux minorités décrétées équivalentes, les résistants (confondus avec les seuls maquisards) et les collaborateurs. Étonnante vision qui fut dès la fin de la guerre forgée et propagée par les hussards en défense des collaborateurs traduits en justice.

Pierre Laborie, l’un des meilleurs spécialistes de la France des années noires, retrace la genèse de cette vision dans un ouvrage qui se révèle être la réflexion la plus acérée sur la France occupée, les usages de plus en plus dominants qui sont faits de cette période et son instrumentalisation pour les besoins d’un présent tenaillé par l’immédiat.

Le livre en édition de poche sur le site des éditions Gallimard :

Le Chagrin et le Venin. Occupation. Résistance. Idées reçues

Édition revue et augmentée


Une recension d’Olivier Loubes (mars 2011) dans le magazine L’Histoire

De quel tournant Le Chagrin et la Pitié de Marcel Ophuls (1970) est-il le film ? se demande l’auteur. À rebours des idées reçues, il montre qu’il n’y avait pas de mémoire héroïque dominante de la Résistance avant 1970, sauf en deux brefs moments : autour de la Libération et du retour de de Gaulle au pouvoir. C’est bien plutôt depuis Le Chagrin et la Pitié que se déploie une mémoire-vulgate unanimiste, qui enfouit la réalité des attitudes et comportements des Français sous l’image d’un pays majoritairement peuplé d’attentistes, de lâches. Au-delà de cette “obsession de la mémoire” (Henry Rousso) qui définit notre temps, cette prétendue démystification de la Résistance est en fait une dénaturation de celle-ci et de ce qu’étaient les comportements des Français sous Vichy.

Pour le démontrer, Le Chagrin et le Venin est aussi une histoire de la Résistance et de l’opinion. Pierre Laborie analyse ainsi de façon très fine ce que fut la singulière réalité sociale de la Résistance, bien plus large que le comptage des résistants ne peut la décrire. Il y relève que les attentes des Français “ne font pas que dissimuler des accommodements médiocres” et insiste sur “la réalité d’une société de non-consentement”, du sauvetage des enfants juifs aux rassemblements silencieux impressionnants lors des enterrements de résistants comme celui de Robert Cloarec le 11 septembre 1942 à Rouen.

Olivier Loubes, « Usages de la Résistance », L’Histoire, no 362, mars 2011, p. 90 (extrait).

L’article dans son entier sur le site du magazine L’Histoire


Une recension de Cécile Vast (juillet- août 2011) dans la revue Historiens & géographes

Publié en juillet-août 2011 dans la revue Historiens & géographes, l’article est repris en septembre dans le no 66 de La Lettre de la Fondation de la Résistance.

À travers la généalogie fouillée et minutieuse d’une interprétation de l’attitude des Français sous Vichy et l’occupation allemande qui s’est imposée dans l’espace public à partir des années 1970, l’auteur décrypte les modes de construction, les vecteurs et le sens d’un discours dominant devenu une vulgate. […]

À cette vulgate, l’auteur oppose le retour à l’histoire. En prenant appui sur les nombreux travaux d’une recherche toujours dynamique, il revient dans plusieurs chapitres sur les enjeux historiographiques et épistémologiques des catégories utilisées pour appréhender la Résistance et penser la question des comportements collectifs en temps de guerre.

Cécile Vast, « Les comportements des Français sous l’Occupation : à propos d’une évolution mémorielle », La Lettre de la Résistance, no 66, septembre 2011, pp. 4-5 (extrait).

L’article dans son entier dans le no 66 de La Lettre de la Résistance

L’article est publié à l’origine dans la revue Historiens & géographes, no 415, juillet-août 2011, pp. 287-288.

Le no 66 de La Lettre de la Résistance

Une version longue de l’article sur le site de l’APHG de Caen


Un entretien de Thomas Wieder avec Pierre Laborie dans Le Monde des livres (15 avril 2011)

Entre la lutte armée et la passivité, voire la collaboration, il y a une multitude de petits gestes qui, si on les prend en compte dans leur expression collective, donnent l’image d’une société marquée par l’idée du non-consentement.

La difficile sortie d’une vision en noir et blanc


Une recension de Georges Meyer dans la revue Le temps des médias (2012)

Le livre « défend la thèse selon laquelle s’est imposée à partir des années 1970 une vulgate à propos de l’histoire de la France sous l’Occupation : une majorité de Français attentistes se serait accommodée de l’occupation et de la violence nazie, tandis qu’une petite minorité de résistants isolés se serait opposée aux collaborateurs. La diffusion de ce discours est assurée par différents médias (documentaires, films de fictions, presse) mais aussi par la plupart des manuels scolaires actuels et une part de l’historiographie. L’enjeu de l’ouvrage est de faire une histoire critique de cette doxa. »

L’article dans son entier sur le site Cairn.info


Un article sur l’œuvre de Pierre Laborie dans le magazine en ligne Mondes sociaux (2013-2016)

Pierre Laborie, un historien « trouble-mémoire »

Annelise Rodrigo et Olivier Loubes, « Pierre Laborie, un historien “trouble-mémoire” », Mondes sociaux, 3 décembre 2013.


Note du 29 juillet 2019

Pierre Laborie meurt le 16 mai 2017 à l’âge de 81 ans.

Le 17 juillet 2019, André Loez s’entretient avec Cécile Vast, sur l’œuvre de Pierre Laborie, dans Paroles d’histoire :

69. Pierre Laborie et l’historiographie de la Résistance