29 avril 1778. – Voltaire et Franklin à l’Académie des sciences

Dans son journal, à la date du 29 avril 1778, John Adams (1735-1826) donne un récit de la rencontre de Voltaire (1694-1778) et Benjamin Franklin (1706-1790) à l’Académie des sciences et rapporte le mot qui compare les deux hommes à Sophocle et Solon. Voltaire meurt un mois plus tard, le 30 mai.

La rencontre dans le journal de John Adams

After dinner we went to the Academy of Sciences, and heard M. d’Alembert, as perpetual secretary, pronounce eulogies on several of their members, lately deceased. Voltaire and Franklin were both present, and there presently arose a general cry that M. Voltaire and M. Franklin should be introduced to each other. This was done, and they bowed and spoke to each other. This was no satisfaction ; there must be something more. Neither of our philosophers seemed to divine what was wished or expected ; they, however, took each other by the hand. But this was not enough ; the clamor continued, until the explanation came out. “Il faut s’embrasser, à la Françoise.” The two aged actors upon this great theatre of philosophy and frivolity then embraced each other, by hugging one another in their arms, and kissing each other’s cheeks, and then the tumult subsided. And the cry immediately spread through the whole kingdom, and, I suppose, over all Europe. “Qu’il etait charmant de voir embrasser Solon et Sophocle !”

The Works of John Adams, Second President of the United States. With a Life of the Author, Notes and Illustrations, vol. III, Boston, 1851, p. 147.

Le texte dans Internet Archive


Voltaire et Benjamin Franklin sur une estampe de 1792

Mirabeau arrive aux champs Élisées, Paris, 1792

« Mirabeau arrive aux champs Élisées. Sur sa tête plane le Génie de la liberté portant une banderolle avec cette inscription : la France libre. Il s’avance vers J.J. Rousseau et lui présente une Charte Constitutionnelle. Franklin lui pose une couronne de chêne sur la tête ; Montesquieu, Voltaire, Mably et Fénelon viennent le recevoir. Sur le 2e plan, Demosthènes et Cicéron s’entretiennent de l’orateur français et le contemplent ; des Génies le suivent chargés de ses œuvres. » Paris, 1792.

GALLICA – BIBLIOTHÈQUE NATIONALE DE FRANCE


La rencontre dans la Vie de Voltaire de Condorcet

Paris possédait en même temps le célèbre Franklin, qui, dans un autre hémisphère, avait été aussi l’apôtre de la philosophie et de la tolérance. Comme Voltaire, il avait souvent employé l’arme de la plaisanterie, qui corrige la folie humaine, et apprend à en voir la perversité comme une folie plus funeste, mais digne aussi de pitié. Il avait honoré la philosophie par le génie de la physique, comme Voltaire par celui de la poésie. Franklin achevait de délivrer les vastes contrées de l’Amérique du joug de l’Europe, et Voltaire de délivrer l’Europe du joug des anciennes théocraties de l’Asie. Franklin s’empressa devoir un homme dont la gloire occupait depuis longtemps les deux mondes : Voltaire, quoiqu’il eût perdu l’habitude de parler anglais, essaya de soutenir la conversation dans cette langue ; puis bientôt reprenant la sienne : Je n’ai pu résister au désir de parler un moment la langue de M. Franklin.

Le philosophe américain lui présenta son petit-fils, en demandant pour lui sa bénédiction : God and Liberty, dit Voltaire, voilà la seule bénédiction qui convienne au petit-fils de M. Franklin. Ils se revirent à une séance publique de l’Académie des sciences ; le public contemplait avec attendrissement, placés à côté l’un de l’autre, ces deux hommes nés dans des mondes différents, respectables par leur vieillesse, par leur gloire, par l’emploi de leur vie, et jouissant tous deux de l’influence qu’ils avaient exercée sur leur siècle. Ils s’embrassèrent au bruit des acclamations ; on a dit que c’était Solon qui embrassait Sophocle. Mais le Sophocle français avait détruit l’erreur, et avancé le règne de la raison ; et le Solon de Philadelphie, appuyant sur la base inébranlable des droits des hommes la constitution de son pays, n’avait point à craindre de voir pendant sa vie même ses lois incertaines préparer des fers à son pays, et ouvrir la porte à la tyrannie.

Œuvres de Condorcet, tome IV, Paris, 1847, pp. 157-159.

Le texte dans Gallica

L’édition 1791 dans Internet Archive


La rencontre dans la biographie de Benjamin Franklin par Parton

Le biographe rapporte une visite de Franklin à Voltaire avant de faire le récit de leur seconde rencontre, à l’Académie des sciences, le 29 avril 1778.

But this was not the only scene between Franklin and Voltaire. Another occurred, April 29th, in the presence of a concourse of « philosophers » at a session of the Academy of Sciences. The meeting was attended by Voltaire and Franklin, who sat near each other on the platform in full view of the audience. At a pause in the proceedings, a confused cry arose, in which could be distinguished the names of the two favorite, and which was interpreted to mean that they should be introduced. This was done. They rose, bowed, and spoke to one another. Bat the clamor did not subside ; the people were evidently dissatisfied ; something more must be done. They shook hands. Even this was not enough. At length, the words of the clamor were distinguished : “II faut s’embrasser, à la Françoise ;” “you must embrace, French fashion.” Then, says John Adams, who witnessed the spectacle, “the two aged actors upon this great theatre of philosophy and frivolity, embraced each other by hugging one another in their arms, and kissing each other’s cheeks, and then the tumult subsided. And the cry immediately spread through the whole kingdom, and, I suppose, over all Europe, ‘How charming it was to see Solon and Sophocles embrace ?’

James Parton, Life and Times of Benjamin Franklin, New York, 1865, pp. 316-317.

Le texte dans Internet Archive


La rencontre dans la Correspondance de Benjamin Franklin par Laboulaye

Le traducteur reprend dans ses notes le récit de Parton.

Le 29 avril 1778, il y eut séance à l’Académie des sciences. Voltaire et Franklin y assistaient l’un près de l’autre. Le public se mit à les appeler et à les applaudir ; tous deux se saluèrent, tous deux, pour plaire à l’assistance, se donnèrent la main à l’anglaise. « Non! non ! cria le public : Il faut s’embrasser à la française. » Les deux vieillards ne se le firent pas répéter, et le lendemain, suivant le style du temps, l’Europe apprit que Solon et Sophocle s’étaient embrassés. Heureux temps après tout que celui où les héros de l’opinion sont des hommes qui n’ont jamais cherché qu’à éclairer et affranchir leurs semblables. À côté de cela, qu’est-ce que la gloire sanglante et impure des conquérants ?

Édouard Laboulaye, Correspondance de Benjamin Franklin traduite de l’anglais et annotée, t. II, 1870, p. 164.

Le texte dans Gallica