La rencontre Marchand-Kitchener de Fachoda date du 19 septembre 1898, non pas du 18. On trouvera ci-dessous le récit de la rencontre dans Marc Michel, La mission Marchand, Paris, La Haye, 1972.
La rencontre du 19 septembre 1898
Que s’était-il passé à Fachoda ? M. Sanderson a donné un récit de la rencontre en s’appuyant sur les sources britanniques, les livres d’Emily et de Baratier et la relation de Marchand lui-même dans Le Figaro du 26 août 1904. Le rapport Marchand n’apporte rien de nouveau qui soit essentiel. Rédigé presque immédia- tement après l’événement, il montre bien, cependant, comment il fut vécu.
La rencontre fut d’abord une surprise pour les Français. Le 18 septembre, en effet, les Chillouk confirmaient le retour en force des Mahdistes vers Fachoda : des coureurs du Mek, « couverts de sueur », annoncèrent la nouvelle « tandis que d’énormes colonnes de fumée s’élevai[ent] sur la rive droite, signaux des Dinka à l’approche d’un grand danger ». Ignorant l’écrasement des Derviches à Omdurman, Marchand et ses compagnons crurent à l’arrivée, dans le sud, des forces du Khalife en retraite. Ces forces paraissaient très considérables : dans la soirée du 18, les informateurs Chillouk les évaluaient « à cinq vapeurs et 20 dabiehs pleines de soldats » et affirmaient qu’ils les avaient vus, « douze kilomètres en aval ». Marchand avoua alors qu’une bataille lui paraissait cette fois aléatoire. Ce n’était pas l’avis de Mangin, nous le verrons.
Les Français s’installèrent une nouvelle fois aux postes de combat et attendirent l’attaque des Derviches à l’aube. Cependant Marchand aurait pu soupçonner l’arrivée des Anglo-Égyptiens car durant la nuit on annonça chez les Chillouk le retour de deux des leurs, « disparus depuis plus de quinze ans », et porteurs de lettres. Les deux Chillouk se présentèrent au bastion nord, à 6 heures du matin et les Français reconnurent alors les plumets rouges des tirailleurs soudanais britanniques. Les deux tirailleurs remirent à Marchand la lettre adressée par Kitchener « au chef de l’expédition européenne de Fachoda » : le Sirdar informait ces « Européens quelconques » installés à Fachoda, de la victoire d’Omdurman et de son intention de venir au fort. Marchand répondit immédiatement au Sirdar qu’il serait heureux de le recevoir à Fachoda au nom de la France » et fit expédier sa réponse par une baleinière montée par les piroguiers Yakoma ; Marchand s’intitulait « Commissaire du Gouvernement français sur le Haut-Nil et le Bahr el Ghazal ».
La rencontre eut lieu à 10 heures du matin. La flottille, « battant pavillon turc », apparut dans le chenal du fort, le Sultan en tête, « canons en batterie, tous les équipages aux postes de combat ». Ce déploiement de forces était impressionnant : 5 canonnières remorquaient une douzaine d’énormes chalands (dabiehs) portant environ 2 000 hommes : tout l’État-Major, 60 officiers anglais ou égyptiens, un bataillon de Highlanders, et les 10e et 11e bataillons « Sudanese ». Le major Cecil, aide de camp de Kitchener et neveu de Salisbury, accompagné du commandant de la flottille, le commodore Keppel, descendirent à terre pour inviter Marchand à rendre visite au général en chef à bord du Sultan. Quelques minutes plus tard, Marchand et Germain rencontrèrent Kitchener qui était assisté du colonel Wingate chef des services de renseignements égyptiens.
Le récit de la célèbre entrevue, que donne Marchand dans son rapport, confirme les autres relations. Bien que l’un et l’autre des deux adversaires aient été fort irrités par le premier contact, il n’y eut pas d’éclat. Kitchener parla en français et demanda seulement que le drapeau égyptien fût planté à Fachoda à côté du drapeau français jusqu’à la décision des gouvernements. Cette proposition était le fruit des conseils de Wingate. Elle ne correspondait pas au choix politique fait à Londres le 25 juillet 1898 lorsque le cabinet anglais décida de recommander à Cromer et Kitchener « the two flags policy » [égyptien et britannique]. Mais elle permit à Marchand de garder son calme en même temps qu’elle l’embarrassa car il lui était difficile d’y opposer un refus. Par ailleurs, Kitchener fit apprécier sa puissance à Marchand en lui rappelant la présence de ses 2 000 bommes et de ses canons : Marchand se rendit compte de la vanité et du danger d’une épreuve de force.
Le drapeau du Khédive fut donc planté à Fachoda. Wingate aurait voulu qu’il flottât dans l’enceinte ou sur le bastion sud ; Germain lui fit accepter les ruines en contrebas de ce bastion. Un bataillon soudanais commandé par le major Jackson s’installa non loin pour assurer la garde du pavillon. Il conservait aussi l’appui de l’Abu-Kléa, amarré près du fort. Les deux camps étaient établis à 500 mètres l’un de l’autre : la coexistence commença.
Marc Michel, La mission Marchand, 1895-1899, Paris, La Haye, Mouton, 1972, pp. 216-218.
10 juillet 1898. – Occupation de Fachoda par la mission Congo-Nil : une carte du journal Le Temps, supplément du 28 mai 1899 | https://t.co/wIRuPCSzyf @GallicaBnF #année1898 pic.twitter.com/iDyYybRySY
— Langlois (@langlois_hg) 10 juillet 2018