Classicisme et romantisme, royalisme et libéralisme : la république des lettres sous la Restauration

Dans la deuxième partie des Illusions perdues (1839), Balzac prête à deux de ses personnages une conversation sur la « république des lettres », à Paris, sous la Restauration. À Lucien de Rubempré, poète en quête de reconnaissance, le journaliste Lousteau explique, en octobre 1821, qu’elle se divise en « deux camps » — « Les écrivains royalistes sont romantiques, les libéraux sont classiques » — et presse son interlocuteur de prendre un parti. Dans la préface d’Hernani (1830), Victor Hugo définit au contraire le romantisme comme le « libéralisme en littérature » et fait des classiques des ultras de la littérature. Zélateur de « l’enfant du miracle » en 1820, Lamartine entrevoit la révolution de 1830, avant d’annoncer celle de 1848. Royaliste au début des années 1820, le romantisme passe au libéralisme dans le courant de la décennie.


Classiques et romantiques dans les Illusions perdues (1821)

Avant de lui donner lecture de quelques-uns de ses poèmes, Lucien de Rubempré explique au journaliste Lousteau pourquoi il a fait le choix d’écrire un recueil de sonnets. Son interlocuteur, qu’il tient pour un « imposant personnage », lui demande alors s’il est « classique ou romantique »… Rédigé à partir de 1837, le roman — Un grand homme de province à Paris — est publié en 1839, mais la conversation est datée, dans la fiction, d’octobre 1821.

— Êtes-vous classique ou romantique ? lui demanda Lousteau.

L’air étonné de Lucien dénotait une ignorance complète de l’état des choses dans la république des lettres. Lousteau jugea nécessaire d’éclairer ce jeune homme.

— Mon cher, vous arrivez au milieu d’une bataille acharnée, il faut vous décider promptement. La littérature est partagée d’abord en plusieurs zones ; mais les sommités sont divisés en deux camps. Les écrivains royalistes sont romantiques, les libéraux sont classiques. La divergence des opinions littéraires se joint à la divergence des opinions politiques, et il s’ensuit une guerre à toutes armes, encre à torrents, bons mots à fer émoulu, calomnies pointues, sobriquets à outrance, entre les gloires naissantes et les gloires déchues. Par une singulière bizarrerie, les royalistes romantiques demandent la liberté littéraire et la révocation des lois qui donnent des formes convenues à notre littérature ; tandis que les libéraux veulent maintenir les unités, l’allure de l’alexandrin et les formes classiques. Les opinions littéraires sont donc en désaccord, dans chaque camp, avec les opinions politiques. Si vous êtes éclectique, vous n’aurez personne pour vous. De quel côté vous rangez-vous ?

— Quels sont les plus forts ?

— Les journaux libéraux ont beaucoup plus d’abonnés que les journaux royalistes et ministériels, néanmoins Lamartine et Victor Hugo percent, quoique monarchiques et religieux, protégé par la cour et par le clergé.

Lucien fut interdit et arrêté dès le premier pas : il fallait opter entre deux bannières. Il tenait son manuscrit déroulé sans oser le lire.

— Bah ! des sonnets, c’est de la littérature d’avant Boileau, dit Étienne en voyant Lucien effrayé d’avoir à choisir entre deux bannières. Soyez romantique. Les romantiques se composent de jeunes gens, et les classiques sont des perruques : les romantiques l’emporteront.

Le mot perruque était le dernier mot trouvé par le journalisme qui tenait pour le romantisme, et qui en avait affublé les classiques.

Honoré de Balzac, Un grand homme de province à Paris, 1re édition, Paris, Hippolyte Souverain, 1839, pp. 146-148.

N.B. : le texte présente des variantes selon les éditions.

Dans l’édition Michel Lévy frères (1869), on trouve, non pas « Les écrivains royalistes sont romantiques, les libéraux sont classiques. » mais
« Les royalistes sont romantiques, les libéraux sont classiques. »

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Classiques et romantiques selon Victor Hugo (1830)

Dans la préface d’Hernani (9 mars 1830), Victor Hugo reprend une lettre adressée, quelques semaines auparavant, aux éditeurs des Poésies de Charles Dovalle. L’auteur du recueil est mort le 30 novembre 1829, à l’âge de 22 ans, dans un duel à l’épée et au pistolet.

Si rude qu’on nous veuille faire le présent, l’avenir sera beau. Le romantisme, tant de fois mal défini, n’est, à tout prendre, et c’est là sa définition réelle, si l’on ne l’envisage que sous son côté militant, que le libéralisme en littérature. Cette vérité est déjà comprise à peu près de tous les bons esprits, et le nombre en est grand ; et bientôt, car l’œuvre est déjà bien avancée, le libéralisme littéraire ne sera pas moins populaire que le libéralisme politique. La liberté dans l’art, la liberté dans la société, voilà le double but auquel doivent tendre d’un même pas tous les esprits conséquents et logiques ; voilà la double bannière qui rallie, à bien peu d’intelligences près (lesquelles s’éclaireront), toute la jeunesse si forte et si patiente d’aujourd’hui ; puis, avec la jeunesse et à sa tête l’élite de la génération qui nous a précédés, tous ces sages vieillards qui, après le premier moment de défiance et d’examen, ont reconnu que ce que font leurs fils est une conséquence de ce qu’ils ont fait eux-mêmes, et que la liberté littéraire est fille de la liberté politique. Ce principe est celui du siècle, et prévaudra. Les ultras de tout genre, classiques ou monarchiques, auront beau se prêter secours pour refaire l’ancien régime de toutes pièces, société et littérature ; chaque progrès du pays, chaque développement des intelligences, chaque pas de la liberté fera crouler tout ce qu’ils auront échafaudé. Et, en définitive, leurs efforts de réaction auront été utiles. En révolution, tout mouvement fait avancer. La vérité et la liberté ont cela d’excellent que tout ce qu’on fait pour elles et tout ce qu’on fait contre elles les sert également. Or, après tant de grandes choses que nos pères ont faites, et que nous avons vues, nous voilà sortis de la vieille forme sociale ; comment ne sortirions-nous pas de la vieille forme poétique ? À peuple nouveau, art nouveau. Tout en admirant la littérature de Louis XIV si bien adaptée à sa monarchie, elle saura bien avoir sa littérature propre et personnelle et nationale, cette France actuelle, cette France du dix-neuvième siècle, à qui Mirabeau a fait sa liberté et Napoléon sa puissance.

« Feu Dovalle et Victor Hugo », Le Mercure du dix-neuvième siècle, t. 28, Paris, 1830, pp. 440-447.

Le Sylphe, poésies de feu Ch. Dovalle, Paris, Ladvocat, 1830, pp. xj-xiij.

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De « l’enfant du miracle » à la révolution de 1830

Dans une ode écrite à Naples en novembre 1820 — et incluse dans les éditions ultérieures des Méditations poétiques —, Lamartine salue la naissance du duc de Bordeaux, fils posthume du duc de Berry et dernier espoir de continuité dynastique. Dix ans plus tard, dans une lettre à Charles Nodier datée du 13 juillet 1830, il entrevoit la révolution de 1830. Quarante plus tard, dans un commentaire du poème, il repasse toute sa vie politique.

Ode sur la naissance du duc de Bordeaux (novembre 1820)

Il est né l’enfant du miracle !
Héritier du sang d’un martyr,
Il est né d’un tardif oracle,
Il est né d’un dernier soupir !

Alphonse de Lamartine, Méditations poétiques, 9e édition, Paris, Charles Gosselin, 1823, pp. 119-125.

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Lettre à Charles Nodier (13 juillet 1830)

La lettre — inédite — est reproduite par Auguste Dide dans une « chronique » de La Révolution française. Revue historique, en 1886.

Que faites-vous ? et comment attendez-vous l’inévitable crise qui se prépare ? Le succès d’Alger la rendra plus courte et plus facile. Mais réussit-on longtemps à battre son siècle, c’est ce que l’histoire des siècles ne prouve pas. Je regarde la bataille comme gagnée, si on la donne ; mais que faire de la victoire ? Il y a un gros nuage à voir passer : Dieu veuille qu’il n’en sorte que du bruit et des éclairs ! Je prends plus d’intérêt que vous à la politique, parce que j’en ai moins vu. Le découragement où je vous ai vu ne m’atteint pas encore. Je voudrais voir l’humanité sur un bon chemin, quoique tout chemin la conduise à la mort.

Auguste Dide, « Chronique », La Révolution française. Revue historique, Paris, Charavay frères, juillet-décembre 1886, pp. 93-96.

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Commentaire de la dix-septième méditation (1860)

J’étais de famille royaliste ; j’avais servi dans les gardes du roi ; j’avais accompagné à cheval le duc de Berri, père du duc de Bordeaux, jusqu’à la frontière de France, quand il en sortit pour un second exil. L’assassinat de ce prince, quelques années après, m’avait profondément remué. Le désespoir de sa jeune veuve, qui portait dans son sein le gage de son amour, avait attendri toute l’Europe. La naissance de cet enfant parut une vengeance du ciel contre l’assassin, une bénédiction miraculeuse du sang des Bourbons. J’étais loin de la France quand j’appris cet événement il inspira ma jeune imagination autant que mon cœur. J’écrivis sous cette inspiration. Ces vers, je ne les envoyai point à la cour de France, qui ne me connaissait pas; je les adressai à mon père et à ma mère, qui se réjouirent de voir leurs propres sentiments chantés par leur fils. J’ai été, comme la France entière de cette époque, mauvais prophète des destinées de cet enfant. Je n’ai jamais rougi des vœux très-désintéressés que je fis alors sur ce berceau. Je ne les ai jamais démentis par un acte ingrat ou par une parole dédaigneuse sur le sort de ces princes. Quand les Bourbons que je servais ont été proscrits du trône et du pays en 1830, j’ai donné ma démission au nouveau souverain, pour n’avoir point à maudire ce que j’avais béni. Depuis, cette seconde branche de la monarchie a été retranchée elle-même. J’ai été plus respectueux envers leur infortune que je ne l’avais été envers leur puissance. Quand le trône s’est définitivement écroulé sous la main libre du peuple, je ne devais rien à celui qui l’avait occupé le dernier. J’ai pu prêter loyalement ma main à ce peuple pour inaugurer la république. Dix-huit ans d’indépendance absolue me séparaient des souvenirs et des devoirs de ma jeunesse envers une autre monarchie. Mon esprit avait grandi, mes idées s’étaient élargies ; mon cœur était libre d’engagement, mes devoirs étaient tous envers mon pays. J’ai fait ce que j’ai cru devoir faire pour sauver de grands malheurs, et pour préparer de grandes voies au peuple. Je fais pour lui maintenant les mêmes vœux que je faisais il y a trente ans pour une autre forme de souveraineté. Quant à ceux que j’adressais alors au ciel pour l’enfance du duc de Bordeaux, Dieu les a autrement exaucés ; mais il les a mieux exaucés peut-être, pour son bonheur, dans l’exil que dans la patrie, dans la vie privée que sur un trône.

Ce prince et son parti ont reconnu ma fidélité d’honneur à leur cause et à leur malheur par des procédés injurieux qui m’ont percé le cœur. Je leur rends à présent en indifférence ce qu’ils ont déversé sur moi en injures et en calomnies.

Alphonse de Lamartine, Méditations poétiques avec commentaires, Œuvres complètes, 1860, Paris, chez l’auteur, t. 1, pp. 174-175.

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Les trois couleurs des Trois Glorieuses d’après Cogniet

Juillet 1830

Juillet 1830, lith. de Villain, lithographié d’après une esquisse peinte de Léon Cogniet.

Au-dessus des drapeaux : 26, 27, 28, 29.

En dessous : « Aux ténèbres enfin succède la clarté : / Et des pâles lambeaux du drapeau des esclaves, / Et de l’azur du ciel et du sang de nos braves, / Naît l’étendard brillant de notre liberté. »

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