Publiée une première fois en 1875, puis tous les ans en janvier, L’Année politique donne un récit de la vie politique en France au cours de l’année écoulée (1874-1905). Le nom de l’auteur — André Daniel — est un pseudonyme. Généralement attribuée à André Lebon, né en 1859, député (1893-1898) et ministre des Colonies du cabinet Méline (1896-1898), la publication est plutôt l’œuvre d’auteurs successifs. Dans son édition du 27 juin 1932, le journal Le Temps donne la liste suivante : Folet, André Lebon, Cruchon-Dupeyrat, Georges Bonnefous. Dans L’Année politique 1899, l’auteur — assurément républicain — ne dissimule par son étonnement, sinon sa réprobation, devant la formation du cabinet Waldeck-Rousseau.
INTRODUCTION
L’année 1899 a été certainement, au point de vue politique, la plus troublée et la plus douloureuse que la France ait connue depuis longtemps.
Un seul changement de ministère a eu lieu dans le cours de cette année, ce qui, avec une Chambre aussi inconsistante que celle élue en 1898, peut ne pas sembler excessif.
Mais l’avènement du nouveau ministère, précédé de tant d’agitations et suivi de tant de mesures pénibles, a revêtu un caractère si inattendu et si déconcertant pour tous ceux qui s’efforcent de juger la politique aux habituelles lumières de la raison et du bon sens qu’une grande partie de l’opinion a été — on peut le dire — tour à tour révoltée et stupéfaite de la composition et de certains actes du cabinet Waldeck-Rousseau.
Si, au mois de janvier 1899, quelqu’un s’était avisé d’annoncer que M. Waldeck-Rousseau, considéré encore à ce moment comme l’espoir des « républicains conservateurs », — suivant l’expression employée jadis par lui-même, — et la dernière carte contre le socialisme menaçant de la petite et surtout de la grande industrie, constituerait, moins de six mois plus tard, un ministère dont M. Millerand, le chef du collectivisme, l’auteur du programme de Saint-Mandé, serait la principale assise, assurément, ce prophète eût été considéré par tous comme un halluciné. […]
JUIN
L’auteur relate la formation du cabinet Waldeck-Rousseau, après dix jours de crise ministérielle, sans dissimuler l’étonnement que lui cause sa composition.
Dès que la composition de ce ministère fut connue à la Chambre, elle y fut accueillie avec incrédulité d’abord, puis avec surprise, et généralement avec défaveur.
Il en fut de même, au premier moment, dans le pays. Réunir dans une même collaboration gouvernementale un général, assurément glorieux, mais surtout connu en politique pour ses opinions peu républicaines et la répression sanglante de la Commune de 1871, avec un député socialiste collectiviste de Paris, sous la tutelle commune d’un homme d’État qui avait employé, tout récemment encore, sa meilleure éloquence à combattre les collectivistes et les radicaux, qui d’ailleurs le lui avaient rendu au centuple, c’était là une véritable gageure.
Aussi, même dans un temps où l’invraisemblance de certains spectacles politiques a accoutumé progressivement l’opinion publique à ne plus s’étonner de grand’chose, cette juxtaposition d’un vieux général, d’un député révolutionnaire et d’un sénateur modéré, unis pour une besogne politique commune, sembla dépasser un peu les bornes de la fantaisie.
La raison de cette combinaison étrange était la défense de la République. Or, la République assurément plus menacée en 1889, au moment de la crise boulangiste, avait pu être sauvée à ce moment sans qu’il eût été besoin de recourir à d’aussi paradoxales combinaisons ministérielles. Quelle était donc la raison pour laquelle un homme aussi habituellement avisé que M. Waldeck-Rousseau avait appelé au pouvoir, pour la première fois, le parti socialiste collectiviste dans la personne de son principal leader ?
Plusieurs réponses furent fournies à cette question. D’abord le désir ardent de certains socialistes, dont M. Millerand, lassés d’attendre indéfiniment dans les avenues du pouvoir le moment d’y parvenir, et qui avaient adroitement profité des divisions occasionnées entre républicains par l’affaire Dreyfus pour imposer leur concours.
Ensuite l’intention arrêtée de M. Waldeck-Rousseau de faire participer le parti socialiste aux responsabilités du pouvoir. Faux calcul, si c’était avec le dessein secret de lui causer quelque embarras.
La merveilleuse élasticité des partis démagogiques leur a en effet toujours permis, sans le moindre risque, d’avoir à côté de leur programme d’opposition, un programme de gouvernement, si l’occasion l’exige, quitte à revenir ensuite au programme d’opposition sans être gêné le moins du monde par les souvenirs du pouvoir.
Calcul coupable, pour un homme qui avait dénoncé avec autorité le danger de la révolution sociale, si cette participation des socialistes au pouvoir avait pour but d’accoutumer le pays à leurs noms, à leurs idées et à leurs actes.
La raison que les partis d’opposition donnèrent de la combinaison Waldeck-Rousseau dans leurs journaux et à la Chambre, fut la nécessité de faire acquitter Dreyfus. Ils affirmèrent que c’était pour cette besogne que des hommes politiques d’opinions si diverses s’étaient groupés, que l’intention de ceux-ci était de mettre tout en œuvre pour peser sur les juges du conseil de guerre de Rennes, de manière à leur faire prononcer l’acquittement de Dreyfus. Le ministère devait ensuite, après avoir pris diverses mesures de rigueur contre plusieurs généraux et officiers, se retirer en laissant le pouvoir à d’autres.
André Daniel, L’Année politique 1899, Paris, pp. I-II et 224-226.
La composition du cabinet dans Le Charivari
Jean Dupuy, ministre de l’Agriculture. — Delcassé, ministre des Affaires étrangères. — de Lanessan, ministre de la Marine.
Decrais, ministre des Colonies. — Caillaux, ministre des Finances. — Baudin, ministre des Travaux publics. — Monis, ministre de la Justice.
Millerand, ministre du Commerce, de l’Industrie, des Postes et Télégraphes. — Waldeck-Rousseau, président du Conseil, ministre de l’Intérieur et des Cultes. — de Galliffet, ministre de la Guerre.
Leygues, ministre de l’Instruction publique et des Beaux-Arts.
G. Lion, « La salade ministérielle », Le Charivari, 1er juillet 1899.
GALLICA – BIBLIOTHÈQUE NATIONALE DE FRANCE
Les auteurs de L’Année politique selon Le Temps (1932)
En 1932, le journal Le Temps rappelle la parution du premier volume de L’Année politique, cinquante-sept ans auparavant. La date — fin septembre 1932 — est incertaine. La presse de 1875 annonce la publication à la fin de janvier.
« L’Année politique ». — En septembre prochain, il y aura exactement 57 ans que parut — vers la fin septembre 1875 — le premier volume de l’Année politique, par André Daniel.
Cette intéressante publication périodique, qui compte 32 volumes, embrasse toute l’histoire politique et parlementaire de 1874 à 1905, soit 32 années, précédée d’un coup d’œil général sur l’année 1873. Les volumes de 1874 à 1900 ont été édités à la librairie Charpentier, et ceux de 1901 à 1905 à la librairie Perrin et Cie, l’une et l’autre à Paris.
Quant à l’auteur, le nom d’André Daniel est un pseudonyme commun aux différents auteurs qui ont écrit l’Année politique, à savoir : 1o de 1874 à 1879, par son fondateur, M. Folet, professeur à la faculté de médecine de Lille ; 2o de 1880 à 1890, par M. André Lebon, ancien député, ancien ministre ; 3o de 1891 à 1897, par M. Cruchon-Dupeyrat, ancien préfet ; et 4o de 1898 à 1905, par M. Georges Bonnefous, député. L’Année politique, de nuance républicaine modérée — centre gauche — est d’une précieuse utilité, tant au point de vue de la documentation que de l’exactitude. Il est vraiment regrettable que cette publication n’ait pas été continuée. La collection complète des 32 volumes est aujourd’hui rarissime, pour ne pas dire introuvable.
« L’Année politique », Le Temps, 27 juin 1932.