« Je ne suis pas contre toutes les guerres » : discours de Barack Obama contre la guerre en Irak (2002)

Auteur en 1995 d’une autobiographie intitulée Dreams from My Father (traduction française, 2008), Barack Obama obtient un siège au Sénat de l’Illinois, dans le South Side de Chicago, lors des élections de 1996. Après l’élection du président George W. Bush (7 novembre 2000) et les attentats du 11 Septembre, il se déclare contre la guerre en Irak dans un discours prononcé à Chicago, le 2 octobre 2002.

Laissez-moi vous dire pour commencer, même si nous sommes ici rassemblés contre la guerre, que je ne suis pas contre la guerre en toute circonstance. La guerre de Sécession fut l’une des guerres les plus sanglantes de l’histoire ; c’est pourtant à la pointe de l’épée, et par le sacrifice d’un grand nombre d’hommes, que nous sommes parvenus à parfaire l’Union et à bannir de notre pays le fléau de l’esclavage.

Je ne suis pas contre toutes les guerres.

Mon grand-père partit à la guerre au lendemain de Pearl Harbor pour combattre dans l’armée de Patton. Il vit les morts et les mourants sur les champs de bataille de l’Europe ; il entendit les récits des soldats entrés les premiers à Auschwitz et à Treblinka. Il combattit pour une liberté plus grande dans l’arsenal de la démocratie qui triompha du mal et il ne se battit pas en vain.

Je ne suis pas contre toutes les guerres.

Après le 11-Septembre, devant le carnage et la destruction, la poussière et les larmes, j’ai approuvé l’engagement pris par le gouvernement de traquer et d’éliminer ceux qui assassinent des innocents au nom de l’intolérance et je prendrais les armes sans hésiter pour empêcher la répétition d’une telle tragédie.

Je ne suis pas contre toutes les guerres. Et je sais qu’aujourd’hui, dans ce rassemblement, nous ne manquons ni de patriotes, ni de patriotisme.

Ce à quoi je m’oppose, c’est à une guerre stupide. Ce à quoi je m’oppose, c’est à une guerre irréfléchie. Ce à quoi je m’oppose, c’est à la tentative cynique par laquelle Richard Perle, Paul Wolfowitz et autres guerriers en chambre de ce gouvernement cherchent à nous faire avaler leur propre programme idéologique sans se préoccuper des pertes en vies humaines et des souffrances à endurer.

Ce à quoi je m’oppose, c’est à la tentative par laquelle des politiciens comme Karl Rove cherchent à nous distraire de l’accroissement du nombre des non-assurés, de la hausse du taux de pauvreté et de la chute du revenu médian, comme à nous à nous distraire des scandales du monde des affaires et d’un marché boursier qui vient de connaître ses pires résultats depuis la Grande dépression.

C’est à cela que je m’oppose. À une guerre stupide. À une guerre irréfléchie. Une guerre fondée non pas sur la raison mais sur la passion, non pas sur des principes mais sur un calcul politique.

Comprenez-moi bien : je ne me fais aucune illusion sur Saddam Hussein. C’est un homme brutal. Un homme impitoyable. Un homme qui assassine son peuple pour consolider son pouvoir. Il a bravé les résolutions de l’ONU à plusieurs reprises, fait obstacle aux inspections des missions de l’ONU, développé des armes chimiques et biologiques et tenté d’acquérir l’arme nucléaire. C’est un homme mauvais. Le monde et le peuple irakien se porteraient mieux sans lui.

Mais je sais aussi que Saddam ne constitue pas une menace imminente et directe pour les États-Unis ou pour ses voisins, que l’économie irakienne est en ruine et que l’armée irakienne n’a plus la puissance qu’elle avait naguère, et qu’il est possible de le contenir, en accord avec la communauté internationale, avant qu’il ne finisse par tomber, comme tous les dictateurs de son espèce, dans les poubelles de l’histoire.

Je sais qu’une guerre même réussie contre l’Irak nécessiterait une occupation américaine d’une durée indéterminée, à un coût indéterminé, avec des conséquences indéterminées. Je sais qu’une invasion de l’Irak, sans justification claire et sans un solide soutien international, ne ferait qu’attiser les flammes du Moyen-Orient, soulèverait des réactions dans le monde arabe, les pires plutôt que les meilleures, et faciliterait le recrutement d’Al-Qaida.

Je ne suis pas contre toutes les guerres. Je suis contre les guerres stupides.

Si nous voulons un monde plus juste et plus sûr pour nos enfants, il nous faut envoyer aujourd’hui un message clair au président.

Vous voulez une bataille, président Bush ?

Terminons le combat avec Ben Laden et Al-Qaida par l’action efficace et coordonnée des services de renseignement, le démantèlement des réseaux financiers qui soutiennent le terrorisme, un programme de sécurité intérieure qu’il ne faut pas réduire à des alertes de couleurs différentes.

Vous voulez une bataille, président Bush ?

Battons-nous pour garantir la poursuite des inspections de l’ONU, l’application rigoureuse d’un traité de non-prolifération, la mise en sûreté et l’élimination finale de leur stock de matière nucléaire par d’anciens ennemis, et désormais des alliés, la Russie par exemple ; obtenons que des pays comme le Pakistan ou l’Inde n’utilisent jamais les armes terribles qu’ils sont parvenus à acquérir et que les marchands d’armes de notre propre pays renoncent à entretenir les guerres innombrables qui se poursuivent dans le monde.

Vous voulez une bataille, président Bush ?

Battons-nous pour obtenir de nos prétendus alliés au Moyen-Orient, les Saoudiens et les Égyptiens, qu’ils cessent d’opprimer leur propre peuple, de réprimer l’opposition, de tolérer la corruption et les inégalités et de laisser grandir leurs enfants sans éducation, ni perspective d’avenir, ni espoir, faute d’une économie bien gérée, au risque de les livrer au recrutement des groupes terroristes.

Vous voulez une bataille, président Bush ?

Battons-nous pour nous passer du pétrole du Moyen-Orient, au moyen d’une politique énergétique qui ne serve pas simplement les intérêts d’Exxon et de Mobil.

Voilà les batailles que nous devons livrer. Voilà les batailles que nous sommes prêts à rejoindre. Les combats contre l’ignorance et l’intolérance, la corruption et la cupidité, la pauvreté et le désespoir.

Les conséquences de la guerre sont désastreuses, les sacrifices incommensurables. Peut-être devrons-nous dans notre vie combattre à nouveau pour défendre notre liberté et payer à la guerre son tribut. Mais il n’est pas possible d’emprunter aveuglément cette voie infernale — et nous ne le ferons pas —, comme il n’est pas possible de laisser ceux qui partiront, feront leur sacrifice de leur vie et donneront avec leur sang la preuve ultime de leur dévouement faire pour rien un sacrifice aussi terrible.

Remarks of Illinois State Sen. Barack Obama Against Going to War with Irak, October 02, 2002