La permanence de l’État au tournant du XXIe siècle

III. La permanence de l’État au tournant du XXIe siècle
A. L’État reste présent
1. L’État est souverain
2. L’État conserve ses prérogatives
3. L’État étend son champ d’action
B. L’État redéfinit ses interventions
1. La contractualisation territoriale
2. La consultation de la société civile
3. La coopération intergouvernementale
C. L’État répond à des attentes

LANGLOIS | CC BY-NC-ND 4.0


III. La permanence de l’État au tournant du XXIe siècle

L’État en France connaît un recul dans le dernier quart du XXe siècle, mais il ne disparaît pas : il conserve des compétences ou en acquiert de nouvelles, redéfinit ses interventions et continue de répondre à des attentes qui s’expriment en particulier lors des crises.

A. L’État reste présent

L’État reste souverain, conserve des prérogatives et étend son champ d’action.

1. L’État reste souverain

La souveraineté nationale est un principe inscrit dans le préambule de la Constitution : l’État-nation conserve sa souveraineté, dans l’Union européenne, comme dans ses rapports avec les collectivités territoriales.

L’Union européenne a peut-être une vocation fédérale – ou supranationale, mais elle réunit des États-nations qui restent souverains. C’est l’État membre qui négocie les traités et la ratification est subordonnée à une révision constitutionnelle, dans le cas français, si les dispositions du traité sont contraires à la Constitution (article 54). Le fonctionnement de l’Union européenne reste en grande partie intergouvernemental. Son principal organe, le Conseil européen (sommet de Paris, 9 et 10 décembre 1974) rassemble les chefs d’État et de gouvernement des États membres. L’État membre reste libre de quitter l’Union : le traité de Lisbonne (13 décembre 2007) comprend une clause de retrait et une clause de réintégration (article 50). L’Union européenne n’est pas un État fédéral ; elle demeure une association volontaire qui réunit des États souverains.

La République est décentralisée et le principe de subsidiarité est inscrit dans la Constitution, mais la souveraineté n’est pas partagée. Le principe de subsidiarité n’a pas la même signification dans un État fédéral et dans un État unitaire. Dans le premier cas, ce sont les États fédérés qui délèguent leurs pouvoirs à un État fédéral ; dans le second cas, c’est-à-dire le cas français, c’est l’État central qui concèdent des compétences à des collectivités territoriales. L’État attribue des compétences à l’échelon inférieur, mais sans abandonner l’autorité qui est la sienne. La décentralisation l’objet d’interprétations différentes qui insistent ou bien sur l’affaiblissement de l’État, ou bien ou contraire sur son renforcement ; la décentralisation serait alors un moyen pour l’État de restaurer son autorité en déléguant certaines tâches sans rien abandonner de son pouvoir.

C’est l’État qui légifère, qui définit les compétences des collectivités territoriales, qui règle leur organisation institutionnelle, qui fixe leurs limites et leurs modes de scrutins territoriaux. La loi du 17 mai 2013 modifie les modes de scrutin municipal et départemental, ex-cantonal. La loi du 16 janvier 2015 réduit le nombre des régions à 12 en métropole, Corse exclue, contre 21 auparavant : 18 régions en tout, contre 27 auparavant (entrée en vigueur au 1er janvier 2016).

2. L’État conserve ses prérogatives

L’État conserve des prérogatives, à commencer par ses fonctions proprement régaliennes : le droit et la justice ; la sécurité intérieure, c’est-à-dire la police ; la sécurité extérieure, c’est-à-dire les affaires étrangères et la défense nationale. Déclaré à minuit, dans la nuit du 13 au 14 novembre 2015, l’état d’urgence est prorogé six fois et reste en vigueur pendant 719 jours.

L’État conserve des compétences qui lui sont propres. L’Éducation nationale reste un service public d’État placé sous l’autorité d’un ministère de plein exercice. Ses réformes successives sont conduites par le gouvernement en accord avec le Parlement. La massification scolaire se poursuit : la proportion de bacheliers dans une génération était de 4,4 p. 100 en 1946 ; elle approche le quart en 1975, les quatre cinquièmes en 2019.

L’État réaffirme périodiquement son volontarisme, dans des domaines très différents, en début de quinquennat présidentiel : la création très controversée d’un « ministère de l’Immigration, de l’Intégration, de l’Identité nationale et du Codéveloppement » (premier gouvernement Fillon, 17 mai 2007) après l’élection présidentielle de 2007 ; la création d’un « ministère du Redressement productif » (premier gouvernement Ayrault, 15 mai 2012) après l’élection de 2012.

3. L’État étend son champ d’action

L’État étend son action à des domaines auparavant ignorés ou délaissés : il s’agit en particulier de gérer les risques induits par la croissance économique, la libéralisation de l’économie, la mondialisation, le changement climatique, etc.

La politique de la ville date des années 1980 et le ministère de la Ville de décembre 1990, à la suite des émeutes de Vaulx-en-Velin, dans la banlieue lyonnaise, en octobre. Ses compétences sont ensuite ou bien rattachées à d’autres ministères, ou bien attribuées à un ministère de la Ville.

La Charte de l’environnement de 2004 marque la reconnaissance d’une troisième génération de droits, après les droits civils et politiques en 1789 et les droits économiques et sociaux en 1946. Les articles 5 et 6 introduisent explicitement le « principe de précaution » et la notion de « développement durable » dans le bloc de constitutionnalité.

B. L’État redéfinit ses interventions

L’État demeure, mais son pouvoir s’exerce de façon différente : non plus un État dirigiste, mais un État coordonnateur, qui doit composer avec différents acteurs, mais conserve des prérogatives.

1. La contractualisation territoriale

L’État organise ses relations avec les collectivités territoriales de façon contractuelle, dans le cadre des contrats de plan État-régions (CPER). Les CPER sont introduits dans la loi par l’acte I de la décentralisation (1982) : ils sont conçus à l’origine comme un moyen d’articuler le plan national et les plans des régions. Ils survivent à la fin de la planification dans les années 1990 : renommés « contrats de projet » en 2006, ils reprennent le nom de « contrats de plan » en 2014. Ils associent l’État, les régions, des collectivités infra-régionales et des EPCI, définissent des « projets structurants » et programment leur financement ; intervient en outre l’Union européenne au moyen des fonds structurels.

2. La consultation de la société civile

L’État organise le dialogue avec la société civile au moyen du débat public. La loi Barnier du 3 février 1995 crée une Commission nationale du débat public (CNDP) dont la mission est de garantir la consultation du public sur les grands projets d’aménagement ; elle constitue le cas échéant une Commission particulière (CPDP) qui organise le débat. La France est signataire de la convention d’Aarhus (25 juin 1998) sur l’accès des citoyens à l’information et sur leur participation au processus de décision en matière d’environnement. La loi Vaillant sur la démocratie de proximité du 27 février 2002 fait de la CNDP une « autorité administrative indépendante » et facilite l’organisation du débat public. Le principe du droit à l’information et de la participation à la décision est inscrit dans la charte de l’environnement de 2004 (article 7) : c’est donc un principe constitutionnel.

3. La coopération intergouvernementale

À l’échelle internationale, l’État participe à des institutions formelles ou informelles et contribue à la « gouvernance mondiale ». L’Union européenne est certes membre de l’OMC, comme chacun des États membres, et c’est la Commission qui négocie, au nom de tous, dans la plupart des cas, mais l’action internationale des États de l’Union reste étatique dans la plupart des cas. L’État participe au système de l’ONU. Ce sont des États, non pas des organisations intergouvernementales, qui siègent au Conseil de sécurité de l’ONU. L’État participe à des « clubs » comme le Groupe des sept ou le Groupe des vingt ; recrutés par cooptation, leurs membres pratiquent un multilatéralisme restreint. L’État participe à des organisations régionales comme l’OTAN ou l’OSCE.

C. L’État répond à des attentes

Les crises de tous ordres — financières, terroristes ou sanitaires — sont propices à la réhabilitation de l’État, garant de l’intérêt général, puisqu’il apparaît alors comme un rempart ou un recours ; les critiques dont il fait l’objet sont aussi l’expression des attentes qu’il suscite.

Les déclarations du Premier ministre socialiste Jospin (16 septembre 1999) selon lesquelles « il ne faut pas tout attendre de l’État » provoquent un vif débat en 1999 : 70 p. 100 des Français se déclarent alors favorables à l’intervention de l’État dans l’économie et l’incident contribue sans doute à expliquer la défaite du Premier ministre à l’élection à l’élection présidentielle de 2002.

Le rejet du TCE (29 mai 2005) ne peut être réduite à une explication unique puisque les opposants au traité se recrutent à la fois à droite et à gauche, mais il témoigne néanmoins d’un certain attachement à telle ou telle conception de l’État : à droite, la crainte d’une perte de souveraineté, à gauche, le refus d’une libéralisation excessive de l’économie.

Lors de la crise financière de 2007-2008, l’État facilite le financement des banques, conformément aux décisions des ministres des Finances du Groupe des sept (Washington, 10 octobre 2008), et le système de protection sociale contribue à atténuer les effets de la crise. Un article de l’hebdomadaire britannique The Economist (2009), habituellement très critique envers la France, souligne dans ces circonstances les avantages du « modèle français » : « The French model, Vive la différence ! »

Après les attentats terroristes de 2015, la prorogation de l’État d’urgence (2015-2017) et la loi anti-terroriste soulèvent des critiques, mais font néanmoins l’objet d’une approbation majoritaire. Dans son discours du 16 novembre 2016 devant le Congrès, le président Hollande, pour justifier un surcroît de dépenses en matière de sécurité, déclare que « le pacte de sécurité l’emporte sur le pacte de stabilité ».

La crise de la représentation politique témoigne certes d’une certaine défiance à l’égard du personnel politique, mais elle témoigne aussi de l’ampleur des attentes sociales : ce que déplorent les mécontents, c’est l’impuissance de l’État, non pas sa toute-puissance.

Le « modèle français » tel qu’il se constitue à la Libération n’existe plus ; subsiste néanmoins sa composante « sociale », à laquelle les Français restent sans doute attachés : la Sécurité sociale, la gratuité des soins médicaux, la retraite par répartition.

LANGLOIS | CC BY-NC-ND 4.0


CNDP : Commission nationale du débat public.
CPDP : Commission particulière du débat public.
CPER : Contrat de plan État-région.
EPCI : Établissement public de coopération intercommunale.
OMC : Organisation mondiale du commerce (15 avril 1994).
ONU : Organisation des Nations unies (26 juin 1945).
OSCE : Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (6 décembre 1994).
OTAN : Organisation du traité de l’Atlantique nord (4 avril 1949).
TCE : Traité établissant une constitution pour l’Europe (29 octobre 2004).