Le sujet d’histoire de l’examen d’entrée à Sciences Po. — Session 2018


L’épreuve d’histoire de l’examen d’entrée à Sciences Po se tenait à Paris aujoud’hui, dimanche 25 février 2018, de 13 h à 17 h.

Le sujet, publié après la fin de l’épreuve, était le suivant :


Premier exercice

Composition

— La Résistance a-t-elle préparé et réalisé une totale transformation de la République française (1940-1946) ?

— Comment la croissance économique des « Trente Glorieuses » a-t-elle transformé la société française ?


Second exercice

Étude critique

Vous présenterez le document de la façon la plus précise possible, et vous montrerez son intérêt et ses limites pour la connaissance de la place des femmes dans la société française au XXe siècle.

Simone Veil devient ministre de la Santé

Un extrait de l’autobiographie de Simone Veil, Une vie, 1re édition, Stock, 2007 :

« Pendant sa campagne, le nouveau président avait assuré les Français qu’il appellerait des femmes au gouvernement… »

On trouvera ci-dessous le texte complet des trois paragraphes dans lesquels Simone Veil rapporte comment elle devint ministre ; en grisé, les passages coupés dans le sujet.


C’est ainsi que je me suis retrouvée dès le lendemain ministre de la Santé…

Simone Veil, Une vie, Paris, Stock, 31 octobre 2007 (première édition)

Pendant sa campagne, le nouveau président avait assuré les Français qu’il appellerait des femmes au gouvernement. L’idée était d’ailleurs dans l’air du temps. Quelques mois plus tôt, à l’occasion des fêtes de fin d’année, un magazine féminin, Marie Claire me semble-t-il, avait publié un retentissant article sur un éventuel gouvernement de femmes. J’en avais été bombardée Premier ministre. L’hypothèse était d’autant plus pittoresque que j’étais inconnue du grand public, que je n’avais jamais exercé le moindre mandat électoral ni assumé de fonction ministérielle. Je n’appartenais donc en rien à la sphère politico-mondaine dans laquelle les journalistes aiment générale- ment puiser des noms pour alimenter leurs articles de politique-fiction. Françoise Giroud figurait évidemment en bonne place sur ce podium virtuel. J’avais trouvé l’hypothèse tout à fait étonnante, et je n’étais pas la seule. Je me souviens d’un dîner particulièrement ennuyeux avec un groupe de ménages dont tous les maris étaient polytechniciens. La conversation s’était soudain égayée de remarques mi-amusées mi-fielleuses d’épouses s’enquérant de savoir combien j’avais payé l’hebdomadaire pour voir mon nom figurer en si belle place… Survint l’élection de Giscard. Dans les jours qui suivirent, une rumeur, étayée cette fois, commença à se répandre selon laquelle, parmi d’autres femmes plus en vue que je ne l’étais moi-même, le nouvel hôte de l’Élysée songeait à moi. C’était le Premier ministre, paraît-il, qui lui avait suggéré mon nom.

J’avais déjà eu l’occasion d’approcher Jacques Chirac. Mon mari le croisait dans les milieux politiques proches du pouvoir. Il me fascinait par l’incroyable déploiement d’énergie dont il faisait déjà preuve. Dès l’abord, il était convivial, chaleureux, œcuménique et sectaire, peut-être porteur d’un regret de ne pas être à gauche, bref, séduisant. Qui plus est, j’étais liée avec sa principale conseillère, Marie-France Garaud, magistrat comme moi. Nous nous étions rencontrées alors qu’elle était chargée de mission au cabinet de Jean Foyer, entre 1962 et 1967. Par la suite, nous étions devenues assez proches tandis qu’avec Pierre Juillet, elle décidait d’appuyer l’ancien poulain de Georges Pompidou, Jacques Chirac, dans sa course au pouvoir. Nommée au cabinet du nouveau Premier ministre, je crois bien que c’est elle qui a prononcé mon nom devant Jacques Chirac qui, à la demande du nouveau Président, cherchait des femmes « nouvelles en politique ». Toujours est-il que, tandis que le couple en charge de l’exécutif esquissait la délicate architecture du nouveau gouvernement, les rumeurs me concernant se firent de plus en plus précises. Je ne m’en étonnais plus, sachant par des amis journalistes et parlementaires que telle est la manière de faire, en politique : lancer des noms un peu au hasard et mesurer leur impact sur l’opinion. A l’issue des tests de ce genre, on a vu des personnes ainsi précipitées au sommet du pouvoir, tandis que d’autres, qui s’en croyaient pourtant proches, en ont été à tout jamais écartées. Au sein du microcosme parisien, comme disait Raymond Barre, les esprits s’agitaient, les langues aussi.

Un soir, alors que nous dînions chez des amis, la maîtresse de maison m’invita à sortir de table. Quelqu’un désirait, de toute urgence, me parler. C’était Jacques Chirac, qui me demandait si j’accepterais, le cas échéant, de faire partie de son gouvernement. Il me pria de réfléchir et de le rappeler le lendemain. Le calme dont j’ai su faire preuve jusqu’à la fin de la soirée n’a pas manqué de surprendre mon mari. Pour dire le vrai, je n’avais qu’une très vague idée de ce qui m’attendait. La curiosité aidant, je n’ai guère hésité. C’est ainsi que je me suis retrouvée dès le lendemain ministre de la Santé, convaincue qu’une néophyte comme moi n’allait pas tarder à commettre une sottise telle qu’on la renverrait dans ses foyers. En outre, pourquoi le président m’avait-il confié la santé, secteur administratif dont je n’étais pas, et c’est le moins que l’on puisse dire, une spécialiste ? Pensait-il déjà à l’IVG, thème sur lequel il avait pris des engagements ? Sans doute. Quoi qu’il en soit, j’étais la seule femme ministre, mes consœurs n’occupant que des secrétariats d’État, Annie Lesur à l’Éducation, Hélène Dorlhac à la Justice, Françoise Giroud à la Condition féminine.

Simone Veil, Une vie, Paris, Stock, 31 octobre 2007 (première édition).

Le livre sur le site de l’éditeur


Éléments de corrigé pour l’étude critique

Le plan suivant examine l’« intérêt » du document en 1. et 2. et ses « limites » en 3.

1. Un témoignage sur les progrès de la cause des femmes : 1.1. La première nomination d’une femme ministre de plein exercice depuis 1947 ; 1.2. Une « idée […] dans l’air du temps » ; 1.3. L’annonce d’une politique favorable à la cause des femmes ;

2. Un témoignage qui montre néanmoins que les progrès restent incomplets : 2.1. Un gouvernement en grande partie masculin ; 2.2. Une « inconnue » qui s’attend à être renvoyée « dans ses foyers » ; 2.3. Une nomination à la Santé, non pas à la Justice ;

3. Un témoignage qui masque les tensions de la société devant la question féminine : 3.1. Les revendications du second féminisme ; 3.2. et 3.3. Les résistances, celles de la majorité parlementaire, comme celles d’une société qui reste masculine…


Sur la figure de Simone Veil, in Bibia Pavard, Florence Rochefort et Michelle Zancarini-Fournel, Les lois Veil. Les événements fondateurs, Paris, Armand Colin, 2012 :

Bibia Pavard, Florence Rochefort et Michelle Zancarini-Fournel, Les lois Veil. Les événements fondateurs, Paris, Armand Colin, 2012

« Simone Veil apparaît comme un symbole. Elle est la première femme ministre à avoir pu montrer l’étendue de ses compétences. Pour le magazine féminin Marie Claire, Simone Veil est la femme de l’année 1974, et “les cent heures de débat qu’elle a soutenues à l’Assemblée et au Sénat ne donnent pas seulement à la France une nouvelle loi sur l’interruption de grossesse. Elles devraient porter le coup de grâce au mythe selon lequel les femmes ne sont pas faites pour l’action politique”. Simone Veil gagne dans ce débat une notoriété : en décembre 1974, elle figure pour la première fois dans un sondage portant sur les personnalités politiques les plus appréciées des Français, et “elle vient en tête devant tous les hommes”.

« Dans ce concert d’éloges, la ministre de la Santé semble avoir agi seule. On oublie le gouvernement et le président de la République qui l’ont soutenue. On oublie l’action réformatrice débutée dès 1973. Mais, surtout, on oublie le mouvement féministe qui s’est mobilisé depuis 1970 pour revendiquer la libéralisation de l’avortement et qui a contribué à donner une légitimité particulière aux femmes sur cette question. Le combat d’une femme exceptionnelle masque ainsi la lutte des femmes qui l’a précédée. Au final, la loi Veil, si elle est l’œuvre immédiate d’une femme déterminée et compétente, est aussi le résultat de mobilisations et d’actions cumulées sur un temps plus long. »

Bibia Pavard, Florence Rochefort et Michelle Zancarini-Fournel, Les lois Veil. Les événements fondateurs, Paris, Armand Colin, 2012.

Le livre sur le site de l’éditeur

Voir également, de Bibia Pavard, « La loi Veil : retour sur un compromis », fondation Jean-Jaurès, note no 239, 26 novembre 2014 :

« Pendant les débats, la ministre est complimentée par toute une série d’hommes et femmes politiques qui soulignent son courage et sa force. Simone Veil, notamment parce qu’elle est la première ministre femme à défendre une réforme de cette envergure, s’attire les sympathies au-delà des frontières partisanes. La presse souligne sa pugnacité. Dans ce concert d’éloges, la ministre de la Santé semble avoir agi seule. On oublie le gouvernement et le président de la République qui l’ont soutenue. On oublie l’action réformatrice débutée dès 1973. Mais, surtout, on oublie le mouvement féministe qui s’est mobilisé depuis 1970 pour revendiquer la libéralisation de l’avortement et qui a contribué à donner une légitimité particulière aux femmes sur cette question. Le combat d’une femme masque la lutte des femmes. »

Bibia Pavard, « La loi Veil : retour sur un compromis », fondation Jean-Jaurès, note no 239, 26 novembre 2014 :

L’article sur le site de la fondation

Sur le « féminisme » de Marie Claire et l’article de février 1973 — « les femmes au pouvoir ? C’est déjà possible », un article de Bibia Pavard, « Contraception et avortement dans Marie Claire (1955-1975) : de la méthode des températures à la méthode Karman », Le Temps des médias, 2009 :

Prudent — et partagé — devant la liberté de l’avortement, le magazine féminin approuve néanmoins la loi du 17 janvier 1975 et l’action du nouveau ministre de la Santé.

« C’est finalement la figure de Simone Veil qui parvient à redonner une certaine unité au journal sur la question de l’avortement. En tant que première femme ministre depuis 1956, elle représente l’espoir de la réussite politique des femmes et en même temps sa loi sur l’avortement ne laisse pas une liberté totale aux femmes tout en leur garantissant l’initiative de l’avortement. Ainsi, en janvier 1975, elle est proclamée femme de l’année par le journal car “les cent heures de débat qu’elle a soutenues à l’Assemblée et au Sénat ne donnent pas seulement à la France une nouvelle loi sur l’interruption de grossesse. Elles devraient porter le coup de grâce au mythe selon lequel les femmes ne sont pas faites pour l’action politique.” »

« Comment expliquer un tel revirement ? Il est certes très tardif et survient à un moment où il est certain que la loi sur l’avortement est sur le point de changer : Marie Claire suit les tendances plutôt que de les précéder. Mais, il est aussi symptomatique de l’intégration progressive d’un ton féministe dans le magazine. Ainsi en février 1973 Marie Claire propose un gouvernement entièrement composé de femmes pour prouver que “les femmes au pouvoir ? C’est déjà possible”. »

Bibia Pavard, « Contraception et avortement dans Marie Claire (1955-1975) : de la méthode des températures à la méthode Karman », Le Temps des médias, 2009.

L’article dans la bibliothèque numérique Cairn.info

Sur la publication de l’autobiographie en 2007, « Simone Veil : le livre de sa vie », un article de Mohammed Aïssaoui dans Le Figaro, 2017 :

« Son autobiographie, Une vie (Stock) avait été la meilleure vente de documents de 2007. L’académicienne qui s’était jusqu’alors peu confiée, avait touché par son ton personnel, tranchant, parfois mordant. »

L’article sur le site du journal

Sur la figure de Simone Veil, « Bibia Pavard : “Simone Veil a tiré ses convictions sur l’égalité de son parcours” », un entretien dans Libération, 2017 :

« Pour l’historienne Bibia Pavard, l’ex-ministre de la Santé, dont les obsèques officielles ont lieu ce mercredi, n’adhérait pas aux revendications féministes de son temps. Son souci de l’égalité entre hommes et femmes est né de son expérience : celle d’une pionnière dans des milieux masculins. »

L’article sur le site du journal


Les neuf membres féminins de gouvernements avant Simone Veil

« Trois femmes au gouvernement », L'illustré du Petit Journal, 14 juin 1936

IIIe République (1870-1940)

Président Albert Lebrun

— Irène Joliot-Curie, sous-secrétaire d’État à la Recherche scientifique du 4 juin au 28 septembre 1936 (1er cabinet Léon Blum) ;

— Cécile Brunschvicg, sous-secrétaire d’État à l’Éducation nationale du 4 juin 1936 au 21 juin 1937 (1er cabinet Léon Blum) ;

— Suzanne Lacore, sous-secrétaire d’État à la Protection de l’enfance du 4 juin 1936 au 21 juin 1937 (1er cabinet Léon Blum) ;

Gouvernement provisoire de la République française (1944-1946)

— Andrée Viénot, sous-secrétaire d’État à la Jeunesse et aux Sports du 24 juin 1946 au 16 décembre 1946 (1er cabinet Georges Bidault) et du 16 décembre 1946 au 22 janvier 1947 (3e cabinet Léon Blum) ;

IVe République (1947-1958)

N.B. : la Constitution de la IVe République est promulguée le 27 octobre 1946, mais la première élection présidentielle se tient le 16 janvier 1947 ; nomination du premier président du Conseil le 22 janvier.

Président Vincent Auriol

— Germaine Poinso-Chapuis, ministre de la Santé publique et de la Population du 24 novembre 1947 au 26 juillet 1948 (1er cabinet Robert Schuman) ;

Président René Coty

— Jacqueline Thome-Patenôtre, sous-secrétaire d’État à la Reconstruction et au Logement du 17 juin 1957 au 6 novembre 1957 (cabinet Maurice Bourgès-Maunoury) ;

Ve République (depuis 1958)

Président Charles de Gaulle

— Nafissa Sid Cara, secrétaire d’État auprès du Premier ministre, chargée des questions sociales en Algérie et de l’évolution du statut personnel de droit musulman, du 23 janvier 1959 au 14 avril 1962 (cabinet Michel Debré) ;

— Marie-Madeleine Dienesch, secrétaire d’État à l’Éducation nationale du 31 mai 1968 au 10 juillet 1968 (5e cabinet Georges Pompidou), secrétaire d’État aux Affaires sociales du 10 juillet 1968 au 20 juin 1969 (cabinet Maurice Couve de Murville) ;

Président Georges Pompidou

— La même, secrétaire d’État auprès du ministre de la Santé et de la Sécurité sociale du 22 juin 1969 au 18 juillet 1969 puis secrétaire d’État à l’Action sociale et à la Réadaptation du 18 juillet 1969 au 6 juillet 1972 (cabinet Jacques Chaban-Delmas), secrétaire d’État auprès du ministre de la Santé publique, chargée de l’Action sociale et de la Réadaptation du 6 juillet 1972 au 2 avril 1973 (1er cabinet Pierre Messmer) puis secrétaire d’État auprès du ministre de la Santé publique et de la Sécurité sociale du 5 avril 1973 au 28 mai 1974 (2e et 3e cabinet Pierre Messmer) ;

— Suzanne Ploux, secrétaire d’État auprès du ministre de l’Éducation nationale du 12 avril 1973 au 27 février 1974 (2e cabinet Pierre Messmer) ;

Simone Veil, nommée ministre de la Santé le 28 mai 1974, est donc la deuxième femme ministre de plein exercice et la dixième à exercer des fonctions gouvernementales. Trois autres femmes participent au même gouvernement, lequel est alors le plus féminin de l’histoire : quatre femmes sur trente-sept ministres et secrétaires d’État, soit un peu plus d’un dixième ; c’est le troisième gouvernement de l’histoire à comprendre plus d’une femme, après le 1er cabinet Blum (trois femmes) et le 2e cabinet Messmer (deux femmes).

Gouvernements et présidents des assemblées parlementaires depuis 1789 — Assemblée nationale

Les gouvernements et les assemblées parlementaires sous la Ve République — Assemblée nationale

Un article de Christine Bard, « Les premières femmes au Gouvernement (France, 1936-1981) », Histoire@Politique, 2007 :

L’article dans la bibliothèque numérique Cairn.info

L’article sur le site de la revue Histoire@Politique<


Note du 27 juin 2018

Le sujet est publié aujourd’hui sur le site de Sciences Po :

Sciences Po — Histoire — Session 2018

Préparer les épreuves — L’épreuve d’histoire


Note du 24 février 2019

La session 2019 de l’épreuve se tenait le 24 février :

Le sujet d’histoire de l’examen d’entrée à Sciences Po. — Session 2019