Le Dictionnaire historique de la Résistance est publié le 6 avril 2006. Dans son avant-propos, le « conseil scientifique » qui préside à sa rédaction situe l’ouvrage dans l’historiographie de la période et dans l’histoire de ses mémoires. Ébauchée dans l’immédiat après-guerre, l’histoire de la Résistance est éclipsée, à partir des années 1970, par l’omniprésence du souvenir de Vichy. À la représentation, prêtée à la période précédente, d’une France tout entière résistance, se substitue celle d’une Résistance réduite à une minorité et coupée du pays. Les travaux de recherche se poursuivent néanmoins — et se renouvellent —, comme le montre les six colloques des années 1990 sur « la Résistance et les Français ». Le Dictionnaire historique de la Résistance en est l’un des aboutissements.
Quel sens faut-il prêter à la publication de ce dictionnaire consacré à la Résistance française soixante ans après la Libération ? Une première réponse, simple, tient à notre souci de mettre à la portée de tous les éléments de connaissance et de réflexion qu’un travail patient et tenace a accumulés depuis plus d’un demi-siècle. La seconde tient à la nécessité d’un retour aux documents et aux analyses afin de réfléchir sur les multiples interprétations qui, depuis la Libération, ont fini par donner de la Résistance une image parfois simplificatrice et brouillée. Ainsi, pour nous, c’est une caricature et un détournement de sens que de limiter la Résistance à une minorité, équivalente à celle des « collaborateurs », et supposée être, comme ceux-ci, isolée dans le pays. Réduire la majorité de la population à une masse résignée, voire complice et s’accommodant tant bien que mal de l’Occupation, conduit à occulter un fait majeur : la Résistance fut un processus social, elle n’a pu exister, vivre et se développer que dans la dynamique des liens tissés dans et avec la société française.
Un retour à l’Histoire s’imposait donc. De ce point de vue, il faut distinguer les deux domaines couverts par ce dictionnaire, la Résistance et la France libre. Grâce à Jean-Louis Crémieux-Brilhac, cette dernière est dotée d’une œuvre de synthèse. Tel n’est pas le cas de la Résistance intérieure, pour de multiples raisons qui relèvent aussi bien de l’Histoire que de la mémoire, et parmi lesquelles on relèvera la grande diversité des situations, le foisonnement des engagements et les enjeux de tous ordres soulevés par le combat résistant. Une telle complexité constitue un obstacle à toute vision « uniforme» et un défi majeur à toute « définition » passe-partout. Aussi, rassemblant des auteurs aux compétences variées, laissant le lecteur cheminer dans l’univers de l’histoire et des mémoires de la Résistance, la formule du dictionnaire nous semble-t-elle actuellement la mieux adaptée pour faire un état de la question.
Les concepteurs de ce dictionnaire ne cachent pas leur dette envers leurs devanciers. Jusqu’à la fin des années 1970, le Comité d’histoire de la Deuxième Guerre mondiale, sous la direction d’Henri Michel, a rassemblé des matériaux considérables. Il a travaillé à poser les fondations d’un savoir distancié. Une nouvelle génération d’historiens, parfois formés par les travaux collectifs menés au sein du Comité, a pris le relais au début des années 1980. Leur travail s’est poursuivi en relation avec le laboratoire du CNRS qui succédait au Comité : l’Institut d’histoire du temps présent, créé par François Bédarida. Dans le même temps, un accès moins restrictif aux archives et un intérêt général accru pour la période offraient de nouvelles perspectives. Beaucoup a été fait. Organisations et structures, programmes politiques et lutte armée, villes et régions, acteurs connus ou anonymes, rapports avec la population… ont été l’objet de recherches qui ont permis d’avancer dans la compréhension du phénomène Résistance. Mais le chantier reste ouvert.
Depuis les années 1970, les enjeux passionnels de l’histoire et de la mémoire de l’Occupation ont ressurgi avec vivacité. Tandis que les questionnements sur la France de Vichy devenaient premiers, et parfois obsédants, l’histoire de la Résistance a semblé piétiner. Sans doute en relation avec des interrogations plus générales sur le sens des engagements collectifs des Français, la Résistance, elle aussi, a été mise en question. Vigoureusement et parfois même, il faut le dire, assez vilainement. Les résistants n’ont pas été épargnés comme on l’a vu, par exemple, à propos de Jean Moulin. Célébré comme « l’unificateur » par les historiens et « panthéonisé » par la République en 1964, le même Jean Moulin est devenu, à partir des années 1990 la cible d’une curieuse conception de l’histoire, dans et au-delà des médias. Les secrets de sa vie sentimentale, ses liens suspectés avec l’Union soviétique ou les États-Unis, les complots ténébreux et les machinations supposées à l’origine de son arrestation… relevaient davantage du dénigrement, de l’histoire scandale, du procès d’intention que de la légitime critique historique, c’est-à-dire de l’Histoire.
Cependant, durant cette période, la recherche sur la Résistance s’est poursuivie sans tapage, encouragée par la découverte de sources méconnues — comme celles révélées par Daniel Cordier. Par ailleurs, suivant les évolutions qui ont marqué la discipline, les historiens de la Résistance ont élargi le champ de leurs préoccupations. Ils se sont intéressés à des aspects jusque-là négligés ou traités de façon convenue : les femmes (rituellement saluées mais peu mises en valeur), les étrangers (sinon oubliés, du moins marginalisés), les Juifs (confinés dans un statut de victimes) ont commencé à retrouver une place à la mesure de leur rôle. De nouveaux regards, n’isolant plus les résistants du reste de la société, cherchant à saisir ce que ces « rebelles » partageaient avec les « autres » ont révélé l’image d’une Résistance moins héroïsante, plus humaine, replacée dans la complexité des comportements — sans être pour autant banalisée. Rassembler ces analyses, les préciser, les confronter aux travaux d’historiens étrangers sur les modes de résistance en Europe, tel a été l’enjeu des six colloques organisés par notre groupe autour du thème « La Résistance et les Français », à partir de 1993, avec le concours de l’Institut d’histoire du temps présent dirigé à cette date par Robert Frank. Ce dictionnaire en est l’un des principaux aboutissements.
François Marcot (dir.), Dictionnaire historique de la Résistance, Paris, Robert Laffont, 2006, pp. VII-IX.
Le dictionnaire sur le site des éditions Robert Laffont
Le dictionnaire sur le site de la Fondation de la Résistance | Le texte de l’avant-propos dans son entier
En couverture, la « Marianne aux stigmates » de Paul Colin, 17 août 1944.