« Républicain modéré, mais non pas modérément républicain ». Habituellement attribuée à Waldeck-Rousseau, président du Conseil de 1899 à 1902, la formule trouve son origine dans une lettre de Charles Jonnart, député du Pas-de-Calais, au directeur de la Revue politique et parlementaire : « Modéré, libéral, oui, je l’ai toujours été, je le suis toujours, mais non pas modérément républicain ». Publiée dans le numéro du 10 décembre 1899, le texte répond au discours prononcé par Jules Méline, député des Vosges et ancien président du Conseil, devant la Chambre des députés, le 16 novembre. Chef du gouvernement de 1896 à 1898, Méline s’appuie sur une majorité qui exclut les radicaux et s’ouvre à la droite ralliée ou non à la République (conjonction des centres). Dans l’affaire Dreyfus, le président du Conseil et son ministre de la Guerre, le général Billot, se refusent à toute révision : « Il n’y a pas d’affaire Dreyfus » déclare Méline, à la Chambre, le 4 décembre 1897. Après la publication du « J’Accuse » de Zola (13 janvier 1898) et les élections législatives des 8 et 22 mai 1898, la Chambre adopte un ordre du jour hostile à toute majorité qui ne serait pas « exclusivement républicaine » (14 juin) et Méline se trouve contraint à la démission (15 juin). L’année suivante, le 22 juin 1899, Waldeck-Rousseau devient président du Conseil. À la Chambre, le 26, pour combattre l’agitation nationaliste, il réunit une majorité de « défense républicaine » qui réunit l’aile gauche des républicains modérés, les radicaux et la plupart des socialistes. Méline, Waldeck et Jonnart sont tous les trois « républicains modérés » (progressistes), mais ils font un choix différent en 1899 : les deux derniers, parce qu’ils optent pour la « défense républicaine » — un retour à la concentration, sans exclusive —, ne sont pas « modérément républicains ».
Chronologie indicative
16 février 1899. — Mort du président de la République Félix Faure.
18 février 1899. — Élection d’Émile Loubet à la présidence de la République.
23 février 1899. — Obsèques de Félix Faure ; tentative de coup d’État de Déroulède.
21 mars 1899. — Convention franco-britannique sur le Soudan.
31 mai 1899. — Acquittement de Déroulède par la cour d’assises de la Seine.
1er juin 1899. — Arrivée à Paris du commandant Marchand.
3 juin 1899. — Arrêt de la Cour de cassation qui casse et annule le jugement de 1894 et renvoie Alfred Dreyfus devant le conseil de guerre de Rennes.
4 juin 1899. — Incident d’Auteuil : agression contre le président de la République.
12 juin 1899. — Chute du cabinet Dupuy.
22 juin 1899. — Cabinet Waldeck-Rousseau : le général de Galliffet est ministre de la Guerre, Alexandre Millerand, ministre du Commerce.
26 juin 1899. — Déclaration ministérielle de Waldeck-Rousseau.
1er juillet 1899. — Retour en France du capitaine Dreyfus.
7 août 1899. — Ouverture à Rennes du second procès Dreyfus.
11-12 août 1899. — Arrestation de meneurs nationalistes, monarchistes et antisémites.
9 septembre 1899. — Seconde condamnation d’Alfred Dreyfus.
19 septembre 1899. — Grâce d’Alfred Dreyfus par le président de la République.
9 novembre 1899. — Ouverture du procès des meneurs nationalistes devant la Haute Cour.
14 novembre 1889. — Rentrée parlementaire.
19 novembre 1899. — Seconde inauguration du Triomphe de la République de Dalou, place de la Nation.
La « défense républicaine » selon Waldeck-Rousseau
Le 14 novembre 1899, jour de la rentrée des chambres, vingt-cinq députés demandent à interpeller le cabinet. Commencée le jour même, la discussion se poursuit le 16. Dans sa réponse, Waldeck-Rousseau s’efforce de justifier sa politique de « défense républicaine ». Il s’adresse pour commencer à Eugène Motte, député progressiste du Nord, élu en 1898 contre Jules Guesde, et qui s’inquiète de l’influence des socialistes au sein de la nouvelle majorité.
M. le président. — La parole est à M. le président du Conseil.
M. Waldeck-Rousseau, président du Conseil, ministre de l’Intérieur et des Cultes. — Messieurs, bien que je succède à la tribune à l’honorable M. Motte, je ne lui répondrai que très brièvement.
M. de Cassagnac. — Cela vous gêne !
M. le président du Conseil, ministre de l’Intérieur et des Cultes. — Il y a entre nous trop de souvenirs pour que je puisse être gêné d’un dialogue s’engageant, je pense, entre deux républicains. Il y a entre nous un malentendu. (Interruptions et bruit à droite.)
M. le président. — Laissez parler !
M. René Viviani. — Nous allons voir le président maintenant.
M. le président. — Le président n’est-il pas intervenu pour défendre successivement tous les orateurs ? Qu’avez-vous à réclamer de lui ? (Très bien ! très bien !)
M. René Viviani. — Nous verrons !
M. le président. — Oui, nous verrons ! Et vous avez déjà vu.
M. le président du conseil. — Et comme ce malentendu est peut-être aussi une habileté, il faut que je le dissipe sur l’heure.
L’honorable M. Motte est encore tout animé et tout frémissant des luttes électorales de 1898 dans lesquelles je lui ai si volontiers donné mon concours. Depuis qu’il a été élu, depuis que cette Chambre s’est formée, certains événements se sont produits et ces événements sont cause que l’homme qui est à cette tribune a pensé et pense que la République compte assez d’ennemis différents pour que les républicains doivent chercher leurs adversaires ailleurs que dans les rangs de ceux qui combattent pour elle. (Vifs applaudissements à gauche et à l’extrême gauche.)
Journal officiel de la République française. Débats parlementaires. Chambre des députés, séance du jeudi 16 novembre 1899, pp. 1852-1855.
GALLICA – BIBLIOTHÈQUE NATIONALE DE FRANCE
L’opposition de Méline
Après le discours du président du Conseil, Jules Méline expose les raisons de son désaccord. Selon l’ancien président du Conseil, le péril le plus pressant vient de la gauche, ou de l’extrême gauche — la révolution sociale et le collectivisme —, non pas de la droite.
M. le président. — La parole est à M. Méline. (Applaudissements sur divers bancs au centre et à droite. — Rumeurs à l’extrême gauche.)
M. Jules Méline. — Messieurs, mon intention était de ne prendre la parole qu’au moment où viendraient en discussion les différents ordres du jour qui vous seront soumis ; mais personne ne demandant à répondre à M. le président du Conseil, je pense qu’il convient que je m’explique en ce moment.
À gauche. — Au nom de la droite !
M. Paul de Cassagnac. — La droite n’a besoin de personne pour vous dire ce qu’elle pense.
M. le président. — Dans tous les cas, M. Méline a le droit de parler comme il lui convient.
M. Jules Méline. — J’espère que vous voudrez bien me permettre de vous expliquer le plus brièvement possible les raisons qui m’empêchent et qui empêchent beaucoup de mes amis de voter l’ordre du jour de confiance qui vous sera proposé comme conclusion de ce débat… (Exclamations à l’extrême gauche) et de nous associer à la politique du Gouvernement.
Nous pensons que dans une question aussi grave il est nécessaire que chacun dégage sa responsabilité et que tout le monde ait le courage de son opinion. (Applaudissements sur divers bancs au centre et à droite.) Je l’aurai, quelles que puissent en être les conséquences et quels que doivent être vos votes. (Mouvements divers.)
Le pays, en ce moment, a besoin de savoir où on le mène et ce qu’on veut faire de lui. (Très bien ! très bien ! sur les mêmes bancs au centre et à droite.)
M. le président du Conseil vient de justifier toute sa politique d’un mot ; elle tient tout entière dans une formule dont son discours n’est que le développement oratoire : Nous avons fait œuvre de défense républicaine, vous a-t-il dit ; la République était à deux doigts de sa perte, et nous l’avons sauvée. (Interruptions à l’extrême gauche.) Messieurs, il ne faut point qu’il y ait d’équivoque, et il est nécessaire de s’expliquer clairement.
M. Chauvière. — Nous ne vous croyons pas. (Protestations sur plusieurs bancs au centre.)
M. le président. — Monsieur Chauvière, vous interrompez constamment ; c’est le dernier avertissement que je vous donne.
M. Jules Méline. — Nous aussi, messieurs, nous sommes pour la défense de la République. M. le président du Conseil connaît notre drapeau ; il l’a porté glorieusement.
M. Fernand Dubief. — Et vous, vous l’avez livré ! (Exclamations et dénégations au centre.)
M. Jules Méline. — Il connaît aussi la devise inscrite dans ses plis : Ni réaction ni révolution ! (Applaudissements au centre et à droite. — Exclamations ironiques à gauche et à l’extrême gauche.)
M. Paul Vigné. — La réaction ? Vous n’avez fait que cela !
M. Jules Méline. — Nous sommes les adversaires résolus des partisans soit de la monarchie, soit de l’empire, soit de la République plébiscitaire, que nous considérons comme un acheminement au césarisme…
M. Chenavaz. — Et la famille régnante ?
M. Jules Méline. — …mais, messieurs, nous sommes aussi les adversaires de la révolution sociale (Très bien! très bien! sur divers bancs an centre et à droite) et du collectivisme; car nous considérons que leur avènement serait la perte de la République. (Applaudissements sur les mêmes bancs.) C’est donc comme républicains et au nom de la République que nous condamnons une politique qui a pour résultat de donner la consécration officielle du Gouvernement à la révolution sociale et au collectivisme. (Nouveaux applaudissements sur les mêmes bancs.)
M. le président du Conseil essaye d’atténuer la gravité de cet événement : nous le considérons, nous, comme une des plus graves évolutions qui aient été accomplies depuis la fondation de la République.
A l’extrême gauche. — Tant mieux !
M. Jules Méline. — Ce que nous reprochons au cabinet actuel, c’est précisément d’introduire les représentants du collectivisme et de la révolution sociale dans le Gouvernement et, par conséquent, de loger l’ennemi dans la place sous prétexte de la défendre. (Très bien ! très bien ! au centre.)
Journal officiel de la République française. Débats parlementaires. Chambre des députés, séance du jeudi 16 novembre 1899, pp. 1855-1858.
GALLICA – BIBLIOTHÈQUE NATIONALE DE FRANCE
La position de Jonnart
Dans sa lettre au directeur de la Revue politique et parlementaire, Charles Jonnart apporte son soutien à la « défense républicaine ».
Lettre à M. Marcel Fournier
Directeur de la Revue politique & parlementaire.
Mon cher Directeur,
Vous me demandez en termes trop gracieux pour que je vous le refuse, mon avis sur la situation actuelle. À cette heure, dites-vous, il importe que les hommes politiques s’expriment de la façon la plus nette : nous sommes d’accord.
Au cours de l’interpellation dirigée, au début de cette session, contre la politique du cabinet, l’honorable M. Méline n’a pas manqué à ce devoir. Il nous a paru surtout préoccupé du péril que les doctrines collectivistes peuvent faire courir au pays ; nous avons retenu de son discours de judicieuses observations qui se recommandent à la sagacité de M. le président du Conseil.
Je partage, — ai-je besoin de le dire ? la répugnance de M. Méline pour le collectivisme où tend de plus en plus le parti socialiste, mais vous savez que je ne juge pas la situation politique tout à fait comme lui ; la République est menacée de divers côtés, à mon sens le péril collectiviste existe, mais il y en a d’autres, plus prochains, également redoutables. Je n’en ai pas moins regretté les interruptions dont son discours a été criblé, quand il a revendiqué le titre de républicain que lui contestait l’intransigeance de ses adversaires. M. Méline défendait la République à une époque où beaucoup de ceux-ci n’étaient pas nés à la vie politique. C’est même un républicain qui a rendu de signalés services à son pays durant sa longue carrière parlementaire, et la divergence d’opinion sur les causes de la crise actuelle ne saurait entamer l’estime profonde qu’inspirent son caractère et sa personne.
Avant M. Méline, M. Denys Cochin avait ouvert le feu contre le cabinet. Il n’avait pas été tendre pour le ministère Dupuy ; pour le ministère Waldeck-Rousseau, il est sans pitié. Sa parole est pleine de charme, indépendante et noble, mais qu’il ne soit point surpris que les républicains cherchent ailleurs que dans ses discours des conseils et des directions.
M. Denys Cochin, en effet, est monarchiste ; il ne s’en cache pas, et le fait est assez rare pour que la franchise de son attitude mérite d’être louée. Mais cette fidélité même au régime monarchique m’autorise à penser que le jour où il trouverait la République à son goût, serait peut-être celui où elle aurait le plus besoin d’être défendue et raffermie.
Il est exact que chez notre collègue, le patriotisme parle souvent plus haut que la passion politique ; c’est un hommage que je lui rends de grand cœur. Pourtant, dans le débat qu’il a soulevé récemment, je suis obligé de constater qu’il s’est montré bien sévère pour ses adversaires, après avoir été bien indulgent pour le parti conservateur.
II est évident que, dans la période troublée que nous venons de traverser, le parti conservateur a moins que jamais mérité son titre et j’aurais été heureux que M. Denys Cochin, dont la parole porte loin, le lui fit sentir.
Entendons-nous bien. Je ne reproche pas à la masse des conservateurs leur opinion sur le fond de la douloureuse affaire qui a été le tourment de tant de consciences françaises. Beaucoup de bons républicains ont eu la même. À tout prendre, M. Méline n’avait pas tort quand il déclarait qu’il n’y avait pas d’affaire Dreyfus ; la question purement judiciaire, la recherche désintéressée de la justice et de la vérité, n’ont jamais beaucoup préoccupé la plupart de ceux qui ont le plus écrit ou discouru sur le jugement du conseil de guerre de 1894. L’affaire a merveilleusement servi les intérêts, les passions et les visées ambitieuses des partis, ainsi que la propagande et la prospérité d’une certaine presse. Il est indéniable qu’elle a été notamment le prétexte d’une entreprise politique qui nous a prouvé que de retentissantes défaites n’ont pas guéri les adversaires de la République de l’esprit d’aventure, et que le loyalisme d’un trop grand nombre de ralliés ne résiste guère aux épreuves décisives.
Nous avons assisté au recommencement de l’aventure boulangiste. Le cheval noir manquait, mais les conjurés caressaient l’illusion d’entraîner l’armée dans la lutte des partis. Ils sont passés maîtres dans l’art d’exploiter le patriotisme et le sentiment religieux. La rue s’est emplie de cris de guerre civile ; pour la plus grande gloire du nom français, la coalition sans nom et sans drapeau, que nous avons connue au Seize Mai, retrouvée debout en 1889, nous conviait dans ce siècle finissant à de nouvelles guerres de race et de religion.
Au cri de « Mort aux Juifs ! » répondait cet autre cri abominable de « Mort aux curés » ; au pillage des magasins juifs en Algérie, le pillage de l’église Saint-Joseph !
Voilà qui est odieux, mais les conservateurs, malgré les leçons les plus claires et les plus cruelles de l’histoire, feignent d’ignorer qu’en semant le vent, ils risquent de récolter la tempête. La Croix qui devient décidément l’organe attitré de leurs rancunes et de leurs espérances, qu’aucun d’eux, en tous cas, n’a jamais osé désavouer à la Chambre hautement, publiquement, la Croix s’est, montrée extrêmement surprise et indignée des procédés anarchistes dans une église de Paris, mais elle n’avait pas craint d’écrire à propos d’autres désordres que « le Christ avait vraiment régné dans les rues d’Alger pendant trois jours. »
Nos adversaires s’excusent d’un mot quand ils s’excusent : ils font de la propagande électorale et c’est leur droit. Les pires excitations à la révolte contre les pouvoirs publics, les plus grossiers outrages à l’adresse du président de la République, les manifestations successives dans la rue, destinées à entretenir l’agitation et l’inquiétude dans le pays et à provoquer des complications où l’on espère bien que la République sombrera, les gestes de l’antisémitisme, l’incident d’Auteuil et l’incident de Reuilly, tout cela, simple propagande électorale !
Le cabinet actuel n’a pas jugé les choses ainsi il a pensé qu’il n’était pas bon pour la santé morale du pays et sa sécurité matérielle, qu’une bande turbulente occupât sans cesse la rue et l’opinion, et se livrât chaque jour impunément à des exercices de mobilisation, en vue de la révolution prochaine.
Un gouvernement qui agit, qui n’a pas peur des responsabilités : nous n’étions plus habitués à pareil phénomène D’aucuns s’en sont offensés ; je m’en suis réjoui, car j’estime que la politique contemporaine n’a fait que trop de coupes sombres dans les caractères et les volontés.
Pour avoir un peu exprimé ma pensée tout haut, et pour avoir appelé l’attention des conservateurs sur les conséquences inévitables de leur campagne, j’ai soulevé quelques colères. De prudents amis m’ont informé qu’il m’était permis de déplorer les menées et les audaces du parti clérical et du boulangisme renaissant, mais que, en ma qualité de modéré, je devais blâmer silencieusement. Modéré, libéral, oui, je l’ai toujours été, je le suis toujours, mais non pas modérément républicain. Et je ne sais pas s’il est vrai que la République a couru de graves dangers, ou du moins je ne veux pas préjuger les décisions de la Haute-Cour, mais, à coup sûr, l’esprit républicain n’a jamais été plus menacé. Je ne suis pas un fervent de la politique de concentration ; je l’ai souvent déclaré mais quand l’ennemi s’attaque soit à la forme du gouvernement, soit aux plus précieuses conquêtes de l’esprit moderne, qui sont notre orgueil et notre espérance, je n’hésite pas à rallier le gros de l’armée, et je ne demande à ceux qui tiennent le drapeau que d’être républicains, et, par la, j’entends partisans résolus, irréductibles de la liberté d’examen et de la prédominance du pouvoir civil.
Charles Jonnart, « La politique républicaine : liberté et responsabilité », Revue politique et parlementaire, 10 décembre 1899, pp. 477-486.
GALLICA – BIBLIOTHÈQUE NATIONALE DE FRANCE
Une occurrence précoce dans Le Petit Journal (1873)
La formule prend tout son sens en 1899 et son emploi se multiplie à partir de cette date, mais il existe une occurrence plus ancienne, dans Le Petit Journal du 7 mai 1873. Appliquée à Louis Chassaignac de Latrade (1811-1883), elle sert à distinguer le « modéré », non pas de la droite ou du centre droit, mais de l’extrême gauche radicale.
CROQUIS DE LA CHAMBRE
M. LATRADE
L’honorable député qui porte ce nom, visent d’être élu dans la Corrèze. En réalité, il s’appelle de Latrade, et même de Chassaignac de Latrade, mais on supprime la particule pour les élections.
Il remplace M. Rivet « homme d’une mauvaise constitution. »
Ce n’est ni le premier venu, ni un nouveau venu. Il conspirait à vingt ans, et quitta l’École polytechnique à la suite d’un procès politique où il fut impliqué en 1832.
Il a été deux fois préfet de la République, après le 24 février 1848 et après le 4 septembre 1870. Il fit partie de l’Assemblée constituante et de l’Assemblée législative.
Pour bien marquer sa nuance, c’était un partisan acharné du général Cavaignac. On peut dire, en établissant une proportion qui ne saurait être désagréable à un mathématicien, à un ingénieur aussi distingué que lui : M. de Latrade était au général Cavaignac ce que M. Cochery est à M. Thiers.
Exilé après le 2 décembre, il voyagea, et trouva partout un emploi utile à ses talents. Les chemins de fer de l’Espagne sont en partie son œuvre.
M. de Latrade est un homme de soixante-deux ans, dont l’âge n’a pas refroidi l’ardeur. Mais il ne faut pas le confondre avec les radicaux, car on les mettrait en colère ; il n’est pas modérément républicain, mais il est républicain modéré, ce qui est fort différent.
Il s’assoira infailliblement à côté de M. Grévy, bien que le fameux amendement les sépare.
Sans être orateur, il parle avec une certaine facilité, et sa voix retentit fort souvent, il y a vingt-cinq ans, à la tribune de la Constituante. Il porte dans la discussion, avec un esprit dogmatique un peu trop enclin aux formules, beaucoup de précision et de rigueur.
Il est resté polytechnicien dans la politique.
Il démontrera la nécessité de la République par A + B.
JEAN BONHOMME.