La Marseillaise — à l’origine, Chant de guerre pour l’armée du Rhin — retrouve sa qualité de chant national le 24 février 1879. Composée par Rouget de Lisle, à Strasbourg, dans la nuit du 25 au 26 avril 1792, quelques jours après la déclaration de guerre, elle est décrétée chant national par la Convention, dans sa séance du 26 messidor an III — 14 juillet 1795, ancien style. Délaissée ou proscrite après la Révolution, sans que jamais le décret ne soit abrogé, elle reparaît lors des révolutions — les Trois Glorieuses, Février, la Commune — ou des crises internationales — les Cent-Jours, la deuxième crise égyptienne, la guerre franco-prussienne. C’est la IIIe République, après la crise du 16 Mai, qui lui rend son caractère officiel. Talandier, député radical de la Seine, le demande expressément, après l’incident du théâtre de Nantes, dans une proposition de loi qu’il dépose devant la Chambre, le 25 janvier 1878 : « Le chant national français est La Marseillaise. » Jugée sans objet, le 2 avril, par la commission chargée de l’examiner, sa proposition donne lieu à une seconde délibération, après la démission de Mac Mahon, le 14 février 1879. À la demande de Barodet, député radical de la Seine et coauteur de la proposition, le général Gresley, ministre de la Guerre, déclare qu’il ne peut entrer dans ses intentions d’empêcher l’exécution d’un décret. Devenue sans objet, la proposition est alors retirée. Le 24 février 1879, une circulaire aux armées dispose « que les musiques militaires devront exécuter l’hymne des Marseillais dans toutes les circonstances où elles sont appelées à jouer un air officiel. »
Chronologie indicative
14 juillet 1795. — Décret de la Convention nationale.
16 janvier 1878. — Incident de Nantes : l’autorité militaire prend des sanctions après l’interprétation de La Marseillaise, au théâtre de la Renaissance, pour la première de Marceau ou les enfants de la République.
25 janvier 1878. — À la Chambre, Charles-Ange Laisant, député républicain de la Loire-Inférieure, interroge le général Borel, ministre de la Guerre, sur l’incident de Nantes.
Alfred Talandier, député radical de la Seine, dépose le même jour une proposition de loi ayant pour objet de faire reconnaître à La Marseillaise son caractère de chant national.
2 avril 1878. — La 3e commission d’initiative considère dans son rapport que la proposition est sans objet : la loi « existe déjà » puisque le décret du 26 messidor an III n’a jamais été rapporté.
14 février 1879. — À la demande de Désiré Barodet, député radical de la Seine, le général Gresley, ministre de la Guerre, déclare devant la Chambre qu’il appliquera le décret.
24 février 1879. — Circulaire aux armées sur l’exécution de La Marseillaise par les musiques militaires.
14 juillet 1795. — Séance et décret de la Convention nationale du 26 messidor an III
À l’ouverture de la séance, Dussaulx prononce un discours sur la mémorable journée du 14 juillet.
Sur la proposition de ce représentant, le citoyen Lasalle, nommé par les habitants de Paris pour les commander à cette époque, est introduit dans le sein de la Convention nationale au milieu des applaudissements.
L’Institut national de musique se place dans la salle ; il exécute une symphonie, ensuite il chante l’Hymne des Marseillais. On ne peut se peindre l’effet qu’ont produit ces sons inattendus, et qu’on avait oubliés depuis quelque temps. Ils ont fait passer dans toutes les âmes cette énergie, cet enthousiasme de la liberté qu’ils inspirèrent aux jours où ils furent entendus pour la première fois. Les applaudissements redoublant à chaque couplet, il en est un qui les a excités d’une manière bien remarquable : pendant plusieurs minutes les battements de mains, les bravos, les cris de vive la République ne permettaient pas d’entendre les accents de la musique. C’est ce couplet-ci :
Tremblez, tyrans, et vous, perfides,
L’opprobre de tous les partis ;
Tremblez, vos projets parricides,
Vont bientôt recevoir leur prix ;
Tout est soldat pour vous combattre ;
S’ils tombent nos jeunes héros,
La France en produit de nouveaux,
Contre vous, tous prêts à se battre.
Aux armes, citoyens ! etc.
L’assemblée a entendu, debout et découverte, l’invocation à la liberté qui termine cet hymne.
Au milieu de l’enthousiasme qui enflammait tous les esprits et tous les cœurs, Jean Debry demande la parole.
Jean Debry. — Ce n’est point une discussion que je veux élever ; je demande que l’assemblée délibère, je demande que nous rendions à l’esprit national cette énergie, cette chaleur qu’il avait aux beaux jours de la Révolution. (On applaudit vivement ; toute l’assemblée se lève en signe d’adhésion.) Cette énergie qui, il y a six ans, à pareil jour, porta le premier coup à la tyrannie, et qui le 10 août préluda par les chants civiques que nous venons d’entendre, au renversement du trône. (Applaudissements.)
Je demande que l’hymne à jamais célèbre des Marseillais, cet hymne qui nous fit gagner tant de batailles, soit consigné tout entier dans le procès-verbal d’aujourd’hui, et que le comité militaire donne des ordres pour que cet air soit joué chaque jour à la garde montante. (On applaudit.)
La proposition de Jean Debry est adoptée au milieu des bravos et des cris de vive la République.
Réimpression de l’ancien moniteur, tome vingt-cinquième, Paris, Plon, 1862, p. 239.
Décret portant que les airs et chants civiques qui ont contribué au succès de la Révolution seront exécutés par les corps de musique des gardes nationales et des troupes de ligne
La Convention nationale voulant, au retour de la première époque de la liberté française, entretenir l’énergie des républicains, en proclamant solennellement des principes sacrés qui ont renversé la Bastille le 14 juillet, et la royauté le 10 août, décrète ce qui suit :
L’hymne patriotique intitulé : Hymne des Marseillais, composé par le citoyen Rouget de Lisle, et le Chœur de la liberté, paroles de Voltaire, musique de Gossec, exécutés aujourd’hui, anniversaire du 14 juillet, dans la salle de ses séances, seront insérés en entier au Bulletin.
Les airs et chants civiques qui ont contribué au succès de la Révolution seront exécutés par les corps de musique des gardes nationales et des troupes de ligne. Le Comité militaire est chargé de les faire exécuter chaque jour à la garde montante du Palais-National.
« Décrets prononcés dans la séance du 26 messidor de l’an troisième de la République française une et indivisible », Convention nationale, no 1012, 14 juillet 1795, p. 5.
25 janvier 1878. — Proposition de loi d’Alfred Talandier, député radical de la Seine
M. Talandier. — Je demande la parole pour le dépôt d’une proposition.
M. le président. — Vous avez la parole.
M. Talandier. — J’ai l’honneur de déposer sur le bureau de la Chambre une proposition de loi ayant pour objet de faire reconnaître La Marseillaise, conformément au décret du 26 messidor an III, qui n’a jamais été aboli, son caractère de chant national. (Applaudissements sur divers bancs à gauche. Exclamations et rires à droite.)
M. le président. — La proposition sera imprimée, distribuée et renvoyée à la commission d’initiative.
« Séance du vendredi 25 janvier 1878 », Chambre des députés, Journal officiel de la République française, 26 janvier 1878, p. 690.
GALLICA – BIBLIOTHÈQUE NATIONALE DE FRANCE
Chambre des députés. — Annexe no 335.
(Séance du 25 janvier 1878).
PROPOSITION DE LOI ayant pour objet de faire reconnaître à La Marseillaise, conformément au décret du 26 messidor an III (14 juillet 1795) qui n’a jamais été aboli, son caractère de chant national français, présentée par MM. Talandier, Barodet, Turigny, Maigne, Louis Blanc, Madier de Montjau, Dethou, Germain Casse, Daumas, Bouchet, Leconte, Brelay, Greppo, Labant, Farey, Mathé, Mingasson, députés.
EXPOSÉ DES MOTIFS
Messieurs, le 14 janvier, une dépêche était adressée de Rome à un journal de Paris. Les bureaux d’une censure qui ne devrait plus exister depuis longtemps firent intercepter cette dépêche. Nous tiendrons pour certain, jusqu’à plus ample informé, que M. le ministre de l’Intérieur est parfaitement innocent de cette atteinte à la liberté de la télégraphie et de la presse, et que c’est une faute grave de la part des employés qui, depuis longtemps imbu, des plus mauvais principes, travaillent, sans le vouloir, mais fort efficacement, à prouver au ministère du 14 décembre combien il est dangereux de confier les intérêts de la République à d’autres qu’à des républicains.
Nous espérons que cette leçon indirecte donnée au ministère par ses propres agents sera bonne pour le ministère et bonne aussi pour la liberté, et nous n’y attacherons pas plus d’importance que n’en mérite un accident qui a donné un intérêt tout factice à des dépêches dont la valeur intrinsèque était absolument nulle.
Si cependant nous parlons de ces dépêches, d’ailleurs si insignifiantes, c’est que nous avons trouvé dans l’une d’elles la constatation d’un fait qui, rapproché d’autres faits du même genre, revêt une importance assez grave et mérite, croyons-nous, l’attention des pouvoirs, publics.
Le fait est celui-ci :
« Musique italienne embarrassée pour jouer notre air national ; alors joua marche royale italienne. »
Vous savez probablement, messieurs, que ce fait si douloureux pour des âmes françaises et républicaines est loin d’être isolé. Pour n’en citer qu’un autre du même genre, nous rappellerons ici que le Journal officiel du 8 mai 1876 contenait le récit d’une cérémonie, d’ailleurs fort touchante, qui eut lieu le 6 mai à Londres pour célébrer l’anniversaire de la fondation d’un hôpital français dans la capitale du Royaume-Uni, et qu’il y était raconté qu’une cantatrice avait « chanté comme hymne national français, le Dieu le veut de Gounod, l’ambassadeur français et tous les convives se tenant debout selon l’usage anglais. »
Ce récit comme le précédent et comme bien d’autres, dont il est inutile d’allonger cet exposé de motifs, peut vous servir à constater à quel point est réactionnaire l’esprit dont les représentants du gouvernement français à l’étranger ont depuis plusieurs années fait obstinément preuve.
Nous regrettons d’avoir à dire qu’il en a été de même à l’intérieur. L’incident de Nantes vient de le prouver.
Jamais, croyons-nous, l’on n’avait vu les fonctionnaires d’un grand pays affecter au dedans et au dehors un tel mépris pour la forme du gouvernement qu’ils servent, tout mettre en œuvre pour la dénigrer et pour donner le change sur sa réalité, sur sa puissance et sur l’amour que le peuple français lui porte. Si ces fonctionnaires, ambassadeurs ou autres, rougissent de servir la République, qu’ils donnent leur démission ; mais qu’ils sachent que le pays entend avoir de la République et l’air et la chanson.
L’embarras de la musique italienne ne sachant quel air elle doit jouer en l’honneur de la République française, représentée aux funérailles de Victor-Emmanuel, est humiliant pour nous ; la tentative faite à Londres pour substituer le Dieu le veut de Gounod, — air qui n’a reçu aucune des consécrations qui impriment à un hymne le caractère de chant national, — à un chant tel que La Marseillaise, qui les a reçues toutes, n’est pas seulement humiliante, elle est coupable et ridicule, et le peuple français pardonne difficilement ces choses-là.
Alors même que La Marseillaise, au lieu d’être un élan sublime d’inspiration patriotique, un chant d’une beauté devant laquelle palissent tous les chants nationaux étrangers, ne serait que d’une beauté artistique médiocre, comme par exemple, le Yankle doodle, dont les Américains firent un chant de guerre et de triomphe pour répondre aux railleries des Anglais, ce ne serait pas une raison pour substituer à un chant qui, depuis plus d’un siècle, a été mêlé à toutes nos luttes pour la liberté et la défense du pays contre les coalitions étrangères, un air qui n’a jamais été adopté par le peuple, que ni les patriotes ni les amants de la liberté ne connaissant, que le monde ne rattache par aucune association d’idées à l’histoire de la France, et qui peut être fort connu à l’Opéra ou dans les sacristies, mais qui n’est assurément connu ni sur la place publique, ni sur les champs de bataille.
Mais La Marseillaise, outre qu’elle est le chant de la liberté et de l’indépendance nationale, est reconnue dans le monde entier comme l’hymne de la délivrance des peuples ; et de plus c’est une œuvre d’art d’une beauté telle qu’au triple point de vue artistique, historique et politique, elle gagne à toutes les comparaisons qu’on pourra faire avec elle. La Marseillaise est au Vive Henri IV et au Partant pour la Syrie, ce que la République est à la monarchie et à l’Empire. Que les artistes aussi bien que les patriotes jugent ainsi, tout à la fois, des mérites respectifs de ces chants divers et des régimes qu’ils symbolisent. Ils pourront, pour continuer la comparaison, y ajouter La Parisienne et la monarchie de Juillet.
Néanmoins, nous devons le reconnaître, La Marseillaise est un chant de guerre, et il est fort possible qu’un chant plus beau, plus sublime, un chant de paix, de travail, de liberté et de fraternité universelles vienne un jour remplacer, aux applaudissements de la nation française et du monde, le chant plein de fureur patriotique dont le refrain demande : « Qu’un sang impur abreuve nos sillons ! » Cela arrivera probablement, mais quand ce fait se produira, ce sera dans des conditions historiques telles qu’il entraînera l’assentiment et l’enthousiasme populaires, et par là, s’imposera à tous. Cela peut se prévoir, mais ne se commande point : de tels chants sortent à l’heure fatidique de l’histoire, des entrailles mêmes du peuple ; ils ne se font ni sur les ordres d’un directeur d’opéra, ni sur ceux d’un évêque ou d’un ambassadeur, ni même sur ceux d’un ministre ou d’un chef d’État.
La Marseillaise reste donc, messieurs, le chant national de la France républicaine, et c’est pourquoi nous vous prions de consacrer par vos votes la proposition de loi suivante :
PROPOSITION DE LOI
Article unique. — Le chant national français est La Marseillaise. Les fonctionnaires de la République en France et ses représentants à l’étranger veilleront à ce que ce chant soit solennellement exécuté et à ce qu’aucun autre ne lui soit substitué dans les cérémonies où l’hymne national devra se faire entendre.
« Annexe no 335 » , Chambre des députés, Journal officiel de la République française, 4 février 1878, p. 690.
2 avril 1878. — Rapport de la 3e commission d’initiative sur la proposition de loi Talandier
M. Durand (Ille-et-Vilaine). — Au nom de la 3e commision d’initiative, j’ai l’honneur de déposer sur le bureau de la Chambre un rapport sommaire sur la proposition de M. Talandier et de plusieurs de ses collègues tendant à ce que la Marseillaise soit déclarée chant national français. (Exclamations ironiques à droite.)
Le rapport, vu l’état de la législation, conclut à ce que la proposition ne soit pas prise en considération. (Ah ! ah ! Très bien ! à droite.)
« Séance du mardi 2 avril 1878 », Chambre des députés, Journal officiel de la République française, 2 avril 1878, p. 3886.
Chambre des députés. — Annexe no 594
(Séance du 2 avril 1878.)
RAPPORT SOMMAIRE fait au nom de la 3e commission d’initiative parlementaire(1), chargée d’examiner la proposition de loi de M. Talandier et plusieurs de ses collègues, ayant pour objet de faire reconnaître à La Marseillaise, conformément au décret du 26 messidor an III (14 juillet 1795), qui n’a jamais été aboli, son caractère de chant national français, par M. Eugène Durand (Ille-et-Vilaine), député.
Messieurs, votre 3e commission d’initiative a été saisie d’une proposition de loi présentée par M. Talandier et plusieurs de nos collègues, dans les termes suivants ;
« Le chant national français est La Marseillaise. Les fonctionnaires de la République en France et ses représentants à l’étranger, veilleront à ce que ce chant soit solennellement exécuté, et à ce qu’aucun autre ne lui soit substitué dans les cérémonies où l’hymne national devra se faire entendre. »
Votre commission, messieurs, apprécie le sentiment qui a dicté cette proposition. Une nation, dans ses relations intérieures et extérieures, ne peut pas plus se passer de chant national que de drapeau, et c’est avec une pénible surprise que nous apprenions récemment qu’une musique étrangère n’avait pas su quel air elle devait faire entendre en l’honneur de la République française. Nous ne saurions oublier d’ailleurs que La Marseillaise est un élan sublime d’inspiration patriotique, et que ce fut à ces mâles accents que nos pères se levèrent pour triompher de l’invasion étrangère.
Mais la loi que sollicitent nos honorables collègues n’existe-t-elle pas déjà ? Et si elle existe, leur proposition, dans la forme où elle se produit, n’est-elle pas sans objet ? C’est ce que votre commission, soucieuse du règlement, et ne voulant, suivant ses attributions, exprimer son avis que sur des points qui n’ont pas été résolus par le législateur, a dû se demander. Or, un décret du 26 messidor an III, régulièrement inséré au Bulletin des lois, a attribué à La Marseillaise le caractère de chant national français, et ce décret-loi, que le devoir du Gouvernement est de faire appliquer, n’a jamais été abrogé.
Nous avons, en conséquence, l’honneur de conclure à ce que, vu l’état de la législation, il ne soit pas donné suite à la proposition déposée par M. Talandier.
(1) Cette commission est composée de MM. Laussedat, président ; Lacascade, secrétaire ; Malézieux, Mollin, Greppo, Pâtissier, Durand (Ille-et-Vilaine), Logerotte, Develle, Casse (Germain), Mestreau, Bernier, Guillemin, Talandier, Perras, Lesguillon, Chalamet, Devaux, Nadaud (Martin), de La Rochette, le baron de Bourgoing, Colin.
« Annexe no 594 », Chambre des députés, Journal officiel de la République française, 5 mai 1878, pp. 4739-4740.
14 février 1879. — Réponse du général Gresley, ministre de la Guerre, et retrait de la proposition
M. le président. — L’ordre du jour appelle la discussion sur la prise en considération de la proposition de loi de M. Talandier et plusieurs de ses collègues, ayant pour objet de faire reconnaître à La Marseillaise, conformément au décret du 26 messidor an III (14 juillet 1795), son caractère de chant national français.
M. Louis Le Provost de Launay. — Je demande la parole.
M. le président. — Vous avez la parole.
M. Barodet. — Je demande la parole, monsieur le président.
M. le président. — M. Louis Le Provost de Launay l’a demandée avant vous.
M. Louis Le Provost de Launay. — Je ne compte pas entrer dans le fond de la question…
M. Barodet. — Mais je demande la parole pour retirer la proposition.
M. Louis Le Provost de Launay. — Je vous cède la tribune.
M. Barodet. — Messieurs, quand M. Talandier, quelques-uns de nos amis et moi, avons déposé la proposition de loi tendant à faire reconnaître à La Marseillaise le caractère de chant national, nous avions plusieurs ministres et un président de la République qui paraissaient avoir horreur de ce chant sublime dont Lamartine a dit qu’il est gravé dans l’âme de la France.
M. Louis Le Provost de Launay. — Et au pied de la guillotine !
M. de La Rochefoucauld, duc de Bisaccia. — Nos pères ont été guillotinés à ce chant-là ! (Exclamations à gauche.)
M. de La Rochefoucauld, duc de Bisaccia. — Oui, messieurs, on a guillotiné tous nos parents avec ce chant-là ; je ne crains pas de le dire tout haut ! (C’est vrai ! sur plusieurs bancs à droite.)
M. Barodet. — Nous n’avons guillotiné personne.
M. Louis Le Provost de Launay. — On a fait la Commune avec ce chant-là !
M. Barodet. — On a sauvé la patrie à ce chant-là ! (Agitation.)
M. le président. — Messieurs, je vous invite à écouter les explications de M. Barodet et à ne pas échanger, d’un côté à l’autre de la Chambre, à propos d’une motion très simple, dont l’objet, je crois, est le retrait de la proposition de loi, des interpellations dont on me permettra de dire qu’elles sont un véritable anachronisme dans les deux sens. (Approbation sur un grand nombre de bancs.)
M. Louis Le Provost de Launay. — Que M. Barodet retire sa proposition purement et simplement, et nous n’aurons rien à dire ; autrement nous répondrons. (Bruit.)
M. Barodet. — On interdisait La Marseillaise aux citoyens, on l’interdisait aux musiques militaires, on l’interdisait dans les cérémonies officielles, aussi bien en France qu’à l’étranger, et nous nous rappelons tous qu’au Palais de l’Industrie, à la distribution solennelle des récompenses aux exposants, on a préféré nous faire entendre du plaint-chant et des cantiques… (Vives rumeurs à droite auxquelles répondent des exclamations ironiques à gauche et au centre.)
M. Louis Le Provost de Launay. — Je demande la parole, monsieur le président !
M. Barodet. — Je n’ai plus qu’un mot à dire.
Aujourd’hui, Messieurs, les temps sont bien changés ; nous avons deux chambres républicaines, des ministres républicains, un président de la République républicain. Nous avons donc lieu de croire que La Marseillaise a désormais conquis sa pleine liberté, et que le décret du 26 messidor an III, qui attribue à La Marseillaise le caractère de chant national, recevra son entière exécution.
Si donc, messieurs, le ministère, notamment M. le ministre de la Guerre, veut bien nous en donner l’assurance à la tribune, nous retirerons notre proposition.
M. le général Gresley, ministre de la guerre. — Messieurs, il ne peut entrer dans ma pensée, comme ministre de la guerre, de m’opposer à l’exécution d’un décret. J’appliquerai donc le décret du 26 messidor an III dans toutes les circonstances où il y aura lieu de l’appliquer. (Applaudissements prolongés à gauche et au centre. — Murmures à droite)
M. de Tillancourt. — L’Empire a fait chanter La Marseillaise par les troupes en 1870.
M. Barodet. — En présence de la déclaration de M. le ministre de la Guerre, nous retirons notre proposition.
M. Louis Le Provost de Launay. — On refera la Commune avec le chant de La Marseillaise !
M. Jules Ferry, ministre de l’Instruction publique et des Beaux-Arts. — Nous sommes là pour lutter contre elle et contre vous !
M. Louis Le Provost de Launay. — Je demande la parole.
M. le président. — La proposition est retirée, je ne puis vous donner la parole.
M. Louis Le Provost de Launay. — Je constate que la parole m’est refusée !
M. Bourgeois. — N’insistez pas ; il n’y a rien à dire ! L’incident éclaire suffisamment la situation.
M. Louis Le Provost de Launay. — Vous inviterez les souverains à venir à Paris entendre La Marseillaise !
M. de La Rochefoucauld, duc de Bisaccia. — Je demande la parole.
M. le président. — La proposition qui était soumise à la Chambre, et dont la commission d’initiative parlementaire proposait à la Chambre la prise en considération, venant d’être retirée par ceux de nos honorables collègues qui en étaient les auteurs, après avoir entendu les déclarations du gouvernement, je ne puis accorder la parole à aucun membre pour prolonger une discussion sur un sujet qui n’est plus en délibération. (Approbation à gauche et au centre. — Réclamations à droite.)
M. de La Rochefoucauld, duc de Bisaccia. — La parole m’est refusée : je proteste !
À droite. — Nous protestons tous avec vous contre une pareille violence !
M. le président. — Monsieur de La Rochefoucauld-Bisaccia, je donnerai la parole à ceux qui auront droit à la prendre ; mais quant à ceux qui la prendront de leur autorité privée, je les rappellerai à l’ordre. (Applaudissements à gauche et au centre. — Murmures à droite. — Vive agitation.)
« Séance du vendredi 14 février 1879 », Chambre des députés, Journal officiel de la République française, 15 février 1879, p. 1088.
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24 février 1879. — Circulaire aux armées du général Gresley, ministre de la Guerre
Le ministre de la guerre a adressé la circulaire suivante aux gouverneurs militaires de Paris et de Lyon, au gouverneur général civil de l’Algérie et aux généraux commandant les corps d’armée :
« Paris, le 24 février 1879.
« Mon cher général,
« Un décret-loi en date du 26 messidor an III (14 juillet 1795), inséré au Bulletin des Lois et qui n’a jamais été rapporté, porte que le morceau de musique intitulé Hymne des Marseillais sera exécuté par les musiques militaires.
« En conséquence, il y a lieu de se conformer à cette loi dans toutes les circonstances où les musiques militaires sont appelées à jouer un air officiel.
« Toutes les dispositions contraires à cette prescription seront considérées comme non avenues.
« Recevez, mon cher général, l’assurance de ma haute considération.
« Le ministre de la guerre,
« Signé général Gresley. »
Journal des débats politiques et littéraires, 27 février 1879, p. 2.