« La République n’est ni l’émeute, ni la sédition, ni la révolte, ni l’insurrection, ni la révolution ; c’est, au contraire, le terme de tout cela. » Citée par Pierre Larousse dans son Grand Dictionnaire universel et reprise par Maurice Agulhon dans Marianne au combat, la célèbre formule du journaliste et écrivain Louis Desnoyers figure dans un article sur le Salon de 1849 publié par Le Siècle du 10 août. En vérité, l’auteur n’écrit pas la République, mais la « chose », puisque le mot « République », regrette-t-il, a cessé d’être employé. Son article est avant tout une revue du Salon de 1849, ouvert le 15 juin, mais renferme aussi de pénétrantes observations sur le tournant conservateur de la IIe République après sa proclamation. Il revient en outre sur le concours de la figure symbolique de la République organisé l’année précédente par le gouvernement et s’interroge sur le « fond même du sujet ». Planche illustrée : « Bertall à la recherche de la meilleure des Républiques, à l’exposition de l’École des Beaux-Arts », L’Illustration du 6 mai 1848 (seize vignettes).
L’article du Grand Dictionnaire universel du XIXe siècle
La révolution de 1848 a fait éclore plusieurs figures allégoriques de la République. Le gouvernement mit ce sujet au concours ; mais les ouvrages présentés ne réalisaient guère le type grave et poétique qui eût convenu. « La plupart des concurrents, écrivait Louis Desnoyers, ont représenté de véritables viragos, des furies, des mégères, d’enragées diablesses, les cheveux en désordre, les vêtements débraillés, le regard flamboyant, la vocifération à la bouche, entourées de ferraille royale, de morceaux de trône et de queues de paon brisées, emblèmes assez saugrenus des préjugés nobiliaires ; escortées, en outre, d’une ménagerie de lions, de coqs, de chats, etc. ; hérissées d’étendards, de piques et de baïonnettes, et, enfin, brandissant des briquets exterminateurs eu grimpant, à la lueur rougeâtre de feux de Bengale, sur des tas de pavés, de poutres, de tonneaux défoncés et d’omnibus gisants, comme s’il s’agissait d’une éternelle preneuse d’éternelles barricades ! Les artistes se sont complétement trompés sur le fond du sujet. La République n’est ni l’émeute, ni la sédition, ni la révolte, ni l’insurrection, ni la révolution ; c’est, au contraire, le terme de tout cela. Elle est la fin, le reste n’est que le moyen. Le spirituel rédacteur du Siècle signala toutefois, au Salon de 1849, un tableau de M. Ch. Landelle, réalisant parfaitement, selon lui, la République de Février : « C’est une grande et belle jeune fille, que l’artiste a représentée debout, dans l’attitude de la force calme et du mouvement sans hâte, et qu’il a couronnée du chêne civique entremêlé de lauriers. Son regard, doux et fier, est sympathique à toutes les souffrances imméritées son front, vaste et intelligent, peut s’ouvrir sans effort à toutes les idées utiles et généreuses ; sa physionomie, tout à la fois bienveillante et fière, exprime le respect de soi-même autant que le respect des autres son geste est simple et digne, mais, à la moindre offense, cesserait d’être amical pour devenir menaçant. Elle foule, d’un pied dédaigneux plus qu’irrité, des fers que la rouille des temps a brisés bien plutôt que la Révolution, sa mère. Enfin, sa main gauche présente, aux rois aussi bien qu’aux peuples, le rameau d’olivier, symbole de la paix honorable et féconde, tandis que sa droite s’appuie fermement sur la glorieuse épée de la France, non ce coupe-chou grotesque et ébréché que la politique du 10 décembre a tiré des arsenaux de la Restauration et qu’elle veut brandir à son tour contre la souveraineté des peuples, mais ce glaive héroïque, instrument de défense et non plus de conquête, sur l’acier sans tache duquel Lamartine a gravé d’un côté : « Point d’intervention » et de l’autre : « Souveraineté nationale ! »
Le Salon de 1849 offrait d’autres allégories de la République peintes par MM. Claude-Marie Dubufe, Ch. Herbsthoffer, Bergeret ; une lithographie de M. Ad. Bilordeaux, intitulée : À la gloire de la République française ! un dessin de M. L.-Ch. Arsenne, inscrit au catalogue avec cette légende « La République française annonce au monde la sainteté de sa mission et vient fonder sa puissance par l’éducation. La Foi, pleine d’enthousiasme, appelle les générations nouvelles. » Au même Salon, M. Ferdinand Taluet avait exposé une statue symbolique de la République. Au Salon de 1850 parurent trois statues de bronze, dont les modèles avaient été distingués par le jury au concours de 1848 ; celle de M. Soitoux, qui avait obtenu le premier prix, représente la République, couronnée d’épis, s’appuyant d’une main sur un glaive et de l’autre sur un faisceau, symbole d’union et de force, et ayant à ses pieds des attributs qui rappellent le renversement de la monarchie et l’abolition de la peine de mort. « La pensée qui a dicté cette œuvre, a dit M. de La Fizelière, est à la fois simple et élevée, l’exécution énergique et large, la tête d’un caractère noble et la draperie d’une exécution qui convient à une figure de style. Le seul défaut de cette statue est d’être un peu massive. » Les figures de MM. Bosio et Roguet, qui se sont partagé le second prix, sont beaucoup moins remarquables celle du premier est vulgaire ; celle du second rappelle trop la virago farouche de Barbier. Parmi les statues présentées au concours de 1848 et qui ne furent pas récompensées, la critique signala avec éloges celle de M. Jean Feuchère. Une statue de la République, de 3 mètres de hauteur, fut exécutée par M. Barre pour une des salles de l’Assemblée nationale ; l’artiste avait représenté sa figure la main droite appuyée sur une ruche et la main gauche tenant une couronne de laurier ; à ses pieds, le coq gaulois et une hache brisée. Citons encore une peinture de Diaz, une statuette de Garraud (Salon de 1850) ; des tableaux de MM. Didier Guillaume et P.-E. Lambert (musée de Bordeaux) ; une médaille de bronze, par Y.-M. Borrel (Salon de 1850), et enfin le type gravé pour la monnaie par M. Oudiné, œuvre remarquable, représentant la tête de la République couronnée d’épis et surmontée d’une étoile, avec la signature de l’auteur au-dessous, disposition qui fournit aux réactionnaires l’occasion de faire ce jeu de mots : « Où dîner sous la République ? – À la belle étoile. »
La République née en 1870 n’a pas inspiré jusqu’ici de bien nombreuses et de bien remarquables œuvres d’art. À la vérité, les désastres lamentables au milieu desquels elle a surgi, comme un arc-en-ciel au milieu de l’orage, n’étaient guère propices au développement des arts et lorsque la France eut commencé à panser ses blessures, le gouvernement de l’ordre moral, institué par M. de Broglie, vint enchaîner à son tour la verve des artistes disposés à glorifier la République. C’est dans un journal satirique illustré, l’Éclipse, qu’on trouverait peut-être les plus vigoureuses et en même temps les plus spirituelles images de cette pauvre République, dont l’ordre moral s’était si fort effrayé, qu’il crut devoir proscrire officiellement les bustes qui la représentaient coiffée du bonnet phrygien. Parmi les types nouvellement créés, nous citerons le buste qu’un jeune artiste de beaucoup d’avenir, M. Alphonse Dumilâtre, a été chargé d’exécuter pour la ville de Bordeaux.
Pierre Larousse, Grand dictionnaire universel du XIXe siècle, t. 13, « République. — Iconographie », 1875, p. 1016 (extrait).
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L’article de Louis Desnoyers dans Le Siècle du 10 août 1849
Nous avons remarqué au Salon plusieurs figures allégoriques de diverses grandeurs, représentant la… Mais comment dire ? Nous ne savons plus de quelle expression nous servir, pour rester dans les convenances de la langue politique du jour. Vous savez, en effet, que les rédacteurs des speacks prononcés, dans son voyage à Tours, à Saumur et à Nantes, par le président de la… ont jugé de bon goût, ou de bonne guerre, nous ne savons lequel, de n’y pas introduire une seule fois le nom de la… Si du moins, tout en parlant de la chose, ce qu’ils n’ont pas fait non plus par le même sentiment de pruderie, si du moins ces écrivains distingués avaient remplacé le mot propre par un synonyme quelconque, par le plus mince équivalent, par la plus vague allusion ! Mais non, silence complet ! C’est un nouveau progrès.
Ces messieurs avaient admis d’abord la République française, puis la République démocratique, puis la République honnête ; et enfin la République modérée ; mais c’était, trop encore, et, dans la circonstance solennelle dont nous parlons, toutes ces logomachies ont été supprimées définitivement, et il n’a pas plus été question de la…, n’importe laquelle, que si la… n’avait jamais existé. Certes, c’est un tour de force grammatical vraiment prodigieux de leur part, que de se promener ainsi à travers la…, pour le bonheur de là…, aux acclamations de Vive la…, et cependant de ne pas prononcer une seule fois le nom de la…, tout en parlant au nom même de la… Ce tour de force n’a de comparable que l’adresse de ces équilibristes forains qui, les yeux fermés à la lumière, — et portant une chaise sur le bout de leur nez, marchent résolument à travers un semis d’œufs, sans en casser un seul. Eux non plus, les merveilleux linguistes, ils n’ont pas posé leur plume, par mégarde, sur le moindre substantif de ce genre.
Or, puisque le mot est rangé désormais par certains ministres au nombre des locutions honteuses de notre langue, comment faire pour être compris lorsqu’on éprouve, comme dans le cas où je me trouve, le besoin impérieux de parler de ce qu’à leur exemple la pudeur m’empêche de nommer à mon tour ? Je ne puis pourtant pas, en parlant de la….. imiter tout à fait la décence des rédacteurs chargés de préparer les improvisations du président de la…. Je ne serais pas toujours compris. Ma foi ! voici ce que je propose, sauf meilleur avis. Cela consisterait à remplacer par une des locutions suivantes le mot République. (Pardon! c’est la dernière fois que je m’en sers.) On dirait, à son choix, par exemple : l’ex-modérée, l’ex-honnête, l’ex tout court, la chose, la machine, la et caetera, la hem ! la pstt ! la vous savez bien, la n’importe quoi, la va-t’en voir s’il viennent, la daignez m’épargner le reste, ou telle autre formule évasive, en attendant qu’enfin la langue officielle ose dire franchement la défunte. Cela convenu, continuons.
Les principales figures de la machine en question sont celles de MM. Herbsthoffer, Bergeret, Dubufe et Landelle, sans compter les personnifications de même nature qui ont été traitées au crayon et au pastel, et dont nous aurons à parler plus tard. […]
La figure allégorique sous laquelle M. Landelle a symbolisé ce que nous avons dit plus haut, la hem, la pstt, la chose, la machine, la et cœtera, cette figure réalise parfaitement la France du 4 mai, non pas telle qu’on est en train de nous la gâter, mais telle que nous l’avions rêvée, à cette époque de confiance et d’illusion. C’est une grande et belle jeune fille, que l’artiste a représentée debout, dans l’attitude de la force calme et du mouvement sans hâte ; qu’il a couronnée du chêne civique entremêlé de lauriers ; dont le regard doux et fier est sympathique à toutes les souffrances imméritées ; dont le front vaste et intelligent peut s’ouvrir sans efforts à toutes les idées utiles et généreuses ; dont la physionomie, tout à la fois bienveillante et fière, exprime le respect de soi-même autant que le respect des autres ; dont le geste est simple et digne, mais à la moindre offense, cesserait d’être amical pour devenir menaçant; qui foule, d’un pied dédaigneux plus qu’irrité, des fers que la rouille des temps a brisés, bien plutôt que la Révolution sa mère ; enfin, dont la main gauche présente aux rois, aussi bien qu’aux peuples, le rameau d’olivier, symbole d’une paix honorable et féconde, mais dont la droite s’appuie fermement sur la glorieuse épée de la France : — non ce coupe-chou grotesque et ébréché que la politique du 20 décembre a tiré des arsenaux de la Restauration, et qu’elle veut brandir à son tour contre la souveraineté des peuples ; mais ce glaive héroïque, instrument de défense et non plus de conquête, sur l’acier sans tache duquel Lamartine a gravé d’un côté : « Point d’intervention ! » et de l’autre : « Souverainetés nationales ! » ce glaive, enfin, qui ne devait s’abaisser qu’entre les opprimés et les oppresseurs, et dont la pointe, si redoutée de l’a solutisme, avait tracé sur le sol de chaque frontière naturelle : « Tu viendras jusqu’ici, tu n’iras pas plus loin. »
Nous aimerions à voir ta noble idéalité de M. Landelle orner le cabinet de travail de l’Élysée, de même que nous verrions avec plaisir celle de M. Dubufe s’étaler aux parois de l’Assemblée nationale. La contemplation de telles œuvres ne peut fournir que de grandes et belles inspirations.
La composition de M. Dubufe diffère par les détails de celle de son digne émule, mais la pensée poétique est la même, et si le dessin offre moins de correction peut-être, la couleur, en revanche, sans être plus ferme ni plus harmonieuse a une vigueur et un éclat qui en font une peinture vraiment monumentale.
Les choses, les machines, les n’importe quoi, les daignez m’épargner le reste, de MM. Herbsthoffer et Bergeret, sont fort inférieurs aux deux toiles qui précèdent, mais il est juste d’y reconnaître cependant d’estimables qualités de peinture. Elles pèchent seulement par trop de fougue dans la pensée et trop d’emportement dans l’exécution. La violence n’est pas la force : ce n’en est que l’abus.
Il y a pareillement abus d’accessoires et d’emblèmes dans leurs allégories ; mais cet excès est bien plus blâmable encore dans les sujets de même nature qu’ont traités tant d’autres peintres, à l’occasion du concours que le ministère avait établi. La plupart de ces derniers ont représenté de véritables viragos, des furies, des mégères, d’enragées diablesses, les cheveux en désordre, les vêtements débraillés, le regard flamboyant, la vocifération à la bouche ; entourées de ferraille royale, de morceaux de trônes et de queues de paon brisées, emblèmes assez saugrenus des préjugés nobiliaires ; escortées en outre d’une ménagerie de lions, de coqs, de chats, etc.; hérissée d’étendards, de piques et de baïonnettes ; et enfin, brandissant des briquets exterminateurs, en grimpant, à la lueur rougeâtre de feux de bengale, sur des tas de pavés, de poutres, de tonneaux défoncés et d’omnibus gisants : comme s’il s’agissait ici d’une éternelle preneuse d’éternelles barricades ! Les artistes se sont complètement trompés sur le fond même du sujet. La chose en question n’est ni l’émeute, ni la sédition, ni la révolte, ni l’insurrection, ni la révolution : c’est au contraire le terme de tout cela. Elle est la fin, le reste n’est que le moyen.
Quant à la forme, l’exagération arrive toujours à ne rien prouver, pour vouloir prouver trop. Que si cependant vous aimez passionnément de pareils fouillis d’emblèmes, hé bien ! mes bons amis, réjouissez-vous : les événements vous en fourniront peut-être de très piquants, de très nouveaux, de très pittoresques surtout, pour l’Exposition, de l’année prochaine. Au lieu de lions, vous pourrez, mettre des hiboux auprès de vos futures allégories ; au lieu de fers brisés, vous jetterez à leurs pieds des nationalités anéanties : au lieu de Marseillaise, vous noterez des cantiques dans leur bouche ; au lieu d’épées, vous placerez dans leurs mains une hallebarde ; et enfin, au lieu du classique bonnet phrygien, vous les coifferez de bonnets carrés. Ce sera du moins d’une effrayante ressemblance.
Louis Desnoyers, « Salon de 1849. (Sixième article.) », Le Siècle, 10 août 1849, pp. 1-3 (extraits).
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Annexes
« Bertall à la recherche de la meilleure des Républiques, à l’exposition de l’École des Beaux-Arts », L’Illustration, 6 mai 1848, p. 449.
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