Les manifestes pacifistes de la CGT avant 1914

Fondée au congrès de Limoges (23-28 septembre 1895), la CGT s’oppose à la guerre comme elle s’oppose au capitalisme. Elle est d’abord antimilitariste : utilisée contre le mouvement ouvrier, l’armée ne serait qu’un instrument au service du capitalisme et de l’État bourgeois, comme le montrent la répression de la Commune (21-28 mai 1871), la fusillade de Fourmies (1er mai 1891), le déploiement de troupes par Clemenceau après la catastrophe de Courrières (10 mars 1906), la fusillade de Villeneuve-Saint-Georges (30 juillet 1908). Elle se déclare ensuite antipatriotique (congrès d’Amiens, 8-16 octobre 1906) et entend répondre à toute déclaration de guerre par la « grève générale révolutionnaire » (congrès de Marseille, 5-12 octobre 1908) : devant la montée des tensions en Europe — l’incident de Fachoda, les crises marocaines, les guerres balkaniques —, elle oppose la lutte des classes à la guerre, les « frontières économiques » aux « frontières géographiques », l’internationalisme prolétarien au nationalisme. Elle se rallie néanmoins à la défense nationale lors de la crise de l’été 1914 : « Acculés à la lutte, nous nous levons pour repousser l’envahisseur, pour sauvegarder le patrimoine de civilisation et d’idéologie généreuse, que nous a légué l’histoire. » (Discours de Léon Jouhaux aux obsèques de Jaurès, 4 août 1914.)


La motion du congrès d’Amiens (13 octobre 1906)

Présentée par Georges Yvetot, la motion est adoptée le même jour que la charte d’Amiens, mais avec une majorité beaucoup plus faible : 488 pour, 310 contre, 49 blancs et 23 nuls ; la charte d’Amiens recueille une majorité de 830 voix.

Le XVe congrès de la CGT, tenant compte de la majorité significative qui s’est affirmée sur l’adoption des rapports du comité confédéral, de la section des fédérations, de la section des bourses et de La Voix du Peuple comprend que les ouvriers organisés de France ont suffisamment démontré leur approbation de la propagande antimilitariste et antipatriotique ;

Cependant le congrès affirme que la propagande antimilitariste et antipatriotique doit devenir toujours plus intense et toujours plus audacieuse ;

Dans chaque grève, l’armée est pour le patronat, dans chaque conflit européen, dans chaque guerre entre nations ou coloniale, la classe ouvrière est dupe et sacrifiée au profit de la classe patronale parasitaire et bourgeoise ;

C’est pourquoi le XVe congrès approuve et préconise toute action de propagande antimilitariste et antipatriotique qui peut seule compromettre la situation des arrivés et des arrivistes de toutes classes et de toute école politique.

XVe Congrès national corporatif (IXe de la Confédération) et conférence des bourses du travail tenus à Amiens du 8 au 16 octobre 1906. Compte-rendu des travaux, Amiens, Imprimerie du progrès de la Somme, 1907, p. 175.


La motion du congrès de Marseille (10 octobre 1908)

La motion est adoptée par 681 voix contre 421 et 43 blancs. Elle reprend l’orientation antipatriotique de la motion d’Amiens et fait de la « grève générale révolutionnaire » une réponse à la guerre, mais sans prendre l’engagement d’en donner le mot d’ordre. Il s’agit simplement de la préparer par « l’instruction des travailleurs ».

Le congrès confédéral de Marseille rappelant et précisant la décision d’Amiens,

Considérant que l’armée tend de plus en plus à remplacer à l’usine, aux champs, à l’atelier, le travailleur en grève quand elle n’a pas pour rôle de le fusiller, comme à Narbonne, Raon‑l’Étape et Villeneuve‑Saint‑Georges,

Considérant que l’exercice du droit de grève ne sera qu’une duperie tant que les soldats accepteront de se substituer à la main-d’œuvre civile et consentiront à massacrer les travailleurs,

Le congrès, se tenant sur le terrain purement économique, préconise l’instruction de jeunes pour que du jour où ils auront revêtu la livrée militaire, ils soient bien convaincus qu’ils n’en restent pas moins mem­bres de la famille ouvrière et que, dans les conflits entre le capital et le travail, ils ont pour devoir de ne pas faire usage de leurs armes contre leurs frères les travailleurs,

Considé­rant que les frontières géographiques sont modifiables au gré des possé­dants, les travailleurs ne reconnais­sent que les frontières économiques séparant les deux classes ennemies : la classe ouvrière et la classe capita­liste.

Le congrès rappelle la formule de l’Internationale : les travailleurs n’ont pas de patrie !

Qu’en consé­quence, toute guerre n’est qu’un attentat contre la classe ouvrière, qu’elle est un moyen sanglant et terri­ble de diversion à ses revendications,

Le congrès déclare qu’il faut, au point de vue international, faire l’ins­truction des travailleurs, afin qu’en cas de guerre entre puissances les tra­vailleurs répondent à la déclaration de guerre par une déclaration de grève générale révolutionnaire.

XVIe congrès national corporatif (Xe de la C.G.T.) et 3e conférence des bourses du travail ou unions des syndicats, tenus à Marseille du 5 au 12 octobre 1908. Compte-rendu sténographique des travaux, Marseille, Imprimerie nouvelle, 1909, p. 213.

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Le manifeste du 18 octobre 1912

La rédaction du manifeste est décidée par le bureau confédéral lors de sa réunion du 15 octobre 1912 et publié le 18, au premier jour de la première guerre balkanique.

Le manifeste est publié au premier jour de la première guerre

Guerre à la Guerre !

Dans les Balkans, la guerre est déclarée !

Monténégrins, Serbes, Bulgares et Turcs commencent à s’entr’égorger.

Ainsi, l’Europe sortant de la crise que fit naître l’abominable agression contre le Maroc de la France capitaliste et financière voit surgir dans le présent conflit les redoutables possibilités d’une conflagration guerrière dressant les unes contre les autres les puissances européennes.

Les désirs d’expansion territoriale de l’Autriche et de la Russie, la recherche de débouchés nouveaux pour certaines autres nations, s’ajoutant aux convoitises des groupes financiers et industries, mettent en péril la paix du monde.

Les excitations cléricales, les haines de race font de cette guerre non pas seulement une vaste flibusterie capitaliste, mais une croisade religieuse.

Dans la complexité des intérêts engagés, dans le caractère implacable de cette guerre, peu de place est laissé aux espérances de la localiser, espérances avec lesquelles la presse bourgeoise tente d’apaiser les inquiétudes populaires.

En effet, à ce jour, les puissances n’ont pas su ou pas voulu empêcher la guerre. Pourquoi ? Parce que l’opinion publique est restée indifférente.

Les puissances voudront-elles, aujourd’hui, localiser le conflit, en limiter la durée ? Oui, si l’opinion publique, enfin éclairée, veut et sait intervenir. Si tous les partisans sincères de la paix entre les peuples ne se montrent pas vigilants et actifs, en élevant une vigoureuse protestation, ils risquent de voir les événements se précipiter et les trouver désemparés devant la brutalité du fait accompli.

Quant aux travailleurs, leur haine de la guerre s’est trop souvent affirmée pour qu’ils restent impassibles.

Pour les uns, comme pour les autres, c’est notre devoir et c’est notre intérêt à tous d’intervenir. La CGT les y convie.

Dans l’opposition nécessaire aux desseins criminels des gouvernements capitalistes et des sectes religieuses, la CGT veut dresser les peuples dans une volonté unanime de paix.

C’est là une tâche dictée à la Confédération générale du travail par la résolution de son Congrès de Marseille, qui dit :

Le Congrès rappelle la formule de l’Internationale :

LES TRAVAILLEURS N’ONT PAS DE PATRIE ! Qu’en conséquence, toute guerre n’est qu’un attentat contre la classe ouvrière, qu’elle est un moyen sanglant et terrible de diversion à ses revendications.

Le Congrès déclare qu’en cas de guerre entre puissances, les travailleurs doivent répondre à la déclaration de guerre par une déclaration de grève générale révolutionnaire.

À L’OPINION PUBLIQUE !

Une vigoureuse action s’impose ! Une vaste agitation populaire est nécessaire.

La CGT pour les déterminer, s’adresse à tous les hommes de cœur, à tous les prolétaires, et leur crie : Soyez prêts à répondre à nos appels, à participer à nos démonstrations, à nos meetings !

Que de partout s’élèvent de formidables protestations !

Pour cela, la CGT appelle à l’action nécessaire des travailleurs organisés de l’Internationale ouvrière. Et s’il est vrai qu’une concordance de vues anime en ce moment les gouvernements français et allemands, dans une même tentative pour sauvegarder la paix européenne, il est d’autant plus indispensable aux peuples allemand et français d’être au premier rang dans l’intervention et la protestation imposées par cette redoutable éventualité : LA GUERRE !

LE COMITÉ CONFÉDÉRAL.

Le prolétariat contre la guerre et les trois ans, Confédération générale du travail, Paris, Maison des fédérations, 1913, pp. 17-18.

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