La mise en œuvre du projet républicain (1870-1914)
I. L’installation de la République (1870-1879)
A. La naissance de la République
1. Le gouvernement de la Défense nationale
2. L’élection de l’Assemblée nationale
3. La Commune de Paris
B. Les lois constitutionnelles de 1875
1. L’échec de la restauration
2. L’adoption d’un texte de compromis
3. La mise en place des institutions
C. La conquête de la République par les républicains
1. La crise du 16 Mai
2. Les élections des 14 et 28 octobre 1877
3. La soumission puis la démission de Mac Mahon
I. L’installation de la République (1870-1879)
La IIIe République succède au Second Empire en 1870, mais n’acquiert sa forme définitive qu’à la fin de la décennie. Provisoire à ses débuts, menacée par l’élection d’une Assemblée nationale hostile et divisée par l’insurrection de la Commune, elle reçoit une Constitution républicaine en 1875, mais reste présidée par un maréchal de sentiment légitimiste. C’est la crise du 16 Mai qui permet aux républicains de l’emporter sur leurs adversaires et d’assurer la pérennité de la République.
A. La naissance de la République
1. Le gouvernement de la Défense nationale
Le 4 septembre 1870, après la défaite de Napoléon III à Sedan, le Corps législatif est envahi par la foule. À l’Hôtel de Ville, les députés républicains proclament la République et forment un gouvernement provisoire. Intitulé gouvernement de la Défense nationale, il est présidé par le général Trochu, gouverneur militaire de Paris, et réunit des élus de la Seine comme Léon Gambetta, ministre de l’Intérieur, et Jules Favre, ministre des Affaires étrangères. Les 19 et 20 septembre, le chef du gouvernement prussien Bismarck reçoit Jules Favre à Ferrières, mais la rencontre est un échec. La guerre se poursuit. Paris est encerclé par les Allemands.
Enfermé dans la capitale, le gouvernement de la Défense nationale délègue ses pouvoirs en province à des ministres envoyés à Tours avant le début du siège. Le 7 octobre, Gambetta quitte Paris en ballon afin de rejoindre la délégation, en prend la direction, avec les fonctions de ministre de la Guerre, et reconstitue des armées, mais échoue à dégager Paris. La première armée de la Loire se disloque après la perte d’Orléans en décembre 1870, la deuxième est défaite au Mans en janvier 1871. L’armée du Nord est vaincue à Saint-Quentin. Contrainte de passer en Suisse, l’armée de l’Est est désarmée à la frontière, le 1er février.
Éprouvé par la rigueur de l’hiver, le blocus et les bombardements prussiens, Paris renoue avec le souvenir de la Révolution et de la Commune insurrectionnelle. Des comités de vigilance rassemblent la fraction avancée de la population et constituent un Comité central des vingt arrondissements qui s’oppose au gouvernement de la Défense nationale, jugé incapable. Pour défendre la patrie en danger, on demande la levée et la sortie en masse et la proclamation de la Commune. Le gouvernement défend son autorité et réprime deux tentatives de soulèvement, les 31 octobre 1870 et 22 janvier 1871, avant de se résigner à demander l’armistice, malgré l’opposition de Gambetta. La convention franco-allemande est signée le 28 janvier 1871, à Versailles.
2. L’élection de l’Assemblée nationale
À la demande du chancelier allemand Bismarck, la convention d’armistice prévoit l’élection par les Français d’une Assemblée nationale chargée de conclure la paix. Le scrutin se tient le 8 février 1871, dans une France occupée, sans véritable campagne électorale. Les républicains gambettistes continuent de refuser les conditions allemandes tandis que la droite monarchiste exige la paix immédiate et le retour à l’ordre.
Les Français refusent la poursuite de la guerre et élisent une majorité conservatrice favorable à la paix, comme à la restauration de la monarchie — une majorité qui ressemble au parti de l’Ordre de la IIe République. Paris se prononce en revanche en faveur des républicains. Réunie le 12 février, au Grand Théâtre de Bordeaux, l’Assemblée désigne l’orléaniste Thiers comme « chef du pouvoir exécutif de la République française » et le charge d’ouvrir des pourparlers de paix. Par le « pacte de Bordeaux », celui-ci renvoie à la paix la question du régime. Le 13 mars, l’Assemblée décide de fixer son siège à Versailles, non pas à Paris.
Ouverts le 23 février, les pourparlers aboutissent le 26 à la signature des préliminaires de Versailles dont les dispositions sont reprises dans le traité de Francfort du 10 mai : la France cède l’Alsace et la Moselle au nouvel Empire allemand, proclamé à Versailles, le 18 janvier ; elle reste occupée afin de garantir le paiement au vainqueur d’une indemnité de guerre de cinq milliards de francs. Le 1er mars 1871, les troupes allemandes entrent dans Paris et défilent sur les Champs-Élysées. La défaite française permet à l’Allemagne de faire son unité — une « petite Allemagne » sous direction prussienne — et d’acquérir la prépondérance en Europe.
3. La Commune de Paris
Après la signature des préliminaires de paix, Thiers entend rétablir l’autorité du gouvernement dans Paris. Le 18 mars, il ordonne à l’armée de s’emparer des canons conservés par la Garde nationale, désormais organisée en fédération, à Montmartre et Belleville, mais la foule s’y oppose. Des soldats font défection et deux généraux sont sommairement exécutés. L’insurrection exprime à la fois le refus de l’armistice et le rejet d’un gouvernement issu d’une Assemblée hostile à la République. Elle témoigne du ressentiment provoqué sous le Second Empire par l’haussmannisation de la capitale, puisqu’elle exclut la population ouvrière du centre de la ville. « L’antithèse directe de l’Empire, écrit Karl Marx, dans La Guerre civile en France, ce fut la Commune. » Le gouvernement et l’armée évacuent la capitale désertée par une partie de ses habitants.
Le 26 mars, la population restée dans Paris élit un Conseil général de la Commune de Paris, d’orientation révolutionnaire, et la Commune est proclamée, place de l’Hôtel de Ville, le 28. Occupée avant tout à assurer sa propre défense face à l’armée versaillaise, la Commune prend néanmoins des mesures de circonstances et des décisions de principe : réquisition des logements ou des ateliers vacants, adoption du drapeau rouge et du calendrier révolutionnaire, démolition de la colonne Vendôme et de l’hôtel Thiers, instruction gratuite et obligatoire, séparation de l’Église et de l’État, abolition de la conscription et de l’armée permanente, lutte contre la prostitution, création de coopératives ouvrières.
Replié à Versailles, Thiers prépare la reconquête de la ville. L’armée, commandée par le maréchal de Mac Mahon et renforcée de prisonniers libérés par Bismarck, entre dans Paris le 21 mai. C’est le début de la Semaine sanglante. Les versaillais multiplient les exécutions sommaires. Les fédérés fusillent des otages, dont l’archevêque de Paris, et incendient des bâtiments, comme les Tuileries et l’Hôtel de Ville. Les derniers combats se déroulent dans l’est parisien, à Belleville et au cimetière du Père Lachaise, les 27 et 28 mai. La répression frappe le quart de la population ouvrière parisienne.
B. Les lois constitutionnelles de 1875
1. L’échec de la restauration
Après l’écrasement de la Commune, les conservateurs entendent restaurer la monarchie, mais se heurtent à l’intransigeance du comte de Chambord qui, dans son manifeste du 5 juillet 1871, affirme son attachement au drapeau blanc — « Il a flotté sur mon berceau. Je veux qu’il ombrage ma tombe. » —, ce que désapprouvent les orléanistes, fidèles au drapeau tricolore. Par la loi Rivet du 31 août, Thiers obtient des députés le titre de président de la République, mais les institutions restent provisoires et l’Assemblée se réserve le pouvoir constituant. L’évacuation du territoire s’achève à l’été 1873, en raison du règlement anticipé de l’indemnité de guerre imposée à la France.
Thiers considère que la République est désormais la seule solution possible, à condition qu’elle soit conservatrice, et s’en explique à plusieurs reprises devant l’Assemblée : « La République existe, déclare-t-il le 13 novembre 1872, elle est le gouvernement légal du pays ; vouloir autre chose serait une nouvelle révolution et la plus redoutable de toutes. » La droite l’accuse de favoriser les progrès du radicalisme et s’emploie à réduire ses pouvoirs. Par la loi de Broglie du 13 mars 1873, elle lui interdit l’entrée à l’Assemblée, sauf exception, et se réserve de nouveau le pouvoir constituant. Mis en minorité le 24 mai, Thiers donne sa démission.
Élu président de la République le même jour, le maréchal de Mac Mahon, de sentiment légitimiste, entend conduire une politique d’ordre moral. Il est favorable à la restauration, mais celle-ci échoue une deuxième fois, malgré un rapprochement entre les deux prétendants à la royauté, puisque le comte de Chambord persiste à refuser le drapeau tricolore. Le 20 novembre 1873, l’Assemblée adopte une loi qui fixe à sept ans la durée du mandat du maréchal de Mac Mahon et prévoit la nomination d’une commission chargée d’examiner les lois constitutionnelles.
2. L’adoption d’un texte de compromis
La discussion sur la Constitution s’ouvre devant l’Assemblée le 21 janvier 1875. Dans son projet, la commission conserve à Mac Mahon son titre de président de la République, mais sans régler explicitement la question du régime. Le 29 janvier, l’Assemblée rejette un amendement qui définit le « gouvernement de la République ». Le lendemain, Henri Wallon propose un nouvel amendement, qui se borne à mentionner la fonction de « président de la République », mais sans l’associer à la personne de son titulaire. Adopté à une voix de majorité, l’amendement Wallon fonde la République.
Composée de trois lois successives — 24 et 25 février 1875, 16 juillet —, la Constitution de la IIIe République résulte d’un compromis qui satisfait à la fois les républicains modérés et une partie des conservateurs : les républicains modérés, comme les orléanistes ralliés, puisqu’il établit une république parlementaire fondée sur le suffrage universel, une partie des conservateurs puisqu’il renferme des dispositions conservatrices et réserve la possibilité d’une restauration.
La République est gouvernée par des ministres nommés par le chef de l’État, mais solidairement responsables devant les chambres de la politique du gouvernement, ce qui fonde le régime parlementaire. Le gouvernement s’appuie nécessairement sur une majorité parlementaire, or la chambre basse, appelée Chambre des députés, est élue au suffrage universel direct.
La Constitution offre néanmoins des garanties aux conservateurs. Le régime est bicaméral puisqu’il comprend une seconde chambre, appelée Sénat, dont les membres sont ou bien désignés par l’Assemblée constituante et inamovibles, ou bien élus au suffrage indirect. Le pouvoir exécutif est attribué à un président de la République, non pas à un collège, ce qui contrevient à la tradition républicaine et autorise une restauration, puisque la fonction présidentielle s’apparente à celle d’un monarque constitutionnel. Élu pour sept ans par l’Assemblée nationale, le chef de l’État dispose de l’initiative des lois et du droit de dissolution de la Chambre des députés, sur avis conforme du Sénat.
3. La mise en place des institutions
Élu le 24 mai 1873, jour de la chute de Thiers, le président Mac Mahon dispose d’un mandat de sept ans, selon la loi du 20 novembre 1873, mais il doit désormais composer avec deux assemblées, la Chambre des députés et le Sénat.
Avant de se séparer, en décembre 1875, l’Assemblée nationale désigne 75 quinze sénateurs inamovibles conformément à la loi du 24 février sur l’organisation du Sénat. En échange d’une dizaine de sièges, l’extrême droite légitimiste ou bonapartiste passe un accord avec la gauche qui obtient de la sorte une soixantaine d’élus. Lors des élections sénatoriales du 30 janvier, les droites l’emportent, mais leur majorité reste étroite.
La Chambre des députés est élue pour quatre ans au scrutin uninominal à deux tours, dont on attend qu’il favorise les conservateurs, mais les républicains l’emportent, les 20 février et 5 mars 1876, en raison d’une forte abstention dans l’électorat de droite : 360 députés républicains contre à peine plus de 150 sièges à leurs adversaires.
C. La conquête de la République par les républicains
1. La crise du 16 Mai
Le président de la République maintient d’abord l’orléaniste Dufaure dans ses fonctions de chef du gouvernement, avec le titre de président du Conseil, mais celui-ci démissionne le 3 décembre, après le vote par la Chambre d’un ordre du jour défavorable au gouvernement. Mac Mahon le remplace par Jules Simon, le 13 décembre. Républicain modéré, le nouveau président du conseil doit néanmoins composer avec l’aile radicale du parti républicain, au risque d’entrer en conflit avec le chef de l’État. Le 4 mai 1877, à la Chambre, après un discours anticlérical de Gambetta — « Le cléricalisme ? voilà l’ennemi ! » —, Jules Simon accepte un ordre du jour qui condamne l’agitation cléricale, jugée antipatriotique.
Le 16 mai, Mac Mahon provoque la démission de Jules Simon par une lettre dans laquelle il lui retire sa confiance, le remplace par un orléaniste de centre droit et ajourne la chambre. Les républicains unanimes dénoncent une « politique de réaction et d’aventures » dans un texte signé par 363 députés — le manifeste des 363 — et votent un ordre de jour de défiance, le 19 juin, après la rentrée de la Chambre. Mac Mahon réplique par la dissolution, après avis conforme du Sénat.
2. Les élections des 14 et 28 octobre 1877
Pour préparer les élections, le ministère de Broglie, formé après la démission de Jules Simon, emploie des méthodes destinées à guider l’électorat et qui rappellent le Second Empire : action des préfets en faveur des candidats conservateurs, propagande officielle, lutte contre l’opposition républicaine.
Gambetta conduit la campagne républicaine. Dans un discours prononcé à Lille le 15 août, il déclare : « Quand la France aura fait entendre sa voix souveraine, il faudra se soumettre ou se démettre. » Les républicains s’entendent sur le principe d’une candidature unique : aucun adversaire républicain n’est opposé à chacun des 363. Signataire du manifeste, Thiers meurt le 2 septembre. Ses obsèques, le 8, réunissent un million de Parisiens. Dans La République française, Gambetta écrit : « Le gouvernement de la France était hier dans ceux qui faisaient cortège à la dépouille de M. Thiers ». Les 14 et 28 octobre 1877, les républicains perdent des sièges, dans des circonscriptions acquises de justesse en 1876, mais conservent la majorité avec plus de 320 sièges.
3. La soumission puis la démission de Mac Mahon
Désavoué, Mac Mahon est confronté au dilemme de Gambetta : se soumettre ou se démettre.
Il commence par se soumettre. Dans son message aux chambres du 14 décembre 1877, il reconnaît le caractère parlementaire du régime : « Pour obéir aux règles parlementaires, j’ai formé un cabinet choisi dans les deux chambres, composé d’hommes résolus à défendre et à maintenir ces institutions par la pratique sincère des lois constitutionnelles. » Nommé président du Conseil le 13, Jules Dufaure, un orléaniste de centre gauche rallié à la République, constitue un gouvernement qui comprend un ministre républicain, avec l’accord de Gambetta, Freycinet.
Mac Mahon finit par démissionner. Le 5 janvier 1879, les républicains remportent une nouvelle victoire électorale lors du renouvellement du premier tiers sortant du Sénat. Le président donne sa démission le 30. Son successeur, Jules Grévy, élu le même jour, est républicain.
Les institutions de la IIIe République et leur fonctionnement (1876-1914)