Rédigée par Clemenceau, la déclaration est adoptée le 16 mars 1918 par la conférence interalliée de Londres. Ouverte à la suite du quatrième Conseil supérieur de guerre (14-15 mars), celle-ci réunit le Premier ministre britannique Lloyd Georges et les présidents du Conseil français et italien Clemenceau et Orlando. Conclu le 3 mars 1918, le traité de Brest-Litovsk est ratifié par le IVe congrès panrusse des Soviets, réuni à Moscou, du 14 au 16 mars. Parti pour Londres le mercredi 13, Clemenceau est de retour en France le dimanche 17. La déclaration est remise à la presse dans la soirée du 18 et publiée par tous les journaux dans leur édition du 19.
La déclaration de l’Entente dans Le Petit Parisien
Le Petit Parisien, 19 mars 1918.
GALLICA – BIBLIOTHÈQUE NATIONALE DE FRANCE
Le texte français de la déclaration
TEXTE DE LA DÉCLARATION COLLECTIVE PUBLIÉE PAR LES GOUVERNEMENTS ALLIÉS À L’ISSUE DE LA CONFÉRENCE
(Rédaction de M. Clemenceau)
Les gouvernements de l’Entente, réunis à Londres en conférence, après s’être mis pleinement d’accord sur les problèmes militaires du jour, ont le devoir impérieux de prendre acte des attentats sans précédent exercés, sous la dénomination d’une paix allemande, sur les peuples de la Russie, dont les armées ont spontanément renoncé à la défense du pays.
Dans un mouvement d’aberration le plus étrange de l’histoire, la résistance militaire de notre alliée d’Orient s’est trouvée tout à coup abolie. Une inconcevable simplicité portait l’esprit russe à attendre de l’Allemagne, pour la Russie désarmée, une paix démocratique sans annexions ni violences, par la volonté de cette même Allemagne qui, depuis quatre ans, combat contre l’indépendance des nations, contre tous les droits de l’humanité.
L’effet fut prompt à se manifester.
L’échéance des préliminaires n’était pas expirée que l’État-Major allemand, qui s’était engagé à ne pas déplacer ses formations militaires, les dirigeait en masse sur le front d’Occident, au mépris de la foi jurée.
Déjà les choses en étaient à ce point que les délégués de Petrograd n’osaient même pas protester. Ainsi l’annonce d’une paix octroyée par les armées allemandes, se traduisit aussitôt par l’envahissement du territoire russe, par l’occupation militaire des villes et des campagnes, la capture ou la destruction de tous les moyens de défense, l’installation générale d’une autorité allemande décrétant et organisant le démembrement du sol russe au profit de l’Allemagne — qui annexait d’immenses provinces de l’empire sous des rubriques d’hypocrisie, d’où le titre seul d’annexion se trouvait banni.
Cependant, les défenseurs du territoire, dispersés après avoir détruit de leurs mains toutes les ressources de la défense militaire, voyaient leurs négociateurs réduits à proclamer leur obligation de signer le prétendu traité de paix sans le lire, et par conséquent, sans rechercher s’il était susceptible de produire un état véritable de paix ou de guerre, ni à quels simulacres de vie soi-disant nationale le peuplé russe pouvait ainsi être conduit.
Pour les gouvernements de l’Entente, jamais le jugement des peuples libres ne s’imposa si clairement. À quoi bon s’arrêter aux paroles allemandes, quand, en aucun moment de l’Histoire, l’action conquérante de l’Allemagne — pas même aux temps de l’envahissement de la Silésie ou des partages de la Pologne ne fut si ouvertement destructrice de toute indépendance, si implacablement ennemie de tous les droits qui font la dignité de l’homme et des nations civilisées ?
La Pologne, qui a su magnifiquement maintenir sa vie nationale à travers les plus tragiques catastrophes de l’Europe, se trouve sous la menace d’un quatrième démembrement par l’habituelle procédure de fourberie qui ferait sortir de la libération promise un nouvel écrasement de ses derniers vestiges d’indépendance.
Un renouveau de ces torrents de domination sans merci, dont les ravages ont fait tant de désastres parmi les peuples de l’Orient, emporte, à son tour, la Roumanie.
Toutes ces choses, sous l’étiquette d’une paix de mensonges, qui, dans des cadres de verbalisme pacifique, installe les réalités de la guerre sous la loi suprême d’une force brutale sans frein.
Ces sortes de paix nous ne les connaissons pas, nous ne pouvons pas les connaître, puisque nous nous proposons, à force d’héroïsme et d’endurance, d’en finir avec une politique de spoliation pour faire place à un régime de paix durable par le droit organisé.
À mesure, en effet, que les événements de cette longue guerre se déroulent, il apparaît de plus en plus que toutes les libérations s’enchaînent, et que, sans tenter des énumérations d’affranchissements à venir, il suffit d’invoquer les réparations générales de justice qui se résument dans ce seul mot : le droit.
Quant à savoir si le droit peut l’emporter sur l’oppression des peuples, nos hommes du front et de l’arrière, sans préparations suffisantes, se sont montrés assez grands pour que les nations dont le sort va se jouer sur les derniers champs de bataille s’en remettent à eux d’achever le triomphe de la civilisation.
Texte de la déclaration collective publiée par les gouvernements alliés
L’ARGONNAUTE — LA CONTEMPORAINE
Le texte anglais de la déclaration
TEXT OF THE JOINT DECLARATION PUBLISHED BY THE ALLIED GOVERNMENTS IN CONFERENCE
(M. Clemenceau’s Text)
The Governments of the Entente conferring together in London, after reaching the fullest agreement on the military problems of the day, feel it is their imperative duty to take note of the unprecedented outrage perpetrated, under the name of a German peace, on the Russian peoples, whose armies spontaneously abandoned the defence of their country.
By the strangest aberration in history, our Eastern Ally’s military resistance was suddenly abolished. An incredible simplicity induced the Russian mind to expect from Germany, on behalf of an unprotected Russia, a democratic peace without violence or annexations. It expected this to be the will of the same Germany which for the last four years has been fighting against the independence of nations and against all the rights of mankind.
The result was not long delayed.
The period of preliminaries was not closed, when the German General Staff, which had undertaken not to move its troops, sent them in masses to the Western front in open breach of its pledge.
Things had already come to such a pass that the Petrograd delegates did not even dare to protest. The peace gift of the German Armies was immediately revealed as meaning invasion of Russian territory, military occupation of town and country, capture or destruction of all means of defence and the general institution of German authority, to organise the division of Russian land for Germany’s profit, and to annex vast provinces under hypocritical formulæ from which only the word annexation was absent.
Meanwhile, the defenders of Russia, who had dispersed after destroying with their own hands their country’s military resources, beheld their negotiators reduced to the necessity of declaring themselves forced to sign the pretended treaty of peace without reading it, and consequently without examining whether anything but the shadow of a national life was left for the Russian people.
For the Governments of the Entente never has a case arisen in which the judgment of free peoples is so clear. What attention is due to German words, when, at no moment in history, not even at the time of the invasion of Silesia, or of the partitioning of Poland, has she as conqueror so openly destroyed all independence and so ruthlessly trampled on all the rights that lend dignity to human life and to civilised communities?
Poland, which has succeeded in maintaining its national life through the most tragic catastrophes of Europe with such splendid endurance, is now threatened with a fourth dismemberment under cover of the usual deception, which, pretending to offer liberation, crushes the last vestiges of independence.
The renewal of these merciless torrents of domination which have so often ravaged the peoples of the East has now submerged Romania.
All this is done under the label of peace, with a framework of verbal pacification, in order to establish the realities of war under the dominion of force without appeal.
This kind of peace we do not and will not recognise. We mean by endurance and heroism to put an end to this policy of spoliation, and to make way fort a lasting peace based on organised Right.
As this long war proceeds we see more and more clearly that the freedom of one is linked with the freedom of all; and, without attempting to enumerate all future enfranchisements, we need only appeal to the general redress which we expect from justice and which we call “Right”.
If it be questioned whether in fact Right can overcome oppression, our men, both at the front and behind it, have shown themselves in the past, though unprepared, great enough to earn the confidence of the nations whose fate is to be decided on the last fields of battle, that they will achieve the triumph of civilisation.
Text of the joint declaration published by the Allied Governments
L’ARGONNAUTE — LA CONTEMPORAINE
Le traité de Brest-Litovsk (3 mars 1918)
3 mars 1918. – Traité de Brest-Litovsk entre la Russie et les empires centraux : une carte publiée dans La Science et la Vie dans son numéro d'avril-mai 1918 | https://t.co/6aY97ii6Z3 @GallicaBnF #année1918 pic.twitter.com/Q5OiONmG7i
— Langlois (@langlois_hg) 4 mars 2018
Le départ de Clemenceau en Angleterre (13 mars 1918)
13 mars 1918. – « M. #Clemenceau prêt à s’embarquer pour l’Angleterre », Le Miroir du 31 | https://t.co/BVHiULk6Qe @GallicaBnF #année1918 pic.twitter.com/rqIj1AsXjf
— Langlois (@langlois_hg) 13 mars 2018
Le IVe congrès panrusse des Soviets (14-16 mars 1918)
14-16 mars 1918. – IVe congrès panrusse des Soviets : ratification du traité de Brest-Litovsk et transfert de la capitale à Moscou, Le Temps du 19 | https://t.co/4hkZyGbzch @GallicaBnF #année1918 pic.twitter.com/m06QZtPEBr
— Langlois (@langlois_hg) 14 mars 2018
Les minutes de la conférence interalliée (16 mars 1918)
Les minutes de la conférence interalliée de Londres et le texte bilingue de la déclaration dans les collections numérisées de La Contemporaine, ex-BDIC | https://t.co/sXl3YHR4Aj @LaContempo_BAM #année1918 pic.twitter.com/0ZVW0wBozH
— Langlois (@langlois_hg) 18 mars 2018
Le retour de Clemenceau en France (17 mars 1918)
17 mars 1918. – #Clemenceau, Orlando, Pichon et Foch, retour d'Angleterre, L'Illustration du 23 mars | https://t.co/1bIL8fGy9b #année1918 pic.twitter.com/z5aeGUwVeh
— Langlois (@langlois_hg) 13 mars 2018