Sainte-Alliance et Quadruple-Alliance

La Sainte-Alliance — ou Alliance fraternelle et chrétienne — et la quadruple alliance sont distinctes et différentes. La première est établie par un traité du 26 septembre 1815. Œuvre personnelle du tsar Alexandre Ier de Russie, elle réunit deux autres monarques européens, l’empereur François Ier d’Autriche et le roi de Prusse Frédéric-Guillaume III, mais est ouverte à l’accession de tous (article III du traité) ; dans son manifeste du 25 décembre, Alexandre invite les États tiers à la rejoindre. La seconde date du 20 novembre 1815, jour de la signature du second traité de Paris. Voulue par le Royaume-Uni, elle perpétue l’alliance quadripartite du pacte de Chaumont — un traité souscrit par le Royaume-Uni, l’Autriche, la Prusse et la Russie, contre Napoléon, le 1er mars 1814 et renouvelé à Vienne le 25 mars 1815. La première reçoit l’adhésion de la quasi-totalité des États européens — à l’exception du Royaume-Uni, du Saint-Siège et de l’Empire ottoman — mais reste sans grande portée politique selon Louis de Viel-Castel (1800-1887) dans son Histoire de la Restauration (1860-1878) : « une vague et insignifiante déclaration de principes, sans aucune stipulation précise, et dont la rédaction portait l’empreinte d’un mysticisme bizarre ». La seconde établit un directoire des grandes puissances européennes et vise avant tout à interdire une nouvelle révolution en France. « La France, écrit Viel-Castel, n’intervint pas dans ce traité, base véritable de la grande alliance anti-révolutionnaire, et que le public a souvent confondu avec celui de la Sainte-Alliance. » La première reçoit de Louis XVIII une adhésion précoce (19 novembre 1815). La seconde commence par exclure la France. C’est le congrès d’Aix-la-Chapelle (1818) qui décide de son admission : la quadruple alliance devient alors une quintuple alliance.

Chronologie indicative

Le traité de la Sainte-Alliance (26 septembre 1815)

Le traité de quadruple alliance (20 novembre 1815)

Le manifeste d’Alexandre (25 décembre 1815)

Les actes d’accession à la Sainte-Alliance (1815-1817)

La doctrine Monroe (2 décembre 1823)

Les deux alliances dans Histoire de la Restauration de Viel-Castel (1861)

Les deux alliances dans La Grande Encyclopédie (1886)

Une carte de l’Europe en 1815 (Vast et Malleterre, 1898)


Chronologie indicative

1er mars 1814. — Signature du traité d’alliance de Chaumont entre l’Autriche, la Prusse, la Russie et le Royaume-Uni : les quatre puissances s’engagent à ne pas signer de paix séparée avec la France.

6 avril 1814. — Première abdication de Napoléon.

30 mai 1814. — Signature du traité de Paris avec la France.

18 septembre 1814. — Ouverture du congrès de Vienne.

1er mars 1815. — Début des Cent-Jours.

25 mars 1815. — Renouvellement à Vienne du traité d’alliance de Chaumont.

9 juin 1815. — Signature de l’acte final du congrès de Vienne.

18 juin 1815. — Bataille de Waterloo.

22 juin 1815. — Seconde abdication de Napoléon.

26 septembre 1815. — Traité de Sainte-Alliance entre les empereurs d’Autriche et de Russie et le roi de Prusse.

19 novembre 1815. — Adhésion de Louis XVIII au traité de Sainte-Alliance.

20 novembre 1815. — Signature du second traité de Paris avec la France ; signature le même jour de la quadruple alliance.

25 décembre 1815. — Manifeste de l’empereur Alexandre invitant les tierces puissances à rejoindre la Sainte-Alliance.

1er novembre 1818. — Lors du congrès d’Aix-la-Chapelle, les quatre puissances invitent la France à rejoindre la quadruple alliance.


Le traité de la Sainte-Alliance (26 septembre 1815)

Le traité est signé par les trois monarques : l’empereur de Russie Alexandre Ier, l’empereur d’Autriche François Ier et le roi de Prusse Frédéric-Guillaume III.

Au nom de la très-sainte et indivisible Trinité.

LL. MM. l’Empereur de l’Autriche, le Roi de Prusse et l’Empereur de Russie, par suite des grands événements qui ont signalé en Europe le cours des trois dernières années, et principalement des bienfaits qu’il a plu à la Divine Providence de répandre sur les États dont les gouvernements ont placé leur confiance et leur espoir en elle seule, ayant acquis la conviction intime, qu’il est nécessaire d’asseoir la marche à adopter par les Puissances dans leurs rapports mutuels sur les vérités sublimes que nous enseigne l’éternelle religion du Dieu Sauveur :

Déclarent solennellement que le présent acte n’a pour objet que de manifester à la face de l’univers leur détermination inébranlable de ne prendre pour règle de leur conduite, soit dans l’administration de leurs États respectifs, soit dans leurs relations politiques avec tout autre gouvernement, que les préceptes de cette religion sainte, préceptes de justice, de charité et de paix qui, loin d’être uniquement applicables à la vie privée, doivent au contraire influer directement sur les résolutions des princes, et guider toutes leurs démarches comme étant le seul moyen de consolider les institutions humaines et de remédier à leurs imperfections.

En conséquence, Leurs Majestés sont convenues des articles suivants :

Art. I. — Conformément aux paroles des Saintes Écritures, qui ordonnent à tous les hommes de se regarder comme frères, les trois monarques contractants demeureront unis par les liens d’une fraternité véritable et indissoluble, et se considérant comme compatriotes, ils se prêteront en toute occasion et en tous lieux assistance, aide et secours, se regardant envers leurs sujets et armées comme pères de famille, ils les dirigeront dans le même esprit de fraternité dont ils sont animés pour protéger la religion, la paix et la justice.

Art. II. — En conséquence, le seul principe en vigueur, soit entre lesdits gouvernements, soit entre leurs sujets, sera celui de se rendre réciproquement service, de se témoigner par une bienveillance inaltérable l’affection mutuelle dont ils doivent être animés, de ne se considérer tous comme membres d’une même nation chrétienne, les trois princes alliés ne s’envisageant eux-mêmes que comme délégués par la Providence pour gouverner trois branches d’une même famille, savoir : l’Autriche, la Prusse et la Russie ; confessant ainsi que la nation chrétienne, dont eux et leurs peuples font partie, n’a réellement d’autre Souverain que celui à qui seul appartient en propriété la puissance, parce qu’en lui seul se trouve tous les trésors de l’amour, de la science et de la sagesse infinie, c’est-à-dire Dieu, notre divin sauveur Jésus-Christ, le Verbe du Très-Haut, la parole de vie. Leurs Majestés recommandent en conséquence avec la plus tendre sollicitude à leurs peuples comme unique moyen de jouir de cette paix qui naît de la bonne conscience et qui seule est durable, de se fortifier chaque jour davantage dans les principes et l’exercice des devoirs que le divin Sauveur a enseigné aux hommes.

Article III. — Toutes les puissances qui voudront solennellement avouer les principes sacrés qui ont dicté le présent acte, et reconnaîtront combien il est important au bonheur des nations, trop longtemps agitées, que ces vérités exercent désormais sur les destinées humaines toute l’influence qui leur appartient, seront reçues avec autant d’empressement que d’affection dans cette sainte alliance.

Fait triple et signé à Paris, l’an de grâce 1815, le 26/14 septembre.

Signé : François. Frédéric-Guillaume. Alexandre.

« Traité de la sainte Alliance entre les Empereurs de Russie et d’Autriche et le Roi de Prusse, signé à Paris le 14/26 septembre 1815 » in Le Congrès de Vienne et les traités de 1815, précédé et suivi des actes diplomatiques qui s’y rattachent, avec une introduction historique par M. Capefigue, 2e partie, Paris, Amyot, 1863, pp. 1547-1549.


Le traité de quadruple alliance (20 novembre 1815)

Le traité est signé par des ministres plénipotentiaires : pour l’Autriche, Metternich et Wessenberg ; pour la Grande-Bretagne, Wellington et Castlereagh ; pour la Prusse, Hardenberg et Humboldt ; pour la Russie, Rasoumoffsky et Capo d’Istria.

Au nom de la très-sainte et indivisible Trinité.

Le but de l’alliance conclue à Vienne le 25 mars 1815, ayant été heureusement atteint par le rétablissement en France de l’ordre des choses que le dernier attentat de Napoléon Buonaparte avait momentanément subverti, LL. MM. l’empereur d’Autriche, le roi du royaume-uni de la Grande-Bretagne et d’Irlande, le roi de Prusse et l’empereur de toutes les Russies, considérant que le repos de l’Europe est essentiellement lié à l’affermissement de cet ordre de choses, fondé sur le maintien de l’autorité royale et de la charte constitutionnelle, et voulant employer tous leurs moyens pour que la tranquillité générale, objet des vœux de l’humanité et but constant de leurs efforts, ne soit pas troublée de nouveau ; désirant, en outre, resserrer les liens qui les unissent pour l’intérêt commun de leurs peuples, ont résolu de donner aux principes consacrés par les Traités de Chaumont du 1er mars 1814, et de Vienne du 25 mars 1815, l’application la plus analogue à l’état actuel des affaires, et de fixer d’avance, par un Traité solennel, les principes qu’elles se proposent de suivre pour garantir l’Europe des dangers qui pourraient encore la menacer.

À cette fin, les Hautes Parties Contractantes ont nommé, pour discuter, arrêter et signer les conditions de ce Traité, savoir : S. M. l’empereur d’Autriche, le prince de Metternich et le baron de Wessenberg ; S. M. le roi du royaume-uni de la Grande-Bretagne et d’Irlande, le duc de Wellington et milord Castlereagh ; S. M. le roi de Prusse, le prince de Hardenberg et le baron de Humboldt ; et S. M. l’empereur de toutes les Russies, le prince Rasoumoffsky et le comte de Capo d’Istria ;

Lesquels, après avoir échangé leurs pleins pouvoirs, trouvés en bonne et due forme, se sont réunis sur les articles suivants :

Art. I. — Les Hautes Parties Contractantes se promettent réciproquement de maintenir dans sa force et vigueur le Traité signé aujourd’hui avec S. M. Très-Chrétienne, et de veiller à ce que les stipulations de ce Traité, ainsi que celles des conventions particulières qui s’y rapportent, soient strictement et fidèlement exécutées dans toute leur étendue.

Art. II. — S’étant engagés dans la guerre qui vient de finir, pour maintenir inviolables les arrangements arrêtés à Paris l’année dernière pour la sûreté et l’intérêt de l’Europe, les Hautes Parties Contractantes ont jugé convenable de renouveler, par le présent acte, et de confirmer comme mutuellement obligatoires lesdits arrangements, sauf les modifications que le Traité signé aujourd’hui avec les Plénipotentiaires de S. M. Très-Chrétienne y a apportées, et particulièrement ceux pour lesquels Napoléon Buonaparte et sa famille, en suite du Traité du 11 avril 1814, ont été exclus à perpétuité du pouvoir suprême en France, laquelle exclusion les Puissances contractantes s’engagent, par le présent acte, à maintenir en pleine vigueur, et, s’il était nécessaire, avec toutes leurs forces.

Et, comme les mêmes principes révolutionnaires, qui ont soutenu la dernière usurpation criminelle, pourraient encore, sous d’autres formes, déchirer la France et menacer ainsi le repos des autres États, les Hautes Parties Contractantes, reconnaissant solennellement le devoir de redoubler leurs soins pour veiller, dans des circonstances pareilles, à la tranquillité et aux intérêts de leurs peuples, s’engagent, dans le cas qu’un aussi malheureux événement vînt à éclater de nouveau, à concerter entre elles, et avec S. M, Très-Chrétienne, les mesures qu’elles jugeront nécessaires pour la sûreté de leurs États respectifs et pour la tranquillité générale de l’Europe.

Art. III. — En convenant avec S. M. Très-Chrétienne de faire occuper pendant un certain nombre d’années, par un corps de troupes alliées, une ligne de positions militaires en France, les Hautes Parties Contractantes ont eu en vue d’assurer, autant qu’il est en leur pouvoir, l’effet des stipulations des articles I et II du présent Traité, et, constamment disposées à adopter toute mesure salutaire propre à assurer la tranquillité en Europe par le maintien de l’ordre établi en France, elles s’engagent, dans le cas où ledit corps d’armée fût attaqué ou menacé d’une attaque de la part de la France, comme dans celui que les Puissances fussent obligées de se remettre en état de guerre contre elle, pour maintenir l’une ou l’autre des susdites stipulations, ou pour assurer et soutenir les grands intérêts auxquels elles se rapportent, à fournir sans délai, d’après les stipulations du Traité de Chaumont, et notamment d’après les articles VII et VIII de ce Traité, en sus des forces qu’elles laissent en France, chacune son plein contingent de soixante mille hommes, ou telle partie de ce contingent que l’on voudra mettre en activité, selon l’exigence du cas.

Art. IV. — Si les forces stipulées par l’article précédent se trouvaient malheureusement insuffisantes, les Hautes Parties Contractantes se concerteront sans perte de temps sur le nombre additionnel de troupes que chacune fournira pour le soutien de la cause commune, et elles s’engagent à employer, en cas de besoin, la totalité de leurs forces pour conduire la guerre à une issue prompte et heureuse, se réservant d’arrêter entre elles, relativement à la paix qu’elles signeraient d’un commun accord, des arrangements propres à offrir à l’Europe une garantie suffisante contre le retour d’une calamité semblable.

Art. V. — Les Hautes Parties Contractantes, s’étant réunies sur les dispositions consignées dans les articles précédents, pour assurer l’effet de leurs engagements pendant la durée de l’occupation temporaire, déclarent en outre que, après l’expiration même de cette mesure, lesdits engagements n’en resteront pas moins dans toute leur force et vigueur à l’exécution de celles qui sont reconnues nécessaires au maintien des stipulations contenues dans les articles I et II du présent acte.

Art. VI. — Pour assurer et faciliter l’exécution du présent Traité, et consolider les rapports intimes qui unissent aujourd’hui les quatre souverains pour le bonheur du monde, les Hautes Parties Contractantes sont convenues de renouveler, à des époques déterminées, soit sous les auspices immédiats des souverains, soit par leurs ministres respectifs, des réunions consacrées aux grands intérêts communs et à l’examen de mesures qui, dans chacune de ces époques, seront jugées les plus salutaires pour le repos et la prospérité des peuples, et pour le maintien de la paix de l’Europe.

Art. VII. — Le présent Traité sera ratifié, et les ratifications en seront échangées dans deux mois, ou plus tôt si faire se peut.

En foi de quoi, les Plénipotentiaires respectifs l’ont signé et y ont apposé le cachet de leurs armes.

Fait à Paris, le 30 novembre de l’an de grâce 1815.

Les instruments de ce Traité, dressés séparément ont été signés :

De la part de la Grande-Bretagne : Castlereagh, Wellington.
De la part de l’Autriche : Metternich, Wessenberg.
De la part de la Prusse : Hardenberg, Humboldt.
De la part de la Russie : Rasoumoffski, Capo d’Istria.

« Traité d’alliance entre les Cours d’Autriche, de la Grande-Bretagne, de la Prusse et de la Russie, signé à Paris le 20 novembre 1815 » in Le Congrès de Vienne et les traités de 1815, précédé et suivi des actes diplomatiques qui s’y rattachent, avec une introduction historique par M. Capefigue, 2e partie, Paris, Amyot, 1863, pp. 1636-1638.

INTERNET ARCHIVE


Le manifeste d’Alexandre (25 décembre 1815)

À la différence de la quadruple alliance du 20 novembre 1815, la Sainte-Alliance est ouverte à tous les États chrétiens, comme l’indique l’article III du traité. Dans son manifeste du 25 décembre 1815, jour de la publication du traité, l’empereur Alexandre Ier de Russie invite les autres puissances à rejoindre l’alliance.

NOUVELLES ÉTRANGÈRES

RUSSIE

Pétersbourg, 12 janvier.

Voici le manifeste qui a été publié le jour de Noël, en même temps que la convention conclue à Paris le 26 septembre 1815, entre S. M. I. et LL. MM. l’Empereur d’Autriche et le Roi de Prusse :

« Nous, ALEXANDRE Ier, empereur et autocrate de toutes les Russies, etc. ; savoir faisons :

« Ayant reconnu par l’expérience, et par des suites funestes pour le monde entier, qu’antérieurement les relations politiques entre les différentes puissances de l’Europe, n’ont pas eu pour bases les véritables principes sur lesquels la sagesse divine a, dans la révélation, fondé la tranquillité et le bien-être des peuples, nous avons, conjointement avec LL. MM. l’Empereur d’Autriche François Ier, et le Roi de Prusse Frédéric-Guillaume, formé entre nous une alliance à laquelle les autres puissances sont aussi invitées d’accéder. Par cette alliance, nous nous engageons mutuellement à adopter dans nos relations, soit entre nous, soit pour nos sujets, comme le seul moyen propre à la consolider, le principe puisé dans la parole et la doctrine de notre sauveur J. C., qui a enseigné aux hommes qu’ils devaient vivre comme frères, non dans des dispositions d’inimitié et de vengeance, mais dans un esprit de paix et de charité. Nous prions le Très Haut d’accorder à nos vœux sa bénédiction. Puisse cette alliance sacrée entre toutes les puissances s’affermir pour leur bien-être général, et qu’aucune de celles qui sont unies avec toutes les autres n’ait la témérité de s’en détacher !

« En conséquence nous joignons ici une copie de cette alliance, et nous ordonnons qu’elle soit publiée dans tous nos États, et lue dans les églises.

Pétersbourg, le jour de la naissance de notre Sauveur, le 25 décembre 1815.

Alexandre.

(Voyez pour ce traité le Journal des Débats du 5 février.)

« Nouvelles étrangères. Russie », Journal des débats politiques et littéraires, 7 février 1816.

GALLICA – BIBLIOTHÈQUE NATIONALE DE FRANCE


Les actes d’accession à la Sainte-Alliance (1815-1817)

La Sainte-Alliance reçoit l’adhésion de la quasi-totalité des États européens : le roi de Suède et de Norvège (21 mai 1816), le roi d’Espagne (31 mai 1816), le roi de Sardaigne (8 juin 1816), le roi des Deux Siciles (19 juin 1816), le roi des Pays-Bas (21 juin 1816), le roi de Danemark (12 juillet 1816), le roi de Saxe (26 juillet 1816), le roi de Bavière (8 août 1816), le roi de Wurtemberg (18 août 1816), le roi de Portugal (26 octobre 1816), la Confédération suisse (27 janvier 1817), un très grand nombre de princes allemands, les villes libres de Francfort, Hambourg, Lübeck et Brême, etc. Seuls s’abstiennent le Royaume-Uni — parce que le traité n’est pas jugé conforme à sa constitution —, le Saint-Siège — parce que la Sainte-Alliance est interconfessionnelle — et l’Empire ottoman — dont le sultan est musulman. S’abstiennent également les États-Unis parce qu’ils sont différents des Européens comme l’indique le président Monroe dans sa doctrine du 2 décembre 1823. On trouvera ci-dessous les actes d’accession de Louis XVIII, de la Confédération suisse et du roi Jean VI de Portugal.


L’acte d’accession de Louis XVIII à la Sainte-Alliance

Accession de la France à la Sainte-Alliance (19 novembre 1815)

S. M. [Sa Majesté] l’empereur de toutes les Russies m’ayant invité, en vertu de l’article III du Traité ci-dessus signé à Paris le 26/14 septembre de l’année courante entre lui et LL. MM. [Leurs Majestés] l’empereur d’Autriche et le roi de Prusse, d’accéder à cet acte, je déclare solennellement par la présente que j’avoue les principes sacrés qui l’ont dicté et que je m’engage à les suivre, reconnaissant combien il est important au bonheur des nations que ces vérités exercent désormais sur les destinées humaines toute l’influence qui leur appartient.

Fait à Paris le 19 novembre de l’an de grâce 1815.

(L. S.) Signé : Louis.

« Accession de la France à la Sainte-Alliance (19 novembre 1815) » in Le Congrès de Vienne et les traités de 1815, précédé et suivi des actes diplomatiques qui s’y rattachent, avec une introduction historique par M. Capefigue, 2e partie, Paris, Amyot, 1863, p. 1549.

INTERNET ARCHIVE


L’acte d’accession de la Confédération suisse à la Sainte-Alliance

XXIX.

ACTE D’ADHÉSION DE LA CONFÉDÉRATION SUISSE AUX PRINCIPES DE L’ALLIANCE FRATERNELLE ET CHRÉTIENNE CI-DESSUS

(Du 27 Janvier 1817.)

DÉCLARATION.

La Confédération Suisse, invitée par Sa Majesté l’Empereur de toutes les Russies à accéder au Traité d’alliance fraternelle et chrétienne conclu à Paris le 26/14 Septembre 1815, entre Sa Majesté Impériale, et Leurs Majestés l’Empereur d’Autriche et le Roi de Prusse, rend hommage à l’esprit religieux et moral de ce Traité, qui tend éminemment à assurer la paix et la félicité des Peuples. Les Suisses fidèles aux maximes de leurs pères ont autant de respect pour les droits des autres États, autant à cœur de conserver avec tous, les relations les plus affectueuses, qu’ils mettent eux-mêmes de prix à jouir tranquillement de la liberté, de l’indépendance et de cette neutralité précieuse, qui leur a été assurée de nouveau par les dernières Transactions européennes. La Confédération, trouvant une nouvelle garantie de ces biens inestimables dans l’alliance des augustes Cours dont Sa Majesté l’Empereur de Russie lui a fait connaissance, déclare, qu’elle avoue et reconnaît les principes de la dite alliance comme les plus salutaires et les plus nécessaires au bonheur des Nations, et qu’elle les observera de son côté fidèlement, selon l’esprit véritable de la Religion Chrétienne, qui prescrit aux Gouvernemens comme aux individus, la justice, la concorde et l’affection mutuelles.

En foi de quoi, Nous les Avoyers et Conseils de la Ville et République de Berne, Directoire actuel de la Confédération, d’après l’assentiment constitutionnel des États de la Suisse, avons fait signer et sceller les présentes, à Berne le vingt-septième de janvier de l’an de grâce mille huit cent et dix-sept.

Les Avoyers et Conseils de la Ville et République de Berne, Directoire de la Confédération Suisse, et en leur nom
l’Avoyer en charge :
(L. S.) R. de Watteville.
Le Chancelier de la Confédération,
Mousson.

Note. La même invitation, d’accéder au Traité d’alliance fraternelle et chrétienne, conclu le 26/14 Septembre 1815, ayant été adressée à la Confédération Suisse de la part de Leurs Majestés l’Empereur d’Autriche et le Roi de Prusse (30 Janvier et 1er Février 1817) la même déclaration (sauf les changemens convenables dans les préambules) fut remise aux Ministres de leur Majestés, le 3 Mars 1817.

« Acte d’adhésion de la Confédération suisse aux principes de l’alliance fraternelle et chrétienne » in Offizielle Sammlung der das Schweizerische Staatsrecht betreffenden Aktenstücke, der in Kraft bestehenden Eidgenössischen Beschlüsse, Verordnungen und Concordate, und der zwischen der Eidgenossenschaft und den benachbarten Staaten abgeschlossenen besondern Verträge, Zürich, Orell, Füssli und Compagnie, 1820, pp. 213-214.

BAYERISCHE STAATSBIBLIOTHEK


L’acte d’accession de Jean VI à la Sainte-Alliance

Dans le Recueil des traités et conventions conclus par la Russie avec les puissances étrangères de F. de Martens (t. VII, 1885), l’acte d’accession du roi de Portugal est daté du 26 octobre 1816.

1817. Acte d’accession du roi Jean VI au traité de la Sainte-Alliance signé à Paris le 14 septembre 1815, entre François, empereur d’Autriche , Frédéric-Guillaume, roi de Prusse, et Alexandre Ier, empereur de Russie ; donné à Rio de Janeiro le 3 décembre 1817.

(Archives de la secrétairerie d’État des affaires étrangères de Portugal. Copie

[…]

Reconnaissance des principes contenus dans l’acte qui précède. Ayant été invité par Sa Majesté l’empereur de toutes les Russies à l’accession du traité transcrit ci-dessus, et signé à Paris le 14/26 septembre 1815 entre lui et Leurs Majestés l’empereur d’Autriche et le roi de Prusse ; et reconnaissant les principes sacrés que cet acte contient, ainsi que l’heureuse influence qu’ils doivent exercer sur le bonheur des nations, je m’engage solennellement à les suivre , et j’accède par la présente au susdit traité.

Fait à Rio de Janeiro, le 3 décembre 1817.

(L. S.) Jean R.

« Acte d’accession du roi Jean VI au traité de la Sainte-Alliance… » in Charles Calvo, Recueil complet des traités, conventions, capitulations, armistices et autres actes diplomatiques de tous les États de l’Amérique latine compris entre le golfe du Mexique et le cap de Horn, depuis l’année 1493 jusqu’à nos jours, précédé d’un mémoire sur l’état actuel de l’Amérique, de tableaux statistiques, d’un dictionnaire diplomatique, avec une notice historique sur chaque traité important, tome VIe, 1862, pp. 136-141.

INTERNET ARCHIVE


La doctrine Monroe (2 décembre 1823)

James Monroe, cinquième président des États-Unis (1817-1825), s’exprime devant les deux chambres du Congrès le 2 décembre 1823. La fin du discours, seule reproduite ici, porte sur les relations entre les États-Unis, les Amériques et l’Europe (doctrine Monroe).

La lutte héroïque des Grecs a fait depuis long-temps concevoir la vive espérance que le succès couronnerait leurs efforts, et qu’ils se replaceraient au rang des nations de la terre. On aime à croire que le monde civilisé porte le plus vif intérêt à leur cause. Quoique aucune puissance ne se soit déclarée en leur faveur, cependant aucune, d’après nos renseignemens, n’a pris parti contre eux. Leur cause et leur nom les ont protégés contre des dangers sous lesquels toute autre nation aurait déjà succombé. Les Grecs semblent tout-à-fait étrangers aux calculs ordinaires d’intérêt et d’agrandissement, calculs qui se mêlent si souvent dans les actions des peuples. D’après les faits qui sont venus à notre connaissance, il y a de bons motifs pour croire que leur ennemi a perdu à jamais tout empire sur leur pays ; la Grèce redeviendra une nation indépendante puisse-t-elle parvenir à ce noble but ! C’est l’objet de nos vœux les plus ardens.

Il avait été dit, au commencement de là dernière session, que l’Espagne et le Portugal faisaient de grands efforts pour améliorer le sort du peuple, et que cette noble tâche paraissait conduite avec une modération extraordinaire, il est à peu près superflu de remarquer que le résultat a été fort différent de celui qu’on espérait alors. Nous avons toujours suivi avec curiosité et avec intérêt les événemens qui ont eu lieu dans cette partie du globe avec laquelle nous avons tant de relations, à laquelle nous devons notre origine. Les citoyens des États-Unis sont animés des sentimens les plus tendres pour la liberté et le bonheur de leurs frères de l’autre côté de l’Atlantique. Nous ne nous sommes jamais mêlés dans les guerres qu’ont entreprises les puissances européennes pour des débats particuliers ; telle est notre politique. Ce n’est que lorsqu’on attaque, ou qu’on menace sérieusement nos droits, que nous nous regardons comme offensés on que nous nous préparons à nous défendre.

Nous avons des rapports plus immédiats avec les mouvemens de cet hémisphère ; le motif en est bien clair pour tout observateur impartial et éclairé. Le système politique des puissances alliées est essentiellement différent à cet égard du système politique de l’Amérique. Cette différence vient de celle qui existe entre leurs gouvernemens respectifs et notre gouvernement, ce gouvernement conquis au prix de tant de sang et de tant d’or, mûri par la sagesse de nos citoyens les plus éclairés, et sous lequel nous avons joui d’une félicité sans exemple ; toute notre nation est dévouée à sa défense.

Nous devons cependant à notre bonne foi et aux relations amicales qui existent entre les puissances alliées et les États-Unis, de déclarer que nous considérerions toute tentative de leur part d’étendre leur système à quelque partie de cet hémisphère comme dangereuse pour notre tranquillité et notre sûreté. Quant aux colonies existantes ou aux dépendances des puissances européennes, nous ne sommes pas intervenus et nous n’interviendrons pas dans leurs affaires. Mais, quant aux gouvernemens qui ont déclaré leur indépendance, qui l’ont maintenue, et dont nous avons reconnu l’indépendance d’après de graves réflexions et des principes de justice, nous ne pourrions voir l’intervention d’un pouvoir européen quelconque dans le but de les opprimer ou de contrarier en aucune manière leur destinée, que comme la manifestation d’une disposition ennemie (unfriendly) envers les États-Unis. Dans la guerre entre ces nouveaux gouvernemens et l’Espagne, nous avons déclaré notre neutralité à l’époque de leur reconnaissance, et nous y sommes restés fidèles, pourvu qu’il n’y ait pas de changement qui, du jugement des autorités compétentes de notre gouvernement, nécessite aussi de notre part un changement indispensable à notre sécurité.

Les derniers événemens en Espagne et en Portugal prouvent que l’Europe n’est pas encore bien tranquille. La preuve la plus positive de ce fait important, c’est que les puissances alliées ont jugé convenable, d’après des principes qu’elles ont adoptés, d’intervenir par la force dans les troubles de l’Espagne. Jusqu’où peut s’étendre une telle intervention, d’après le même principe ? C’est là une question à laquelle sont intéressés tous les pouvoirs indépendans dont les gouvernemens diffèrent des leurs, et aucun n’y est plus intéressé que les États-Unis. La politique que nous avons adoptée à l’égard de l’Europe, dans le commencement même des guerres qui ont long-temps agité cette partie du globe, est toujours restée la même, elle consiste à ne jamais nous interposer dans des affaires intérieures d’aucune des puissances de cette partie de la terre ; à considérer le gouvernement de fait comme gouvernement légitime relativement à nous ; à établir avec ce gouvernement des relations amicales, et à les conserver par, une politique franche, ferme et courageuse, en admettant sans distinction les justes réclamations de toutes les puissances et en ne souffrant les injures d’aucune. Mais lorsqu’il s’agit de nos continens, les choses changent tout-à-fait de face ; car si les puissances alliées voulaient faire prévaloir leur système politique dans l’un on l’autre de ces continens elles ne le pourraient sans qu’il y eut danger pour notre bonheur et pour notre tranquillité, et pas une d’elles ne peut croire que nos frères du Sud l’adopteraient de leur propre gré si ou les abandonnait à eux-mêmes. Il nous serait également impossible de rester spectateurs indifférens de cette intervention sous quelque forme qu’elle eut lieu. A présent si nous considérons la force et les ressources de l’Espagne et des nouveaux gouvernemens de l’Amérique, ainsi que la distance qui les sépare, il est évident que l’Espagne ne pourra jamais parvenir à les soumettre. La véritable politique des États-Unis est toujours de laisser à elles-mêmes les parties contendantes, dans l’espoir que les autres puissances suivront le même système.

Si nous comparons l’état présent de notre union avec celui où elle se trouvait à l’époque à laquelle a fini notre révolution, nous ne trouvons point ailleurs dans l’histoire du monde ce qu’on voit chez nous. Cette continuité de perfectionnement dans les institutions qui contribuent le plus au bonheur d’un peuple. À la première époque notre population n’excédait pas trois millions ; le dernier recensement la fait monter à dix : et ce qui est plus extraordinaire c’est qu’elle se compose presque tout entière de natifs, les émigrés venus d’autres pays sont en petit nombre. À cette première époque la moitié de notre pays était inhabitée et déserte, depuis lors nous avons acquis un nouveau territoire d’une grande étendue contenant plusieurs rivières, et particulièrement le Mississipi, dont la navigation vers l’Océan était de la plus haute importance pour les États primitifs. Notre population s’est étendue sur ce territoire dans toutes les directions, et de nouveaux États se sont établis presque égaux en nombre à ceux qui originairement composaient l’Union. Cette extension de notre population, et l’accession de nouveaux États à notre Union ont eu les résultats les plus heureux pour tout ce qui nous intéresse le plus. Il est impossible de ne pas voir que ces deux circonstances ont beaucoup augmente nos ressources, et qu’elles ont ajouté à notre force et à notre importance mais ces avantages ne sont pas les seuls ; il est encore évident qu’en élargissant la base de notre système et en augmentant le nombre des États, le système lui-même a acquis une grande force dans ses deux branches, et rendu impraticable ou la dés-Union des États ou la dissolution du parte fédéral. Chacun des gouvernemens composant l’Union, se fiant dans ses propres forces a moins à craindre des autres, et comme il jouit d’une grande liberté d’action, il a plus de facilité pour arriver au but pour lequel il a été institué. Il est inutile de parler ici de la grande amélioration qu’a éprouvée le système lui-même, par l’adoption de cette constitution et de l’heureux avantage qu’il a en d’élever le caractère et de protéger les droits de la nation aussi bien que ceux des individus. Et quoi devons-nous ces heureux effets ? Il est clair que nous les devons à la supériorité de nos institutions ; il est donc dans notre intérêt de bien prendre nos mesures pour nous les conserver.

Washington, 2 décembre 1823.

JAMES MONROE.

« Message adressé par le président des États-Unis aux deux chambres du Congrès, le 2 décembre 1823 » in Charles-Louis Lesur, Annuaire historique universel pour 1823, Paris, A. Desplaces et Cie, 1824, pp. 761-764.

GALLICA – BIBLIOTHÈQUE NATIONALE DE FRANCE


Les deux alliances dans Histoire de la Restauration de Viel-Castel (1861)

Louis de Viel-Castel (1861) attribue le pacte de la Sainte-Alliance à l’influence de madame de Krüdner — Julie de Krüdener (1764-1824) — comme il est courant de le faire au XIXe siècle. Dans un livre publié en 2008 — Réinventer la tradition, Alexandre Stourdza et l’Europe de la Sainte-Alliance, prix Guizot de l’Académie française 2009 —, l’historienne Stella Ghervas montre que le texte est l’œuvre d’Alexandre lui-même et de son conseiller, Alexandre Stourdza (1791-1854). Viel-Castel distingue clairement la Sainte-Alliance et la quadruple alliance. Il néglige peut-être la portée de la première : condamnation de la guerre, coopération pacifique de tous les États chrétiens sans distinction de confession. Dans sa typologie des plans de paix — Cinq types de paix. Une histoire des plans de pacification perpétuelle (XVIIe-XXe siècles), 2011 —, Bruno Arcidiacono voit dans la première l’ébauche d’une « paix confédérative » ou « paix de droit international » et présente la seconde comme une « paix oligarchique » ou « paix de directoire ».

Chapitre XX : « Traité de la Sainte-Alliance »

Toutes choses étant réglées, sauf les arrangements de détail qui exigeaient encore un peu de temps, les souverains alliés quittèrent Paris dans les derniers jours de septembre [1815] et au commencement d’octobre. Leur départ avait été précédé de la signature du fameux traité de la Sainte-Alliance qui est resté si célèbre et auquel on a constamment attaché une importance très-exagérée, parce qu’on l’a confondu avec l’ensemble des conventions sur lesquelles reposait la coalition formée contre Napoléon et l’esprit révolutionnaire. En réalité, ce traité qui, contrairement à l’usage, fut signé, non pas par les ministres, mais par les souverains de la Russie, de l’Autriche et de la Prusse, n’était autre chose qu’une vague et insignifiante déclaration de principes, sans aucune stipulation précise, et dont la rédaction portait l’empreinte d’un mysticisme bizarre. Il était intitulé, suivant l’antique formule, au nom de la très-sainte et indivisible Trinité. L’empereur d’Autriche, le roi de Prusse et l’empereur de Russie, y était-il dit, par suite des grands événements qui avaient signalé le cours des trois dernières années et des bienfaits que la divine Providence avait répandus sur les États dont les gouvernements avaient placé leur confiance en elle seule, s’étant convaincus de la nécessité d’établir les rapports mutuels des puissances sur les vérités sublimes enseignées par l’éternelle religion du Dieu sauveur, manifestaient à la face de l’univers leur détermination inébranlable de prendre pour seule règle de leur conduite, soit dans l’administration de leurs États, soit dans leurs relations avec tout autre gouvernement, les préceptes de cette religion sainte, préceptes de justice de charité et de paix, qui, loin d’être uniquement applicables à la vie privée, doivent influer directement sur les résolutions des princes et guider toutes leurs démarches. En conséquence, ils étaient convenus des dispositions suivantes : Conformément aux paroles des saintes écritures qui ordonnent à tous les hommes de se regarder comme frères, les trois monarques s’engageaient à demeurer unis par les liens d’une fraternité indissoluble ; se considérant comme compatriotes, ils se prêteraient en toute occasion et en tous lieux assistance, aide et secours ; se regardant envers leurs sujets et leurs armées comme des pères de famille, ils les dirigeraient dans le même esprit de fraternité pour protéger la religion, la paix et la justice ; le seul principe en vigueur entre ces gouvernements et leurs sujets serait donc de se rendre réciproquement service, de se témoigner par une bienveillance inaltérable leur affection mutuelle, de se considérer comme membres d’une même nation chrétienne, les trois princes ne se regardant eux-mêmes que comme les délégués de la Providence pour gouverner trois branches d’une même famille ; confessant ainsi que la nation chrétienne n’a d’autre souverain que celui à qui seul appartient en propriété la puissance, parce qu’en lui seul se trouvent tous les trésors de l’amour, de la science et de la sagesse infinie, c’est-à-dire Dieu notre divin sauveur Jésus-Christ, le verbe du Très-Haut, la parole de vie ; ils recommandaient à leurs peuples avec la plus tendre sollicitude, comme unique moyen de jouir de cette pure félicité qui vient de la bonne conscience et qui seule est durable, de se fortifier chaque jour davantage dans les principes et l’exercice des devoirs que le divin Sauveur a enseignés aux hommes ; ils annonçaient enfin que toutes les puissances qui voudraient solennellement avouer ces principes sacrés seraient reçues avec autant d’empressement que d’affection dans la Sainte-Alliance.

Cet acte étrange était l’œuvre personnelle de l’empereur de Russie, et l’intérêt qui s’y attache tient précisément à ce qu’il révèle l’état moral où se trouvait alors le prince qui exerçait l’influence la plus puissante sur les destinées de l’Europe. Un grand changement s’était opéré dans l’âme d’Alexandre. Les étonnants succès qui, depuis trois ans, avaient couronné sa politique, l’avaient tourné vers les idées religieuses. De l’admiration que Napoléon lui avait jadis inspirée, il lui était resté l’étonnement d’avoir pu triompher d’un homme à qui il se sentait si inférieur par le génie et les talents, et quoique des causes purement humaines fussent certainement suffisantes pour expliquer ce résultat, son imagination enthousiaste aimait à y voir l’intervention immédiate et surnaturelle de la Divinité ; peut-être aussi se complaisait-il, poussé par un secret orgueil qu’il prenait pour de l’humilité, à se considérer lui-même comme l’instrument spécialement choisi par la Providence. Enclin par son organisation à la mélancolie, le spectacle des grandes catastrophes qui venaient de s’accomplir sous ses yeux et auxquelles il avait eu tant de part, loin de lui inspirer celte ivresse, cette confiance sans bornes ordinaires aux conquérants, le disposait à craindre les retours de fortune et à chercher contre eux un préservatif, un abri dans la religion. Avec un esprit plus ferme et plus droit, cette disposition serait devenue le germe d’une piété éclairée qui l’eût maintenu constamment dans les voies de la modération et de la justice. L’exaltation maladive qui se mêlait à tous ses sentiments le poussa vers un dangereux mysticisme qui devait, pendant le reste de sa vie, le jeter successivement dans les voies les plus diverses et parfois les plus hasardées. Une femme de beaucoup d’esprit, en qui l’ardeur religieuse avait succédé, avec l’âge, aux entraînements romanesques de la jeunesse et qui, dans cette nouvelle phase de son existence, conservait le besoin de l’agitation et du bruit, madame de Krüdner, exerçait depuis quelques mois sur la raison de l’Empereur un empire qu’on a peine à comprendre. Lorsque les biographes d’Alexandre voudront retracer les détails des rêveries superstitieuses, des visions, des momeries incroyables auxquelles elle l’entraînait, ils auront beaucoup à faire pour concilier la gravité et la dignité de l’histoire avec les exigences d’un récit sincère. C’est avec madame de Krüdner qu’il avait conçu la pensée de la Sainte- Alliance. Il ne donna pas une des moindres preuves de sa toute-puissance en décidant les autres souverains à souscrire un semblable traité. Le roi de Prusse lui était trop absolument dévoué pour qu’il pût craindre de sa part la moindre hésitation, mais il n’en était pas de même du souverain de l’Autriche, fort peu porté personnellement aux écarts d’imagination, aux élans du mysticisme, et dont le ministre n’y inclinait pas davantage. Alexandre, avant d’entretenir de son projet l’empereur François, lui avait demandé de ne parler à personne de ce qu’il allait lui dire. Le monarque autrichien, avec cette bonhomie apparente qui cachait en lui une certaine finesse, répondit que cela regardait nécessairement ou sa conscience ou sa politique, et que, dans le premier cas, il était obligé de consulter son confesseur, dans l’autre, son ministre. Alexandre se vit donc obligé de consentir à ce que M. de Metternich, dont il se défiait, fût mis dans le secret, et ce dernier ne pensa pas devoir détourner son maître d’accorder à l’autocrate une satisfaction à laquelle il attachait tant de prix, bien qu’il dût en rejaillir un peu de ridicule sur ceux qui s’y prêtaient comme sur celui qui la sollicitait. Le cabinet de Londres n’eut pas et il ne pouvait pas avoir la même complaisance : la forme du gouvernement anglais n’aurait pas permis au prince régent de prendre part à un traité signé par les souverains sans l’intervention de leurs ministres, et lors même qu’on n’aurait pas été arrêté par cette insurmontable objection, la prudence n’eût guère permis d’exposer aux débats du Parlement une pièce si difficile à justifier aux yeux du bon sens. Le régime constitutionnel n’avait pas encore jeté en France des racines assez profondes pour qu’on eût à craindre de semblables inconvénients en déférant au vœu de l’empereur de Russie ; Louis XVIII avait d’ailleurs un puissant intérêt à lui complaire ; il donna donc son adhésion au traité. Les rois de Sardaigne, des Pays-Bas, de Suède et d’autres souverains du second ordre y adhérèrent également, et cet acte étrange fut ensuite publié trois mois après sa signature. Il produisit une surprise d’autant plus vive que les esprits eurent beaucoup de peine à se persuader que son texte mystique et déclamatoire ne cachait pas quelque projet sérieux, quelque arrière-pensée d’ambition.

Louis de Viel-Castel, Histoire de la Restauration, t. IVe, Paris, Michel Lévy frères, 1861, pp. 112-117.


Chapitre XXI : « Traités et conventions du 20 novembre »

Le jour même où fut signé le traité qui rétablissait la paix entre la France et l’Europe, le 20 novembre, un autre traité non moins fameux avait été conclu entre les représentants des quatre grandes puissances qui s’étaient attribué le droit de représenter la coalition européenne dans ses rapports avec le gouvernement français. Par cet acte qui confirmait les stipulations du traité de Chaumont et de celui de Vienne du 25 mars précédent, les alliés, considérant que le repos de l’Europe était essentiellement lié à raffermissement de l’ordre de choses fondé en France sur le maintien de l’autorité royale et de la Charte constitutionnelle, s’engageaient à employer, s’il le fallait, toutes leurs forces pour assurer ce maintien et l’exclusion à perpétuité de Napoléon Bonaparte et de sa famille du pouvoir suprême. Afin de faciliter l’exécution de cet engagement et de consolider les rapports intimes qui unissaient les quatre souverains, ils convenaient de renouveler, à des époques déterminées, soit sous les auspices immédiats de ces souverains, soit par leurs ministres, des réunions consacrées aux grands intérêts communs et à l’examen des mesures qui, à chacune de ces époques, seraient jugées les plus nécessaires pour le repos et la prospérité des peuples et le maintien de la paix en Europe.

La France n’intervint pas dans ce traité, base véritable de la grande alliance anti-révolutionnaire, et que le public a souvent confondu avec celui de la Sainte-Alliance ; mais les ministres des quatre cours en donnèrent communication à M. de Richelieu par une note officielle dont les termes méritent d’être rappelés, parce qu’ils font connaître quelles étaient les vues et les intentions des cabinets alliés par rapport à la France. Les inquiétudes qu’elle leur inspirait alors provenaient moins du mauvais vouloir et des machinations des bonapartistes et des révolutionnaires, en ce moment tout à fait abattus, que des imprudentes exagérations du parti royaliste. Ils craignaient qu’en poussant à bout la patience de la nation, elles n’eussent pour effet de provoquer de nouveaux troubles. L’affermissement du régime constitutionnel, qui donnait des garanties à tous les intérêts, était considéré, par les gouvernements absolus eux-mêmes, comme la condition essentielle de la tranquillité de la France et de la paix européenne, et ils pensaient que le gouvernement du Roi ne pourrait s’affermir qu’en persistant dans un système de prudents ménagements. Telles étaient les convictions des puissances coalisées, et elles inspirèrent la note que les ministres des quatre cours remirent au duc de Richelieu en lui communiquant le traité. « Sa Majesté Très-Chrétienne, y disaient-ils, reconnaîtra dans cet acte la sollicitude avec laquelle les cabinets alliés ont concerté les mesures les plus propres à éloigner tout ce qui pourrait compromettre à l’avenir le repos intérieur de la France et préparé des remèdes contre les dangers dont l’autorité royale, fondement de l’ordre public, pourrait encore être menacée…. Les cabinets alliés trouvent la première garantie dans les principes éclairés, les sentiments magnanimes et les vertus personnelles de Sa Majesté Très-Chrétienne. Sa Majesté a reconnu avec eux que, dans un état déchiré pendant un quart de siècle par des convulsions révolutionnaires, ce n’est pas à la force seule à ramener le calme dans les esprits, la confiance dans les âmes, l’équilibre dans le corps social, que la sagesse doit se joindre à la vigueur, la modération à la fermeté, pour opérer ces changements heureux. Loin de craindre que Sa Majesté Très-Chrétienne prêtât jamais l’oreille à des conseils imprudents ou passionnés, tendant à renouveler les alarmes, à ranimer les haines et les divisions, les cabinets alliés sont complètement rassurés par les dispositions aussi sages que généreuses que le Roi a annoncées dans toutes les époques de son règne, et notamment à celle de son retour après le dernier attentat…. Ils savent que Sa Majesté opposera à tous les ennemis du bien public et de la tranquillité de son royaume, sous quelque forme qu’ils puissent se présenter, son attachement aux lois constitutionnelles promulguées sous ses auspices, sa volonté bien prononcée d’être le père de tous ses sujets, sans distinction de classe ni de religion, d’effacer jusqu’au souvenir des maux qu’ils ont soufferts et de ne conserver des temps passés que le bien que la Providence a fait sortir du sein même des calamités publiques. Ce n’est qu’ainsi que les vœux formés par les cabinets alliés pour la conservation de l’autorité constitutionnelle de Sa Majesté Très-Chrétienne, pour le bonheur de son pays et pour le maintien de la paix du monde, seront couronnés d’un succès complet, et que la France, rétablie sur ses anciennes bases, reprendra la place éminente à laquelle elle est appelée dans le système européen. »

Après la signature des traités du 20 novembre, les chefs des cabinets étrangers quittèrent enfin Paris ; mais, pour accomplir avec plus de régularité et d’efficacité le devoir de protection et, jusqu’à un certain point, de tutelle dont les circonstances avaient investi les quatre grandes cours à regard du gouvernement de Louis XVIII, leurs envoyés auprès de ce prince eurent l’ordre de se former en une conférence permanente qui se réunirait tous les huit jours au moins pour examiner l’état du pays, les mesures qu’il pouvait rendre nécessaires de la part des alliés et les conseils qu’il convenait de donner au ministère français.

Louis de Viel-Castel, Histoire de la Restauration, t. IVe, Paris, Michel Lévy frères, 1861, pp. 239-242.


Les deux alliances dans La Grande Encyclopédie (1886)

La Grande Encyclopédie de F.-Camille Dreyfus et André Berthelot est publiée en fascicules (778 livraisons) puis en volumes (31 tomes) de 1885 à 1902. L’article « Sainte-Alliance » est l’œuvre du juriste Louis Renault (1843-1918). Il suit de près l’Histoire de la Restauration de Viel-Castel comme indiqué en bibliographie. L’article dans son entier réserve le terme de « quadruple alliance » à des arrangements antérieurs ou postérieurs (1717-1718, 1834, 1840).

Sainte-Alliance. L’acte qui porte ce nom est un traité signé à Paris le 26 sept. 1815 par les empereurs d’Autriche et de Russie et le roi de Prusse. C’est l’œuvre personnelle d’Alexandre qui était alors sous l’influence de la mystique Mme de Krüdner. Rien ne ressemble moins à un document politique. Les trois souverains « déclarent solennellement que le présent acte n’a pour objet que de manifester à la face de l’univers leur détermination inébranlable de ne prendre pour règle de leur conduite, soit dans l’administration de leurs États respectifs, dans leurs relations politiques avec tout autre gouvernement, que les préceptes de cette religion sainte, préceptes de justice, de charité et de paix, qui, loin d’être uniquement applicable à la vie privée, doivent au contraire influer directement sur les résolutions des princes et guider toutes leurs démarches comme étant le seul moyen de consolider les institutions humaines et de remédier à leurs imperfections ». Puis suivent deux articles aussi vagues, par lesquels les trois monarques se promettent secours et assistance, « se regardent envers leurs sujets et armées comme pères de famille », promettent « de ne se considérer tous que comme membres d’une même nation chrétienne, les trois princes alliés ne s’envisageant eux-mêmes que comme délégués par la Providence pour gouverner trois branches d’une même famille, confessant ainsi que la nation chrétienne, dont eux et leurs peuples font partie, n’a réellement d’autre souverain que celui à qui appartient en propriété la puissance, parce qu’en lui seul se trouvent tous les trésors de l’amour, de la science et de la sagesse infinie, c.-a-d. « Dieu, notre divin Sauveur J.-C, le Verbe du Très-Haut, la parole de vie ». Enfin, il était dit dans le troisième et dernier article que toutes les puissances qui voudraient reconnaître les mêmes principes seraient reçues avec autant d’empressement que d’affection dans cette Sainte- Alliance.

Ainsi ce fameux traité n’est qu’un acte singulier, bizarrement mystique, parfaitement inoffensif du reste : on a dit avec raison que l’empereur Alexandre ne donna pas une des moindres preuves de sa toute-puissance en décidant les autres souverains à souscrire un semblable traité. « Le roi de Prusse le signa de bon cœur, l’empereur d’Autriche sans savoir pourquoi, Louis XVIII sûrement avec un sourire » (A. Rambaud). Le roi de France y donna, en effet, son adhésion le 9 nov. 1815 [19]. Un certain nombre d’autres souverains signèrent également (Sardaigne, Pays-Bas, Suède). Le régent d’Angleterre refusa de signer par ce motif que ce n’était pas un acte politique de nature à être présenté au Parlement. — Si ce traité a eu tant de retentissement, c’est qu’on lui a attribué une importance qu’il n’avait pas en lui-même et qu’on l’a confondu avec des stipulations toutes différentes qui avaient une autre portée politique. Ces stipulations avaient leur point de départ dans le traité d’alliance conclu à Chaumont le 1er mars 1814, par lequel l’Autriche, la Grande-Bretagne, la Prusse et la Russie s’engageaient, pour le cas où la France refuserait d’accéder aux conditions de la paix proposée, « à consacrer tous les moyens de leurs États respectifs à la poursuite rigoureuse de la présente guerre et a les employer dans un parfait concert, afin de se procurer à elles-mêmes et à l’Europe une paix générale, sous la protection de laquelle les droits de la liberté de toutes les nations puissent être établis et assurés ». L’engagement fut renouvelé, après le retour de Napoléon de l’île d’Elbe, par un traité signé à Vienne, le 25 mars 1815, dans le but de maintenir dans leur intégrité les conditions du traité conclu à Paris le 30 mai 1814. Talleyrand y a adhéré au nom de Louis XVIII par la note du 27 mars. En même temps qu’on signait le second traité de Paris (20 nov. 1815), qui continuait le démembrement de la France commencé par le traité du 30 mai 1814, les Alliés, c.-à-d. les quatre souverains qui avaient joué un rôle prépondérant dans la coalition de l’Europe contre la France, signaient un acte par lequel, considérant que le repos de l’Europe est essentiellement lié à l’affermissement de l’ordre de choses fondé en France sur le maintien de l’autorité royale et de la Charte constitutionnelle, ils s’engageaient à employer toutes leurs forces pour assurer le maintien et l’exclusion à perpétuité de Napoléon et de sa famille. Afin de faciliter l’exécution de cet engagement et de consolider leurs rapports intimes, ces quatre souverains conviennent de tenir, a des époques déterminées, des réunions consacrées aux grands intérêts communs et à l’examen des mesures qui, à chacune de ces époques. Seraient jugées les plus nécessaires pour le repos et la prospérité des peuples et le maintien de la paix en Europe. Le gouvernement français n’intervint pas dans ce traité qui lui fut seulement communiqué. C’est le fondement de la grande alliance antirévolutionnaire qui devait influer sur la politique de l’Europe jusqu’en 1830 et que le public a confondue avec la sainte alliance du traité du 26 sept. 1815. Au congrès d’Aix-la-Chapelle en 1818, on régla les conditions de l’évacuation du territoire français par les troupes alliées et la France fut invitée à entrer dans l’alliance (note adressée au duc de Richelieu le 4 nov. 1818 et réponse de celui-ci en date du 12). Le 15 nov., les représentants des cinq puissances constataient les résultats de leur réunion dans une déclaration solennelle d’un ton presque aussi mystique que le traité de la Sainte- Alliance. Par un protocole qui ne fut pas rendu public, les représentants de l’Angleterre, de l’Autriche, de la Prusse et de la Russie stipulèrent que les engagements résultant du traité de Chaumont et de la convention du 20 nov. 1815 seraient remis en vigueur par le seul fait qu’une révolution nouvelle viendrait à éclater en France, c.-a-d. que ces puissances emploieraient la force pour la réprimer. Cette alliance constituait donc une atteinte à l’indépendance nationale, puisqu’elle avait pour but d’imposer par la force le maintien d’un certain régime constitutionnel. Voilà pourquoi elle a été justement odieuse en France. Elle n’a pas réussi à empêcher la révolution de Juillet et les alliés se sont trouvés divisés sur le parti à prendre. Mais l’alliance contre-révolutionnaire des cinq puissances s’est tristement manifestée dans les affaires d’Italie et d’Espagne dont nous n’avons pas à parler ici (V. Intervention). Louis Renault.

Louis Renault, « Alliance. III. Histoire diplomatique », in La Grande Encyclopédie. Inventaire raisonné des sciences, des lettres et des arts par une société de savants et de gens de lettres, t. 2e, Paris, H. Lamirault et Cie, 1885-1902, pp. 372-373.

INTERNET ARCHIVE


Une carte de l’Europe en 1815 (Vast et Malleterre, 1898)

L'Europe en 1815

« L’Europe en 1815 » in Henri Vast et Gabriel Malleterre, Atlas historique. Formation des États européens, Paris, 1898, p. 37.

GALLICA – BIBLIOTHÈQUE NATIONALE DE FRANCE

La même carte dans la Bibliothèque de Sciences Po

INTERNET ARCHIVE