29 juillet 1914. — « Ah ! le cheval d’Attila est farouche encore… » : dernier discours de Jaurès

Le 29 juillet 1914, devant la menace de guerre, le Bureau socialiste international, organe permanent de la IIe Internationale, se réunit à Bruxelles, à la Maison du peuple. Membre de la délégation française, avec Vaillant, Sembat et Guesde, Jaurès quitte Paris le 28, passe la journée du 29 à la Maison du peuple et prononce dans la soirée un discours très attendu au Cirque royal. La réunion du Bureau reprend au matin du 30 et Jaurès rentre à Paris dans l’après-midi. Il est victime d’un attentat, le lendemain 31 juillet, à 21 h 15, et meurt à 21 h 40 : le discours de Bruxelles est donc son dernier discours ; celui de Vaise (Lyon), prononcé le 25 juillet, en soutien à Marius Moutet, candidat à une élection partielle (26 juillet et 9 août), est le dernier à être prononcé en France. Le texte du second est bien établi ; celui du premier est moins assuré.

Le dernier portrait de Jaurès

Le discours de Bruxelles (29 juillet 1914)

« Ah ! le cheval d’Attila est farouche encore… »

La transcription du Peuple ;

Celle de L’Indépendance belge ;

Celle de Charles Rappoport ;

La reconstitution de Jean Stengers.

 

Le discours de Vaise (25 juillet 1914)

« Chaque peuple paraît à travers les rues de l’Europe avec sa petite torche à la main… »

Le texte publié par le Comité pour la reprise des relations internationales.

Le dernier portrait de Jaurès (juin 1914)

Le dessin d’Alexandrovitch.


Le discours de Bruxelles dans Le Peuple du 30 juillet 1914

Jaurès au meeting de Bruxelles (29 juillet 1914)

Jean Jaurès. — Une ovation interminable salue l’arrivée à la tribune du grand orateur français. On crie : « Vive Jaurès ! Bravo ! Hourrah ! Vive la France ! »

Citoyens, je dirai à mes compatriotes, à mes camarades du parti en France, avec quelle émotion j’ai entendu, moi qui suis dénoncé comme un sans-patrie, avec quelle émotion j’ai entendu acclamer ici, avec le nom de la France, le souvenir de la grande Révolution. (Appl.)

Mais nous ne sommes pas ici pour nous abandonner à ces émotions, mais pour mettre en commun nos forces de raison et de sentiment pour écarter la guerre. On dirait que les diplomaties ont juré d’affoler les peuples : hier, vers 4 h, dans les couloirs de la Chambre, vint une rumeur disant que la guerre allait éclater. La rumeur était fausse, et l’on nous rassura à demi.

Et voici que tantôt, tandis que nous siégions au B.S.I., une dépêche arrive disant que l’Autriche avait promis de ne pas annexer la Serbie (rires), et que moyennant cette promesse, la Russie pourrait attendre. On négocie ; il paraît qu’on se contentera de prendre à la Serbie un peu de son sang (rires) ; nous avons donc un peu de répit pour assurer la paix. Mais à quelle épreuve soumet-on l’Europe !

Quand vingt siècles de christianisme ont passé sur les peuples, quand depuis cent ans ont triomphé les principes du droit de l’homme, est-il possible que des millions d’hommes puissent, sans savoir pourquoi, sans que les dirigeants le sachent, s’entre-tuer ?

Quand je vais dans la rue et dans les faubourgs, je me demande comment dans chaque cœur de femme, où vibrent les sentiments maternels, pourraient s’agiter bientôt par la volonté des dirigeants, les plus sombres horreurs ! (Appl.)

Ce qui me navre le plus, c’est l’inintelligence de la diplomatie. (Appl.) Regardez les diplomates de l’Autriche-Hongrie, ils viennent d’accomplir un chef-d’œuvre ; ils ont obscurci toutes les responsabilités autres que la leur. Quelles qu’aient été les folies des autres dirigeants, au Maroc, en Tripolitaine, aux Balkans, par la brutalité de sa note, avec son mélange de violence et de jésuitisme, la diplomatie d’Autriche-Hongrie semble avoir voulu passer au premier plan. (Appl.)

Et l’Allemagne ? Si elle a connu la note austro-hongroise, elle est inexcusable d’avoir permis une pareille démarche. Et si l’Allemagne officielle n’a pas connu la note autrichienne, quelle est cette sagesse gouvernementale ! (Rires.) Quoi ! Vous avez un contrat qui vous lie et qui vous entraîne à la guerre, et vous ne savez pas ce qui va vous y entraîner ! Je me demande quel peuple a donné un exemple pareil d’anarchie. (Appl.)

Si l’on pouvait lire dans le cœur des gouvernants, on ne pourrait y voir si vraiment ils sont contents de ce qu’ils ont fait. Ils voudraient être grands ; ils mènent les peuples au bord de l’abîme ; mais, au dernier moment, ils hésitent ; le cheval d’Attila effarouche encore, mais il trébuche. (Accl.) Cette hésitation des dirigeants, il faut que nous la mettions à profit pour organiser la paix.

Nous, socialistes français, notre devoir est simple ; nous n’avons pas à imposer à notre gouvernement une politique de paix. Il la pratique. Moi qui n’ai jamais hésité à assumer sur ma tête la haine de nos chauvins, par ma volonté obstinée, et qui ne jaillira jamais (Acclamat.), de rapprochement franco-allemand, j’ai le droit de dire qu’à l’heure actuelle le gouvernement français veut la paix et travaille au maintien de la paix. (Ovation.)

Le gouvernement français est le meilleur allié de paix de cet admirable gouvernement anglais qui a pris l’initiative de la conciliation. Et il donne à la Russie des conseils de prudence et de patience.

Quant à nous, c’est notre devoir d’insister pour qu’il parle avec force à la Russie de façon qu’elle s’abstienne. Mais si, par malheur, la Russie n’en tenait pas compte, notre devoir est de dire : « Nous ne connaissons qu’un traité, le traité qui nous lie à la race humaine ! (Ovation.)

Voilà notre devoir et, en l’exprimant, nous nous sommes trouvés d’accord avec les camarades d’Allemagne qui demandent à leur gouvernement de faire que l’Autriche modère ses actes. Et il se peut que la dépêche dont je vous parlais tantôt provienne en partie de cette volonté des prolétaires allemands.

Fût-on le maître auguste, on ne peut aller contre la volonté de quatre millions de consciences éclairées. (Acclamations.)

Voilà ce qui nous permet de dire qu’il y a déjà une diplomatie socialiste qui s’avère au grand jour et qui n’agit pas pour déchirer les cœurs ni troubler les consciences. (Applaud.)

Aussi, citoyens, tout à l’heure, dans la séance du Bureau socialiste international, nous avons eu la grande joie de recevoir le récit détaillé des manifestations socialistes, par lesquelles 100 000 hommes berlinois, malgré les étudiants chauvins aux balafres prophétiques, malgré la police, ont affirmé leur volonté de paix.

Là-bas, malgré le poids qui pèse sur eux et qui donne plus de mérite à leurs efforts, ils ont fait preuve de courage en accumulant sur leur tête, chaque année, des mois et des années de prison et vous me permettrez de saluer encore la femme vaillante Rosa Luxemburg (acclamations), qui fait passer dans le cœur du prolétariat allemand la flamme de sa pensée. Mais jamais les socialistes allemands n’auront rendu service plus grand à la cause de l’humanité que dans la journée d’hier. Et quel service ils ont rendu hier, à nous, socialistes français.

Nous les avons entendus, nos chauvins, dire maintes fois : Ah ! comme nous serions tranquilles si nous avions en France des socialistes allemands modérés et calmes. Et bien, hier, les socialistes français furent à Berlin (rires) et au nombre de cent mille manifestèrent. Nous enverrons des socialistes français en Allemagne où on les réclame et les Allemands nous enverront les leurs, puisque les chauvins français les réclament. (Applaudissements.)

Savez-vous ce que c’est que le prolétariat : c’est des masses d’hommes qui ont collectivement l’amour de la paix et l’horreur de la guerre.

Les chauvins, les nationalistes, ce sont des hommes qui ont collectivement de la guerre et du carnage. (Acclam. répétées.)

Mais quand ils sentent sur leur tête la menace des conflits, des guerres, qui faucheront pêle-mêle des existences bourgeoises et ouvrières, alors ils se souviennent qu’ils ont des amis et cherchent à apaiser l’orage. (Rires et appl.)

Mais pour les maîtres absolus, le terrain est miné. Si dans l’entraînement mécanique et dans l’ivresse des premiers combats, ils réussissent à entraîner les masses, à mesure que le typhus achèverait l’œuvre des obus, à mesure que la mort et la misère frapperaient, les hommes dégrisés se tourneront vers les dirigeants allemands, français, russes, italiens, demanderont quelles raisons ils peuvent donner de tous ses cadavres. Et alors, la révolution déchaînée leur dirait : « Va-t-en et demande pardon à Dieu et aux hommes ! » (Accl.)

Mais si nous évitons l’orage, alors j’espère que les peuples n’oublieront pas et qu’ils diront : Il faut empêcher que le spectre sorte de son tombeau tous les six mois pour effrayer le monde. (Acclam. prol.)

Hommes humains de tous les pays, voilà l’œuvre de paix et de justice que nous devons accomplir !

Le prolétariat a déjà le sentiment de sa force, et, avec une fierté plus grande, des millions et des millions de prolétaires, par l’organe de leurs délégués, viendront à Paris affirmer leur volonté de justice et de paix.

(Toute la salle, debout, agite les chapeaux et les mouchoirs, et acclame l’orateur pendant cinq minutes. C’est une manifestation émouvante, inoubliable.)

« Un meeting socialiste international à Bruxelles. Une démonstration formidable contre la guerre », Le Peuple, 30 juillet 1914.

L’article dans son entier

BIBLIOTHÈQUE ROYALE DE BELGIQUE

La recension du Peuple est la source principale des textes publiés dans L’Humanité du 30 et Le Soir du 31 selon Jean Stengers, « Le dernier discours de Jaurès », Revue de l’Université de Bruxelles, t. XVII, 1964-1965, p. 201.

« Le grand meeting de Bruxelles », L’Humanité du 30 juillet 1914.

« Le meeting du Cirque royal », Le Soir du 31 juillet 1914.

« Jaurès au meeting de Bruxelles (29 juillet 1914) », in Alexandre Zévaès, Jaurès, Paris, Hachette, 1938, p. 15. PANDOR, MSH de Dijon.

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Le discours de Bruxelles dans L’Indépendance belge du 31 juillet 1914

Enfin, M. Jean Jaurès, salué par une longue ovation et des cris répétés de « Vive Jaurès ! Vive la République ! » :

— Je dirai à mes compatriotes avec quelle émotion j’ai entendu tout à l’heure acclamer avec le nom de la France, le souvenir de la Révolution humaine !

Nous sommes ici pour mettre en commun contre le monstrueux péril de la guerre toutes nos forces de volonté et de raison.

On dirait que les gouvernants veulent affecter les peuples et les hommes. Hier, on disait que les choses étaient arrivées à l’extrême ! La rumeur était fausse, mais elle sortait du fond des inquiétudes unanimes ! Aujourd’hui, une autre dépêche plus rassurante est arrivée. On nous dit qu’on peut espérer qu’il n’y aurait pas de choc, que l’Autriche avait promis de ne pas annexer la Serbie. (Rires.)

On négocie ; on prendra à la Serbie un peu [de] sang et non un peu de chair.

Mais à quelles épreuves les maîtres soumettent les nerfs, la conscience et la raison des hommes !

Est-il possible que des millions d’hommes soient appelés à s’entre-déchirer sans se haïr. Il me semble lorsque je vois passer dans les cités des couples, il me semble voir à côté de l’homme dont le cœur bat, à côté de la femme animée d’un grand amour maternel, la Mort marcher, prête à devenir visible ! (Longs applaudissements.)

Les diplomates autrichiens ont été assez stupides pour obscurcir toutes les responsabilités autres que la leur. Quelques ont pu être les fautes ou les stupidités, les folies ou les crimes des gouvernants, par la brutalité de sa note, par le mélange de violence et de jésuitisme, la coterie militaire et cléricale, semble être placé au premier plan des responsabilités.

Et l’Allemagne du Kaiser, comment pourra-t-elle justifier son attitude de ces derniers jours ?

Si elle a connu la note, elle est inexcusable d’avoir tolérée pareille démarche, qui pouvait enchaîner la guerre. Et si elle n’a pas connu la note, que devient la prétendue sagesse gouvernementale ? Si c’est la politique des majestés, je me demande si l’anarchie des peuples peut aller plus loin. (Rires et applaudissements.)

On a mené les peuples jusqu’au bord de l’abîme ! Ah ! le cheval d’Attila, qui frappait jadis le sol, est farouche encore, mais il trébuche ! (Applaudissements.)

La politique du socialisme est saine. Mais moi qui ai conquis le droit, en dénonçant ses fautes, de porter témoignage à mon pays, j’ai le droit de dire devant le monde que le gouvernement français veut la paix et maintiendra la paix !! (Longs applaud. Cris : « Vive la France ! »)

Le gouvernement français est le meilleur allié du gouvernement anglais, qui a pris l’initiative de la médiation. Il donne des conseils de modération, de prudence à la Russie. Nous lui demanderons qu’il insiste encore pour que celle-ci ne se jette pas dans le conflit. Et si la Russie n’écoute pas ce conseil, nous aurons le droit de dire :

« Nous ne connaissons qu’un parti : celui qui nous lie à la race humaine ! Nous ne connaissons pas les traités secrets ! »

Le gouvernement allemand semble avoir fini par comprendre qu’on ne peut aller contre quatre millions de consciences humaines. (Applaudissements.)

On peut dire qu’il y a une diplomatie socialiste qui s’exerce, non pour brouiller les hommes, mais pour les grouper en vue des œuvres de paix et de justice.

Tantôt nous avons eu, au Bureau international, la grande joie d’apprendre que 100 000 travailleurs berlinois, malgré les bourgeois chauvins, malgré les étudiants aux balafres prophétiques, malgré la police, ont affirmé leur volonté pacifique.

Il faut leur rendre hommage ; il faut rendre hommage à ces militants qui ont accumulés sur leurs têtes des années de prison, surtout à Rosa Luxemburg (bravos), mais jamais il n’ont rendu à la cause de la paix un service semblable à celui qu’ils lui ont rendu hier.

On nous a accusé, nous socialistes français, d’être des sans-patrie. On disait : « Ah ! si nous pouvions avoir des socialistes à la mode allemande, et envoyer à l’Allemagne des socialistes à la mode française ! » Eh bien ! les socialistes à la mode française ont manifesté à Berlin, en prenant le visage des travailleurs berlinois.

Voulez-vous que je vous dise la différence entre la classe ouvrière et la classe bourgeoise. C’est que la classe ouvrière hait la guerre collectivement, mais ne la craint pas individuellement, tandis que les capitalistes, collectivement, célèbrent la guerre, mais la craignent individuellement. (Bravos.)

Aussi, à mesure que les horreurs de la guerre se développeraient, les hommes dégrisés se tourneraient vers leurs dirigeants : Quelle raison nous donnez-vous de ces cadavres ?

Si la crise se dissipe, si l’orage ne crève pas sur nous, lorsque le ciel sera rasséréné, il faudra empêcher que tous les six mois le spectre ne sorte pas du tombeau pour nous épouvanter ! (Longs applaudissements. « Vive Jaurès ».)

Travaillons à pacifier l’Humanité. Le prolétariat prend conscience de sa sublime mission. Et le 9 août les délégués de l’Internationale viendront affirmer à Paris l’universelle volonté de paix de tous les peuples.

« Meeting international au Cirque », L’Indépendance belge, 31 juillet 1914.

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Le discours de Bruxelles dans la biographie de Charles Rappoport (1915)

Au chapitre VI de sa biographie, intitulé « La mort de Jaurès », Charles Rappoport rappelle combien violentes sont les attaques contre Jaurès à l’été 1914 — l’article de Maurras dans L’Action française du 18 juillet — avant de rapporter plusieurs passages du discours de Bruxelles, « chant du cygne pour la paix du monde ».

Jaurès ne répondait même pas. Le 28 juillet il alla, en compagnie de Vaillant, Sembat, Guesde et Jean Longuet, à Bruxelles, pour assister, le 29, à un effort suprême de l’Internationale pour sauver la paix. Au Cirque royal de Bruxelles, il prononça son dernier discours, qui littéralement souleva l’auditoire, composé de milliers de personnes appartenant à toutes les classes de la société. Voici quelques passages essentiels de son chant du cygne pour la paix du monde (d’après L’Humanité, le compte rendu du Peuple de Bruxelles et d’après mes souvenirs personnels) :

« Et l’Allemagne ? Si elle a connu la note austro-hongroise, elle est inexcusable d’avoir permis une pareille démarche. Et si l’Allemagne officielle n’a pas connu la note autrichienne, quelle est sa sagesse gouvernementale ? Quoi ? vous avez un contrat qui vous lie et qui vous entraîne à la guerre et vous ne savez pas ce qui va vous y entraîner ! Je demande quel peuple a donné un exemple pareil d’anarchie ! (Applaudissements.)

« Cependant, les dirigeants hésitent. Profitons-en pour nous organiser. Nous, socialistes français, notre devoir est simple. Nous n’avons pas à imposer à notre gouvernement une politique de paix. Il la pratique. Moi, qui n’ai jamais hésité à assumer sur ma tête la haine de nos chauvins par ma volonté obstinée, et qui ne faillira jamais, d’un rapprochement franco-allemand, j’ai le droit de dire que le gouvernement français veut la paix. » (Ovation.)

En parlant des menaces de la guerre, Jaurès dit : « Attila est au bord de l’abîme, mais son cheval trébuche et hésite encore ».

S’opposant, comme il le fit toute sa vie, à ce que la France se soumît à un rôle subalterne, il dit textuellement : « Si l’on fait appel à un traité secret avec la Russie, nous en appellerons au traité public avec l’humanité ».

Et il termina son discours, le meilleur de sa vie, par des paroles prophétiques dont voici le texte quasi littéral :

« Au début de la guerre, tout le monde sera entraîné. Mais lorsque les conséquences et les désastres se développeront, les peuples diront aux responsables : “Allez-vous en et que Dieu vous pardonne”. »

Après son retour de Bruxelles, Jaurès ne quitta pas, pour ainsi dire, la Chambre, désertée par tous les partis politiques. Il tenta des efforts suprêmes pour sauver la paix.

Charles Rappoport, Jean Jaurès. L’homme, le penseur, le socialiste, Paris, L’Émancipatrice (imprimerie coopérative), 1915, pp. 90-92.

Le livre dans son entier

GALLICA – BIBLIOTHÈQUE NATIONALE DE FRANCE

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La reconstitution du discours de Bruxelles par Jean Stengers (1964)

Le discours est reconstitué à partir des articles publiés dans la presse. Il est donné en annexe d’une communication présentée au colloque de Toulouse sur « Jean Jaurès et la nation » (mai 1964) et publiée dans la Revue de l’Université de Bruxelles (1964-1965).

***

Jaurès est accueilli par de longues acclamations. On crie : « Vive Jaurès ! » « Vive la France! » « Vive la République ! »

Citoyens, je dirai à mes compatriotes, à mes camarades du parti en France, avec quelle émotion j’ai entendu, moi qui suis dénoncé comme un sans-patrie, avec quelle émotion j’ai entendu acclamer ici, avec le nom de la France, le souvenir de la grande Révolution. (Applaudissements.)

Nous ne sommes pas ici cependant pour nous abandonner à ces émotions mais pour mettre en commun, contre le monstrueux péril de la guerre, toutes nos forces de volonté et de raison.

On dirait que les diplomaties ont juré d’affoler les peuples. Hier vers 4 heures, dans les couloirs de la Chambre, vint une rumeur disant que la guerre allait éclater. La rumeur était fausse, mais elle sortait du fond des inquiétudes unanimes ! Aujourd’hui, tandis que nous siégions au B.S.I., une autre dépêche plus rassurante est arrivée. On nous dit qu’on peut espérer qu’il n’y aurait pas de choc, que l’Autriche avait promis de ne pas annexer la Serbie (rires) , et que moyennant cette promesse, la Russie pourrait attendre.

On négocie ; il paraît qu’on se contentera de prendre à la Serbie un peu de son sang, et non un peu de chair (rires) ; nous avons donc un peu de répit pour assurer la paix. Mais à quelle épreuve soumet-on l’Europe ! A quelles épreuves les maîtres soumettent les nerfs, la conscience et la raison des hommes !

Quand vingt siècles de christianisme ont passé sur les peuples, quand depuis cent ans ont triomphé les principes des Droits de l’Homme, est-il possible que des millions d’hommes puissent, sans savoir pourquoi, sans que les dirigeants le sachent, s’entre-déchirer sans se haïr ?

Il me semble, lorsque je vois passer dans nos cités des couples heureux, il me semble voir à côté de l’homme dont le cœur bat, à côté de la femme animée d’un grand amour maternel, la Mort mar­cher, prête à devenir visible ! (Longs applaudissements.)

Ce qui me navre le plus, c’est l’inintelligence de la diplomatie. (Applaudissements.) Regardez les diplomates de l’Autriche-Hongrie, ils viennent d’accomplir un chef-d’ œuvre : ils ont obscurci toutes les responsabilités autres que la leur. Quelles qu’aient été les folies des autres dirigeants, au Maroc, en Tripolitaine, dans les Balkans, par la brutalité de sa note, avec son mélange de violence et de jésuitisme, la coterie militaire et cléricale de Vienne semble avoir voulu passer au premier plan. (Applaudissements.)

Et l’Allemagne du Kaiser, comment pourra-t-elle justifier son attitude de ces derniers jours ? Si elle a connu la note austro-hon­groise, elle est inexcusable d’avoir toléré pareille démarche. Et si l’Allemagne officielle n’a pas connu la note autrichienne, que devient la prétendue sagesse gouvernementale ? (Rires.) Quoi ! Vous avez un contrat qui vous lie et qui vous entraîne à la guerre, et vous ne savez pas ce qui va vous y entraîner ! Si c’est la politique des majestés, je me demande si l’anarchie des peuples peut aller plus loin. (Rires et applaudissements.)

Si l’on pouvait lire dans le cœur des gouvernants, on ne pourrait y voir si vraiment ils sont contents de ce qu’ils ont fait. Ils voudraient être grands ; ils mènent les peuples au bord de l’abîme ; mais, au dernier moment, ils hésitent. Ah ! le cheval d’Attila qui galopait jadis la tête haute et frappait le sol d’un pied résolu, ah ! il est farouche encore, mais il trébuche. (Acclamations.) Cette hésitation des dirigeants, il faut que nous la mettions à profit pour organiser la paix.

Nous, socialistes français, notre devoir est simple. Nous n’avons pas à imposer à notre gouvernement une politique de paix. Il la pratique. Moi qui n’ai jamais hésité à assumer sur ma tête la haine de nos chauvins, par ma volonté obstinée, et qui ne jaillira jamais, de rapprochement franco-allemand (acclamations), moi qui ai conquis le droit, en dénonçant ses fautes, de porter témoignage à mon pays, j’ai le droit de dire devant le monde que le gouvernement français veut la paix et travaille au maintien de la paix. (Ovation. Cris : « Vive la France ! »)

Le gouvernement français est le meilleur allié de paix de cet admirable gouvernement anglais qui a pris l’initiative de la médiation. Et il donne à la Russie des conseils de prudence et de patience. Quant à nous, c’est notre devoir d’insister pour qu’il parle avec force à la Russie de façon qu’elle s’abstienne. Mais si, par malheur, la Russie n’en tenait pas compte, notre devoir est de dire : « Nous ne connaissons qu’un traité : celui qui nous lie à la race humaine ! Nous ne connaissons pas les traités secrets ! (Ovation.)

Voilà notre devoir et, en l’exprimant, nous nous sommes trouvés d’accord avec les camarades d’Allemagne qui demandent à leur gouvernement de faire que l’Autriche modère ses actes. Et il se peut que la dépêche dont je vous parlais tantôt provienne en partie de cette volonté des prolétaires allemands. Fût-on le maître auguste, on ne peut aller contre la volonté de quatre millions de consciences éclairées. (Acclamations.)

Voilà ce qui nous permet de dire qu’il y a déjà une diplomatie socialiste, qui s’avère au grand jour et qui s’exerce non pour brouiller les hommes mais pour les grouper en vue des œuvres de paix et de justice. (Applaudissements.)

Aussi, citoyens, tout à l’heure, dans la séance du Bureau socialiste international, nous avons eu la grande joie de recevoir le récit détaillé des manifestations socialistes par lesquelles 100 000 travailleurs berlinois, malgré les bourgeois chauvins, malgré les étudiants aux balafres prophétiques, malgré la police, ont affirmé leur volonté pacifique.

Là-bas, malgré le poids qui pèse sur eux et qui donne plus de mérite à leurs efforts, ils ont fait preuve de courage en accumulant sur leur tête, chaque année, des mois et des années de prison, et vous me permettrez de leur rendre hommage, et de rendre hommage surtout à la femme vaillante, Rosa Luxemburg (bravos), qui fait passer dans le cœur du prolétariat allemand la flamme de sa pensée. Mais jamais les socialistes allemands n’auront rendu à la cause de l’humanité un service semblable à celui qu’ils lui ont rendu hier. Et quel service ils nous ont rendu à nous, socialistes français !

Nous avons entendu nos chauvins dire maintes fois : « Ah ! comme nous serions tranquilles si nous pouvions avoir en France des socialistes à la mode allemande, modérés et calmes, et envoyer à l’Allemagne des socialistes à la mode française ! » Eh bien ! hier, les socialistes à la mode française furent à Berlin (rires) et au nombre de cent mille manifestèrent. Nous enverrons des socialistes français en Allemagne, où on les réclame, et les Allemands nous enverront les leurs, puisque les chauvins français les réclament. (Applaudissements.)

Voulez-vous que je vous dise la différence entre la classe ouvrière et la classe bourgeoise ? C’est que la classe ouvrière hait la guerre collectivement, mais ne la craint pas individuellement, tandis que les capitalistes, collectivement, célèbrent la guerre, mais la craignent individuellement. (Acclamations.) C’est pourquoi, quand les bourgeois chauvins ont rendu l’orage menaçant, ils prennent peur et demandent si les socialistes ne vont pas agir pour l’empêcher. (Rires et applaudissements.)

Mais pour les maîtres absolus, le terrain est miné. Si dans l’entraînement mécanique et dans l’ivresse des premiers combats, ils réussissent à entraîner les masses, à mesure que les horreurs de la guerre se développeraient, à mesure que le typhus achèverait l’œuvre des obus, à mesure que la mort et la misère frapperaient, les hommes dégrisés se tourneraient vers les dirigeants allemands, français, russes, italiens, et leur demanderaient : Quelles raisons nous donnez-vous de tous ces cadavres ? Et alors, la Révolution déchaînée leur dirait : « Va-t-en, et demande pardon à Dieu et aux hommes ! » (Acclamations.)

Mais si la crise se dissipe, si l’orage ne crève pas sur nous, alors j’espère que les peuples n’oublieront pas et qu’ils diront : il
faut empêcher que le spectre ne sorte de son tombeau tous les six mois pour nous épouvanter. (Acclamations prolongées.)

Hommes humains de tous les pays, voilà l’œuvre de paix et de justice que nous devons accomplir!

Le prolétariat prend conscience de sa sublime mission. Et le 9 août, des millions et des millions de prolétaires, par l’organe de leurs délégués, viendront affirmer à Paris l’universelle volonté de paix de tous les peuples. (Longues ovations. Toute la salle, debout, acclame Jaurès.)

Jean Stengers, « Le dernier discours de Jaurès », Revue de l’Université de Bruxelles, tome XVII, 1964-1965, pp. 182-205.

L’article dans son entier

DIGITHÈQUE DES BIBLIOTHÈQUES DE L’UNIVERSITÉ LIBRE DE BRUXELLES

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« L’un des derniers autographes de Jaurès »

Dans son article, Jean Stengers rapporte une information donnée par Le Peuple du 2 août 1914 : à la tribune, Jaurès s’appuie sur « quelques mots griffonnés […] au moment où il allait prendre la parole » et publiés après sa mort.

L’un des derniers autographes de Jaurès

Voici un document curieux. Ce sont quelques mots griffonnés par Jaurès mercredi soir, sur un bout de papier, au moment où il allait prendre la parole au meeting du Cirque, à Bruxelles.

« De jour en jour les impressions varient… Soumettre les nerfs et le (sic) cerveaux. — Horrible — mais c’est l’absurdité, l’Autriche a abordé (?) les responsabilités.

L’Allemagne impériale. Le cheval d’Attila. » (Ces derniers mots barrés.)

Et c’est de cette ébauche informe, de ces quelques mots à peine lisibles, qu’est sorti le merveilleux discours que les milliers de Bruxellois acclamèrent l’autre soir.

« L’un des derniers autographes de Jaurès », Le Peuple, 2 août 1914.

L’article du Peuple

BIBLIOTHÈQUE ROYALE DE BELGIQUE

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Le discours de Vaise (25 juillet 1914)

Citoyens,

Je veux vous dire ce soir que jamais nous n’avons été, que jamais depuis quarante ans l’Europe n’a été dans une situation plus menaçante et plus tragique que celle où nous sommes à l’heure où j’ai la responsabilité de vous adresser la parole. Ah ! citoyens, je ne veux pas forcer les couleurs sombres du tableau, je ne veux pas dire que la rupture diplomatique dont nous avons eu la nouvelle il y a une demie heure, entre l’Autriche et la Serbie, signifie nécessairement qu’une guerre entre l’Autriche et la Serbie va éclater et je ne dis pas que si la guerre éclate entre la Serbie et l’Autriche le conflit s’étendra nécessairement au reste de l’Europe ; mais je dis que nous avons contre nous, contre la paix, contre la vie des hommes à l’heure actuelle, des chances terribles et contre lesquelles il faudra que les prolétaires de l’Europe tentent les efforts de solidarité suprême qu’ils pourront tenter.

Citoyens, la note que l’Autriche a adressée à la Serbie est pleine de menaces ; et si l’Autriche envahit le territoire slave, si les Germains, si la race germanique d’Autriche fait violence à ces Serbes qui sont une partie du monde slave et pour lesquels les slaves de Russie éprouvent une sympathie profonde, il y a à craindre et à prévoir que la Russie entrera dans le conflit, et si la Russie intervient pour défendre la Serbie, l’Autriche ayant devant elle deux adversaires, la Serbie et la Russie, invoquera le traité d’alliance qui l’unit à l’Allemagne ; et l’Allemagne fait savoir qu’elle se solidarisera avec l’Autriche. Et si le conflit ne restait pas entre l’Autriche et la Serbie, si la Russie s’en mêlait, l’Autriche verrait l’Allemagne prendre place sur les champs de bataille à ses côtés. Mais alors, ce n’est plus seulement le traité d’alliance entre l’Autriche et l’Allemagne qui entre en jeu, c’est le traité secret mais dont on connaît les clauses essentielles, qui lie la Russie et la France et la Russie dira à la France : « J’ai contre moi deux adversaires, l’Allemagne et l’Autriche, j’ai le droit d’invoquer le traité qui nous lie, il faut que la France vienne prendre place à mes côtés. »

À l’heure actuelle, nous sommes peut-être à la veille du jour où l’Autriche va se jeter sur les Serbes et alors l’Autriche et l’Allemagne se jetant sur les Serbes et les Russes, c’est l’Europe en feu, c’est le monde en feu.

Dans une heure aussi grave, aussi pleine de périls pour nous tous, pour toutes les patries, je ne veux pas m’attarder à chercher longuement les responsabilités. Nous avons les nôtres, Moutet l’a dit, et j’atteste devant l’histoire que nous les avions prévues, que nous les avions annoncées ; lorsque nous avons dit que pénétrer par la force, par les armes au Maroc, c’était ouvrir l’ère des ambitions, des convoitises et des conflits, on nous a dénoncés comme de mauvais Français et c’est nous qui avions le souci de la France.

Voilà, hélas! notre part de responsabilité, et elle se précise, si vous voulez bien songer que c’est la question de la Bosnie-Herzégovine qui est l’occasion de la lutte entre l’Autriche et la Serbie et que nous, Français, quand l’Autriche annexait la Bosnie-Herzégovine, nous n’avions pas le droit ni le moyen de lui opposer la moindre remontrance, parce que nous étions engagés au Maroc et que nous avions besoin de nous faire pardonner notre propre péché en pardonnant les péchés des autres.

Et alors notre ministre des Affaires étrangères disait à l’Autriche :

« Nous vous passons la Bosnie-Herzégovine, à condition que vous nous passiez le Maroc », et nous promenions nos offres de pénitence de puissance en puissance, de nation en nation, et nous disions à l’Italie :

« Tu peux aller en Tripolitaine, puisque je suis au Maroc, tu peux voler à l’autre bout de la rue, puisque moi j’ai volé à l’extrémité. »

Chaque peuple paraît à travers les rues de l’Europe avec sa petite torche à la main et maintenant voilà l’incendie. Eh bien ! citoyens, nous avons notre part de responsabilité, mais elle ne cache pas la responsabilité des autres et nous avons le droit et le devoir de dénoncer, d’une part, la sournoiserie et la brutalité de la diplomatie allemande, et, d’autre part, la duplicité de la diplomatie russe. Les Russes qui vont peut-être prendre parti pour les Serbes contre l’Autriche et qui vont dire : « Mon cœur de grand peuple slave ne supporte pas qu’on fasse violence au petit peuple slave de Serbie. » Oui, mais qui est-ce qui a frappé la Serbie au cœur ? Quand la Russie est intervenue dans les Balkans, en 1877, et quand elle a créé une Bulgarie, soi-disant indépendante, avec la pensée de mettre la main sur elle, elle a dit à l’Autriche : « Laisse-moi faire et je te confierai l’administration de la Bosnie-Herzégovine. »

L’administration, vous comprenez ce que cela veut dire, entre diplomates, et du jour où l’Autriche-Hongrie a reçu l’ordre d’administrer la Bosnie-Herzégovine, elle n’a eu qu’une pensée, c’est de l’administrer au mieux de ses intérêts.

Dans l’entrevue que le ministre des Affaires étrangères russe a eu avec le ministre des Affaires étrangères de l’Autriche, la Russie a dit à l’Autriche : « Je t’autoriserai à annexer la Bosnie-Herzégovine à condition que tu me permettes d’établir un débouché sur la mer Noire, à proximité de Constantinople. » M. d’Ærenthal a fait un signe que la Russie a interprété comme un oui, et elle a autorisé l’Autriche à prendre la Bosnie-Herzégovine ; puis quand la Bosnie-Herzégovine est entrée dans les poches de l’Autriche, elle a dit à l’Autriche : « C’est mon tour pour la mer Noire. » — « Quoi ? Qu’est-ce que je vous ai dit ? Rien du tout ! », et depuis c’est la brouille avec la Russie et l’Autriche, entre M. Iswolsky, ministre des Affaires étrangères de la Russie, et M. d’Ærenthal, ministre des Affaires étrangères de l’Autriche ; mais la Russie avait été la complice de l’Autriche pour livrer les Slaves de Bosnie-Herzégovine à l’Autriche-Hongrie et pour blesser au cœur les Slaves de Serbie.

C’est ce qui l’engage dans les voies où elle est maintenant.

Si depuis trente ans, si depuis que l’Autriche a l’administration de la Bosnie-Herzégovine, elle avait fait du bien à ces peuples, il n’y aurait pas aujourd’hui de difficultés en Europe ; mais la cléricale Autriche tyrannisait la Bosnie-Herzégovine ; elle a voulu la convertir par force au catholicisme ; en la persécutant dans ses croyances, elle a soulevé le mécontentement de ces peuples.

La politique coloniale de la France, la politique sournoise de la Russie et la volonté brutale de l’Autriche ont contribué à créer l’état de choses horrible où nous sommes. L’Europe se débat comme dans un cauchemar.

Eh bien ! citoyens, dans l’obscurité qui nous environne, dans l’incertitude profonde où nous sommes de ce que sera demain, je ne veux prononcer aucune parole téméraire, j’espère encore malgré tout qu’en raison même de l’énormité du désastre dont nous sommes menacés, à la dernière minute, les gouvernements se ressaisiront et que nous n’aurons pas à frémir d’horreur à la pensée du cataclysme qu’entraînerait aujourd’hui pour les hommes une guerre européenne.

Vous avez vu, la guerre des Balkans, une armée presque entière succomber, soit sur le champ de bataille, soit dans les lits d’hôpitaux ; une armée est partie avec un chiffre de trois cent mille hommes, elle laisse dans la terre des champs de bataille, dans les fossés des chemins ou dans les lits d’hôpitaux infectés par le typhus cent mille hommes sur trois cent mille.

Songez à ce que serait le désastre pour l’Europe : ce ne serait plus, comme dans les Balkans, une armée de trois cent mille hommes, mais quatre, cinq et six armées de deux millions d’hommes. Quel massacre, quelles ruines, quelle barbarie! Et voilà pourquoi, quand la nuée de l’orage est déjà sur nous, voilà pourquoi je veux espérer encore que le crime ne sera pas consommé. Citoyens, si la tempête éclatait, tous, nous socialistes, nous aurons le souci de nous sauver le plus tôt possible du crime que les dirigeants auront commis et en attendant, s’il nous reste quelque chose, s’il nous reste quelques heures, nous redoublerons d’efforts pour prévenir la catastrophe. Déjà, dans le Vorwaerts, nos camarades socialistes d’Allemagne s’élèvent avec indignation contre la note de l’Autriche et je crois que notre Bureau socialiste international est convoqué.

Quoi qu’il en soit, citoyens, et je dis ces choses avec une sorte d’espoir, il n’y a plus, au moment où nous sommes menacés de meurtre et, de sauvagerie, qu’une chance pour le maintien de la paix et le salut de la civilisation, c’est que le prolétariat rassemble toutes ses forces qui comptent un grand nombre de frères, Français, Anglais, Allemands, Italiens, Russes et que nous demandions à ces milliers d’hommes de s’unir pour que le battement unanime de leurs cœurs écarte l’horrible cauchemar.

J’aurais honte de moi-même, citoyens, s’il y avait parmi vous un seul qui puisse croire que je cherche à tourner au profit d’une victoire électorale, si précieuse qu’elle puisse être, le drame des événements. Mais j’ai le droit de vous dire que c’est notre devoir à nous, à vous tous, de ne pas négliger une seule occasion de montrer que vous êtes avec ce parti socialiste international qui représente à cette heure, sous l’orage, la seule promesse d’une possibilité de paix ou d’un rétablissement de la paix.

« Le discours » in Jean Jaurès et les causes de la guerre, Comité pour la reprise des relations internationales, Paris, 3e édition, 1919, pp. 8-14.

La brochure dans son entier

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Le dernier portrait de Jaurès (juin 1914)

Le dessin d’Alexandrovitch s’inspire d’une photo d’Albert Harlingue — « Jaurès dans sa bibliothèque » ; publiée à la une de L’Humanité du 31 juillet 1920, elle est datée de juin 1914 et présentée comme le dernier portrait de Jaurès. Une reproduction du dessin est publiée dans le Bonaparte de Jaurès (juillet 1921) avant d’être reprise dans Floréal.

 

La une de L’Humanité du 31 juillet 1920 ;

— « D’après le dessin d’Alexandrovitch » in Jaurès, Bonaparte, Paris, librairie de L’Humanité, 1921 ;

— « Le dernier portrait de Jaurès. Reproduction très réduite du crayon d’Alexandrovitch (édtions Floréal) », Floréal, 30 juillet 1921.

Le dernier portrait de Jaurès. Reproduction très réduite du crayon d'Alexandrovitch (édtions Floréal), Floréal, 30 juillet 1921

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