La déclaration ministérielle de Clemenceau devant la Chambre des députés (20 novembre 1917)

Reçu par le président de la République, pour consultation, le 14 novembre à 14 h, Clemenceau revient à l’Élysée le 15 à 15 h et annonce à son départ qu’il accepte de former le nouveau gouvernement, ce qu’il fait en vingt-quatre heures. Son dernier éditorial, publié au matin du 15, dans L’Homme enchaîné, s’intitulait : « On demande un gouvernement ». Devenu président du Conseil et ministre de la Guerre, il présente son cabinet au président le 16 à 16 h, paraît devant la Chambre dans l’après-midi du 20 et donne lecture de sa déclaration ministérielle à 15 h 15. On trouvera ci-dessous le texte complet d’un discours souvent cité — mais rarement dans son entier — et sa traduction en anglais dans The New York Times Current History. La déclaration ministérielle est suivie d’un vote de confiance et Clemenceau le sollicite expressément, mais le terme d’investiture ne figure pas dans le texte constitutionnel. Les lois de 1875 établissent un régime parlementaire, mais les rapports entre les pouvoirs sont fixés, en grande partie, par la pratique politique : crise du 16-Mai (1877), doctrine Grévy (6 février 1879), etc. Le 20, Clemenceau obtient la confiance de la Chambre par 418 voix contre 65.


M. le président. — La parole est à M. le président du conseil pour une déclaration du gouvernement.

M. Clemenceau, président du Conseil, ministre de la Guerre. — Messieurs, nous avons accepté d’être au gouvernement pour conduire la guerre avec un redoublement d’efforts en vue du meilleur rendement de toutes les énergies. (Très bien ! très bien !)

Nous nous présentons devant vous dans l’unique pensée d’une guerre intégrale. Nous voudrions que la confiance dont nous vous demandons le témoignage fût un acte de confiance en vous-mêmes, un appel aux vertus historiques qui nous ont faits Français. (Vifs applaudissements.) Jamais la France ne sentit si clairement le besoin de vivre et de grandir dans l’idéal d’une force mise au service de la conscience humaine (Très bien ! très bien !), dans la résolution de fixer toujours plus de droit entre les citoyens, comme entre les peuples capables de se libérer. (Applaudissement.) Vaincre pour être justes, voilà le mot d’ordre de tous nos gouvernements depuis le début de la guerre. Ce programme à ciel ouvert, nous le maintiendrons. (Vifs applaudissements.)

Nous avons de grands soldats d’une grande histoire, sous des chefs trempés dans les épreuves, animés aux suprêmes dévouements qui firent le beau renom de leurs aînés. (Très bien ! très bien !) Par eux, par nous tous, l’immortelle patrie des hommes, maîtresse de l’orgueil des victoires, poursuivra dans les plus nobles ambitions de la paix le cours de ses destinées.

Ces Français que nous fûmes contraints de jeter dans la bataille, ils ont des droits sur nous. (Applaudissements prolongés.) Ils veulent qu’aucune de nos pensées ne se détourne d’eux, qu’aucun de nos actes ne leur soit étranger. Nous leur devons tout, sans aucune réserve. Tout pour la France saignante dans sa gloire, tout pour l’apothéose du droit triomphant. (Applaudissements.) Un seul devoir, et simple : demeurer avec le soldat, vivre, souffrir, combattre avec lui. Abdiquer tout ce qui n’est pas de la patrie. L’heure nous est venue d’être uniquement Français, avec la fierté de nous dire que cela suffit. (Vifs applaudissements.)

Droits du front et devoirs de l’arrière, qu’aujourd’hui tout soit donc confondu. Que toute zone soit de l’armée. S’il doit y avoir des hommes pour retrouver dans leurs âmes de vieilles semences de haines, écartons-les.

Toutes les nations civilisées sont engagées dans la même bataille contre les formations modernes des vieilles barbaries. Avec tous nos bons alliés, nous sommes le roc inébranlable d’une barrière qui ne sera pas franchie. Au front de l’alliance, à toute heure et partout, rien que la solidarité fraternelle, le plus sûr fondement du monde à venir. (Applaudissements.)

Champ clos des idéals, notre France a souffert pour tout ce qui est de l’homme. Ferme dans les espérances puisées aux sources de l’humanité la plus pure, elle accepte de souffrir encore, pour la défense du sol des grands ancêtres, avec l’espoir d’ouvrir, toujours plus grandes, aux hommes comme aux peuples, toutes les portes de la vie. La force de l’âme française est là. C’est ce qui meut notre peuple au travail comme à l’action de guerre. Ces silencieux soldats de l’usine, sourds aux suggestions mauvaises (applaudissements), ces vieux paysans courbés sur leurs terres, ces robustes femmes au labour, ces enfants qui leur apportent l’aide d’une faiblesse grave : voilà de nos poilus. (Nouveaux applaudissements.) De nos poilus qui, plus tard, songeant à la grande oœuvre, pourront dire, comme ceux des tranchées : J’en étais. Avec ceux-là aussi, nous devons demeurer, faire que, pour la Patrie, dépouillant nos misères, un jour, nous nous soyons aimés.

S’aimer, ce n’est pas se le dire, c’est se le prouver. (Vifs applaudissements.) Cette preuve, nous voulons essayer de la faire. Pour cette preuve, nous vous demandons de nous aider. Peut-il être un plus beau programme de gouvernement ?

Il y a eu des fautes. N’y songeons plus que pour les réparer.

Hélas ! il y a eu aussi des crimes, des crimes contre la France, qui appellent un prompt châtiment. (Vifs applaudissements.) Nous prenons devant vous, devant le pays qui demande justice, l’engagement que justice sera faite selon la rigueur des lois. (Très bien ! très bien !) Ni considérations de personnes, ni entraînements de passions politiques (vifs applaudissements à gauche, au centre et à droite. — Interruptions sur les bancs du parti socialiste) ne nous détourneront du devoir ni ne nous le feront dépasser. (Très bien ! très bien !) Trop d’attentats se sont déjà soldés sur notre front de bataille, par un surplus de sang français. Faiblesse serait complicité. Nous serons sans faiblesse, comme sans violence. Tous les inculpés en conseil de guerre. Le soldat au prétoire, solidaire du soldat au combat. Plus de campagnes pacifistes, plus de menées allemandes. Ni trahison, ni demi-trahison : la guerre. (Applaudissements.) Rien que la guerre. Nos armées ne seront pas prises entre deux feux, la justice passe. Le pays connaîtra qu’il est défendu. (Nouveaux applaudissements.)

Et cela, dans la France libre, toujours. Nous avons payé nos libertés d’un trop grand prix pour en céder quelque chose au-delà du soin de prévenir les divulgations, les excitations dont pourrait profiter l’ennemi. Une censure sera maintenue des informations diplomatiques et militaires, aussi bien que de celles qui seraient susceptibles de troubler la paix civile. (Mouvements divers sur les bancs du parti socialiste. — Applaudissements à gauche, au centre et à droite.) Cela jusqu’aux limites du respect des opinions. Un bureau de presse fournira des avis — rien que des avis — à qui les sollicitera. En temps de guerre, comme en temps de paix, la liberté s’exerce sous la responsabilité personnelle de l’écrivain. En dehors de cette règle, il n’y a qu’arbitraire, anarchie. (Applaudissements.)

Messieurs, pour marquer le caractère de ce gouvernement, dans les circonstances pré- sentes, il ne nous a pas paru nécessaire d’en dire davantage. Les jours suivront les jours. Les problèmes succéderont aux problèmes. Nous marcherons du même pas, avec vous, aux réalisations dont la nécessité s’impose. Nous sommes sous votre contrôle. La question de confiance sera toujours posée. (Très bien ! très bien !)

Nous allons entrer dans la voie des restrictions alimentaires, à la suite de l’Angleterre, de l’Italie, de l’Amérique elle-même, admirable d’élan. Nous demanderons à chaque citoyen de prendre toute sa part de la défense commune, de donner plus et de consentir à recevoir moins. L’abnégation est aux armées. Que l’abnégation soit dans tout le pays. (Applaudissements.) Nous ne forgerons pas une plus grande France sans y mettre de notre vie.

Et voici qu’à la même heure quelque chose de notre épargne, par surcroît, nous est demandé. Si le vote qui conclura cette séance nous est favorable, nous en attendons la consécration par le succès complet de notre emprunt de guerre, suprême attestation de la confiance que la France se doit à elle-même quand on lui demande pour la victoire, après l’aide du sang, l’aide pécuniaire dont la victoire sera la garantie. (Applaudissements.)

Messieurs, cette victoire, qu’il nous soit permis, à cette heure, de la vivre, par avance, dans la communion de nos cœurs à mesure que nous y puisons plus et plus d’un désintéressement inépuisable qui doit s’achever dans le sublime essor de l’âme française au plus haut de ses plus hauts espoirs.

Un jour, de Paris au plus humble village, des rafales d’acclamations accueilleront nos étendards vainqueurs, tordus dans le sang, dans les larmes, déchirés des obus, magnifique apparition de nos grands morts. (Applaudissements.) Ce jour, le plus beau de notre race, après tant d’autres, il est en notre pouvoir de le faire. Pour les résolutions sans retour, nous vous demandons, Messieurs, le sceau de votre volonté. (Vifs applaudissements répétés et prolongés à gauche, au centre, et à droite.) »

Georges Clemenceau, Discours de guerre, PUF, Paris, 1968, pp. 130-133.

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Sources

N.B. : le discours date bien du 20 novembre 1917, non pas du 26 novembre 1917, comme indiqué dans La France au XXe siècle. Documents d’histoire présentés par O. Wieviorka et C. Prochasson, collection « Nouvelle histoire de la France con- temporaine », tome 20, Paris, Seuil, 1994, p. 234. La Chambre se sépare le vendredi 23 et se retrouve le mardi 27 à 15 h : il n’y a pas de séance le 26.

 

Le texte du discours dans les Discours de guerre, Gallica-BNF

Le texte du discours dans le Journal officiel de la République française, Débats parlementaires, Chambre des députés, Gallica-BNF

Le texte du discours dans le Journal officiel de la République française, Débats parlementaires, Sénat, Gallica-BNF

N.B. : au Sénat, le discours est lu par Louis Nail, garde des Sceaux, ministre de la Justice.

Un extrait du discours dans Le Livre des heures héroïques et douloureuses des années 1914·1915·1916·1917·1918, Gallica-BNF | Second exemplaire


Une traduction en anglais de la déclaration

Clemenceau’s Pledge to France New Premier, on Taking Office, Declares the One Purpose of His Government Is Victory

Georges Clemenceau the new Premier of France, delivered his formal declaration of Ministerial policy in the Chamber of Deputies on Nov. 20, 1917, and received a vote of confidence by 418 to 65, the opposition being that of the United Socialists. He read his declaration in a firm, clear voice, and his emotion when he spoke of France’s debt to her dead was evinced only by the trembling of the sheets in his hand. His speech in full is as follows:

GENTLEMEN: We have accepted places in the Government in order to conduct the war with redoubled efforts and with a better concentration of all our energies. We come before you with the sole idea of a unified war. We would that the confidence which we shall ask you to give us might be an act of confidence in yourselves, an appeal to the historic virtues of the men of France. Never before has France felt so clearly the need of living and growing in the ideal of force placed at the service of the human conscience, in the re- solve progressively to advance the right, both as among individuals and as between peoples capable of establishing their liberties.

“Conquer that justice may prevail”–that is the watchword of all our Governments since the beginning of the war. That program, open as the sky, we shall maintain. We have great soldiers, of great traditions, under leaders tempered by trial and animated by that supreme devotion which gave their elders renown. Through them, through all of us, the immortal native land, in the noble ambitions of peace, will pursue the course of its destinies.

Those Frenchmen whom we were constrained to throw into the battle have claims upon us. Their desire is that none of our thoughts turn away from them, that none of our acts be foreign to their interests. We owe them everything, without any reserve–everything for France, bleeding in her glory; everything for the exaltation of right triumphant.

The single, simple duty is to stand by the soldier, live, suffer, and fight with him; renounce everything that is not of the fatherland. The hour has come for us to be solely French, and with pride to declare that that suffices for us.
Salvation in Solidarity

Let everything today be blended–the claims of the front and the duty in the rear. Let every zone be the zone of war. If there must be men who find in their souls impulses of the old times, let us put them aside. All civilized nations are engaged in the same battle against the modern development of ancient barbarity. Against this, with all our good allies, we are an immovable rock, a barrier that shall not be passed.

Let only fraternal solidarity, the surest foundation of the world to come, be shown at the forefront of the alliance, at every instant and everywhere. In the field of ideas France has suffered for everything that makes man firm. In her hope, drawn from the sources of purest humanity, she consents to suffer still for the defense of the soil of her great ancestors, with the hope of opening ever wider, to men as to peoples, all the doors of life. The force of the French soul is in that. That is what animates our people while they work as well as while they fight.

Those silent soldiers of the workshops, deaf to evil suggestions, those old peasants bent over their land, those robust women at their toil, those children who bring them aid–there are our “poilus,” who, thinking later on of the great work, may say, like those of the trenches, “I was in it.”

With those also we must remain steadfast; we must see to it that, stripping ourselves for the fatherland, we one day may be loved. To love each other, it is not sufficient to say so, we must prove it. We would like to try to give that proof, and we ask you to aid us. Can there be a finer program of government?

“War, Nothing But War”

There have been mistakes. Let us think only of repairing them. Alas, there have been crimes also–crimes against France. Let them receive prompt chastisement. We take before you, before the country that demands justice, a vow that justice shall be done according to the rigors of the law.

Neither personal consideration nor political ardor shall turn us from our duty or lead us to go beyond it. Too many criminal attempts have already resulted on our battle front in the shedding of a superabundance of French blood. Weakness would be complicity. We shall be without weakness, yet also without violence. All the accused before courts-martial–that is our policy, the soldier in the pretorium in solidarity with the soldier in combat. No more pacifist campaigns, no more German intrigues. Neither treason nor semi-treason. War–nothing but war!

More Liberal Censorship

Our armies shall not be taken between two fires. Justice is on the way. The country will know that it is defended and is a France forever free. We have paid too great a price for our liberties to cede any part of them beyond the need of preventing publicity and excitations from which the enemy might profit. A censorship shall be maintained for diplomatic and military information, as well as for those susceptible of disturbing peace at home, up to the limits of respect for opinions. A press bureau will give news, nothing but news, to all who solicit it.

In wartime, as in time of peace, liberty is to be exercised under the personal responsibility of the writer. Outside of that rule there is only arbitrary anarchy.

It has not seemed to us necessary to say more under the present circumstances to indicate the character of this Government. Days will follow days, problems will follow problems, we shall march in step with you to the realizations that the necessities impose. We are under your control. The question of confidence will be continually in the balance.

We are going to enter upon a regime of restrictions after the example of England, Italy, and America, admirable in her ardor. We shall ask of each citizen that he take his full part in the common defense, that he give more and consent to receive less. There is abnegation in the army. So let abnegation exist throughout the country.

We shall not forge a greater France without putting our life into it. Something of our savings is asked besides. If the action that concludes this session is favorable to us, we expect of it consecration. In the complete success of our war loan is to be found supreme evidence of the confidence that France owes to herself when she is asked for victory.

May it be vouchsafed us to live that victory in this hour, to live it in advance in the communion of our hearts, in proportion as we draw more and more upon that inexhaustible spirit of self-sacrifice which should culminate in the sublime flight of the soul of France to the highest peak of its hopes. Some day, from Paris to the humblest village, shouts of acclamation will greet our victorious standards, stained with blood and tears and torn by shells–magnificent emblem of our noble dead. That day, the greatest day of our race, after so many others of grandeur, it is in our power to create. For our unchangeable resolution, gentlemen, we ask the seal of your approval.

The New York Times Current History, 1918.

INTERNET ARCHIVE


Photos et dessins

1. Une photo prise au ministère de la Guerre le 19 novembre 1917 et publiée à la une de L’Illustration, 24 novembre 1917, Het Archief-VIAA.

2. Une photo de Clemenceau, président de la commission sénatoriale de l’armée, en visite au Mort-Homme, Excelsior, 16 novembre 1917, Gallica-BNF.

3. Un dessin publié à la une de L’Illustration, 16-23 novembre 1918 : Clemenceau à la tribune de la Chambre le 11 novembre 1918, Het Archief-VIAA.

4. Une photo de Clemenceau à Noyon (Oise) datée du 8 septembre 1918, Le Miroir, 29 septembre 1918, Gallica-BNF.

5. Georges Clemenceau — One More French Premier at the Head of a Cabinet Pledged to “La Victoire Integrale”, The New York Times Current History, 1918.


Le vote de confiance

La déclaration ministérielle est suivie par la discussion de onze interpellations, laquelle se termine par le vote d’un ordre du jour : « La Chambre, confiante dans le gouvernement, approuvant ses déclarations et comptant sur son énergie et sa vigilance pour la conduite vigoureuse de la guerre et le châtiment de ceux qui ont commis des crimes envers la patrie, passe à l’ordre du jour. » Des « voix nombreuses sur les bancs du parti socialiste » demande la division après les mots « confiante dans le gouvernement ». Le scrutin porte donc sur les seuls premiers mots de l’ordre du jour.

Le scrutin dans le Journal officiel du 21

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La séance dans Le Petit Parisien du 21

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La séance dans L’Humanité du 21

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La séance dans la bibliographie savante

La séance dans le Clemenceau de Watson

On 20 November, the new cabinet met the Chamber of Deputies, and Clemenceau pronounced the ministerial declaration. It was brief, but eloquent, expressing his conviction that France, champ-clos des idéals, was fighting, along with all civilized nations, against ‘modern forms of ancient barbarism’. He evoked, in a few words, a picture of the entire nation united in this great struggle,

workers in the factories, women, old men and children bent at the toil of tilling the fields, they were all also soldiers for France.

He continued,

Mistakes have been made; do not think of them except to rectify them. Alas, there have also been crimes, crimes against France which call for a prompt punishment. We promise you, we promise the country, that justice will be done according to the law…. Weakness would be complicity. We will avoid weakness, as we will avoid violence. All the guilty before courts-martial. The soldier in the courtroom, united with the soldier in battle. No more pacifist campaigns, no more German intrigues. Neither treason, nor semi-treason: the war. Nothing but the war. Our armies will not be caught between tire from two sides. Justice will be done. The country will know that it is defended.

In these staccato phrases, not even composed into grammatical sentences, he achieved extraordinary rhetorical effect. The style exactly expressed the thought, eschewing any superfluity of words, as his programme avoided anything beyond the need to continue the terrible struggle. The contrast between the determination and authority of this speech, and the vacillations of Painlevé, was extreme. Even though the trials of Malvy and Caillaux were to show that no prominent politicians had been compromised by contact with the Germans, the psychological importance of Clemenceau’s leadership was very great. It did not matter that, once in office, he began to minimize the importance of the scandals, in contrast to his newspaper articles of October and November. The atmosphere was quite different from that of 1917: even when the Germans broke through on the western front in April and May 1918 there was no weakening of French morale. Under Clemenceau’s leadership France was determined to fight on.

David Robin Watson, Georges Clemenceau. A Political Biography, Methuen, Londres, 1974, David McKay, New York, 1976, pp. 271-272.


La séance dans le Clemenceau de Jean-Baptiste Duroselle (1988)

Le 20 novembre, Clemenceau, selon la tradition de la IIIe République, présenta son gouvernement à la Chambre des députés. La coutume voulait en effet qu’à ce moment les députés qui le désiraient interpellent le gouvernement. Un vote décidait alors si le nouveau cabinet avait ou non la confiance des députés.

Le discours de Clemenceau, dont nous avons déjà cité le passage sur le pacifisme et la trahison, n’apportait en aucune façon un programme détaillé. Les seules mesures concrètes, évoquées dans les termes les plus généraux, étaient le maintien d’une censure sur les informations politiques, militaires et susceptibles de troubler l’ordre public — « la liberté s’exerce sous la responsabilité personnelle de l’écrivain » –, l’annonce de restrictions alimentaires et celle d’un emprunt.

Pour le reste, c’était un appel à l’énergie, pour la victoire, parce que la cause de la France se confondait avec celle de la Justice, « nations civilisées » contre « vieilles barbaries ». « Idéal d’une force mise au service de la conscience humaine. » « Vaincre pour être justes. » Certaines des formules employées ont eu leur heure de célébrité :

« Nous nous présentons devant vous dans l’unique pensée d’une guerre intégrale. […] Nous avons de grands soldats d’une grande histoire, sous des chefs trempés dans les épreuves. […] Ces Français que nous fûmes contraints de jeter dans la bataille, ils ont des droits sur nous. » La conclusion souleva un tonnerre d’applaudissements : « Un jour, de Paris au plus humble village, des rafales d’acclamations accueilleront nos étendards vainqueurs, tordus dans le sang, dans les larmes, déchirés des obus, magnifique apparition de nos grands morts. Ce jour, le plus beau de notre race, il est en notre pouvoir de le faire. »

Onze interpellations lui furent ensuite adressées. Celles de l’extrême droite (Jules Delahaye, Baudry d’Asson) furent brèves — et favorables. Certaines (Henri Cosnier sur l’agriculture, Emile Favre sur les accapareurs, Bokanowski sur l’utilisation de l’arme chimique) ne concernaient que des questions particulières. Les deux plus importantes furent celles du radical-indépendant Pierre Forgeal sur les accusations portées contre Malvy et Caillaux et sur la future Société des Nations, et celles des socialistes, Mayeras et surtout Alexandre Varenne, sur la politique générale du gouvernement. Celui-ci accusa Clemenceau d’avoir toujours été l’adversaire des socialistes. Lorsque Malvy, en 1914, avait renoncé à utiliser le célèbre « Carnet B », Clemenceau avait été hostile à cette clémence. On notera que Varenne parlait en son nom personnel et non comme représentant de son parti. En fait, celui-ci devait refuser la confiance, après la réponse du président du Conseil, sous la forme d’une déclaration de l’ancien ministre Albert Thomas. Mais le parti continuerait à collaborer à la défense nationale « en dehors et au-dessus des gouvernements ».

Dans la longue réponse du Tigre, on vit apparaître ce qui devait constituer l’une des clefs de sa politique : faire peu de discours, et surtout dire très peu. Le Parlement lui accorderait ou non sa confiance. Mais cette confiance, qu’il solliciterait souvent, devait être globale, c’est-à-dire, dans une large mesure, aveugle. On l’interrogea sur les buts de guerre — un thème qui allait devenir lancinant. « Je croyais avoir répondu d’avance. [ … ] Je vous ai dit qu’il fallait vaincre pour être justes. N’est-ce pas un programme, cela ? » Simplement, il estimait que, pour maintenir la paix, la Société des Nations, idée de Léon Bourgeois, ne suffirait pas. Il faudrait des garanties. Et voici une phrase clef, que les événements d’une année devaient en quelque sorte expliquer : M. Forgeal « veut que, pendant que nous faisons la guerre, nous parlions de la paix. C’est là-dessus que nous ne sommes pas d’accord. »

Il y avait alors 555 députés (aucune élection partielle n’avait pu avoir lieu pendant la guerre) ; 483 votèrent. La-confiance fut accordée par 418 voix contre 65 (dont 64 socialistes) ; 25 socialistes (dont Pierre Laval et Fernand Bouisson) s’étaient abstenus ; 15 radicaux-socialistes s’abstinrent également. On ne s’étonnera pas d’y compter Caillaux, Malvy et Turmel. Et pourtant, attirés par l’effet de masse, Briand, Franklin-Bouillon, Viviani, Painlevé votèrent pour le gouvernement.

Nous emprunterons la conclusion à Paul Cambon, ambassadeur de France en Angleterre, qui écrivit à son ami Xavier Charmes le 21 novembre 1917 : « L’arrivée de Clemenceau aux affaires en ce moment est une chance, car vous ne pouvez imaginer ce qu’était le gouvernement de Painlevé et de Franklin-Bouillon, ces deux hannetons bourdonnants et impuissants. » Et d’ajouter : « Le réveil français s’explique par le coup de fouet de Clemenceau. »

Jean-Baptiste Duroselle, Clemenceau, Fayard, Paris, 1988, pp. 635-637.


« Je fais toujours la guerre ! »

La phrase n’appartient pas au discours du 20 novembre 1917 — « Dans l’unique pensée d’une guerre intégrale » — mais à celui du 8 mars 1918 — « Je fais toujours la guerre ! » — prononcé en réponse à une interpellation : « Tout à l’heure M. Constant me lançait une petite pointe sur mon silence en matière de politique étrangère. Ma politique étrangère et ma politique intérieure, c’est tout un. Politique intérieure, je fais la guerre ; politique extérieure, je fais toujours la guerre. Je fais toujours la guerre. »

8 mars 1918. — « Je fais la guerre » : discours de Clemenceau devant la Chambre des députés